Anonyme [1649], PREDICATION D’ESTAT FAITE DEVANT TOVTE LA COVR. Sçauoir si vn Souuerain, peut selon Dieu faire des fauoris; & quels fauoris il peut faire. , français, latinRéférence RIM : M0_2839. Cote locale : A_7_7.
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PREDICATION
d’Estat, faite deuant toute la
Cour ; sçauoir si vn Souuerain
peut selon Dieu faire
des fauoris, & quels fauoris
il peut faire.

Comme ie crains que quelques-vns qui
prendront la peine de lire cecy ne prennent
mes sentimens à contre sens, ie suis
bien aise de leur faire ce petit auant propos
pour les detromper du sens literal auquel ils
pourroiẽt s’attacher contre mon inteniõ. Vn
rusé & Politique Predicateur propre à la mode,
ayant esté prié ces iours passez par quelques
personnes interessées, & qui craignoient
vn reuers, de Prescher là dessus, fit le discours
qui s’ensuit deuant toute la Cour, en forme de
Predication ; ie crois suiure assez ponctuellement
ses pensées, & ie prie le Lecteur de me
continuer sa lecture fauorablement.

In nomine, &c.

Gloria & honore coronasti eum. Vous l’auez

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Couronné d’honneur & de gloire ; Ce sont les
paroles du Prophete Royal. Bien que ce discours
ne semble pas vne matiere propre pour la
Chaire, mais plustost pour la chambre & le Cõseil,
i’ay creu pourtant en y mélant l’interest
de Dieu, qu’il estoit comme necessaire de le faire,
veu beaucoup de petits abus qui se glissent,
& des scrupules legers dont on veut charger
les consciences, comme de gros crimes. En effet,
dans le suiet que ie traite, il semble qu’on
vueille enchainer la liberté des Roys, & qu’on
vueille les empescher de faire ce qu’ils doiuent
en quelque façõ, puisque ayãt vn plein pouuoir
sur leurs sujets, ils en peuuent disposer comme
bon leur semble ; & mesme il y a vne certaine
necessité dans leur puissance & dans leur authorité,
qu’ils n’en doiuent vser que pour en
faire participans ceux qu’ils iugent capables
de leurs faueurs : & ceux-la doiuent estre comme
celuy dont parle le Prophete, Gloria & diuitiæ
in domo eius, gloire & richesse dans leurs
maisons. Ils doiuent faire éclater la magnificence
de leurs Rois, non seulement en eux &
en ceux qui leur appartiennent, mais aussi dans
leurs maisons, qu’ils doiuent orner de toute
sorte de richesses, de tableaux, de meubles, &
de curiositez, pour faire mieux éclater la bonté

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du donateur, & pour inuiter les autres à se
procurer des qualitez recommandables pour
gaigner les bonnes graces de leurs Princes. Ie
sçay bien que quelques critiques ne gouteront
pas cecy, mais i’espere auec l’ayde de Dieu,
quand ils auront gousté mon raisonnement,
qu’ils se rangeront facilement de mon party.
Auant que d’entrer plus auant dans la
lice, il faut s’adresser à la Mere de verité pour la
prier d’appuyer cellecy, & pour nous octroyer
des forces pour ce suiet : disons luy donc,

 

Aue Maria.

Pour appuyer mes sentimens dans ce discours,
si i’osois parler des prophanes, ie ferois
voir les magnificences dont vsa ce grand & illustre
Conquerant de toute la terre, à l’endroit
de son bien aymé Ephestion : Ie ferois voir les
largesses dont il le combla pendant sa vie, &
les prodigalitez auec lesquelles il fit embellir
son tombeau, plus riche & plus precieux que
le Diamant de Semiramis, que le mont Palatin
d’Heliogabale, que les Perches du Iardin de
Cyrus, & que la Salle pauée de Saphirs d’Attabalippa.
Mais comme mon dessein est de ne
parler d’aucune chose prophane dans vne
chaire de Saincteté, ie verray seulement, si les

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Souuerains peuuent selon Dieu auoir des fauoris,
& quels fauoris ils doiuent auoir ? c’est là
le premier point de mon discours ; le second
sera sçauoir si toutes personnes doiuẽt aspirer
à ce bon-heur ? & le troisiesme sçauoir, si estant
dans la bõne grace d’vn prince, on ne doit point
espargner de sang pour y paruenir heureusement ?
& si on doit en cét estat se deffaire de
ceux qui peuuent nuire ? Ie n’entreprendray
pourtant rien, si vostre Maiesté ne l’a pour agreable,
Sire ; mais ie la prie auant toute œuure
de considerer que ie veux combattre des opinions
erronées, qui semblent en quelque façon
combattre la liberté de ses sentimens, &
celle de tous les Souuerains : bien que vostre
âge vous dispense d’establir fermement vne
amitié, le Sceptre que vous portez vous y dispose,
& nous reconnoissons des-ia en vostre
Maiesté tous les grands & glorieux auantages
qu’on peut esperer d’vn Prince de vostre naissance
& de vostre education. Ie reuiens au premier
point de mon discours.

 

Auant que d’establir mon opinion, i’apporteray
les sentimens de ceux qui luy sont contraires,
qui disent qu’vn Souuerain doit aymer
egalement tous ses suiets ; qu’il doit aymer les

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Princes, comme Princes ; ses Officiers, comme
Officiers, ses guerriers, comme guerriers ; &
son peuple, comme son peuple ; & moy ie ne
responds à tous ces sentimens que par la mesme
raison ; Vn Souuerain doit aymer les Princes
de son sang & de son Estat, ie l’aduoüe ; ses Officiers
comme Officiers, ie le confesse ; ses guerriers
comme guerriers, qui en doute ? & son
peuple comme son peuple, la nature l’y oblige.
Mais de dire que de tous ces gens la il ne puisse
faire choix de quelqu’vn, qu’il iugera capable
de mettre aupres de sa personne, c’est ce que ie
nie, & que ie prouue qu’il doit faire. Prenons
l’exemple de Dieu en cette rencontre : si Dieu
a pris vn simple Berger pour le faire Vice-Roy
d’Egypte, & pour pouruoir à la seureté de tout
ce Royaume ; s’il a pris vn simple Israelite pour
conduire tous ses compagnons & pour le faire
participant de ses Oracles, ie parle de Moyse ;
s’il s’est seruy d’vn Iosué pour faire retrograder
le Soleil, d’vn Sãson pour terrasser tout vn peuple,
& d’vn enfant pour mettre vn Geant par
terre, & s’acquerir vne Couronne & vn Sceptre :
pourquoy est ce que les Souuerains, qui
sont les viuantes images de Dieu sur terre, ne
pourront imiter les exemples qu’il leur prescrit,

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& marcher sur les sentiers qu’il leur trace ?
Allons plus auant ; si le Fils de Dieu voulant
venir au monde, a fait le choix d’vne simple
fille pour nous procurer le bien de sa venuë ; si
conuersant dans le monde, il n’a pas voulu faire
choix de Princes & de Seigneurs pour les
admettre à sa compagnie (bien qu’il le pût,
apres en auoir veu trois qui l’estoient venus
adorer dans son estable) mais seulement de
simples pescheurs ; si estant à l’arbre de la Croix,
il a preferé vn larron à l’autre ; enfin pour
n’estre pas si long, s’il a faict venir à son sacré
Vicariat au souuerain Pontificat, des personnes
d’vne petite naissance ; pourquoy est-ce
que les Souuerains qu’il a estably pour ses Vicaires
temporels, n’vseront pas des priuileges
qu’il leur a donnés, puisque luy mesme leur en
a monstré le chemin ?

 

Il est donc tres constant que les souuerains
peuuent faire des fauoris. Voyons maintenant
quels fauoris : s’ils choisissent des Princes pour
cet effect, leur naissance leur donne des-ia cet
auantage ; s’ils choisissent des grands Seigneurs,
ils ne pourront augmenter que leurs richesses,
& non pas leurs qualités ; ils doiuent
donc faire ce que dit le Prophete, Suscitare à

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terra inopem & de stercore erigere pauperem, vt collocent
eum cum principibus, cum principibus populi sui : ce sera
pour lors qu’ils feront dignement eclater la liberté
de leurs sentimens, & la grandeur de leur puissance ;
ce sera pour lors que celuy qu’ils auront eleué à ce
haut point, s’escriera hautement, fecit mihi magna qui
potens est ; Ce sera pour lors qu’il confessera, que exaltauit
humilem ; enfin ce sera pour lors que tous tascheront
de se rendre capables, de s’acquerir la bonne
grace de leur Souuerain, voyant celuy que gloria &
honore coronauit eum, il est donc tres asseuré, que les
Souuerains peuuent faire des fauoris, mais que pour
faire éclater leurs liberalités & leur puissance, ils doiuent
les choisir d’vne naissance peu considerée.

 

Entrons dans le second point de nostre discours,
& voyons si toutes les personnes doiuent aspirer au
bien de la bonne grace de leurs Souuerains. Il semble
que cette question soit quasi decidée, voyons pourtant
& disons, que toutes personnes doiuent auoir
ces sentimens. Ie le prouue non seulement par cette
raison commune, que tous les hommes ont vne certaine
affection pour eux, qu’ils s’estiment encore plus
qu’ils ne sont, la plus part n’obseruant pas bien cet
apophtegme, [illisible] nosce te ipsum ; mais ie le prouue
par ce commandement de Dieu, petite & accipietis,
quærite & inuenietis, pulsate & aperietur vobis : Dieu ne
commande-il pas à tout le monde de chercher son
bien, & de s’intriguer pour cet effect ? la nature mesme
nous a imprimé ces iustes mouuemens. Et la Morale
nous aprend que omnia bonum appetunt. Se peut il voir

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vn plus grand bien, que celuy où l’on se procure la
bien-veillance de son Souuerain, & où l’on trouue le
moyen de voir abondamment, gloria & diuitiæ in domo
eius pour moy ie ne voy point de difficulté qui puisse
arrester en quelque façon ce dessein, puis qu’il est si
iuste.

 

Voyons nostre troisiesme Point, sçauoir si pour
acquerir la bonne grace d’vn Prince, on ne doit point
epargner de sang pour y paruenir ? Ie tiens tousiours
l’affirmatiue, & ie dis qu’vn homme qui a ce dessein,
doit employer feu, fer & poison, & tout ce qui peut
luy estre vtile. Ie le prouue par ce raisonnement, que
si Dieu nous a commandé de chercher nostre bien,
& qu’il y ait des obstacles à l’atteindre, ne deuons-nous
pas nous seruir de tous les moyens qui nous
peuuent estre profitables ? voluntarie sacrificabo tibi, dit
le Prophete, & vn peu plus bas, super inimicos meos despexit
oculus meus : quel sacrifice plus propre & quelle
offrande plus iuste peut-on faire, que celle qui sert de
pierre d’achoppement à nos desseins ? Non, non, vn
homme qui veut paruenir à ce haut rang, ne doit
épargner ny sang, ny personnes, non pas mesme ses
parens : & i’ose dire, son propre pere, calca patrem, calca
matrem, & i’approuue en quelque façon le zele qu’eut
autrefois cette femme de Tarquin, qui fit passer son
carrosse & ses cheuaux sur le corps tout sanglant de
son pere, pour aller embrasser son mary couronné.
Mais voyons maintenant ce que doit faire vn Souuerain
ayant esleué vn de ses suiets aupres de sa persa
personne, ne doit il pas faire comme Pharaon fit à

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Ioseph, s’il l’en iuge capable, & luy dire, Dominare in
medio inimicorum tuorum, ou bien, ponam inimicos tuos
scabellum pedum tuorum ? & luy dans cet estat ne doit-il
pas reconnoistre les faueurs qu’on luy fait, extendit manum
suam super me, ou bien, læua eius sub capite meo, ou
bien, ideo dilexit me rex, & introduxit me in cubiculum
suum ? ils doiuent tous deux auoir ces sentimens, le
Souuerain d’accroistre tousiours son fauory & le fauory,
de reconnoistre ses graces.

 

I’ay promis au commencement de ce discours, d’y
mesler l’interest de Dieu, & c’est ce que ie vay faire. Le
fauory se voyant donc eleué dans la grandeur, que
doit-il faire ? il doit reconnoistre non seulement le
Souuerain qui luy fait du bien, mais le Souuerain des
Souuerains, qui en est la premiere cause, il doit remettre
tout son bon heur entre les mains de sa prouidence ;
reconnoistre que c’est luy qui dispense les
sceptres & les Couronnes, qui regit les volontés, &
qui dispose de la fortune comme bon luy semble.
Mais cõment le reconnoistre ? par vne conscience pure
& par aumosne, qu’on doit faire à ses pauures, s’il
le fait il ne doit point douter apres cela, que centuplum
accipiet, & vitam æternam possidebit.

Quelle conclusion tirerons nous de tout ce discours,
de disposer les Princes à faire des fauoris ? leur
naissance leur donne ces pensées de disposer les personnes
à auoir ces iustes sentimens, la nature les y inuite.
Concluons donc par vn autre point, & inuitons
& les Souuerains à reconnoistre Dieu, comme dependans
de luy, & les peuples à reconnoistre tous les

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deux dont ils dependent. Oüy Princes, vous dependés
de Dieu, & ce chef qu’il a orné de Couronnes,
sera s’il le veut, reduit dans vn moment en poussiere.
Oüy, peuples, vous dependés de Dieu, puisque c’est
luy seul qui vous sustente, mais vous dependez encore
de vos Souuerains, puis qu’ils sont les viuantes images
de Dieu sur terre. Souuerains, aymés donc Dieu,
comme vous y estes obligés ; Peuples aymés Dieu &
vos Souuerains, puisque l’honneur & vostre deuoir
vous y conuie : Souuerains si vous aymés Dieu, Peuples
si vous adorés Dieu & si vous respectés vos Souuerains,
ie vous annonce que vous receurez vn iour
des couronnes eternelles, qui vous seront données
par le Pere, par le Fils, & par le S. Esprit. Ainsi soit-il.

 

Voila cher Lecteur les bons sentimens auec lesquels
on veut éleuer le Roy, dont la prudence des-ja
sans seconde, ne fait point de cas, aymant mieux suiure
genereusement les chemins de la vertu que ses
glorieux ancestres luy ont tracés, voila ce que la pluspart
des Confesseurs & Predicateurs du temps portent
aux oreilles de ceux de la Cour, qui se laissent
quelquefois charmer à ces amorces, i’ay esté bien aise
de vous en faire participant, ie vous crois tres-capable
pour iuger de mes intentions, & pour prendre la
piece selon mon sens, c’est ce dont ie vous supplie.

FIN.

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