Anonyme [1649], QVESTION CARDINALE, PLAISAMMENT AGITÉE OV DASTHICOTÉE ENTRE VN HOLANDOIS ET VN SVISSE, ET DECIDÉE PAR VN FRANÇOIS. , français, patoisRéférence RIM : M0_2948. Cote locale : C_6_79.
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QVESTION
CARDINALE,
PLAISAMMENT
AGITÉE OV DASTHICOTÉE
ENTRE VN HOLANDOIS
ET VN SVISSE,
ET DECIDÉE PAR VN
FRANÇOIS.

A PARIS,
Chez PIERRE DV PONT, au Mont Sainct Hilaire,
ruë d’Escosse.

M. DC. XLIX.

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AV LECTEVR.

Voicy cher Lecteur vne petite piece, qui te doit estre
aucunement agreable, tant à cause du suiet que pour
la façon dont il est traicté ; Ie ne doute point que la prononciation
d’vn langage, dont l’Orthographe n’a peu faire l’expression
à ma fantaisie, t’apportera quelque difficulté dans sa lecture,
mais imagine-toy d’entendre deux Estrangers qui ne font
(comme l’on dit de Mazarin) qu’escorcher le François, & qu’il
y a plus de peine d’escrire en ce genre, qu’en tout autre façon si
difficile quelle soit. Adieu.

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QVESTION CARDINALE,
plaisamment agitée ou dasthicotée entre
vn Holandois & vn Suisse, & decidée
par vn François.

L’Autheur.

I’alois n’agueres réuant aux intrigues de ce temps dans vne
allée des Thuilleries, lors que ie vis venir à moy deux hommes
fort eschauffez en apparence pour le subjet d’vne dispute.
Ie crus d’abord que quelque coup de partie les auoit mis en
cette chaleur, & qu’ils me venoient prendre pour iuge de ce
differend, mais le compliment qu’vn des deux me fit à sa mode en m’abordant
me fit bien connoistre qu’il ne s’agissoit aucunement du icu, &
que cette question estoit beaucoup plus releuée ; l’vn estoit Suisse & l’autre
Holandois, à qui la langue Françoise n’estoit pas beaucoup familiere, ce
qui les faisoit parler d’vne grotesque façon, mais afin de n’oster rien de la
grace de leur discours, i’ay iugé qu’il seroit à propos de les introduire l’vn
apres l’autre, comme en vne Comedie, ou ie feray mon personnage lors
qu’il sera necessaire : Voicy donc comme le Seigneur Hollandois me fit son
cõpliment en m’ostant le chapeau, & me faisant la reuerence à la Flamande.

L’Holandois.

Sarueteu Man seur, vou m’excuse bienne che dmand pardone à vou,
vou porte bienne, & moye, i’àure fait vn gajur contre son visage de Seuiss
ie voudre bienne si voul veulle bienne voul entreteneir vn bon grand petit
demy heur, voufra faueur à moye & grand mercy à vou.

L’Autheur.

Messieurs, tres volontiers, mais ie ne sçay pas vostre different, si vous
voulez me faire la faueur de me le dire, ie tascheray de vous en donner
mon aduis.

L’Holandois.

A vouye à vouye Man-seur, vou Braue homme moy vien vous le dire
vou scàure don vn fois, que moy temeur al fau-bourg S. Semini à ceticy
qui prend cetila, & ce Man-seur le Souisseal pré au Cier, Ie ne scaure pa
à toul diable, i’àure fait rencontre de son visage, il madit, Pon chour
moy bon Souisse voul tu paye chopinte de vin pouru, iai dit que ie le voudre
bienne, & che lemene au caberet ou nous àure trinque de bon vine.

Le Suisse.

Non par me foye, Monsou pas pon, mai ie scàure vn pon pusque melieure,
al seigne du petite Carçonne d’archant, vez-vis la Croye qu’il tire.

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L’Autheur

Nous ne sommes pas sur ceste question, elle seroit bien facile à vuider
parlons d’affaire, & puis nous parlerons de boire.

L’Holandois.

Vous àure vn bon raisonne, o bienne Man-seur nous aure bu vn pintre
luy & moye, & pui encor vn chopinte, & i’àure demande à luy pour le
diuertisseman de mon personne, si il ne scàure point de neuelle, & si le
Parlemane àure fait le paix contre l’Majesté du Roye, & de Mondame son
mere, il madit qu’il aure ouy dire par son foye que l’Depté l’àure conclu
& l’àure sené, i’àure demande la dessu sil Cardenat s’en voudre allé hot
del France à toul diable, il ma dit que nonne, & qu’il veulle reuindre dan
l’Ville de Peris, & qu’il sera Duc li per, i’àure dit que moy ne voudre poin
croire cela, l’camerade Souisse dit qu’il sçàure bienne, moy cique ronne
il iure qui le vray, voultu gacher que nonne, voultu gacher que si, telle
mane que i’àure gaché vn pistolle contre son visaige, ie voudre bienne
sçauoire si i’àure gaigné.

Le Suisse.

Moye, Monsou, moye par mon foye pon camarade Souiss vou baille pistolle
à moye, & moy paye broc.

L’Autheur.

Cela ne vas si vite, il faut vn peu que i’entende vos raisons auparauant
ie vous prie ne vous broüillez point, & puis que vous vous en rapportez à
moy ie tascheray de vous iuger dans l’equité.

Le Suisse.

Ho par mon foye moy n’en re point tant de raisonne, moy parle ponne
Souisse, mai de Franços nit fordore, qu’il chaze tant quel foudre, luy
mai moy prend l’archant.

L’autheur.

Tout beau tout beau, Monsieur, quoy que vous ne parliez pas bon
François, ie m’accommoderay bien toutefois à vostre langage ; il ne faut
pas estre si prompt, si vous auez gaigné vous aurez la gageure ; mais il faut
comme i’ay dit entendre vos raisons, & puisque Monsieur ! Holandois a
commencé le discours, ie suis d’auis qu’il le continuë, & vous direz ensuitte
à vostre tour ce que vous aurez à dire.

Le Suisse.

Pienne don depesche fou fiteman car i’haure grant haste moye.

L’holandois.

Vous n’àure point vn bon discretion, vou voye Man-seur qu’il prend
le pene d’entendre nou, & fou, ne voul point entendre raison vn fois.

L’autheur.

Enfin donc à ce que ie puis iuger par vos discours, vostre question est,

L’holandois.

Del Cardenat Mazrin.

L’autheur.

Et vous gagez vous,

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L’holandois.

Que luy ne reuiendre point en Peris.

L’autheur.

Et vous qu’auez vous gagé.

Le Suisse.

Vn bon pistolle par mon foye qui falle dik liures.

L’autheur.

Ce n’est pas ce que ie vous demande, ie veux sçauoir ; surquoy vous
auez gagé.

Le Suisse.

Su le taple tu Capret.

L’autheur.

Aye ie veus dire sur quel suiet, sur quel propos.

Le Suisse.

O Ie cõprenne pien fou foudre sçauoir, si i’àure dit fouy ou nonne, i’àure
ga ché que son Minance fientra l’autre temin à Pris, & quel sera Tuc li per.

L’autheur.

C’est assez, ie sçay maintenant le suiet de vostre gageure, parlés maintenant,
Monsieur le Holandois, & dites les raisons qui vous ont fait gager
& qui vous asseurent d’auoir gaigné, car il faut necessairement que vous
soyez bien informé de cette nouuelle.

L’holandois.

A Vouye iel panse bienne ma foye, ie le scàure d’vn bon part, ie l’àure
apris d’vne sarueteur, qui frisse le moustache à Man-sieur l’Ambessadeur de
Hollante, qui àure veu vn lettre dans l’poche de sonne maistre.

L’autheur.

Et quel estoit le contenu de cette lettre, parloit elle du Cardinal Mazarin.

L’holandois.

Oy par me foye, il mante à Man-sieur le Prence d’Oranche, que le Parlemane
àure point voulu faire le Paix, si le Cardenat ne fait fourte en son
pay ou à toul Diable, & qu’on ne voudre point qu’il temeure dan Pris,
ny dans le France, & que le Depté l’ont obtenu vn fois du Roye, & que
monta me son mere, Man-sieur Duc Torlian, & le Prince de Conté l’àure
sené, scellé & bredé, n’est-ce pa la vn bon raison qu’àure vous à dire camerade
Souiss.

Le Suisse.

O dastitretonde vous mocque pienne de moy, ie scàure pienne d’autre
nouelle, fou parle t’Ampasseteur, mai moy parle tu Roye & tu Tepeté tu
Parlimane, i’àure sceu de son pouche quan iy fou à Fontaine li pleau, nonne
nonne moy tromp moye ; ie foutre tire à sen Charmene, i’àure vu toul
cour, li Roye, el Prince, el Cartenal, el Tepeté, al conne firance, ou
i’àure pu de pon fin al velache de Rouelle.

L’autheur.

Vous ne parlez que de boire, mais dites-moy quant fustes vous à S. Germain
& à Ruel.

Le Suisse.

L’autre temain Monsou ie scàure poenne tire le chour Timanche ie croye.

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chan refin cheuty matin, apres l’tené, i’àure vn pon paire t’armoire, ie foudre
tire ma moire, croye moye Monsou, & baille le pistole moy mettre tout
à poire.

 

L’autheur.

Mais que disoit-on à S. Germain, quand vous y fustes.

Le Suisse.

Party par mon foye i’aure vu le camerade li bon frere, & trinque tant
que tout diable.

L’autheur.

Est cela que vous auez apris les nouuelles de la Paix.

Le Suisse.

O dasthicote ferluche, qui aure de bel chiuau si n’sest li Roye el colintampon,
ne fa tel poene touchou al coste du petite Carçonne.

L’autheur.

Et bien donc dictes moy ce que vous apristes, & ce que vous vistes.

Le Suisse.

Fort pienne attendre tone vn petitelon tan, ie scàure pu ce que ie foudre
tire.

L’holandois.

Baille à luy vne petit bout de chantelle, Man-sieur.

Le Suisse.

Sacrelotte moy ne trouple poene toye, che ne foutre point que tu intrompe
moye, lasse moye tire autre man poenne de camerade.

L’autheur.

Il a raison, il vous a laissé dire, & vous le deuez entendre parler, aprenez
nous donc ce que vous auez veu en ces cartiers ie vous prie, & retournons
à Mazarin.

Le Suisse.

Luy cros & cras se porte pienne par mon foye, il fait tancé l’petite Carçonne
su sa chenou, il parle à son mere cõme moy parle vou, & trinque al
Prence com sonne camerade, iàure vu les reticles del Paix : Son Sacratoire
aporty son acratoire, & il creua sa nom vn fois en bas tu Tuc torliane,
& l’àure mis vn reticle quil chante quil faut reboutre en son charche, &
quil refienne à Pris pour estre Tuc liper, fou temante li plutos al Souisse de
son porte, si che n’àure pas trinque aue li dans son peti mason, ou chaure
manché vne petit chaponne qui létet bonne ma foye.

L’hollandois.

He com toul grande Diable reuiendre ty à Peris, si le Parlemane àure
fait sa procez, & l’àure condené il viendre donc pour faire en regé Peris.

Le Suisse.

Et si le Roye ny son mere ne foudre poenne, ne faute pas que li Parlimane
face on folonté, aure til pas sa Conseil & le Channesely, ny bouté li
pas son placque de cire, il àure ly mesme contené li Parliman par son Declatationne.

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L’holandois.

Sacramente quan ly Roye fu vn foye grandé comme moye, bonneientendre
bien, mais le Parlemane est titeur de son Maisté, quan luy petit
garçonne.

Le Suisse.

He pienne sil Parlimane foutre pienne chanché son foulonté, naure-t’il
pas le poufoir de casse son liraiste.

L’holandois.

Nonne nonne faut bienne que li garde son Iustice.

Le Suisse.

Mais si fous àure esté condené à pendre vou par le Parlimane, ly Royene
scàure point tire moy tonne le viatoye.

L’autheur.

Cela se fait rarement, si ce n’est qu’il y ait quelque mal heur dans le crime
commis, & cela s’appelle grace ou remission, & suppose necessairement
criminel celuy qui la reçoit ; mais ie croy que Mazarin ne se veut pas resoudre
à passer par là, & que ce n’est pas son intention.

L’holandois.

Il souuienne à moye d’vn bon raison, comme le Cardenat reuiendre à
Peris vn foye, il nàure point de lit pour couche soye, nàure ton point
vendu tou sa meuble, fautre donc quil couche sul terre.

Le Suisse.

Dasti tretonde, hole bon fieux raisonne, ne scàure til pas pienne en trouue
vne tanl. Plais Cartenal ou ne poufe ti poenne en cheté vne pour son
larchant.

L’Holandois.

Ie scàure encor vn bon pusque meillieure, Man-seur de Beaufort & toul
Geniral de l’Armée del ville de Peris voudre-til bienne quel Cardenat reuiendre
pour le enferme encor vne foye danl Bastille.

Le Suisse.

Quil poiffe ensemple comme pon camerade, party par mon foye quand
chàure vn crel auec li bon frerhardos, ie scàure poenne vn pu pon inuentionne
pour accorder moye, que de trinque à son santé tant que toul
Diaple.

L’autheur.

L’inuention n’est pas mauuaise s’ils estoient de vostre humeur, il ne mettroient
gueres à faire la Paix ; mais enfin n’auez vous plus rien à dire pour
vos raisons l’vn & l’autre.

Le Suisse.

Nonne, mais ie scà ure bien que moy caigne le cachur, & que son Minance
refiendre à Pris l’autre hyer.

L’autheur.

Et vous que dites-vous à cela.

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L’holandois.

Moy-dit que nonne Man-seur, ie scàure bienne qui noze point par mon
foye, & qu’on ne le voudre point souffre dans Peris, pource que la touchou
le Monpoleur à son suitte, qui aure ruine tout el France, & quil àure
esté condené par le Parlimane de Peris, par le Parlimaue de Rouan & de
Bretaigne, & de Prouennece, qui voudre poin faire de pardon à luy : Vous
iuge Man-seur si ie naure pas vn pu bon raison quel camerade Souisse.

L’autheur.

Or sus donc puisque vous vous en rapportez à moy, demeurerez vous
d’accord de mon iugement.

Le Suisse.

Oy Monsou party fou prafe, homme fou tonne le pistolle al moye.

L’holandois.

Lasse dire à Man-seur camerade, il a vn bon iumant, il voye bienne quil
àure raison de vou & de moye.

L’autheur.

DECISION.

Bien que cette question soit tres-embarassee, & que selon les premiers
articlès de la Paix, Monsieur le Suisse auroit gaigné la gageure ; comme ils
ont toutefois esté reuoquez, & que le Parlement, nos Generaux, & generalement
toute la Ville de Paris, n’en ont point voulu demeurer d’accord,
l’apparence & la raison donne gain de cause à Monsieur l’Holandois ; mais
comme on ne peut rien asseurer que nos Deputez ne soient de retour, ie
vous conseille à tous deux, en attendant de ne laisser point moisir cet argent,
& de faire bonne chere sur & tant-moins de la gageure : que si comme
ie croy le Cardinal ne reuenant point, il se trouue que Monsieur le
Suisse ayt perdu la pistolle, il n’y a pas vn François qui ne le recompense
de bon cœur de cette perte, à raison qu’ils auront en perdant Mazarin, fait
le plus grand gain & acquis le plus grand bon heur qu’ils sçauroient esperer.

Ce iugement les renuoya tous deux si satisfaits, qu’ils penserent deschirer
mon manteau pour m’entraisner au cabaret, ie m’en excusay toutefois.
le mieux qu’il me fut possible, ne pouuant me tenir de rire des plaisans,
complimens, qu’ils faisoient pour m’inuiter à cette desbauche.

FIN.

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Anonyme [1649], QVESTION CARDINALE, PLAISAMMENT AGITÉE OV DASTHICOTÉE ENTRE VN HOLANDOIS ET VN SVISSE, ET DECIDÉE PAR VN FRANÇOIS. , français, patoisRéférence RIM : M0_2948. Cote locale : C_6_79.