Anonyme [1649], QVESTIONS EN FORME DE DIALOGVE, Du Conseil de Conscience, au Conseil d’Estat. Auec les Responses. , françaisRéférence RIM : M0_2952. Cote locale : C_6_78.
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QVESTIONS
EN FORME
DE DIALOGVE,
Du Conseil de Conscience, au
Conseil d’Estat. Auec les
Responses.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS NOEL, ruë Sainct Iacques, aux
Colomnes d’Hercules.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

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QVESTIONS EN FORME
de Dialogue.
DV CONSEIL DE CONSCIENCE,
au Conseil d’Estat. Auec les Responses.
QVESTION PREMIERE.

NOVS vous demandons, Messieurs, si les Princes
doiuent auoir des Fauoris.

RESPONSE.

Nous demander Messieurs, si les Princes doiuent auoir
des Fauoris pres de leurs personnes, c’est nous demander
si les Rois sont libres en leur condition, ou s’ils doiuent viure
comme des Esclaues. Vous sçauez bien que ces Estres
Sacrez, sont des petits Dieux terrestres, qui peuuent absolument
disposer de leurs volontez, & faire toutes les choses
qu’ils croiront leur estre agreables. L’amour & la haine ne
sçauroient auoir aucune iurisdiction sur l’esprit des mortels
qui ne releuent de leur empire, comme souuerains independans
de la part des hommes, ils peuuent non seulement
auoir des passions à leur mode : mais encore ils peuuent
pour leur satisfaction particuliere, en vser tousiours en faueur
de qui il leur plaira : & comme personnes doüées de
la part de Dieu d’vn veritable franc & liberal arbitre, ainsi
que le reste de ses creatures ; ils peuuent pareillement de
mesme, vouloir, desirer, & faire à leur mode, si quelque
reuers de fortune ne les precipitoit du faiste de leurs grandeurs,
dans l’abisme de ses disgraces.

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OBIECTION A LA RESPONSE.

Mais, Messieurs, s’est-il veu iamais Fauory, qui n’ait absolument
abusé des graces de son Maistre ? Que ne fit pas
Seianus, Fauory de Tibere, contre vn Prince qui l’auoit
eleué dans des charges & dans des honneurs incroyables ?
Il l’auoit fait si grand, qu’à peine le peut-il deffaire : il falut
que la ruine de l’Estat fut le fondement de sa grandeur,
aussi bien que la cause de sa perte.

Catilina apres auoir esté mis dans vne prodigieuse fortune,
par vn Peuple qui s’estoit rendu Maistre de toute la
terre, ingrat à tant de faueurs qu’il en auoit receuës, n’extermina-t’il
pas le Senat ? ne dissipa-t’il pas les tresors publics ?
& ne renuersa-t’il pas toute la Republique ? Cinna
surnommé Lucius Cornelius, ne fut pas si tost comblé de
biens & de gloire, & par Cesar Auguste à qui mesme ce grand
Prince auoit sauué la vie, qu’il conspira contre luy, tant il
estoit possedé d’vne ambition qui n’en eut iamais de pareille.
Antoine, Lepidus, & Auguste mesme, ne mirent-ils
pas le fer & le feu dans le sein d’vn Estat à qui ils auoient
des obligations eternelles.

Les Histoires Sainctes, curieuses & prophanes, ne nous
fournissent que trop d’exemples de cette nature. Vn nombre
infiny de ces sangsuës publiques, ont fait plusieurs fois
succomber les grandeurs des Royaumes les plus florissans,
pour assouuir vne ambition qui ne sçauroit iamais estre assouuie.
Et apres cela, Messieurs, vous voudriez conclure
que les Princes doiuent auoir des Fauoris, veu qu’ils sont si
traistres & si parricides à leurs Souuerains, si tyrans à l’Estat,
& si funestes au Peuple.

Dieu veut que les Princes soient sauuez, & veritablement
il n’est pas moins mort pour eux, que pour le reste des hommes.
Et comment se pourroit-il faire que cela fut, s’ils
estoient la cause de tous les crimes que leurs Fauoris exercent.

De grace, dites moy si ces Tyrans seroient en estat de
mettre en pratique, toutes les voleries qu’ils font sur le pauure

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peuple, s’ils n’estoient appuyez directement ou indirectement
de la faueur & de l’authorité du Prince. Et quand
mesme le Souuerain seroit si touché de l’Esprit de Dieu,
qu’il abhorreroit toutes leurs procedures ; cela ne suffiroit
pas pour les absoudre de l’offense qu’ils commettroient, de
ne leur pas oster les moyens de tyranniser ses Suiets, & de
piller tout le monde.

 

SOLVTION.

Si le Prince n’auoit que des inclinations moderées, &
des liberalitez equitables pour le fauory ; & que le fauory
fust sans orgueil, sans ambition, & sans flaterie, la question
se pourroit resoudre en sa faueur : mais ces rencontres d’humeurs
ne se trouuent que par miracle en leur personne.

QVESTION DEVXIESME,

Nous vous demandons encore Messieurs, si les Fauoris
des Princes doiuent gouuerner les affaires de la Monarchie.

RESPONSE.

A qui est-ce, Messieurs, que les Princes se doiuent le
plus confier de leurs affaires, qu’à ceux qu’ils ont tirez du
neant, & qu’ils ont esleuez au plus haut faiste de la fortune ?
sur la foy de qui se doiuent ils le plus asseurer, que sur celle
d’vne personne qu’ils ont comme enchassée dans les honneurs,
dans les biens, & dans les prosperitez les plus desirées.
De qui peuuent-ils esperer plus de reconnoissances,
plus de fidelité, que des soins, & des veilles des hommes
qu’ils ont comblez de tresors, de charges, de dignitez, de
grandeurs, & de toutes les felicitez que nous scaurions desirer
icy bas sur la terre. Dieu veut que l’on donne pour receuoir,
& ce bon Seigneur promet le centuple à ceux qui
donneront vn verre d’eau à ses seruiteurs, & pour son
amour, & pour sa gloire. Si les biens-faits n’ont pas des
charmes assez puissans pour attacher dignement vn seruiteur

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aux interests de son Prince, ie ne croy pas qu’il soit licite
d’en attendre d’ailleurs, ny d’esperer qu’il puisse viure
parmy ses subiets, dans vne par faite asseurance. Les tygres,
les pantheres, les ours seroient en ce cas-là beaucoup plus
excellens, & plus nobles que nous ne sommes pas. Et le
Ciel leur auroit communiquez des sentimens, ou pour
mieux dire, des vertus dont toute la nature humaine seroit
incapable. Nous voyons apparemment que ces animaux
quelques irraisonnables qu’ils puissent estre se piquent d’amour,
& de fidelité enuers ceux qui les ont obligez, & qui
leur ont rendu quelque seruice. Androde serf Dacien, s’estant
retiré dans vn desert pour éuiter la fureur de son Maistre,
se mit si bien dans les bonnes graces d’vn lyon aussi
prodigieux que redoutable, qu’à quelque temps de la, ayant
esté repris, puis exposé à la mercy de ces bestes feroces, où
ce mesme animal auoit esté mis, il en fut tellement secouru,
que ce monstre (pour n’estre pas ingrat aux seruices
qu’il luy auoit pû rendre) le preserua miraculeusement de
la rage & de la fureur des autres animaux qui s’eslançoient
sur luy pour le deuorer, & parce moyen, ce pauure criminel
trouua son salut au mesme lieu où son destin l’auoit asseuré
de sa perte. Il n’est pas croyable que les Fauoris des
Princes fussent plus mesconnoissans que ces miserables
brutes, ou que ces peuples irraisonnables. Le Prince n’a
pas si peu d’esprit de porter ses inclinations sur des obiets
vicieux & imparfaits, ny de communiquer ses liberalitez à
la mesme ingratitude. La crainte de Dieu les rend bien-heureux,
& son adorable Maiesté ne s’oublie iamais de
donner vn sainct mouuement à toutes leurs inclinations, &
de presider en l’election qu’ils doiuent faire d’vn parfait
Ministre d’Estat, & d’vn genereux confident de leurs plus
secretes pensées. C’est pourquoy ils ne sçauroient faillir de
s’en reposer sur la foy, sur la vigilance, & sur la probité des
Fauoris que le Ciel leur choisit pour le bien de l’Estat, &
pour le soulagement de leurs peuples.

 

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OBIECTION A LA RESPONSE.

Quoy que les Princes soient doüez d’vn merueilleux iugement,
& d’vne admirable conduite, & que Dieu soit tousiours
prest de les assister en la parfaite election d’vn excellent
Ministre d’Estat, ils ne laissent pourtant pas d’agir vainement
en la recherche qu’ils en font ; & mesme d’estre deceus
aux choix qu’ils en sçauroient faire. La nature de
l’homme fut si peruertie en la cheute de nostre premier pere,
que ses sens n’ont iamais sceu faire du depuis que se reuolter
contre luy, & de luy susciter par des obiets deceuans,
vne estrange confusion d’images mal conceuës. Le desir
d’acquerir des biens & de l’honneur, est vne passion si extréme
& si violente, qu’il n’est point d’ame si bien reglée
qui luy puisse resister, & qu’elle ne rende aussi peu raisonnable
que fidelle. Enfin, pour se trouuer digne d’vne charge
si eminente, il faudroit auoir des qualitez que les hommes
du monde n’ont pas, & qui se trouuent à peine parmy
les Anachoretes.

SOLVTION.

S’il se trouuoit vn Fauory qui ne voulut iamais flestrir sa
reputation d’aucun acte d’infidelité, qui eust vne connoissance
par faite des affaires, qui fust sçauant à toute sorte d’occurrences,
qui n’eust rien à cœur que le bien du Prince, de
l’Estat, & de la Patrie, qui ne visast qu’à rendre à chacun ce
qui luy appartient, & qui ne conclust iamais rien, ny par
chagrin, ny par colere, nous pourrions opiner en sa saueur :
mais toutes ces vertus ne se sçauroient trouuer en vn mesme
suiet que par miracle.

ADVIS AV LECTEVR.

I’ay, cher Lecteur, quelque cinquante ou soixante Questions
de mesme nature : Si i’apprens que celles que ie te presente
te soient agreables, ie continuëray à te faire voir le
reste. Adieu.

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