Anonyme [1649], QVE LA VOIX DV PEVPLE EST LA VOIX DE DIEV. CONTRE LE SENTIMENT de celuy qui nous a proposé vne Question toute contraire. , françaisRéférence RIM : M0_2943. Cote locale : C_10_52.
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QVE
LA VOIX
DV PEVPLE
EST LA VOIX
DE DIEV.

CONTRE LE SENTIMENT
de celuy qui nous a proposé vne Question
toute contraire.

A PARIS,
Chez PIERRE VARIQVET, ruë S. Iean de Latran,
deuant le College Royal.

M. DC. XLIX.

-- 2 --

-- 3 --

QVE LA VOIX DV PEVPLE
est la voix de Dieu.

Contre le sentiment de celuy qui nous a
proposé vne Question toute contraire.

NOVS deuons corriger ceux qui resistent
à la verité, auec quelque espece de modestie,
ainsi que sainct Paul nous l’enseigne,
en sa deuxiesme Epistre, escriuant
à Timothée Euesque d’Ephese ;
Veu qu’il ne leur est pas permis de blasphemer contre
cette fille du Ciel, en faueur de qui que ce puisse
estre. Cheminer sur les pas de cette illustre permanente,
dit le Prophete Samuel, c’est aimer Dieu de
tout son cœur, & de toute son ame, & son prochain
comme soy mesme, par vne consequence de necessité
bien tirée. Sainct Pierre veut que l’on se prenne
bien garde de ceux qui corrompent l’intelligence de
l’Escriture, & qui la tournent à leur sens, pour en faire
comme bon leur semble.

2. Tim. 2.
25.

Mich. 7. 5.

I. Roys, s. 3.

2, Pierte,
3. 17.

Moyse le plus excellent & le plus parfait de tous
les Clair-voyans qui furent iamais, ny en la Loy Naturelle,
ny en la Loy escrite, nous defend d’adiouster
ny diminuer chose quelconque à la parole eternelle :
parce qu’elle est fondée sur des decrets irreuocables,
au sens du Prophete Royal Dauid : & parce qu’elle
sera tres-horrible à tous ceux qui n’y croiront pas, selon
l’esprit du Docteur des Gentils, ou pour mieux
dire, selon l’Oracle de la Verité incomprehensible.

Deut. 4. 2.

Psal. 6. II.
Hebr. 4. 12.

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C’est pourquoy ceux qui disent, que la voix du
Peuple, n’est pas la voix de Dieu, deuroient bien examiner
la forme de leur proposition : car la faisant problematique,
& vniuerselle, elle ne sçauroit estre absolument
veritable, ny en son sens, ny en sa quantité :
attendu qu’il n’y a point de Regle de cette nature si
generale qui n’ait son exception, en quelque sorte
qu’on le veuille prendre.

Si ie disois auec Esaye, tout homme est menteur,
& puis que ie continuasse de moy-mesme à dire, IESVS-CHRIST
est homme, donc IESVS-CHRIST
est menteur. Outre le blaspheme que ie ferois, ie serois
plus menteur, & plus abominable que tous les
Diables ensemble ; parce que, selon sainct Paul, escriuant
à Tite & aux Hebrieux, Dieu ne sçauroit
mentir en façon quelconque.

Esa. 9. 17.

Tit. 1. 2.
Heb. 6. 18.

Si l’iniure que l’on feroit à Dieu en parlant auec
vne impieté si grande estoit au Syllogisme suiuant, il
me semble, que ce seroit vne mesme chose.

La voix des Creatures raisonnables ne fut iamais la
voix de Dieu, la voix des Peuples est la voix des creatures
raisonnables, donc la voix des Peuples ne fut
iamais la voix de Dieu.

Quand la proposition est à double sens, il faut de
necessité qu’il y ait quelque diffinition à faire. Et sans
me seruir de l’authorité, qui est toute formelle, pour
mon sujet, en Daniel, & que vous adoucissez vn peu
pour l’accommoder au dessein que vous auez de faire
voir, que la voix du Peuple, n’est pas la voix de
Dieu ; ie ne laisseray pas pourtant de vous monstrer,
si vous me faites l’honneur de m’escouter sans passion,
que la voix du Peuple, n’est pas seulement quelquefois
la voix de Dieu : mais que la voix des estres
moins nobles, l’est pareillement aussi en quelque
sorte.

Escoutons de grace cet incomparable Pere de l’Eglise

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sainct Augustin, lors qu’il dit en ses Confessions,
qu’apres auoir coniuré le Ciel, le Soleil, la Lune, les
Estoiles, l’Air, la Terre, la Mer, les Abysmes, & tous
les obiets qui estoient à l’entour de luy, de luy dire,
s’ils estoient son Dieu, & s’ils ne luy auoient pas donné
l’estre ; qu’à mesme instant toutes ces choses ensemble
luy respondirent d’vne voix merueilleusement
éclatante, que non, & qu’elles n’estoient que
l’ouurage de celuy qui auoit creé cette machine si riche,
si spacieuse, & si admirable.

 

Ch. 6.

Les Cieux, dit Dauid, racontent la gloire du Seigneur ;
& ces cercles tousiours roulans, publient incessamment
qu’ils ont esté faits de la main de ce Souuerain
incomprehensible.

Psal. 18.

Voyez, ie vous supplie, apres cela, si la voix de ces
estres naturellement muets, n’est pas la voix de Dieu,
& si elle ne peut pas estre aussi en des occasions d’vne
pareille necessité, celle du Peuple.

Il y a vn nombre infiny de Nations qui ont presché,
& qui preschent encore tous les iours IESVS-CHRIST,
& la voix de ces Oracles d’vne si eternelle verité, ne
seroit pas celle de ce diuin Reparateur qu’ils annoncent ?
Cela n’est pas croyable ; Dieu exauce le cry des
pauures qui l’inuoquent en leurs tribulations, & ausquels
on fait violence. Les Israëlites demandent à
Dieu qu’il les deliure de la tyrannie où ils sont, &
Dieu donne sa voix à la supplication qu’ils luy ont
faite. Ils demandent quelqu’vn pour leur annoncer
la parole de verité, & IESVS-CHRIST leur est
donné pour Prophete. Ie vous coniure au nom de
Dieu, de vous desabuser d’vn sentiment si vniuersel,
que celuy que vous auez, & où vous ne faites point
d’exception aucune.

Exod. 22
23.
2. Sam. 22
4.

Iug. 6. 14.
Gen. 50. 24.
Exod. 18. 8.
3 12.
Deut. 18. 16.

Ce Souuerain Seigneur consent à tout ce que nous
luy demandons, selon la volonté de son Fils, moyen
nant que nostre cœur ne nous reprenne point, & que

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nostre supplication soit legitime. Quand vous serez
deux ou trois fideles assemblez en mon nom, vous
n’aurez qu’à m’implorer d’vn grand cœur, pour auoir
tout ce qui vous sera necessaire.

 

Ioan. 5. 14.
3. 9.
Mat. 2. 22.
Marc. 17.
24.
Mat. 18. 16.
Ioan. 14. 13.

Les Israëlites luy demandent la terre de Chanaan,
& à mesme temps elle leur est octroyée. Les Israëlites
luy demandent vn Roy, & à mesme temps il leur offre
Saül, & au mesme temps, il commande au Prophete
Samüel de leur oindre. Les Israëlites le prient
de les deliurer, de la guerre & de la famine qui les accabloit,
& à mesme instant, ils en sont deliurez sans
aucune assistance humaine. Tous les peuples de l’Vniuers
luy demandent le salut eternel, & à mesme instant
il leur enuoye son Fils pour obtenir de luy cette
grace.

Ios. 21. 44.
Sam. 8. 34.
2. Rois, 7. 7.
Luc. 2. 31.

Mais sans aller chercher des exemples si loin, la
voix du Peuple, n’est-ce pas la voix de Dieu, quand
elle dit, que le Roy dernier mort estoit le plus iuste
Monarque de l’Vniuers, & que le Roy son Fils nous
a esté donné de Dieu pour tenir sa place. Si la voix de
ce Tout-puissant ne s’accorde pas auec la nostre en cela,
ie ne croy pas qu’elle s’y accorde iamais en quoy
que ce puisse estre.

La voix du Peuple, n’est-ce pas encore la voix de
Dieu, puis qu’elle desire de voir nostre bon Roy à
Paris, auec des passions qui n’en eurent iamais de pareilles.
Ie ne veux pas soustenir pour cela, que la Voix
du Peuple soit tousiours la Voix de Dieu, & que ce
monstre a plusieurs testes, sans iugement & sans conduite,
ne s’attache quelquefois à desirer des choses
que Dieu luy defend, & que sa Iustice aura soin de
punir, auec vne extreme seuerité, dans la durée des
flames eternelles. A Dieu ne plaise ; ce seroit passer
d’vne extremité à l’autre. Ie sçay bien que quand le
Peuple mesprisoit Dieu, & que quand les Israëlites
adoroient les Idoles, que dans des actions de pareille

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nature, la Voix du Peuple ne pouuoit pas estre la
Voix de Dieu ; veu que leurs effects estoient contraires
aux Loix qu’il leur auoit prescrites : mais il faut
necessairement croire aussi, que quand ces gens là
s’humilioient à vouloir ce que Dieu pouuoit desirer
de leur personne, qu’alors sa Diuine Majesté, par vn
effect de son amour & de sa grace, ne faisoit pas difficulté
de se porter librement à consentir à leur, souhaits,
pourueu qu’ils fussent equitables, & de donner
ses sentimens à des passions, d’vne condition tres
sousmise.

 

Ierem. 6. 12.
Iug. 6. 1.

Non, il n’est pas croyable, que Dieu ait iamais
donné sa Voix à des iniustes supplications, ny à des
affections qui ne tendoient qu’à ruiner le bien &
l’honneur de ses viuãtes images. Il ne veut pas seulement
qu’on songe mal des Roys en aucune façon, ny
qu’on parle mal du Prince. Ne perseuere pas, dit-il,
en choses mauuaises, car il fera tout ce qu’il luy plaira,
sans que personne puisse trouuer à redire. Et dans
Samuel, ce souuerain Seigneur ne dit il pas encore,
que le Roy prendra nos biens & nos enfans, & qu’il
disposera de nous, comme si nous estions des esclaues.
Cela nous fait bien voir auec quelle reuerence
nous deuons parler de leur sacrée personne.

Ecel. 10. 10.
Exo. 1. 22.
28.
Eccles. 3. 4.
Sam. 8. 10.

En vn mot, quand le Peuple veut bien faire, Dieu
ne manque pas de l’assister de ses conseils, & de l’inspirer
de ses graces, comme il fait en ce rencontre ; &
nous pouuons dire maintenant, que la Voix du Peuple
est la Voix de Dieu, puis qu’elle ne se forme que
d’vne confusion de voix, qui demandent à son infinie
Bonté, le retour du Roy & de la Reyne Regente dans
Paris, auec autant de zele, que si nous luy demandions
la beatitude eternelle.

Il est tres-certain, MADAME, que la passion que tout
le Monde de Paris a pour vos Majestez est incroyable.
La Voix du Peuple, ne sçauroit estre en ce rencontre

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que la Voix de Dieu, & si vous ne consentez pas à la
grace que l’on vous demande, vous allez directement
contre la volonté de celuy à qui vous deuez toutes
choses. Cõsultez-le, ie vous en supplie, puis que vous
auez fait vœu de l’imiter, & si vous voulez faire comme
luy, vous ferez gloire de pardonner à tous vos Sujets,
à cause de bien peu de iustes.

 

Gen. 18. 24.

La Clemence est vne habitude de la volonté, par
laquelle les Souuerains remettent facilement le tort
qu’il leur est fait, & par laquelle ils font voir qu’ils
ont quelques traits de Diuinité, qui ne se trouuent
pas au reste des hommes. Dieu n’a ny feux ny foudres
pour les repentans, & sa misericorde fait sousmettre
ce diuin Seigneur aux volontez de celuy qui la luy
demande. Si Dieu oublie tous les crimes que nous
auons fait contre luy, pour l’amour de son Fils, que ne
deuez vous pas faire pour nous en faueur de cet
Oinct sacré, que vous cherissez auec tant de tendresses ?
Oüy, MADAME, le pardon seul destruit la
coulpe, & la seule grace nous affranchit de toutes sortes
de crimes.

Ezec 33. 17.
Deut 30. 3.
12. Rois 8.
3

De quelle offense est-ce que toute la Nature humaine
ne s’estoit pas renduë criminelle enuers Dieu,
depuis la cheute d’Adam, iusques à la venuë du Sauueur
de nos ames ? Les Idolatres & les Sodomites
estoient si communs, que la terre en estoit toute couuerte.
Et qu’est-ce que ce bon Seigneur fist pour
se vanger d’vn Peuple qui l’auoit abandonné, & qui
ne le vouloit plus reconnoistre en façon quelconque.
Il leur enuoya son Fils pour leur donner le salut eternel,
& pour les instruire par mesme moyen à s’éleuer
au supréme degré de la grace & de la gloire. Voilà vn
chastiment bien amoureux, ce me semble, & digne
d’vn Dieu si clement, en faueur de tant de creatures
si abominables.

Nostre coulpe, quoy que bien grande, ne sçauroit

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estre si extreme que celle de ces premiers Peres, en
façon quelconque. La leur estoit infinie, parce qu’elle
s’adressoit à la mesme infinité, & par consequent la
punition en deuoit estre eternelle. Et celle dont on
nous accuse, ne se sçauroit estendre, au pis aller que
sur la vie temporelle.

 

Mais, au nom de Dieu, MADAME, que cette
grande & extraordinaire pieté que vous auez enuers
ce diuin Sauueur de nos ames, vous oblige à l’imiter
en toutes choses. Redonnez-nous vostre cher Fils,
auec vne pareille amour, que ce diuin Seigneur nous
donne le sien, pour nous chastier, comme il chastia
nos anciens peres, ses seruiteurs, dautant ou plus
dangereux pecheurs que nous ne sommes pas, & que
nous ne sçaurions estre ; & vous luy deuez
octroyer ; puis que c’est au nom du Roy des Roys
qu’elle vous le demande.

Vostre Majesté scaura, s’il luy plaist, MADAME,
que c’est vn present que le Ciel nous a fait, par vostre
entremise. Les Roys sont plus à leurs subjets, qu’à
ceux, qui les ont mis au nombre des estres. Comme
sils, il vous a esté donné de Dieu : mais comme Souuerain
il a esté destiné pour son Peuple. Comme Roy,
c’est vn thresor qui nous appartient : mais comme issu
de vos flancs, il vous doit absolument obeïr, iusques
à ce qu’il soit en estat de prendre le soin de nos affaires.
Et vous deuez sçauoir, MADAME, qu’il n’est
pas moins l’ame de l’Estat, que l’obiet de toutes vos
pensées, & que le siege de l’ame ne peut estre que le
cœur, selon les sentimens des plus experts en la connoissance
de ces matieres. Si cela est comme il n’en
faut pas douter (attendu que c’est le premier viuant,
& le dernier mourant :) le siege du Roy ne sçauroit

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estre qu’à Paris ; puis que c’est le cœur de toute cette
Monarchie Françoise.

 

Apres cela, vostre Majesté ne sçauroit faire que peruertir
l’ordre de la Nature, & que s’opposer à la Voix
de Dieu, si elle ne nous redonne pas vn Souuerain
que Dieu mesme nous a desia dõné par vostre moyen,
& si elle ne remet pas les choses en l’estat qu’elles doiuent
estre. Vous auez bien fait cesser les troubles de
cet Empire ; mais vous n’auez pas encore calmé les
passions de nostre ame. Vous nous auez bien appris
nostre deuoir ; mais vous ne nous auez pas encore
donné tout le bien que nous esperions d’vne si belle
science.

Vostre Majesté s’estant chargée de la conduite de
ce grand Estat, en doit cherir tous les subjets, comme
membres du Souuerain, que vous estimez plus
que vous-mesmes : Et puis qu’il fait luy seul tout vostre
bien, celuy qui luy appartient, vous doit estre
aussi en quelque façon considerable. Ses interests doiuent
produire tous vos desirs : mais l’amour de Dieu
doit estre l’obiet de toutes vos inclinations, & de
toutes ses esperances. Traitez donc de grace vos Sujets,
de la mesme sorte que ce Souuerain Seigneur
traite ses creatures ; puis que c’est le vray exemple de
la vie Chrestienne. Meslez la Clemence auec la Pieté
en faueur de vos pauures subjets, & vous ferez vne
action qui comblera tout l’Estat, d’vne felicité permanente.

Dieu s’accommode bien aux inclinations des hommes,
& sa diuine Majesté ne traite iamais auec eux,
que ce ne soit tousiours auec plus de douceur, que de
force. Il vse de temperance auec les fougeux & les
violens : Il fait le clement auec ceux qui l’offencent
tous les iours : Il s’humilie pour nous exalter : Il se
conuertit tout en misericorde, pour suruenir à nos
besoins : & il donne ses biens & son amour, à ceux-mesmes

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qui se rendent continuellement indignes de
ses graces. Ainsi par vne bonté qui ne doit iamais auoir
d’autre modelle, que celle de ce diuin Sauueur
de nos ames, vostre Majesté doit tendre la main à nos
necessitez, & nous enrichir encore vne fois de nos
propres dépoüilles.

 

Vos deuanciers ont manqué quelquesfois en leur
conduite ; parce que leur gouuernement estoit plein
d’erreur & de violence : Mais le vostre, prenant celuy
de Dieu pour exemple, ne doit pas auoir aucun de
tous ses defauts, & vous deuez accorder le bien de
l’Estat aux tres-humbles supplications de ses Peuples :
& bien que l’art de gouuerner des Nations soit
vn des plus grands efforts de tous les plus experts en
la Politique, Vostre Majesté n’aura pas beaucoup de
peine à nous conduire ; puis que nous auons desia
fait vœu à Dieu, de nous sonsmettre à toutes vos
volontez, & de demeurer dans vne parfaite obeïssance.

Si vous nous auez fait voir qu’il n’y auoit point de
crime que vous ne sceussiez punir, montrez nous à
present aussi qu’il n’y a point, ny d’amour, ny de sousmission,
que vous ne sçachiez reconnoistre : & si IESVS-CHRIST
vous commande d’auoir de la douceur
pour vostre prochain, à plus forte raison vous
commande-t’il d’en auoir encore plus pour des Subjets,
qui font vne partie de vous-mesme.

Sainct Iacques nous apprend, que l’ire de l’homme
est ennemy mortel de la Iustice de Dieu, sans aucune
reserue. C’est ce qui fait que les Princes qui regardent
les Peuples d’vn œil de pitié, sont mille fois
plus cheris, que ceux qui ne font que les regarder
d’vn œil de colere. Cette passion qui fait quelquefois
tant de desordre dans l’esprit des plus iudicieux, est
vn mouuement enflammé, qui ne conuient pas bien
ny à la Maiesté des Roys, ny mesme à la grandeur des
Princes.

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L’iniure des Subjets est d’vne nature trop rampante
& trop terrestre, pour auoir la faculté de s’esleuer
d’elle-mesme, iusques à la dignité du Souuerain. Il
y a trop loin de la personne sacrée, à la personne profane,
& le peuple a beau murmurer contre ces mortelles
Deitez, ils n’y feront non plus que s’ils ne faisoient
qu’aboyer contre la Lune. L’iniure est trop funeste
à ceux qui present l’oreille à de si abominables
suscitations que les siennes. Elle allume le sang, elle
impose silence à la raison, elle reduit en cendre les
Estats les mieux policez, & finalement elle porte les
plus sages à s’oublier & à se mesconnoistre.

La vangeance est vne furie infernale, qui ne se repaist
que du sang humain, & qui ne trouue nulle satisfaction,
que parmy les incendies & les sacrileges.

Ceux qui sont conduits de l’Esprit de IESVS-CHRIST,
la fuyent comme la mort, ou pour mieux
dire, comme la peste. Ce diuin Seigneur ne se voulut
pas vanger des Samaritains qui l’auoient reieté,
pour apprendre à tous les Chrestiens, â ne se laisser
iamais vaincre à cet esprit de vangeance. Et certes il
vaut bien mieux la laisser faire à Dieu, que prendre
la liberté de se la faire soy mesme.

Luc. 9. 55.
Luc. 9. 54.
1. Thes. 4. 6.
Rom. 12. 19.
Deut. 32. 53.

C’est vn priuilege special qui luy a esté tousiours
reserué, depuis le commencement des siecles. Il n’y
a point de Prince qui ne se doiue seruir de la Mansuetude,
pour empescher que dans la violence de son
ardeur, il ne se porte à des excez grandement reprochables.
La pieté auec laquelle vostre Majesté se fait
admirer de Dieu & des hommes, doit estre suiuie de
la Clemence & de la Misericorde, si vous voulez
qu’elle continuë à faire des miracles sans exemple Le
Prince des Sages dit, qu’elle rend les Roys bien heureux,
par dessus le reste des hommes. La Clemence
n’en fait pas moins, comme nous auons desia dit, &
la Misericorde les rend semblables à celuy qui leur a

-- 13 --

donné l’estre. La haine au contraire, elle seule destruit
toutes les Vertus ensemble. C’est ce qui a fait
dire à sainct Iean, que celuy qui haissoit son frere,
estoit homicide, & qu’il ne pouuoit pas estre aucunement
dans la lumiere de l’Euangile.

 

1 Ioan. 2. 7.

Dieu ne vous a pas creée, MADAME, que pour
vous faire part de sa bonté, & que pour vous donner
sa grace & sa gloire. Vostre Majesté possede l’vne ;
mais au nom de ce Souuerain Seigneur de l’Vniuers,
qu’elle prenne le soin des eleuer au plus supreme degré
de l’autre.

Il vous a donné vn entendement pour penetrer
dans les mysteres de l’aduenir, & pour vous donner
vne parfaite connoissance de ce que vous auriez à faire.
Il vous a doüée d’vne excellente memoire, pour
vous souuenir des commandemens qu’il vous a faits.
Il vous a donné la volonté, pour vous porter franchement
& de vous-mesme â suiure ses loix : & il vous a
donné l’imagination, pour vous figurer le traittement
qu’il fait à ceux qui n’vsent pas bien de ses
graces.

Oüy, MADAME, vous pouuez librement accuser
d’infidelité les facultez de vostre esprit, d’auoir demeuré
si long temps à vous representer des choses si
necessaires à vostre salut, & si vtiles à cet Empire.

Mais il ne faut pas tellement s’exercer à r’appeller
ces obiets passez, qu’il ne faille oublier toutes les iniures
que vostre Majesté pretend auoir receuës, si elle
veut que IESVS-CHRIST embrasse son party,
& qu’il punisse tous les autheurs de nos desordres.

Remerciez cet admirable Sauueur, des sainctes
instructions qu’il vous donne, & des celestes lumieres
qu’il vous communique. Considerez ce qu’il a
fait pour vous iusques icy, & croyez qu’il ne manquera
pas de vous combler encore plus à l’aduenir
de ses biens-faits, si vous suiuez les inspirations qu’il
vous communique.

-- 14 --

Certainement, MADAME, le Ciel est ouuert pour
vous, si vous traitez vos subjets, de la mesme sorte,
que Dieu traite ses creatures. Le Pere Eternel nous
fait voit tous les iours son Fils dans le sainct Sacrement
de l’Eucharistie ; & si sa diuine Bonté nous le
donne pour nostre salut, nous taschons de tout nostre
pouuoir à nous rendre dignes de le receuoir, & pour
son honneur, & pour sa gloire.

Que vostre Majesté en fasse de mesme, MADAME,
ie vous en coniure ; & ie vous engage ma foy, que
nous vous receurons également tous deux, auec le
mesme amout & le mesme respect, que la dignité de
vos personnes sacrées le requiert, & que Dieu mesme
nous le commande.

Ne fermez pas l’oreille aux supplications que tout
le Peuple vous en fait : car c’est veritablement la Voix
de ce Souuerain Seigneur qui vous parle par nostre
bouche. Le Prince qui se rend incredule à la parole
de Dieu, sera puny de son incredulité ; veu qu’il n’entrera
iamais dans le repos d’vne vie eternellement
heureuse.

2. Rois. 7.
17 :

Quand le Prophete (à ce que nous apprend la Sapience
infinie) vous fera entendre quelque chose au
nom du Seigneur, & que sa perdition n’arriuera pas
de la sorte qu’il l’aura faite, asseurez vous que ce n’est
qu’vne pure inuention du mauuais esprit, qui ne fait
que parler par sa bouche. Il faut donc necessairement
inferer de là, que tous ceux qui predisent les
choses qui doiuent arriuer, de la mesme sorte qu’elles
sont predites, ne parlent que de la part de Dieu,
& que ce Souuerain Seigneur ne fait que se seruir de
leur Voix, pour rendre sa saincte & sacrée volonté,
plus intelligible à ses creatures.

C’est la raison pour laquelle Dieu veut que vous
entendiez sa Voix, & outre cela que vous y obeïssiez,
sur peine d’encourre sa disgrace.

Heb. 3. 16.
Exod. 15. 16.
Deut 30. 16

-- 15 --

Examinez vn peu ces paroles de l’Escriture, MADAME,
& vostre Majesté trouuera, que ce ne peut
estre que la Voix de Dieu, quand tout le Peuple la
supplie tres-humblement de reuenir dans sa Capitale
ville de Paris, & d’y ramener vn Souuerain que
Dieu leur a donné, pour faire le salut de toute cette
Monarchie. La Beatitude eternelle est si desirable de
soy, qu’il n’y a rien au monde, que nous ne soyons
obligez de faire pour l’acquerir, ou du moins pour
nous en rendre dignes

Ce nombre infiny d’Anges, de Cherubins, de Seraphins,
d’Apostres, de Martyrs, de Confesseurs, de
Vierges, de Saincts & Sainctes qu’elle a chez elle, ont
de si excellentes conuersations, que vostre eternité
seroit bien malheureuse, si elle en estoit priuée pour
vn iniuste plaisir, contre la volonté de celuy, qui s’est
donné luy-mesme, pour vous éleuer dans vne felicité
si celeste & si glorieuse.

Ha, MADAME ! que n’ay-ie vne partie des lumieres,
que Sainct Paul auoit en l’art de persuader,
lors qu’il preschoit IESVS-CHRIST à toute la terre
habitable, afin de porter vostre cœur, plus facilement
que ie ne fais pas, à nous faire quelque espece
de misericorde.

Dieu vous commande d’examiner quel est vostre
sentiment, sur la requeste que tout Paris vous en fait
par ma bouche : car en la resolution que vous prendrez,
consiste le fondement de vostre vie spirituelle.
Et si vous auez quelque degoust pour nostre repos
estudiez-vous à sçauoir d’où il peut venir, & à iuger
quelle en peut estre la cause, afin d’y remedier le plus
promptement qu’il vous sera possible.

Oüy, MADAME, vostre esprit est obligé à vous
tendre conte de l’estat où il se trouue, & enuers Dieu
& enuers ses peuples ; puis qu’il y va de l’eternité de
l’vn & de l’autre.

-- 16 --

Quand la pensée de ce digne Souuerain de nos
ames vous arriue, parmy les grandes affaires que vostre
Regence vous donne, ne se fait il pas faire place
dans ces prodigieux empressemens terrestres ? Et ne
vous semble-t’il pas que vostre cœur se tourne du costé
que cette adorable pensée vous vient, pour aller
au deuant d’vne grace si diuine & si celeste ? Vous
plaisez-vous à mediter sur ce que IESVS-CHRIST
a fait pour vous, afin que vous en fassiez autant pour
luy en faueur de ses creatures ? C’est vn Seigneur qui
vous demande le reciproque de toutes les graces
qu’il vous a communiquées : & en reuanche il vous
promet de vous en rendre cent fois autant icy bas
parmy nous, & là haut en la vie eternelle, si pour
obeïr à l’Euangile, vostre Majesté fait quelque chose
en faueur de ceux qui implorent vostre assistance.

Mat. 9. 29.
Mar. 10. 29
Luc. 18. 29

Auez vous autrefois laissé quelque mauuaise inclination
pour Dieu ? Si cela est, comme il n’en faut
pas douter, vostre Maiesté fera bien encore ce que
nous luy demandons, au nom de ce Souuerain
Monarque ?

Ce que ce diuin Sauueur de nos ames a souffert en
ce monde, & particulierement au iardin des Oliues,
& sur le Mont de Caluaire, vous suscite à luy faire
quelque reconnoissance à l’endroit de ces Peuples.

Pardonnez, MADAME, à ce desir déreglé que
nous nostre esprit, parmy la paix qu’il vous a pleu
nous donner, ne sçauroit estre iamais bien satisfait, si
vous ne nous accordez pas encore vne chose qui ne
dépend que de vous, & qui nous est si precieuse.

L’amour que nous auons pour nostre Prince,
nous attache si fort à cet objet tant aimé, qu’il est
tout à fait impossible de nous tenir plus long-temps
separez, sans nous faire mourir du plus cruel supplice,

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que la tyrannie puisse inuenter parmy les
hommes.

 

Nostre ame est tellement preoccupée du desir de
reuoir ce Dieu donné, qu’elle est comme morte en
toutes ses autres facultez, quelques raisonnables
qu’elles puissent estre.

Nos yeux sont ouuerts, mais ce n’est que pour reuoir
vos Majestez. Nostre bouche parle, mais ce
n’est que de vostre retour : & nostre fantaisie blessée,
ne fait que se diuertir à l’aspect des images de cette
premiere entreueuë, comme si la chose estoit : & puis
reuenant à soy, on n’entend retentir dans l’air, qu’vne
confusion d’helas, quand sera ce que Dieu nous
faira cette grace !

Le zele que nous auons pour cela, est vn feu du
Ciel qui nous a consommez, iusques à ne nous laisser
qu’vn peu de voix, pour vous dire que c’est de la pare
de Dieu & des hommes, qu’on vous fait des supplications
si iustes & si pressantes.

Le Prophere Royal Dauid dit, que le zele qu’il auoit
conceu de la maison de Dieu, luy auoit consommé le
cœur, & deuoré les entrailles. Nous en pouuons
bien dire de mesmes du desir que nous auons de reuoir
vos Majestez, ou dans vostre Palais Royal, ou
dans vostre Louure : & ne croyez pas, MADAME,
que nos esprits soient appaisez iusques à ce que tout
le Peuple de Paris se trouue honoré de vostre presence.

Oüy, MADAME, nous souhaitons auec passion,
de voir ce visage, qui s’est autrefois obscurcy pour
nous dans vne serenité merueilleuse.

Oüy, MADAME, nous desirons auec vn amour
incroyable de voir ce corps qui s’estoit armé contre
nous, pour le combler de benedictions extraordinaires.
Il faut que vostre Maiesté sçache, MADAME,
que nous ne tiendrons iamais la paix, qu’elle nous a

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donnée pour inuiolable, si elle ne nous fait la grace de
reuenir à Paris, & si elle ne rend nostre Dieu-donné
à la Voix de Dieu & du Peuple.

 

Le Ciel, la terre, l’Estat, l’interest du Prince, l’amour
de la Patrie, tous vos Subiets, la necessité des
affaires, enfin mille sortes de raisons diuines & humaines,
vous coniurent au nom de celuy qui peut
tout, de nous faire cette grace.

La Paix se plaint, de ce que vostre Maiesté ne se
donne pas la peine de venir icy pour la faire reconnoistre
à vos peuples. Et ie ne croy pas qu’à la fin on
ne la traite comme vne esclaue, si vous ne prenez le
soin de la venir assister de vos graces. Vostre presence
ne luy est pas moins necessaire que nostre amour ;
& c’est la produire ignominieusement, que de l’enuoyer
comme vn obiet de mespris, ou comme vne miserable
indifferente.

Pardonnez-moy, MADAME, si ie vous dis que sa
condition ne luy permet pas d’estre considerée de la
sorte. Ses qualitez vous peuuent instruire de l’origine
de sa Noblesse.

Si vous prenez le soin de tourner les yeux sur cette
adorable, vous trouuerez qu’elle est l’obiet de toutes
les felicitez, l’image mysterieuse de l’estat Angelique,
la Beatitude eternelle, l’amour de IESVS-CHRIST,
l’idée de la Nature incrée, l’vnion hypostatique
des trois personnes Diuines ; en vn mot,
vous trouuerez que c’est Dieu mesme, lequel apres
auoir humilié sa saincte & sacrée personne, à se reuestir
de nostre Nature, voulut mourir en Croix pour le
salut des hommes, afin d’establir vne paix infinie entre
sa diuine Maiesté, & des mortels ingrats à tant de
graces qu’il luy a pleu de nous faire.

Oüy, MADAME, si vous prenez le soin de tourner
les yeux encore vn coup sur cette adorable, vous
trouuerez qu’elle merite bien peu, si elle ne merite
vostre presence.

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Nous voulons voir ce Dieu-donné & cette Reyne
si pieuse dans l’enceinte de nos murailles : car tant que
vos Maiestez se tiendront hors de Paris, nous ne
sçaurions nous imaginer, que vous nous ayez donné
vne paix asseurée.

On ne connoist les causes que par leurs effects, selon
le Prince de la secte Peripatetique : si cela est,
sur quoy nous pouuons nous asseurer de sa longue
durée.

Le mesme nous apprend encore, que l’entendement
de l’homme ne possede aucune connoissance
que par le ministere des sens, & nous n’auons rien veu
iusques icy qui nous puisse desabuser de l’apprehension
où nous sommes.

Ces éloignemens premeditez, & ces fuit s’estudiées,
nous sont d’vn tres-mauuais augure. Chose
quelconque ne nous sçauroit empescher de viure
dans vne continuelle apprehension, si vous viuez
tousiours dans cette continuelle façon de faire : &
vous auez beau dire, MADAME, la crainte est vne
tache originelle, ou pour mieux dire, vne passion de
l’appetit irrascible, par laquelle l’ame s’occupe à la
meditation du mal qui nous menace : & contre lequel
elle ne sçauroit trouuer vn moyen pour se defendre ;
si vostre Maiesté ne nous fait la grace de reuenir,
& de nous mettre l’esprit en repos par vne presence
si desirée que la vostre.

Vous deuez imiter IESVS-CHRIST, si iamais personne
l’a deu imiter d’vn grand zele, à cause de la particuliere
deuotion que vous auez tousiours euë pour
cet adorable Souuerain Seigneur, duquel vous auez
receu tant de tresors perissables & eternels auec des
profusions immenses : & à cause du commandement
qu’il vous en a fait exprés, aussi bien qu’au reste de
ses creatures.

Vous sçauez que ce veritable Isaac, ingenieux

-- 20 --

pour nostre salut, se fait voir à qui souhaite ce bonheur,
& se donne à qui le desire. Continuez donc à
suiure ses exemples, si vous voulez qu’il continuë à
vous communiquer ses graces. C’est vn Dieu infiniment
ialoux de ses droits, que qui peche contre le
Sainct Esprit, dont il vous fait part, se rend coulpable
d’vn crime, qui ne trouuera iamais de remission,
ny en ce monde, ny en l’autre. Pensez combien il y
a que vostre Maieste nous traite auec des rigeurs qui
n’en eurent iamais de pareilles. Considerez l’incertitude
du iour où Dieu vous doit appeller deuant le
Tribunal de sa Iustice. Sçachez, qu’alors le Monde,
finira pour vous, & que les affaires de l’Estat ne vous
paroistront plus que comme des obiets importuns,
ou que comme des especes odieuses. Oüy, MADAME,
vostre Maiesté ne se peut approcher de celle de
Dieu, qu’en tremblant, si vous nous priuez dauantage
de la vostre.

 

Mat. 12. 31.
Ioan. 5. 16.

L’extreme passion que nous auons pour vous, nous,
fait parler de la sorte. C’est vn Prince que nous auons
demandé à Dieu, auec des instances, qui n’en eurent
iamais de pareilles. C’est le Fils de nos prieres & de
nos larmes, aussi bien que celuy de vos deuotions
continuelles. C’est vn present qu’il a pleu à sa Diuine
Bonté de nous faire, & que nous auons obtenu de
luy par vne grace toute particuliere.

Le Ciel ne l’a donné que pour l’Estat, & pour le salut
de la Patrie : c’est pourquoy vous ne sçauriez nous
retenir plus long temps, vn bien qui nous appartient
si legitimement, sans nous faire beaucoup d’iniustice.

Pleust à Dieu que vous eussiez le don de penetrer
iusques au fond de nos cœurs, afin de voir sans aucune
difficulté, auec quelle passion tout le monde de
Paris le desire. Les ennemis de cet Estat, n’apprehendent
rien tant que l’interinement de cette grace.

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Apres cela, il n’y a rien au monde que vous puissez
craindre en façon quelcõque. Le Prince & le Peuple
bien vnis ensemble, ferons des merueilles pour la
gloire du Souuerain, & pour l’honneur de la Patrie.

L’Allemagne, lassée de seruir de theatre a
tant de guerres qu’elle souffre depuis longues années,
continuera de vous solliciter à faire la Paix generale,
ne pouuant plus desormais fournir de subsistance
à tant d’armées, qui ont tousiours vescu aux
despens de cette pauure desolée.

L’Espagne qui n’en veut point, parce qu’elle la
veut autrement, qu’elle ne la vouloit pas aux traitez
precedens, & parce qu’elle espere aussi de profiter
beaucoup de nos desordres : des qu’elle sçaura que le
Roy est de retour dans Paris, & que toutes choses
sont calmes, fera supplier vostre Maiesté de la luy
donner, & de luy accorder ce qu’elle refuse.

L’Angleterre tremblera de sçauoir, que vous serez
en estat de punir son parricide.

La Suede sera bien aise, de voir que vostre Maiesté
aura mis les affaires aux termes de la secourir, lors
qu’elle aura besoin de vostre assistance.

La Pologne fera des feux de ioye, d’vne conduite
si genereuse que la vostre.

La Flandre, maintenant toute orgueilleuse, s’humiliera,
apres vne si celeste action, à receuoir les loix
que vous aurez soin de luy prescrire.

La Catalongne, ne pouuant perdre la memoire
des outrages qu’elle a receus de Madrid, redoublera
le zele qu’elle a pour les François, & par vne reconnoissance
ordinaire aux grands courages, elle s’affermira
encore plus en la fidelité qu’elle vous a iurée.

Naples vous demandera vn Liberateur.

Sicile, Sardagne, & Corse, tourneront les yeux
sur vostre prudence & sur vostre conduite.

Malthe vous considerera comme vne des plus

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illustres Princesses de la terre.

 

Rome chancellante, songera à ne rien entreprendre
qui ne soit tres equitable.

Milan sera dans des apprehensions incroyables,
d’vn coup d’Estat si considerable.

La Sauoye se mettra d’abord en campagne pour
vostre seruice.

Venise en sera rauie, sous espoir de tirer de vous
quelque petite assistance.

Genes ne viura plus dans l’indifference.

La Toscane renouuellera sa neutralité.

Enfin toute l’Europe n’attend vostre retour dans
Paris, qu’auec des passions inconceuables.

Iugez apres cela, MADAME, si cette action sçauroit
estre vtile à tant de Nations, & si elle peut estre desirée,
comme elle est, de tous ceux qui habitent la plus
noble partie de l’Vniuers, sans que la Voix du Peuple,
soit la Voix de Dieu, & sans que la Voix de
Dieu, soit la Voix du Peuple.

Ha, France, que tu seras heureuse au retour de ce
petit Isaac, auec lequel ton Sauueur a fait vne si
estroite alliance !

Ha, France, que tu receuras de satisfaction en la
premiere entre-veuë d’vn Prince, qui ne respire l’air
que pour te rendre bien-heureuse !

Ha, que ce nouueau retour va redonner la vie à
des cœurs tres-languissans, & la mort à des desirs outrageux
& superbes !

Combien de captifs deliurez en vn moment ? &
combien d’exilez restablis & dans leurs biens & dans
leurs charges ? Combien d’insolens abbatus ? & combien
de tempestes calmées ?

Mais au cotraire, MADAME, vous nous traitez comme
si nous estions le plus criminels de la terre. Vous
nous retenez ce que Dieu nous a si liberalement donné,
& vous nous separez de tout ce que nous desirons

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le plus au monde. Vostre esloignement nous
fait souffrir des tourmens incroyables. Les iours
nous semblent des nuicts, & les nuicts nous sont des
cruels supplices. Aussi priuez de nostre Dieu donné,
nous sommes priuez de la plus belle partie de nous-mesmes.

 

Nous coniurons donc vostre Maiesté de reuenir,
& quoy que mortels, nous vous promettons vne
obeïssance immortelle. Où pourriez-vous estre auec
plus d’honneur, & auec plus de seureté, que dans vne
ville où l’on ne vous desire pas seulement ; mais où
tout le monde vous idolatre. Vostre Maiesté n’aura
pas si tost mis le pied dans Paris, qu’elle entrendra la
Voix du Peuple, & la Voix de Dieu, entonner de
tous costez, Viue le Roy, auec vne melodie incroyable.
La ioye reuiendra à mesme instant dans les cœurs
affligez, & tout l’Estat se remettra dans son premier
lustre.

Le Roy ne sçauroit abandonner tout à fait Paris,
sans se priuer de la plus belle partie de son Empire.

Tibere apprist bien à ses dépens, combien l’éloignement
est preiudiciable à vn Souuerain. Ses Subiets
commencerent à le hair plus que iamais, dés qu’il
se fut refugié à la campagne ; & dans cet éloignement,
il y trouua sa disgrace & sa perte. Il est vray
que ce Prince ne leur auoit pas esté donné de Dieu,
comme le nostre. Il s’en falloit aussi beaucoup qu’il
n’eust la moindre des qualitez, que sa Maiesté possede.
Mais nonobstant tout cela, plus vous differez de
venir à Paris, plus vous trauaillez à la ruine de vos
affaires ; & ie crains, que les Peuples ne s’accoustument
à la fin, à prendre des libertez insupportables.

En effet, MADAME, la nature de l’homme n’est
de soy que trop portée à mal faire. Et certes il n’est
pas necessaire de souffrir dauantage, qu’il s’abandonne

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à ses inclinations, ny qu’il se forme plus longtemps
à l’éloignement de vostre personne. Vous auez
plus d’insolens à contenter, que de raisonnables à
satisfaire Les partis qui commencent à se former secretement
dans toutes les Prouinces de l’Estat, vous
obligent à retourner dans Paris pour les destruire.
C’est-là où vous trouuerez la veritable subsistance
des armemens, & la veritable source des Finances.
Vous n’y verrez que des bources ouuertes en vostre
faueur, ny que des cœurs zelez pour vostre seruice.
Vostre presence n’y sera pas si tost, qu’elle dissipera
tous les proiets des meschans & qu’elle augmentera
toutes les esperances de ceux qui sont tres affectionnez
à vostre seruice.

 

Sans difficulté, MADAME, ces retardemens augmentent
le courage de vos ennemis, & la plus part
des gens de bien se laissent corrompre par ce moyen-là
aux persuasions de cette abominable engeance. En
venant icy tous les troubles de France se calmeront,
& tous les droits que sa Maiesté auoit accoustumé de
prendre sur ses Sujets, reuiendront dans les coffres
du Roy, à la premiere sommation qui leur en sera
faite. Les desordres ne se forment que de vostre
separation, & le calme par vn contraire effect, ne
sçauroit arriuer que de vostre presence. Si vostre
Maiesté reuient à Paris, elle n’y sera pas moins Reyne
des cœurs, que Reyne de cet Empire. Ce sont
des maximes d’Estat, dont les plus grands hommes
des siecles passez, se sont seruis pour se rendre
plus puissans, & pour venir à bout de toutes leurs entreprises.

Pouuez-vous refuser à des fideles Suiets, ce que
des illustres Souuerains ont concedé aux plus grands
ennemis qu’ils eussent au monde. Certainement,
MADAME, vostre vertu vous fera trouuer de la veneration
parmy les esprits les plus infideles. Prenez

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conseil de la raison, plustost que de l’iniure que vous
croyez auoir receuë : & si par l’entremise de cette extraordinaire
bonté, dont Dieu vous a si noblement
pourueuë, vous condescendez aux supplications,
que toute la France vous fait ; vous retournerez dans
Paris, pour y remettre les esprits diuisez, & pour y
restablir vostre Empire. Ce sera alors que vostre Maiesté
y sera receuë, comme vn Ange de Paix, ou comme
vn second Messie arriué, pour le salut de ses
creatures.

 

Dieu en recompense de ce bien fait, vous fera
present d’vn nombre infiny de graces eternelles. Tout
le monde vous loüera, & vous n’entendrez plus raisonner
dans cet Estat, que des Cantiques de ioye.
Le Ciel & la terre se ioindront ensemble pour vous
combler de leurs benedictions & pour ne faire qu’vn
melodieux concert de la Voix de Dieu, & de la Voix
des Peuples.

Ce sera dans ces occasions, que vous apprendrez
de quelle sorte la Voix du Peuple est la Voix de
Dieu, contre le sentiment de celuy, qui nous a voulu
persuader le contraire. Ce sera dans ce rencontre,
que l’Abondance se prosternera sous vos pieds, &
qu’elle vous fera vne continuelle offrande de tout
ce qu’elle aura de plus exquis, & de plus considerable.
Ce sera dans ce temps si desiré, que la dignité
du Souuerain se fera voir en sa plus haute splendeur,
& que vostre grace eternisera sa memoire. Ce
sera dés lors que vostre Maiesté se rendra également
cherie de ses Sujets, & que vous pourrez prendre
la liberté de les faire viure dans vne certaine
vnion tres genereuse, & tres-parfaite. Ce sera pour
lors, que les Loix reprendront leur vigueur, & que
Dieu se trouuera parfaictement reueré de ses creatures.
Et ce sera encore alors que les pauures y seront
soulagez, que les riches prospereront, que la ieuessen

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apprendra la vertu, & que toute la France sera
en estime.

 

Enfin ce sera vne marque infaillible, que la Paix,
dont vostre Maiesté vient de nous honorer, subsistera,
& que toutes choses pourront subsister auec elle. Il
n’est ny grand ny petit, qui ne vous coniure au nom
de Dieu, de reuenir dés qu’il vous sera possible : &
quelque obiection qu’on vous puisse faire au contraire,
vous trouuerez en ce faisant, que la Voix du
Peuple est la Voix de Dieu, & qu’il n’y a nulle difference
entre celle de ce Souuerain Seigneur & la
nostre.

FIN.

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Anonyme [1649], QVE LA VOIX DV PEVPLE EST LA VOIX DE DIEV. CONTRE LE SENTIMENT de celuy qui nous a proposé vne Question toute contraire. , françaisRéférence RIM : M0_2943. Cote locale : C_10_52.