Anonyme [1649], QVESTION, S’IL Y DOIT AVOIR VN PREMIER MINISTRE DANS LE CONSEIL DV ROY. RAISON D’ESTAT ET POLITIQVE TRES-IMPORTANTE A DECIDER, pour le bien du Souuerain, & pour le Repos de la Patrie. , françaisRéférence RIM : M0_2950. Cote locale : C_6_77.
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QVESTION
S’IL Y DOIT AVOIR
VN PREMIER MINISTRE
dans le Conseil du Roy.

LA Nature raisonnable fut tellement
peruertie en la cheute de nostre premier
pere, que depuis le commencement des
siecles, iusques à present, les hommes
n’ont point eu aucun malheureux succez,
qui ne leur soit arriué par la malice des vns, ou
par l’ignorance des autres. Nous auons veu depuis
longues années, & nous voyons encore presentement
tous les iours, vn nombre infiny d’Escriuains,
qui s’exercent continuellement à desiller les yeux à
tous les peuples de l’Vniuers, pour destourner ces
funestes accidens, & pour y appliquer vn veritable
remede : mais il n’y en a pas vn de tous tant qu’ils sont
qui se soit iamais bien attaché au sujet dont il est question,
ny qui ait iamais bien pris le soin de consulter
pour cela, que sa propre opinion, ou sa naturelle fantaisie.
Ce qui me fasche encore plus, est que ie voy
quantité de bons esprits qui se portent inconsiderément
à suiure leurs sentimens, sans rien faire, ny pour
le Prince, ny pour le Peuple. L’vn crie contre le Souuerain,

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l’autre murmure contre les Regens, tous ensemble
contre le Ministre : & si auec tout cela l’Estat
n’en est pas plus en repos, ny les subiets mieux à leur
aise.

 

L’Image du Souuerain, la veritable Censure de la
Lettre d’Auis, la Ruine du Mal Nommé, & les Reflexions
Chrestiennes, Morales, & Politiques, veulent
que les Roys ayent vn pouuoir tres absolu sur
tous leurs subiets, ainsi qu’il est porté dans le 18. chapitre
de l’Ecclesiaste, & dans le 8 de Samuël, où il est
dit, Qu’ils prendront nos biens & nos enfans, pour en faire
à leur volonté, sans que Dieu vüeille prester l’oreille à nos
plaintes. La Lettre d’Auis, & le Theologien Politique
s’estudient à nous persuader le contraire. Celuy-cy
dit, que les Loix diuines & humaines nous permettent
de repousser la force par la force. Que le glaiue
que les Roys portent, ne leur a esté donné de
Dieu, que pour nostre bien, & non pas pour nous destruire,
& qu’ils ne sont les dispensateurs de nos vies,
qu’en les employant auec vne iuste & legitime moderation,
à la conseruation de l’Estat, & non pas pour
contenter l’auidité de mille sangsuës qui enuironnent
les Princes. Qu’il ne leur est pas permis de faire tout
ce qu’ils veulent ; mais seulement tout ce qui est iuste,
& profitable aux peuples. Que s’ils contreuiennent
à ce qu’ils sont obligez de faire pour leurs Suiets,
il est sans doute permis aux subiets, par vne equité
relatiue, de faire la mesme chose. Qu’on ne leur doit
obeyr, qu’en tant que leurs commandemens se trouuerõt
conformes aux loix fondamentales de l’Estat,
veu qu’elles font au dessus des Roys & des Princes.
Et la Lettre d’Auis soustient que la France est vne pure
Monarchie Royale, où le Prince est obligé de se
conformer aux loix de Dieu, & où son peuple obeyssant
aux siennes, demeure dans la liberté naturelle,
& dans la proprieté de ses biens, sans que le Souuerain

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en puisse disposer à sa fantaisie, attendu que la
France n’a iamais esté en gouuernement Despotique.
Qu’on ne doit donner au Roy, que pour l’entretien
de sa maison, que pour les affaires qui concernent
la seureté & le repos de l’Estat, si ce n’est en
quelque cas extraordinaire ; & mesme qu’ils ne sçauroient
faire des leuées sans le consentement du peuple,
pour quelque cause que ce puisse estre ; veu que
les Roys n’ont point de droit sur le bien des particuliers ;
& qu’vn Roy abusant du pouuoir que Dieu
luy a donné, cesse d’estre Roy, & ses subiets d’estre
subiets.

 

Ce qui ne sçauroit estre veritable en façon quelconque,
à cause que les Roys sont d’institution diuine,
& à cause aussi qu’ils sont Lieutenans de Dieu
en terre, comme a fort bien dit, celuy qui a fait l’Image
du Souuerain, ou l’Illustre portrait des Diuinitez
mortelles. Les puissances qui ont esté establies
de Dieu, ne sçauroient dependre aucunement de la
volonté des hommes. La Response & refutation de
la Lettre d’Auis, en parle fort amplement, & en dit
de fort bonnes choses. La veritable Censure de la
mesme Lettre le reprend aussi de fort bonne grace.

Les mesmes Libelles s’en prennent encore à la
Reyne, comme si sa Maiesté estoit la cause de tous
les desordres. Si elle sçauoit aussi bien faire le salut
de l’Estat que celuy de son ame, la France seroit le
plus heureux de tous les Empires de la terre. Cette
digne Princesse ne desire que le bien du Roy, & le
repos vniuersel de toute la Patrie. Mais elle ne sçait
à qui pouuoir mieux confier ces deux notables interests,
qu’entre les mains de celuy qu’elle sçait estre
tres-intelligent aux affaires de cette Couronne. Vn
autre feroit encore pis ; & ie ne sçay si l’ignorance de
celuy qu’on pourroit mettre à sa place ne nous apporteroit
pas encore plus de desordre.

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L’exercice d’vne charge si importante, est fi difficile
à faire, qu’il se trouue peu de personnes qui en
soient dignes. A moins qu’vn homme soit tout à fait
consommé au maniement des affaires publiques, malaisément
les sçauroit-il entreprendre qu’à nostre
perte.

Neantmoins le Cardinal Mazarin à beau faire, le
Theologien d’Estat ne laisse pas de dire que les Fauoris,
sous couleur de conseruer la Monarchie, font entreprendre
toutes choses au Prince, que les Loix du
Royaume, portent l’exclusion des Ministres est rangers,
& que la Reyne, pour beaucoup de raisons deuroit
congedier celuy qui gouuerne les affaires.

Et le Theologien Politique, comme le plus porté
contre les Roys, dit que nous ne deuons pas donner
nos biens & nos vies pour contenter l’auidité des Fauoris,
& de mille autres sangsuës qui enuironnent les
Princes. Qu’on se peut opposer aux tyrannies d’vn
Ministre estranger, & qu’on n’en peut establir aucun
sur soy qui ne soit éleu d’entre ses freres.

D’autres disent, que le Cardinal n’est aupres du
Roy & de la Reyne, que pour leur inspirer des sentimens
de vengeance contre tout le monde. Qu’il est
indigne du Ministere, à cause qu’il est Italien & de
bas lieu, & qu’il y a vn Arrest solemnellement donné
contre toutes les promotions de cette nature. Que le
Parlement l’a declaré pernicieux à l’Estat, perturbateur
du repos public, & ennemy du Roy & du Royaume,
& qu’il ne faudroit pas seulement se contenter
de le bannir, mais qu’il faudroit encore chasser auec
luy, tous ceux qui ont tenu la main à sa tyrannie.

D’autres, comme la Lettre d’Auis, en reiettent
toute la faute sur le Parlement, de ne s’estre pas vertement
opposez à la naissance de ses iniustes tyrannies,
& d’auoir toleré si long-temps l’infame trafic du
sang des subiets du Prince.

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Il y en a encore qui se seruent de quelques raisons
d’Estat & de conscience meslées ensemble, pour obliger
le Prince & les Regens à nous donner vne Paix
generale. Ce n’est pas le fait d’vn habile homme d’entreprendre
vne affaire où il y a plus à perdre, qu’à gagner,
& qui s’estend sur le pouuoir d’vn Dieu qui est
ialoux de sa gloire.

Apres ils disent que la Reyne doit à Dieu la separation
qu’on luy demande. Qu’elle la doit au Roy
son fils, de qui elle ne doit pas hazarder la Couronne.
Qu’elle la doit au peuple, pour qui elle est obligée
d’immoler mesme sa vie, en cas de necessité.
Qu’elle la doit à la raison, qui dit qu’il faut preferer
le bien general au particulier. Qu’elle la doit à sa conscience,
qui luy defend de perdre vn Royaume, pour
conseruer vne opinion : & finalement qu’elle la doit
à toute la Chrestienté, qui attent à profiter de ses
exemples.

En vn mot, si les Princes veulent regner heureusement,
& attirer sur eux la benediction de Dieu &
des Peuples, il faut qu’ils bornent leurs puissances
aussi bien que celles de leurs Fauoris & de leurs
Ministres. Qu’en ruinant Paris, sa Maiesté touche à la
clef de la voûte. Qu’elle ébranle toutes les autres
villes, auec qui elle a vne grande alliance. Que la Nature
a donné à l’homme le desir de se conseruer. Que
les loix diuines & humaines permettent de se defendre :
& que, quoy que cette guerre se fasse sous l’authorité
du Roy, pour appuyer vn pernicieux Ministre,
elle ne doit pas estre soufferte : & qu’il est bien
plus iuste & plus honorable de se ioindre tous ensemble,
pour s’opposer à sa tyrannie, que de se laisser continuellement
ruiner par des concussions toutes nouuelles.

Si nous voyons que la cruauté de ces meschans se
vueille gorger du sang des iustes, nous deuons parer

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le coup de ces violentes attaques, & mesme les aller
chercher dans leurs forts, pour se vanger de l’outrage
qu’ils font à l’Estat & à la Patrie.

 

L’Autheur de la Lettre d’Auis donne plusieurs
causes à nos desordres. En sa premiere qu’il donne il
dit, que Messieurs du Parlement ne font pas assez de
reflexion sur ce qu’ils sont. En sa seconde, il tient que
c’est la venalité des charges de Iustice. En sa troisiesme,
il veut que ce soit la Promotion qui se fait des
races partisanes aux charges de Conseillers & de
Presidens, pour estre les Emissaires des Ministres.
En sa quatriesme, il croit que c’est la desunion de
leur Compagnie : & en sa Cinquiesme, il s’imagine,
que ce sont les imposts, qui se montent à des sommes
excessiues.

Tous ces discours, quoy qu’ils soient faits par des
esprits tres-excellens, ne visent qu’à vne fin tres-dangereuse,
ou du moins tres-inutile.

Quand le Roy se reduiroit au poinct, que tous les
mauuais François sçauroient desirer. Quand la Reyne
se dépoüilleroit absolument de sa Regence, &
quand le Cardinal Mazarin se retireroit de la Cour ;
pour satisfaire à tous ses ennemis, la cause des desordres
de l’Estat, ne cesseroit pas pour cela, & ce principe
de tant de funestes malheurs dont nous sommes
accablez demeurant, nos disgraces demeureroient
aussi pareillemẽt, & nos affaires se trouueroient peut-estre
dans vn estat plus deplorable. Ceux là n’auroient
pas plustost flechy à nos souhaits, que d’autres
venant apres eux, nous traitteroient, peut-estre encore
auec plus d’outrage.

La domination de ceux qui ne font qu’entrer dans
les graces de la fortune, est bien plus insupportable,
que celle de ceux qui regorgent desia de tous les presens
qu’elle leur sçauroit faire : ce n’est pas en effect
ce que nous deuons souhaiter en façon quelconque.

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Ce seroit tomber de fievre en chaud mal, & ce seroit
sortir d’vn bourbier, pour entrer dans vn precipice.

 

Il faut trouuer vn remede qui soit plus doux &
plus propice, & au Prince & au Peuple. Il me semble
que s’il n’y auoit point de premier Ministre d’Estat
dans le Conseil, & qu’il pleust au Roy de les considerer
tous également, que ce seroit auoir trouué l’art
de bien faire seruir le Souuerain, & de donner vn repos
eternel à tous les Peuples de France.

Ces dignes Administrateurs des affaires de cette
Monarchie, se trouuant aussi puissans les vns que les
autres, empescheroient les desordres de celuy qui se
voudroit emanciper, & par les maximes de leur emulation
& de leur enuie, ils se tiendroient tous dans
leur deuoir, de crainte de se voir tost ou tard, sous la
domination de celuy qui se voudroit éleuer sur ses
Confreres. Il n’est que la seule égalité qui les puisse
tenir dans la moderation, & qui les puisse susciter à
bien faire.

L’vnion de quantité d’Esprits qui conspirent à mesme
fin, font des miracles pour le Prince & pour le
Peuple. Solon, Licurgue, Demosthene, & Ciceron,
n’ont iamais presché que cette égalité de puissances
dans le conseil de leurs Republiques. C’est ainsi que
chacun propose ses raisons sans crainte. A quelle
prodigieuse grandeur ne monta pas la Republique
Romaine, durant que l’admirable vnion de ses Senateurs
se trouua incorruptible en toutes ses parties.

Et cela ne fait rien contre moy, de dire que la dignité
Royale est vne charge bien lourde & bien posante :
Qu’elle ne se peut pas administrer qu’auec vne
grande difficulté : & qu’il est necessaire que le Prince,
pour ne pas succomber à la grandeur des affaires, ait
vn appuy, qui luy aide à supporter le faix de sa charge.
Que les Roys sont des petits Dieux terrestres,

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qui peuuent absolument disposer de leurs volontez,
comme bon leur semble.

 

Moy qui n’ay point d’autre interest que celuy du
public, & qui ne vise qu’a la satisfaction commune,
& du Prince & du Peuple, ie respons à ces obiections,
qu’il n’est pas iuste qu’vn seul homme possede absolument
l’esprit du Souuerain, & les affaires de toute
vne Monarchie ; parce qu’il n’y a point d’homme au
monde, qui n’abuse de l’authorité que son Maistre
luy donne, pour auoir la vanité de se faire voir puissant,
pour s’acquerir vn nombre infiny de tresors,
pour auancer ses parens & ses adorateurs, pour se
faire reuerer de tous ceux qui l’approchent, & pour
se mettre tout à fait la Couronne sur la teste, s’il le
peut faire auec impunité, & sans en estre repris de
personne.

Agatocles, fils d’vn Potier, s’empara bien du Royaume
de Sicile. Andronic s’éleua bien par son infidelité
à l’Empire de Constantinople. Burdenel s’appropria
bien iniustement vne partie de l’Espagne. Crescentius
vsurpa bien la puissance Consulaire & Tribunaire
à Rome. Denis se rendit bien Maistre de l’Estat de
Syracuse. Leutychides se fit bien Roy de Sparte. Periander
se saisit bien de Corinthe : & Tryphon enuahit
bien le Royaume de Syrie.

Que ne fit pas Seianus, Fauory de Tibere, contre
vn Prince qui l’auoit éleué dans des honneurs & dans
des charges incroyable ? Il fallut que la ruine de l’Estat
fut le fondement de sa perte, aussi bien que celuy
de sa prodigieuse fortune.

Catilina apres auoir esté mis au plus haut faiste de
la fortune, par vn Peuple qui s’estoit rendu Maistre
de toute la terre, ingrat à tant de faueurs qu’il en auoit
receuës, n’extermina-t’il pas le Senat ? Ne dissipa
t’il pas les tresors publics ? & ne renuersa-t’il pas
toute la Republique ?

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Cinna, autrement Lucius Cornelius, ne fut pas si
tost comblé de biens & de gloire par Cesar Auguste,
à qui mesme ce grand Prince auoit sauué la vie, qu’il
conspira contre luy, tant il estoit possedé d’vne ambition,
qui n’en eut iamais de pareille.

Antoine, Lepidus, & Auguste mesme, ne mitent-ils
pas le fer & le feu dans le sein d’vn Estat à [1 mot ill.]
auoient des obligations eternelles ?

Les Histoires Sainctes, curieuses & prophanes ne
nous fournissent que trop d’exemples de cette nature.

Quoy que les Princes soient doüez d’vn merueilleux
iugement, & d’vne admirable conduite, & que
Dieu soit tousiours prest de les assister en la parfaite
élection d’vn excellent Ministre d’Estat, ils ne laissent
pourtant pas d’agir vainement en la recherche qu’ils
en font, & mesme d’estre deceus, aux choix qu’ils
en sçauroient faire.

La nature de l’homme fut si peruertie (comme nous
auons desia dit) en sa premiere coulpe, que ses sens
n’ont iamais fait du depuis, que se reuolter contre
luy, & luy susciter par des obiects deceuans, vne
estrange confusion d’images mal conceuës. Le desir
insatiable de la personne, est vne passion si extreme,
qu’il n’est pas vne ame si bien reglée qui luy puisse
resister, & qu’elle ne rende aussi irraisonnable qu’infidele.
Enfin, pour se trouuer digne d’vne charge si
eminente, il faudroit auoir des qualitez que les hommes
n’ont pas, & qui se trouuent rarement parmy les
Anachoretes.

S’il se trouuoit vn Prince qui n’eust que des inclinations
moderées, & des liberalitez tres equitables
pour le Fauory ; & que le Fauory fust sans orgueil,
sans ambition, & sans flaterie : Qu’il ne voulut iamais
flestrir sa reputation par aucun acte d’infidelité,
qui eut vne connoissance parfaite des affaires, qui fût

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sçauant à toutes sortes d’occurrences, qui n’eust rien
à cœur que le bien du Prince, de l’Estat, & de la Patrie,
qui ne visast qu’à rendre à vn chacun ce qui luy
appartient, & qui ne resout iamais rien, ny par chagrin,
ny par colere, nous pourrions opiner en sa faueur :
mais toutes ces vertus ne se sçauroient trouuer
en vn mesme Suiet, que par miracle.

 

De sorte que pour empescher les desordres qu’vn
homme trop auant dans la fortune, & dans le credit
du Prince, pourroit susciter dans vne Monarchie,
afin d’assouuir vne passion insatiable, il est tres-important,
pour le Prince & pour l’Estat, que sa Majesté
les considere tous également, & qu’il ne donne
pas plus d’authorité à l’vn qu’à l’autre.

L’on me repartira encore, comme on a desia fait,
dans quelques autres Libelles, que tous les Fauoris
ne sont pas d’vne nature si peruerse, & que le Ministre
d’Estat, principalement celuy qui est capable de soulager
le Prince en la conduite de ses affaires, & qui le
sçait appuyer de ses bons conseils, contre tout ce qui
se pourroit opposer à la felicité de son Regne, est à
la personne du Souuerain, ce que l’obiect aimé est à
l’amant, ou pour mieux dire, ce que les facultez de
l’ame raisonnable, sont à cette admirable viuifiante,
Que le Prince & le Ministre sont tellement attachez
ensemble, par vne consequence de necessité, qu’on
ne sçauroit les desunir sans crime. Que qui choque le
Ministre necessaire au Souuerain, ne choque pas seulement
l’obiet de la plus legitime de toutes ses passions ;
mais qu’il choque encore vne personne qui
luy doit estre sacrée. Que c’est vne confusion d’interests
si grande, que le bien de l’vn se trouue tout confondu
en la nature du bien de l’autre.

Enfin, que c’est veritablement vn appuy, sans l’aide
duquel le Monarque demeureroit accablé sous la pesanteur
de la charge. Que pour viue & pour forte que

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puisse estre l’apprehension de l’esprit du Prince, il ne
ne laisse pas d’auoir tousiours besoin de son assistance :
& que comme Souuerain independant des hommes,
il peut auoir aussi des passions à sa mode, sans
estre obligé d’en rendre conte, qu’à celuy qui le conserue
tel qu’il doit estre.

 

Et en continuant leur Verbe, ils me diront encore,
sur quoy est ce que le Prince se doit le plus asseurer,
que sur la foy de celuy qu’il aura éleué dans les grandeurs,
& dans la fortune ? De qui doit-il esperer plus
de fidelité, que d’vn homme qu’il aura comblé de
toutes les plus grandes felicitez que nous sçaurions
desirer icy bas sur la terre ? Si les biens faits n’ont pas
des liens assez forts, pour attacher le cœur d’vn Sujet
aux interests de son Prince ; ie ne croy pas qu’il
puisse viure en quelque lieu que se puisse estre dans
vne parfaite asseurance.

Que si le peuple se trouue oppressé par ceux qui
font toutes les choses au nom du Souuerain ; alors
poussé de sa propre misere, il se doit armer de requestes
& de supplications, & s’en aller (auec tout le respect
qu’on doit à la Majesté des personnes) battre en
ruine la seuerité des Regens, & faire si bien par la frequente
repetition de leurs humbles prieres, qu’ils les
obligent à les exaucer, & à traiter auec eux, auec
quelque espece de misericorde.

Que s’ils ne veulent pas faire quelque chose en faueur
de leurs plaintes ; il faut qu’ils taschent d’obliger
Dieu, par ieusnes & par oraisons, à les regarder
d’vn œil de pitié, & d’auoir compassion de leur misere.
Et quand toutes les puissances terrestres auroient
le cœur aussi endurcy que ceux qui resisterent aux
souhaits des Israëlites, ce Souuerain Seigneur de l’Vniuers
ne manquera iamais d’exaucer ces pauures affligez,
contre la mesme tyrannie.

Ce sera alors que vous verrez sousmettre tous ces

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esprits à la raison, par vne puissance, si funeste à ceux
qui ne se veulent pas reconnoistre, qu’il n’est rien au
monde de si surprenant, ny de si terrible. Que n’a-t’il
pas fait en faueur de ceux qui l’ont prié d’vn grand
zele ? Les miracles en sont si frequens & si connus de
toutes les nations de la terre, qu’il n’est pas besoin
d’en r’apporter icy des exemples.

 

Les Roys (dit le Sage en ses Prouerbes chapitre
28.) sont souuent changez, à cause des pechez du
Peuple. Samuël nous apprend que les Roys perseuerant
en leur malice, periront, comme le reste des
hommes. Iosué, du commandement de Dieu, fist
bien mourir cinq Roys d’vne mort tres-honteuse. Le
Roy de Hay ne receut-il pas vn mesme sort ? Et le
Roy Ela ne fut-il pas massacré, lors qu’il songeoit le
moins à mourir que personne du monde. Il faudroit
estre tout à fait stupide, ou tout à fait meschant iusques
à la rage, pour ne pas adiouster quelque espece
de foy, aux decrets d’vne parole eternelle.

Voila, s’il me semble, à peu pres les discours ordinaires
de ceux qui ont le mieux raisonné sur toutes
ces matieres. Mais reprenons toutes les obiections
qu’on vient de nous faire, pour y respondre de meilleure
grace. Il est certain que la dignité Royale est
vne charge bien lourde, & bien pesante : qu’elle ne se
peut pas administrer qu’auec vne grande difficulté,
qu’il est necessaire que le Prince, pour ne pas succomber
à la grandeur des affaires, ait vn appuy qui
luy aide à supporter le faix de sa charge. Et i’y adiousteray
encore, qu’il n’est point d’esprit, dont l’apprehension
soit si noble, si viue & si forte, qui n’ait besoin
de secours & de conduite, comme nous venons
de dire. Les plus grands & les plus sublimes entendemens
se forment de l’operation des autres, en la
profession qu’ils veulent suiure.

Saxius Rufus imita Ciceron, Ciceron imita

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Demosthenes, Demosthenes imita Pericles, & Pericles
imita Pisistrates, & ainsi du reste. Ce nom d’homme
d’Estat est de si grande estenduë, qu’il se trouue
peu de personnes qui en soient dignes. Nostre vie est
trop courte pour se pouuoir bien instruire d’vne doctrine
si Royale & si difficile : & l’esprit d’vn homme
seul, est trop peu intelligent pour bien conceuoir ses
mysteres.

 

Les sciences comprennent tout ce qui peut aller
à la demonstration : mais la prudence politique ne
s’exerce iamais que dans les changemens & les reuolutions
des affaires. La premiere tient tousiours le
grand chemin de la raison, & celle-cy ne se conduit
que par les motifs de la preuoyance. Celle-là marche
dans vn chemin éclairé, & la derniere ne s’exerce
iamais que dans l’obscurité des choses futures.

Et comme il est impossible de trouuer vne Republique
telle que Platon se l’est figurée, ny vn Orateur
comme Ciceron le veut, ny mesme vn Capitaine de
la sorte que Xenophon le demande : ie tiens qu’il est
aussi impossible de trouuer vn homme d’Estat, de la
sorte qu’il nous le faudroit, pour bien conseiller vn
grand Prince comme le nostre. Les affaires de cette
Monarchie sont de trop grand poids, pour pouuoir
estre bien conduits par vne seule teste.

Feu Monsieur le Cardinal de Richelieu, qu’on
croit auoir esté le plus grand & le plus Illustre de tous
ceux qui se sont iamais meslez de gouuerner les affaires
de cette Monarchie, auoir vn nombre infiny de
personnes qui le conseilloient, & qui luy donnoient
les auis de tout ce qui se faisoit, & mesme de tout ce
qui se deuoit faire. Aussi auoit il grand soin de reconnoistre
les seruices que tout le monde s’estudioit
à luy rendre, iusques à donner de grandes pensions à
des esprits, qui ne se trauailloient qu’à le mettre à
couuert de la langue des mesdisans, & à faire éclater

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ses vertus par toute la terre habitable ; qui est le plus
digne moyen dont vn homme se puisse seruir, pour
demeurer inuincible, contre toutes les disgraces de
la fortune.

 

Il n’auoit qu’à sçauoir faire le choix des meilleurs
sentimens qu’vn chacun luy donnoit, pour se maintenir
dans les grandeurs qu’il s’estoit acquises. C’est
pour vous faire voir que son esprit n’estoit pas seul en
la conduite de l’Estat, & qu’il ne deuoit songer qu’à
se tenir tousiours éleué par dessus les autres. Les plus
excellens de tous ceux qui se sont meslez de gouuerner
vn Empire, se sont tousiours conseruez de la sorte.
Mais qui pourra mieux appuyer les affaires de cette
Couronne, qu’vn corps estroitement vny de plusieurs
Ministres d’Estat, tous égaux en pouuoir, tous
clair-voyans aux affaires du Souuerain, & tous grandement
zelez au bien de la Patrie.

Ie dis tous égaux en puissance, afin qu’ils soient
abstrains par ce moyen à viure dans vne parfaite
vnion ; veu que l’vnité des volontez se forme de l’égalité
des puissances : Car où sont ceux qui se porteroient
à desirer des choses qu’ils iugeroient leur estre
tout à fait impossibles ? Ie ne sçaurois m’imaginer
qu’on puisse vouloir ce qu’on ne peut pas, puis que
vouloir au delà de son pouuoir, ce seroit vouloir ce
qu’on ne sçauroit faire. Ainsi chacun se voyant retenu
par l’égalité de la puissance qui se trouueroit en ses
confreres, & voyant en suitte qu’il ne seroit pas en
estat d’executer les mauuais desseins qu’il auroit, s’il
estoit si meschant que d’en auoir, il se defendroit absolument
de vouloir ce qu’il iugeroit ne pouuoir pas
effectuer en façon quelconque.

La crainte qu’il auroit que ses malheureuses intentions
ne fussent découuertes, par ce grand nombre
de clair-voyans qui seroient à l’entour de luy, & qu’il
n’en fût apres seuerement puny selon la grandeur de

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l’offense, le feroit viure en homme de bien, fust-il le
plus abominable de toute la Nature.

 

La quantité des intelligences qu’il auroit à combattre,
dont la moindre seroit aussi puissante que la sienne,
luy donneroit de la terreur en toutes ses entreprises.
Il n’auroit pas moins d’obstacles à surmonter, que
de dominations égales à la sienne à deffaire. Enfin,
contraint par vne consequence de necessité, à vouloit
ce que les autres voudroient, il ne se pourroit pas emanciper
à conduire les affaires de l’Estat à sa mode.

Quand c’est vn homme seul qui gouuerne, il ne
fait que suiure les mouuemens de sa passion déreglée :
mais quand c’est vn corps de plusieurs personnes tres-entenduës,
il ne se détache iamais de la raison ; & dans
les resolutions qui se forment entr’eux ; ils ne considerent
que le bien du Prince & du Peuple. Il y a bien
plus de iugement, plus d’esprit, plus de conduite, &
plus de fidelité dans vn grand nombre de Senateurs,
que dans vn seul Ministre d’Estat, qui ne vise qu’à sa
fortune. Les passions des vns sont moderées par les
passions des autres. L’égalité leur donne vn tel ascendant
sur leurs compagnons, qu’ils ne craignent pas de
les choquer en des rencontres de pareille nature.

Et puis, quand ce ne seroit que la vanité qu’ils ont
de paroistre, & plus habiles & plus gens de bien que
qui que ce soit, ils ne manqueront pas de veiller aux
actions de leurs compagnons, pour y trouuer à redire.
Outre qu’il y va de leur salut, si les maximes de l’Estat
ne peruertissent pas la foy qu’ils doiuent aux mysteres
de la Religion, de ne pas bien defendre la cause commune
du Peuple & du Souuerain, & d’estre payez
pour tous les deux ensemble.

Que ne fait pas vn homme seul pour assouuir sa
prodigieuse ambition, lors qu’il se void Maistre absolu
de l’esprit du Prince. Mais que ne font pas aussi plusieurs
Ministres d’Estat, bien vnis & tous égaux on

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puissance pour le bien du Prince & du Peuple ?

 

Le Fauory qui se void en estat de faire ce que bon
luy semble, ne suscite le Prince qu’à vexer ses Subjets
de subsides & d’exactions immoderées, afin de profiter
du sang du Peuple. Et vn Conseil de Ministres aussi
puissant l’vn que l’autre, ne porte le Souuerain qu’à
le soulager tout autant qu’il luy est possible. Le Fauory
ne cherche qu’à se faire redouter, & qu’à tenir tout
le monde en desordre, de peur qu’estans bien vnis ensemble,
ils ne conspirent contre luy : & le Conseil de
ses fideles Ministres, ne vise qu’à se faire aimer de
tous, & qu’à tenir le Prince, & les Subjets dans vne admirable
concorde. Le Fauory, ainsi qu’vn loup rauissant,
ne cherche qu’à respandre le sang des innocens
pour s’enrichir de leurs dépoüilles ; & le bon Conseil
du Souuerain, ne tent qu’à luy faire porter la terreur
dans le pays estranger, pour soulager ses Estats, & pour
honorer sa Patrie de ses conquestes.

La Iustice, comme estant la plus noble de toutes les
vertus Morales, au rapport d’Aristote, ou comme
estant, au dire de sainct Thomas, vne constante &
perpetuelle volonté, de rendre ou de conseruer à
chacun ce qui luy appartient, a vne telle affinité auec
la puissance Royale, que si on les auoit separées, elles
demeureroient toutes deux comme inutiles.

Sainct Augustin, Pere de l’Eglise, dit que si nous
ostions la Iustice du gouuernement des Estats, que les
Royaumes ne seroient que le refuge de tous les plus
enormes criminels de la terre.

Ciceron nous asseure, que la Iustice est d’vne puissance
si absoluë, que ceux mesmes qui se repaissent
d’extorsions & de voleries, ne sçauroient faire subsister
leurs iniquitez, que par son entremise : parce que,
si le Chef des voleurs ne diuise vne partie de ses concussions
à ceux qui tiennent la main à ses peculats & à
ses brigandages, il court risque de ne pas bien reussir
en toutes ses entreprises.

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Les Regens ne deuroient pas souffrir vn premier
Ministre dans le Conseil, puis que le Roy, à qui nous
deuons toute sorte de respect & de sousmissions, n’est
pas encore en estat d’y mettre l’ordre. Ie ne sçay pas
vne Monarchie dans le monde, qui puisse durer long-temps,
ny qui se puisse maintenir en Paix, sans les effects
de la Iustice. C’est elle qui refrene l’audace des
Tyrans, qui met l’homme de bien à couuert des peines,
& qui rend à chacun ce qui luy appartient, selon
qu’il le merite.

L’Empereur Seuere n’ordonna iamais aucune Loy,
ny ne prononça iamais aucun iugement, que vingt
hommes des plus gens de bien, & des mieux versez en
droit n’eussent confirmé l’vn & l’autre : & pour ce qui
concernoit la guerre, il prenoit aduis des Capitaines
& des soldats les mieux experimentez, auant que de
rien entreprendre. De sorte, que si nos Princes n’entrent
pas en connoissance des actions de ceux qui gouuernent
les affaires, pour y mettre l’ordre, il faut qu’ils
s’asseurent d’estre vn iour responsables deuant Dieu
de leurs iniquitez, & de payer pour leurs Ministres.

Plutarque en ses Politiques, & Platon en sa Republique,
disent qu’il n’y a rien de si pernicieux à l’Estat,
que la vente des Offices, qui ne se deuroient donner
qu’à la vertu & au merite. Que ceux qui achetent les
charges en gros, vendent apres la Iustice en detail, &
que c’est de cette source d’où naissent apres les mercenaires
Magistrats, qui s’engraissent des calamitez &
des miseres du Peuple.

L’Empereur Seuere se vantoit d’estre ennemy capital
de cette espece de vermine. Les Egyptiens les
auoient en si grande horreur, qu’ils les punissoient de
mort ; quand mesme le Prince les auroit portez à faire
le crime. Et pour leur mieux imprimer dans la memoire
le serment qu’ils auoient fait, ils firent mettre au
dessus de leur Siege la Statuë d’vn Iuge qui auoit les

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yeux bandez & les mains coupées, afin qu’ils apprissent
par là à ne pas faire aucune iniustice.

 

Alexandre Seuere fit empaler son Secretaire, pour
auoir corrompu la Iustice par argent, pour auoir vexé
les pauures gens, & pour auoir maintenu les riches
dans leurs extorsions & dans leurs voleries.

Cambyses Roy de Perse fist escorcher Sisana tout
vif, pour auoir prononcé vn iugement contre sa propre
conscience.

Les menaces que Dieu fait aux Roys, aux Ministres
d’Estat, & aux Iuges de la terre, sont terribles : &
s’ils ne croyent point en Dieu, ny en sa parole en ce
monde par sa misericorde, ils seront forcez d’y croire
en l’autre par sa Iustice.

Apprenez & prestez l’oreille, vous Roys, Ministres,
& Iuges qui gouuernez les Peuples, & qui estes superbes
en la multitude des Nations, que la puissance vous
est donnée du Seigneur, lequel examinera diligemment
vos œuures, & vos pensées, pour vous faire voir
si vous auez equitablement iugé vostre prochain ; parce
qu’il a fait également le grand & le petit, & qu’il a
soin de toute la nature creée.

Voila vne merueilleuse instruction pour les puissances
terriennes, & qui sont endormies aux tenebres de
l’ambition mondaine, & qui mettent toute leur felicité
à se rendre grands & admirables au Peuple. Apprenez
maintenant à l’Escole du Sage, Esprits ambitieux,
à reformer vostre vie, puis que vous serez vn
iour iugez d’vn Iuge tres-Souuerain, de la mesme façon,
que vous aurez iugé les autres.

Le desordre qu’apportent ces Ministres d’Estat, qui
veulent vsurper toute l’authorité du Prince, font souhaiter
aux Peuples vne forme de gouuernement plus
douce mais il faut qu’ils sçachent, qu’il n’y en a pas vne
plus noble, ny mieux approuuée de Dieu & des grands
hommes, que la Royale.

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Ie sçay bien qu’il y a plus de trois mille ans que la
Question est en controuerse, & qu’il y a plusieurs Philosophes
tres-renommez, qui tiennent les vns pour la
Monarchie, les autres pour la Democratie, & les
derniers pour l’Aristocratie.

La Democratie est le gouuernement d’vn Peuple
qui n’a autres superieurs, ny autres gouuerneurs que
les Officiers qu’il a establis. C’est là où chacun estant
au Conseil, peut auec liberté, sans crainte d’aucune
tyrannie, proposer ses raisons, & c’est là, sans considerer
la condition ny la qualité de la personne, où l’on
exerce alternatiuement par ordre mutuel, les dignitez
de la Republique.

Enfin, c’est ainsi qu’ont fait autresfois Rome & Athenes,
& c’est ainsi que fait encore auiourd’huy depuis
douze cens ans Venise, qui est vne des plus fameuses
& des plus florissantes villes de la terre.

La Democratie a esté fort loüée de Dion Siracusain,
d’Eufrates, d’Othanes, d’Hermicius, de Polidamus,
& de plusieurs autres : mais Apollonius en dissuadoit
Vespasian, comme d’vne chose pernicieuse.

Ciceron disoit, que le vulgaire n’auoit ny conseil
ny raison, ny discretion, ny diligence. Demosthenes,
Platon, Phalaris, & Aristote disent que le Peuple est
vn monstre à plusieurs testes, tres-dangereux, & tres-prompt
à loüer & mesdire ; qui sans aucune prouidence
se precipite comme vn torrent debordé sur tout
ce que bon luy semble.

L’Aristocratie est vne espece de Republique, qui
se regit par le Conseil des plus riches & des plus sages
du Peuple, grandement authorisée de Licurge, de Solon,
de Demosthenes & de Ciceron : mais l’experience
nous à fait voir le contraire.

Combien cette forme de gouuerner a-t’elle fait
ruiner de ville & des Republiques toutes entieres en
Grece & en Italie ? Et combien de grands hommes

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ont esté mal traitez par les Peuples ?

 

Demosthenes ne fut-il pas iniustement banny de sa
Patrie, comme s’il eut eu commis quelque notable
crime ? Socrates, ne fut-il pas fait mourir, comme s’il
eust esté coulpable ? Metellus ne fut-il pas chassé de
Rome, comme s’il eust desseruy la Republique ? Hannibal
ne fut-il pas mal traitté par ceux de Carthage ?
Camille ne receut-il pas mesme traitement des Romains,
que le Numidique ? Licurgue ne fut-il pas
aussi mal reconnu de Lacedemone, que Solon d’Athenes ?

Non, non, il n’en est pas ainsi de la Monarchie, où
il y a vn Souuerain, qui force les Grands & les petits
à viure sous les loix de Dieu & des hommes. L’égalité
mesme des Ministres d’Estat que ie presche auec vn
zele incroyable, pour tenir l’ambition des Fauoris en
bride, ne subsisteroit pas, tant la Nature humaine est
subjette à se peruertir, si le Prince ne prenoit le soin
de les maintenir en leur deuoir, par le moyen d’vne
Iustice vn peu seuere.

Quand tous les Ministres sont égaux en puissance,
nul ne peut vouloir quelque chose, & moins la mettre
en execution, sans la communiquer à toute la compagnie :
De sorte que si sa volonté est iuste, tout le reste
y consent, & si elle est contre le Prince, ou contre le
Peuple, son desir est refrené de ses autres confreres ; ce
que pas vn n’oseroit entreprendre, si l’opinant estoit
absolu dans toutes ses volontez, comme est auiourd’huy
celuy qui gouuerne les affaires de cet Empire.

FIN.

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Anonyme [1649], QVESTION, S’IL Y DOIT AVOIR VN PREMIER MINISTRE DANS LE CONSEIL DV ROY. RAISON D’ESTAT ET POLITIQVE TRES-IMPORTANTE A DECIDER, pour le bien du Souuerain, & pour le Repos de la Patrie. , françaisRéférence RIM : M0_2950. Cote locale : C_6_77.