Anonyme [1649], RECIT VERITABLE DE LA FIN MAL-HEVREVSE D’VN VSVRIER. Arriuee en la Prouince de France. Le Ieudy dix-huitiesme Mars 1649. , françaisRéférence RIM : M0_3015. Cote locale : C_9_12.
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RECIT VERITABLE DE LA
Fin mal heureuse d’vn Vsurier, arriuee en la
Prouince de France. Le Ieudy dix-huitiesme
Mars 1649.

Bien-heureux est celuy qui se preuaux
de la perte d’autruy, & qui tire profit
de la disgrace des mal-heureux. Le
Vendredy douziesme Mars nouuelle
arriuerent à Paris qui furent fort bien
receuë, cõme elle le deuoient estre, puis que par icelle
on nous asseuroit que la Paix estoit faite, mesme le
Samedy les Crieurs de Gazette ne s’oublierent point
à en faire leur profit, criant tout haut, Nouuelle asseuree
de la Paix. Moy entendant ces nouuelles si
agreables, esperant que les passages fussent ouuerts
par tout, ie me mis en chemin pour aller à vn petit
Village dont ie sais le nom maintenant pour le malheur
qui y est arriué : C’est assez que chacun sçache
qu’il est situé à vne petite lieuë de Danmartin. Comme
donc ie faisois aller le cheual surquoy i’estois
monté vn petit plus viste que le pas, voicy vn homme
d’assez bonne façon qui m’acoste, me demandant
de quel costé ie desirois aller, luy ayant nommé le
lieu, me dit qu’il y alloit aussi, & que si sa compagnie

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ne m’estoit desagreable que nous irions ensemble ;
luy ayant dit que non, & qu’au contraire ce me seroit
honneur & faueur d’estre accompagné de sa personne,
marchant dons en semble, il me tint ce discours.

 

Sçachez Monsieur, que depuis deux iours i’ay failly
à gagner douze cens liures & plus, sur quarante septiers
de bled que i’auois, lesquels ne me reuenois qu’à
huit liures le septier, & ayant entendu comme Messieurs
les Bourgeois de Paris y faisoient la presse, i’ay
fait en sorte que ie les ay fait passer & conduire à Paris
ou l’on m’en a voulu donner quarante liures du septier
de la iournee d’hier : croyant le vendre d’auantage
ie ne l’ay point voulu deliurer. Mais a cela
i’ay esté bien trompé, car à ce matin ayant exposé
mon bled en vente l’on ne m’en a voulu donner que
vingt-cinq liures : c’est pourquoy i’ay laissé mon bled
à vn mien amy pour le vendre lors que la vente sera
vn petit meilleure qu’elle n’est pas maintenant, &
i’espere que ce sera bien-tost : car encore que l’on publie
la Paix à Paris, il y a vn mien amy qui m’a asseuré
que cela ne tiendra pas, d’autant que Messieurs les
Deputez ont signé des Articles qui sont trop aduantageux
pour le party contraire, & non au gré de plusieurs
honnestes Bourgeois de Paris : cependant ie
m’en retourne à ma maison, en attendant que ce
mien amy me mande comme tout ce passera à Paris.

Pendant ce discours nous auançasmes chemin & arriuasmes
au lieu que nous desirions : Ou estans arriuez,
comme ie voulois prendre congè & dire adieu à

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cét honneste homme, il me dit que ceux auec qui il
cheminoit ne s’en alloient pas d’auec luy sans boire
du vin de sa caue : moy croyant l’obliger, ie luy dis
que ie luy obeyrois en toutes choses, il me conduit
donc en sa maison où nous mismes pied à terre, &
mon cheual fut mis en l’escurye auec le sien, où il
dõna de l’auoisne & du foin tout son soul, cependant
que l’on dressa la collation qui fut assez splendide &
honneste, n’y ayant manqué de bon vin ny de confiture
seiche & liquide. La Colation estant faite ; ie
pris congé de luy, comme aussi de sa femme qui est
tres-honneste, courtoise & ciuile, laquelle me dit que
ie luy fis l’honneur à elle & à son mary de les venir
voir, puis que i’auois à faire en ce pays : Ie leur promis
de le faire ainsi, & leur ayant dit adieu pour ce iour, ie
pris mon cheual par la bride, ne voulant remonter
dessus, d’autant que i’estois proche du lieu où i’auois
affaire : Tous les iours ie me transportois chez cét hõneste
homme, où nous deuisions des affaires presentes
ou plusieurs personnes ne voyẽt goute, lors qu’vn
iour, qui fust Mercredy dernier, vn homme luy aporta
vne Lettre où ces mots estoient escrits. Monsieur, ie
n’ay point manqué tous les iours à exposer vostre bled en vente,
mais au lieu de rencherir il ramande tous les iours, d’autant
qu’il en vient vne telle quantité que c’est merueille, la
Halle & la Greve en est toute remplie, le plus beau à choisir
est deliuré à vingt-deux liures le septier, & ie croy qu’il ramander
a encore plustost que de rencherir. C’est pourquoy apres
la presente veuë, il vous plaira me mander ce que i’en dois faire :

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en attendant, Monsieur, ie demeureray ce que i’ay esté
vers vous & suis. Vostre seruiteur A. D. P.

 

Cette Lettre ne fust point leuë sans grimasse, &
moy ne sçachant pas ce qu’elle contenoit, ie fus bien
estonné de luy voir faire la mine qu’il faisoit, & recõnoissant
qu’il n’estoit pas content, i’ay pris congé de
luy, le remerciant tres-humblement du bon traitement
que i’auois receu de sa personne. Et le lendemain
qui fust le Ieudy ie me trãsportay audit lieu, où
ie fus bien estonné de voir sa femme pleurer à chaude
larmes & deux enfans faire des cris espouuentables. Ie
demanday à vn seruiteur d’où procedoit ces pleurs,
ces cris & lamentations : il me dit que c’estoit que son
Maistre se venoit de precipiter dans leur puits. Moy
entendant cecy, ie demeuray encore plus estonné
qu’auparauant, pourtant ie m’aprochay de cette femme
affligee, laquelle ie reconfortay au mieux qu’il
me fut possible, luy demandant comment cela estoit
arriué. Elle toute éplorée, ne pouuant quasi ouurir la
bouche, me fit ce discours, qui fut interrõpu de plusieurs
sanglots pitoyables. Mon cher Monsieur, dit-elle,
il faut que vous sçachiez que mon mary ayãt entendu
dire comme le bled estoit cher à Paris, il en
fist charger quarante ou quarante-deux septiers, esperant
y faire vn grand profit, comme il eust fait, s’il
n’eust point refusé sa premiere offre, d’autant que
l’on luy en fit offre de quarante liures du septier, mais
il ne le voulut pas donner, esperant de le vendre dauantage,
d’autant que l’on luy auoit dit qu’il ny auoit

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pas long temps que l’on en auoit vendu, à raison de
cinquante liures le septier, & luy ne voulant estre si
long temps à Paris, a laissé son bled à vn sien amy à
qui il a donné charge de le vendre. Hier comme vous
estiez icy, mon cher Monsieur, on luy apporta vne
Lettre, par la quelle il estoit dit que le bled ne valoit
plus à Paris que vingt-deux liures : chose qui l’a tant
fasché voyant le gain qu’il auoit refusé, qu’vne frenezie
l’a surpris, telle qu’il s’est precipité & ietté dans
nostre puits, il y a du moins vne heure, encore ne sçaurions-nous
pas où il seroit si nostre seruante ne l’eust
entendu tomber comme elle alloit couper des herbes
à mettre au Pot. Cependant, mon cher Monsieur, ie
ne sçay comment nous le pourrons retirer & le faire
enterrer sans faire bruit. Moy entendant ce discours
les cheueux me dressoient en la teste d’horreur, &
i’eusse voulu estre bien loin de là, pour n’estre point
spectateur d’vne chose si esloignée de raison, de voir
vn homme se desesperer pour si peu de chose, car il
ne perdoit rien, au contraire y gagnoit beaucoup à
vendre son bled vingt-deux liures, puis qu’il ne luy
reuenoit qu’à huit francs, ainsi qu’il me l’auoit dit
lors que nous cheminions ensẽble. Cependant ie reconfortay
cette femme au mieux qu’il mefut possible ;
ie luy dis qu’il falloit enuoyer querir quelque
personne fort & rustique pour descendre dans ce
puits, pour ayder à retirer ce corps : on en fut chercher
vn, lequel estant venu & ayant beu deux coups, commença
à se glisser le long d’vn chasble, mais il ne fus

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pas vne toise bas, qu’vne telle puanteur le surprit
qu’il fallut le retirer au plus viste, n’en pouuant plus,
comme il en rendit bon tesmoignage quand il fust
retiré, car il se laissa tomber du haut de la Mardelle en
bas tout pasmé, où ie croy qu’il fust mort si on ne
l’eust secouru promptement. Bref, cette exhalaison
puante & pestiferée monta du puits en haut auec telle
promptitude qu’il fallut au plus viste combler le
puits de pierre, terre & grauoys, ce lieu seruant de sepulture
à ce mal-heureux, qui pour certain estoit
quelque vsurier hypocrite, car veritablement, il n’auoit
paru vers moy qu’honneste & ciuil.

 

Apres auoir esté à mon grand regret spectateur de
chose si effroyable, ie m’en retournay au lieu où i’estois
logé, où i’expediay mes affaires plus promptement
que ie n’eusse pas fait, sans ce sinistre accident,
ayant ce lieu en telle horreur que i’en pattis le plus
promptement qu’il me fut possible, & retournay à
Paris ou ie descrit cette histoire, autant remarquable
que veritable, esperant que quelque personne en tireront
profit. Dieu le vueille par sa grace, & que les
paroles que i’ay entenduës auiourd’huy soient veritables.

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Anonyme [1649], RECIT VERITABLE DE LA FIN MAL-HEVREVSE D’VN VSVRIER. Arriuee en la Prouince de France. Le Ieudy dix-huitiesme Mars 1649. , françaisRéférence RIM : M0_3015. Cote locale : C_9_12.