Anonyme [1649], REFLEXIONS CHRESTIENNES, MORALES ET POLITIQVES, DE L’HERMITE DV MONT VALERIEN, Sur toutes les Pieces volentes de ce temps. OV IVGEMENT CRITIQVE, Donné contre ce nombre infiny de Libelles diffamatoires, qui ont esté faites depuis le commencement des Troubles, iusques à present. Par des personnes Quid detur tibi, aut quid apponatur tibi, ad linguam dolosam? Psalm 119. , français, latinRéférence RIM : M0_3060. Cote locale : E_1_73.
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REFLEXIONS
CHRESTIENNES,
MORALES ET POLITIQVES,
DE
L’HERMITE
DV MONT VALERIEN,
Sur toutes les Pieces volentes
de ce temps.

OV IVGEMENT CRITIQVE,

Donné contre ce nombre infiny de Libelles diffamatoires,
qui ont esté faites depuis le commencement
des Troubles, iusques à present.

Par des personnes Quid detur tibi, aut quid apponatur tibi,
ad linguam dolosam ? Psalm 119.

A PARIS.

M. DC. XLIX.

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REFLEXIONS
CHRESTIENNES,
MORALES ET POLITIQVES,
Sur toutes les Pieces volentes de ce temps.

Ou Iugement Critique,
Donné contre ce nombre infiny de Libelles diffamatoires,
qui ont esté faits depuis le commencement
des Troubles, iusques à present.

Vanitas vanitatum, & omnia vanitas, dit l’Oracle
de la Verité permanente, au premier chapitre
de son Ecclesiaste. Que si toutes les
choses du Monde ne sont que vanité, selon
le plus sage de tous les hommes, quel nom
plus propre, quel terme plus significatif, & quel epirete
plus conuenable pouuons nous donner aux actions de tant
d’Escriuains, qui par le moyen de leurs Libelles diffamatoires,
veulent donner de la lumiere au Soleil, dessiller les
yeux aux plus clairs-voyãs, & faire sousleuer le peuple contre
vn Prince donné de Dieu, & que toute la France luy a
demandé auec vn zele inimitable ? Y a-t-il vanité plus grande
que celle de faire imprimer des escrits si abominables
que ceux qu’on à faits, pour estre non seulement les tesmoins,
mais encore les adorateurs des eloges qu’ils esperent
de leur illustre renommée ? Y a-t-il vanité plus extreme

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que celle de faire mettre en lumiere, vn tas de médisances
pendant leur vie, sous esperance de renaistre apres
leur mort, encore vne fois, dans la memoire de ceux qui
viendront apres nous, pour lire leurs ouurages ? Y a-t-il
vanité plus extraordinaire, que celle de fonder sa plus
grande gloire sur vn peu de bruit, & sur le iugement de
certains esprits, qui bien souuent ne connoissent rien du
tout, en la chose dont ils se rendent les arbitres ? Y a-t-il
vanité plus insupportable, que celle d’hasarder sa reputation,
sa vie, & son salut, pour ne se repaistre que d’vn peu
de vent, ou que d’vn peu de fumée ? En effet, plus ie considere
des actions d’vne nature si extrauagante, & plus ie
me trouue empesché à deuiner quel biais ie dois prendre,
pour les iuger selon l’enormité de leur crime. Certes, aspirer
aux moyens d’eterniser leur nom, & pretendre de
s’acquerir vn estat immortel par des voyes si abominables,
sont des vanitez qui n’en eurent iamais de pareilles. En vn
mot, ne vouloir faire qu’vn sacrifice du plus beau de sa renommée,
à ce qui peut rester de nous apres nostre mort,
par des moyens si outrageux, est vne vanité qui surpasse
toutes les plus prodigieuses vanitez de la terre. Si composer
vn nombre infiny de Libelles diffamatoires contre son
prochain, est vne marque de bon esprit, ie m’abuse bien en
mon calcul, & Paris se peut dire sans pair en cela, aussi bien
que sans exemple en beaucoup d’autres choses ? Ce n’est
pourtant pas, si ie ne me trompe, ny ce que Dieu desire de
nous, ny ce que les Sages nous apprennent. Cet adorable
Souuerain Seigneur du Ciel & de la Terre, voulut que Marie
fut frapée de ladrerie pour auoir mal parlé de Moyse :
qu’Aaron fust repris d’auoir mesdit de ce diuin Legislateur :
& que l’Escriture saincte apprit vniuersellement à tous les
hommes, que celuy qui detracteroit de son prochain, &
qui n’adiousteroit pas foy à ses paroles, fust plus griefuement
puny que tous les Sodomites ensembles.

 

Num. 12. 10.

Heb. 4.
Heb. 2.
Matth. 10.

Les Medecins & les Naturalistes iugent de la santé ou
de la maladie de la personne, par sa langue : & nos paroles
sont les vrais indices des qualitez de nos ames. Par tes paroles
tu seras iustifié, & par tes paroles tu receuras vne condamnation

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sans appel quelconque. La bouche du iuste meditera la Sapience,
& sa langue fera son iugement dans l’eternité des siecles.
Si quelqu’vn ne peche point en paroles, c’est vn homme
de Dieu, & ie trouue qu’il a toutes les vertus les plus excellentes.
Gardez vous donc bien de perseuerer dans l’enormité
de ces crimes ; car le souuerain Scrutateur des
cœurs, vous fera rendre compte de la moindre de vos pensées.
Les traits que vous lancez par vne langue veneneuse,
donnent la mort eternelle à celuy qui s’en sert, & le rendent
plus malheureux que tous les Demons ensemble.
Comme la mort temporelle s’empara de toute la posterité
des hommes, par la desobeïssance de nostre premier pere,
ainsi la mort eternelle s’emparera de tous les médisans, par
le mépris qu’ils font des Commandemens du Sauueur du
monde. Celuy qui penetre iusques au fonds de nos ames,
nous apprend que de l’abondance du cœur la bouche parle.
Le diuin Apostre sainct Paul, ne veut pas seulement que
l’on nomme les choses indecentes & folles ; Parce, dit-il,
qu’il n’est rien qui corrompe tant les bonnes mœurs, que les mauuaises
paroles. Et nos nouueaux Politiques ne se contentent
pas de les inuenter & de les dire, mais encore ils prennent
plaisir à s’estudier d’en faire le debit de bonne grace. Ainsi
plus vn mauuais discours est embelly de toutes les graces
les plus affectées de l’eloquence, plus il penetre dans le
cœur, & plus il surprend l’esprit de l’homme.

 

Deut. 11.

Ios. 1.

Prou. 26.

Nous n’auons point d’imperfection plus abominable que
celle de detracter de nostre prochain, & de tacher la renommée
de nos freres d’vne prodigieuse infamie. C’est vn
vice que Dieu ne sçauroit examiner que le foudre à la main,
& qu’en le condamnant à des punitions eternelles. Iamais
chose quelconque ne fut si contraire à la charité ny à la deuotion,
que la médisance. Tous les autres pechez se font
auec quelque estime de celuy que nous offensons : mais la
detraction se fait auec vn grand mépris de la personne offensée.
De la mesme mesure que vous mesurerez vostre
prochain, de la mesme mesure vous serez mesurez de celuy
qui mesure toutes choses à l’aune de sa Iustice. Ne condamnez
donc pas personnes, si vous ne voulez pas estre

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condamnez comme vous condamnerez les autres. Ceux
qui iugeront auant que le Seigneur vienne, pour reueler le
secret des tenebres, & pour manifester les conseils des
cœurs, seront eux mesmes iugez à l’eternité des siecles.
La Loy de Dieu defend de iuger personne, sans auoir vne
parfaite connoissance de ses deportemens, & sans auoir bien
examiné leur crime, encore veut-elle que ce soient des Magistrats
que la voix de ce souuerain Seigneur ayt appellez
a cette dignité, en qualité d’Interpretes de sa volonté, afin
de la rendre intelligible à toutes les Nations de la Terre.
Et Iesus-Christ mesme nous ordonne de sa propre bouche,
de ne iuger qui que ce puisse estre, ny de diffamer son prochain
en façon quelconque. Les iugemens temeraires sont
aussi desagreables à Dieu, que les pechez les plus criminels
des hommes. L’intention & la volonté des mortels, qui
sont les veritables formes de l’offense, n’estant point reuelées
de celuy qui les a conceuës, font des mysteres inconnus
au plus illuminé de tous les plus clairs-voyans de la
terre. Le Prophete Royal Dauid nous apprend, qu’il est
de certaines personnes qui ne iugent iamais des actions de
leur prochain qu’auec toute sorte d’iniustice. Nos nouueaux
Autheur de tant de Libelles diffamatoires en font
de mesme : mais qu’ils s’asseurent d’estre iugez comme ils
iugeront leur prochain, & leur semblable. Ce n’est pourtant
pas le chemin qu’il faut tenir, pour se rendre agreable
à Dieu, & pour s’asseurer de la mesme felicité, dont il glorifie
ses Anges, C’estoit aussi vne chose prodigieuse de voir
l’empressement qu’ils se donnoient à philosopher & à médire
auec toute sorte de liberté, & en toute sorte de manieres.
Et certes, ie croy qu’il s’est fait plus de Libelles diffamatoires
en trois mois de temps que les desordres ont duré,
qu’il ne s’en estoit fait auparauant durant le regne des deux
plus Illustres Monarques du monde. Les plus picquans
estoient les mieux receus, & les plus criminels estoient les
plus dignes de gloire. Certes ce peché de iugement temeraire
est vne maladie tellement funeste à l’ame du patient,
qu’elle ne s’empare iamais de son esprit, que pour luy donner
vn dégoust continuel de toutes les vertus les plus excellentes.

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Si vos iugemens sont iustes, Messieurs les nouueaux
Politiques, vostre eslection sera glorieuse ; s’ils sont
charitables, vous en serez recompensez : & s’ils sont temeraires,
vostre salut est fort casuel, & vostre eternité bien
dangereuse. Abimelech aima mieux iuger bien d’Isaac & de
Rebecca, que d’en conceuoir vne mauuaise impressiõ, quoy
qu’il en eut des suiets assez legitimes. Il vaut mieux iuger
de l’estat de son prochain en sa faueur, qu’en sa disgrace. Si
le Sauueur de nos ames eut vse de la mesme rigueur enuers
ses creatures dans leur premiere cheute, le monde auroit
trouué sa perte dans son peché, & sa fin dans le commẽcement
de son estre. Celuy qui veut viure selon la Loy, doit
laisser à Dieu le iugement de son prochain, aussi bien que
la punition de son crime, s’il n’est du corps de ceux qui ont
accoustumé de prononcer, ou ses Decrets ou ses Oracles.
C’est le diuertissement d’vne ame basse & inutile, que de
s’amuser à mal iuger de son semblable. Les iugemens temeraires
produisent des effets tres-pernicieux & tres-abeminables.
C’est la peste des plus glorieuses actions des mortels,
& le fleau des plus excellentes vertus des hommes.
Celuy qui pourroit oster la médisance de l’Vniuers, en
osteroit la plus grande partie des pechez, & nous feroit viure
presque comme des Anges. La mort de la vie ciuile, &
la mort de la vie spirituelle, n’est introduite icy bas parmy
nous, que par son entremise. Celuy qui detracte de la bonne
renommée de son prochain, s’attaque directement & à
Dieu & aux hommes : & outre les pechez qu’il commet en
parlant mal d’autruy, il est obligé de leur rendre l’honneur
qu’il vient de leur oster auec les mesmes circonstãces dont
il s’est seruy, lors qu’il la leur a diffamée. Nul n’entrera
dans le Royaume des Cieux, dit le Sauueur de nos ames ;
s’il ne restituë premierement ce qu’il vient de desrober à
son prochain auec tant d’iniustice. La renommée est le plus
riche tresor de la nature, & par consequent le plus considerable
moyen dont le mauuais esprit se puisse seruir, pour
nous faire choir dans ses lors, lors qu’il nous suscite à ternir
la gloire de nos semblables.

 

Sainct Bernard dit que le médisant a le diable sur la langue,

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& que celuy qui prend plaisir de l’escouter, l’a dans
l’oreille : & Dauid veut que le detracteur ait la langue affilée,
comme celle d’vn serpent, qui pique & qui empoisonne
d’vn seul coup l’oreille de celuy qui l’entend, & la reputation
de celuy dont on parle, sans considerer la mort de
l’ame du detracteur qui fait le crime. En effet, c’est vn triple
peché ; car on offense Dieu de parler contre soy-mesme, en
parlant de sa propre conscience : On l’offense encore en faisant
offenser celuy qui adiouste foy à vos discours ; & finalement
on l’offense encore plus, en diffamant la bonne renommée
de celuy dont on parle. Ceux qui escriuent licencieusement
contre toute sorte de personnes, & qui font publier
leurs médisances par toute l’Europe, comme ont fait,
& comme font encore nos Politiques du temps, auront de
grands comptes à rendre deuant Dieu, & de grandes restitutions
à faire aux hommes : au contraire du sage qui embrasse
la Loy diuine & humaine, de tout son cœur & de
toute son ame. Peut-on commettre vne action plus enorme,
que celle de mettre la plume à la main, pour troubler
le repos du public, & pour inciter vn si Auguste Parlement
que le nostre, à choquer l’authorité d’vn Prince, que tout
le monde doit honorer apres Dieu par dessus toutes choses ?
Peut-on cõceuoir vn crime plus funeste & plus abominable,
que celuy de vouloir mettre l’Estat en compromis, de tendre
à exposer le pere aux fureurs de son enfant, de consacrer
tous les biens du monde au pillage & à l’incendie, &
de porter l’ame de ceux qui meurent en des occasions de
cette nature, dans vne damnation eternelle ? Ouy, ie le dis
encore vne fois ; susciter les Subjets à se reuolter contre vn
Souuerain donné de Dieu, & que nous luy auons demandé
auec des passions incroyables, ne sçauroit passer que pour
vn crime irremissible. Tout ce qui va directement contre
les mœurs, contre la Religion, contre Dieu, contre le prochain,
& qui nous priué & de la grace & de la gloire, nous
doit estre en aussi grande abomination, que celuy qui nous
veut preoccuper l’esprit d’vn sentiment si pernicieux & si
funeste. Que tous ces Libelles diffamatoires n’aillent contre
tout ce que nous venons de dire, ie le prouue : Vous

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sçauez bien, malheureux Politiques, que la Morale est vne
seience qui ne vise qu’à moderer les saillies de l’esprit, qu’à
ciuiliser les deportemens des hommes, afin de les rendre
plus temperez en leurs actions, plus sociables en leur façon
de faire, plus vtiles à leurs Concitoyens, & plus propres à
s’acheminer pendant ce regne de paix interieure à la connoissance
des choses celestes, par le mespris de celles de la
terre. Iugez apres cela, de grace, si susciter vn Parlement à
sousleuer le peuple contre son Prince, est vn effet propre à
moderer nos saillies & nos deportemens, afin de nous rendre
plus supportables à nous mesmes, à nos Concitoyens, &
à nos domestiques ? & si c’est encore vn moyen propre à nous
acheminer pendant vn regne de paix, à la veritable connoissance
des choses celestes, par le mespris de celles du
monde. La guerre ne se sçauroit faire, sans que nous y appliquions
tous nos soins, & sans que nous attachions
nos esprits beaucoup plus que nous ne deurions pas à tout
ce qui va directement contre les mœurs & contre la conscience.
La guerre n’instruit l’homme qu’aux vols, qu’aux
meurtres, qu’aux incendies, & qu’aux sacrileges. Elle nous
apprend comme il faut faire pour nous piller, & pour nous
assassiner l’vn l’autre. Elle nous donne des inuentions à tyranniser
la vefue & l’orfelin, & finalement elle nous suscite
à profaner les Autels, & mesme à polluer les maisons les
plus sainctes & les plus sacrées. Et vous voudriez apres cela,
rares Politiques, que les aduis que vous donnez de faire
la guerre, & de prendre les armes contre nostre legitime
Prince, n’allassent pas directement contre les mœurs, contre
la charité, & contre la pieté la plus ciuile & la plus celeste,
dont la nature humaine puisse estre capable. Ce n’est
pas encore ce qui vous peut satisfaire, il faut prendre la Religion
à partie, puis qu’elle est vne vertu par laquelle nous
sommes obligez de rendre à Dieu le culte que nous luy deuons,
auec vne pureté de cœur, & vn zele incroyable. Et
ce n’est pas le luy rendre comme sa saincte & sacrée Majesté
le souhaite de nous, que d’auoir l’ame noircie de tous les
crimes que nous venons de dire. Mais passons plus outre, ie
dis encore que ces preceptes vont contre la volonté du

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souuerain Seigneur de tout l’estre creée, veu qu’il nous cõmande
d’honorer les Princes, de prier pour eux, de nous
garder de leur indignation, & de leur estre sujets, comme
estans ordonnez de cét adorable Legislateur, pour gratifier
les Peuples de leur Iustice. Et ce n’est pas là les honorer,
prier pour eux, nous garder de leur indignation, & leur
estre sujets, que de vouloir faire sousleuer tout l’Vniuers
contre des Souuerains, desquels on ne doit pas seulement
parler mal en façon quelconque. Enfin, ie dis encore que
vos raisonnemens vont contre l’honneur & le bien du prochain,
puis que c’est indifferemment sur toute sorte de personnes,
que les fleaux de la guerre viennent à choir, & que
ses sanglants reuers ne considerent non plus le Prince que
l’esclaue. Voyez, ie vous supplie, apres des effets d’vne nature
si horrible & si funeste, si toutes ces actions ne sont pas
capables de nous priuer de la grace & de la gloire. La grace
est vn dõ de Dieu, en vertu duquel nous sommes faits ses enfans
pour viure & pour mourir en son amour & en sa crainte.
Et la gloire ne consiste qu’en la vision de l’eternelle source
de tous biens, & qu’en la ioüyssance d’vne beatitude infinie.
Il est donc bien certain, selon les meilleurs Casuistes
du monde, que nous sommes hors de la premiere, en donnant
des aduis de pareille nature, & que nous ne deuons
iamais esperer d’arriuer à l’autre, qu’apres vne entiere satisfaction
de tous les crimes, dont nostre ame se trouue si
prodigieusement tachée. Mais le moyen de rendre à Dieu
ce que nous deuons à Dieu, & à ses creatures, ce que nous
deuons à ses creatures, apres auoir causé plus de maux que
tous les demons ensembles. Tant de meurtres, tant de voleries,
tant de violemens, tant d’incendies, tant de sacrileges
& tant d’impietez, dont nous serons eternellement responsables,
sont des pechez où tous les hommes du monde
ensembles ne sçauroient satisfaire. Neantmoins nous sommes
obligez de faire vne parfaite restitution, ou dans le
temps prescrit & limité, ou dans la durée d’vne succession
infinie. L’ame de l’homme ne se sçauroit parfaitement bien
reünir à son Createur, si elle ne se trouue dans la mesme pureté
où elle estoit, lors que ce souuerain Seigneur luy donna

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l’estre. Il est donc tres necessaire qu’elle se purge de tous
les crimes qu’elle a commis depuis qu’elle est au monde,
d’vne purification tres parfaite & tres accomplie : Ce qui
paroist estre bien difficile à ceux qui s’attachent aux affaires
de la terre, auec des passions si extraordinaires & si funestes
que les vostres. Mais apprenez de la bouche de la Verité
mesme, que l’ame ne sçauroit partir de cette demeure terrestre,
où sa diuine Misericorde se trouue sans exemple,
qu’en entrant dans vn nouueau seiour, où elle sera iugée selon
les rigueurs d’vne authorité indepẽdente. La Iustice de
Dieu est si extreme, qu’on ne sçauroit conceuoir chose quelconque
qui le puisse estre dauantage. Si le pecheur meurt
dans sa coulpe, sans auoir satisfait à ce qu’il doit au Createur
& aux creatures, le crime suit le criminel, & par vne consequence
infaillible, ils se trouuent tous deux dans vn mesme
lien, où la felicité ne porta iamais ses graces. Et quand mesme
nous serions touchez d’vne contrition bien grande, nostre
ame ne se verroit pas pour cela exempte de la peine qu’il
luy faudra souffrir dans vn lieu destiné pour la purgation de
celles qui ne doiuent pas estre eternellement punies. L’on
me dira sans doute, que ce n’est pas à la personne du Prince
à qui l’on s’addresse, que c’est seulement à certains Fauoris,
qui sous pretexte de vouloir maintenir l’authorité Royale,
tranchent des Souuerains, & rauagent le Domaine du Roy,
comme si c’estoit vne terre ennemie.

 

A cela ie responds, que les Fauoris, principalement ceux
qui sont capables de soulager le Prince en la conduite des
soins qu’il doit prendre, & qui le sçauent appuyer de leurs
conseils, contre tout ce qui se pourroit opposer à la felicité
de leur regne, sont à la personne du Souuerain, ce
que l’obiet aimé est à l’amant, ou pour mieux dire, ce que
les facultez de l’ame raisonnable sont à l’ame mesmes. Ce
sont veritablement des appuis, sans l’aide desquels le Monarque
demeureroit accablé sous le faix de ses affaires. Pour
viue & pour forte que puisse estre l’apprehension de leur entendement,
ils ne laissent pas d’auoir tousiours besoin de
leur assistance. Comme Souuerains independans des hommes,
ils peuuent auoir des passions à leur mode, & en vser

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en faueur de ceux qu’il leur plaira, sans estre obligez d’en
rendre compte qu’à celuy qui les conserue tels qu’ils doiuent
estre. Sur quoy se doiuent-ils le plus asseurer, que sur
la foy de ceux qu’ils ont esleuez dans les grandeurs & dans
la fortune ? De qui doiuent-ils esperer plus de fidelité, que
des hommes qu’ils ont comblez de toutes les plus grandes
felicitez, que nous sçaurions desirer icy bas sur la terre ? Si
les biens-faits n’ont pas des liens assez forts, pour attacher
le cœur des Subiets aux interests de leur Prince, ie ne croy
pas qu’il puisse viure en quel lieu que ce soit dans vne parfaite
asseurance. Enfin mille raisons d’Estat attachent si fort
le Souuerain au Ministre d’Estat mesme, & le Ministre d’Estat
mesme au Souuerain, que l’vnissante passion qui s’est
formée de la necessité de leurs maximes, ne se sçauroit destruire
qu’auec vn desordre incroyable. En vn mot, s’en
prendre à ceux qu’ils ont vne fois establis pour la conduite
de leurs affaires, c’est s’en prendre à leur propre personne.
Qui choque leur plaisir, choque leur authorité, & qui choque
leur authorité, choque leur personne. C’est vne confusion
de certaine inherence si grande, que la seule pensée
de la vouloir demesler, est vn crime irremissible. Mais si le
peuple se trouue oppressé par ceux qui font toutes choses au
nom du Prince, alors poussé de sa propre misere, il se doit
armer de Requestes & de Supplications, & s’en aller (auec
tout le respect qu’on doit à la Majesté des personnes (battre
en ruine la seuerité des Regens, & faire si bien par la
frequente repetition de leurs humbles prieres, qu’ils les
obligent à les exaucer, & à traicter auec eux, auec quelque
espece de misericorde. La prudence est vne vertu de l’entendement,
dont tous les raisonnables se doiuent seruir en
la recherche des expediens les plus propres & les plus legitimes,
pour arriuer à la fin qu’on s’est proposée : Mais nos
nouueaux Escriuains, Politiques & illuminez, n’en font
pas de mesmes, ils ne preschent qu’vn aneantissement vniuersel
de toute la nature humaine.

 

Considerez vn peu boutefeux, ames de sang & de carnage,
de quelle façon Iesus-Christ traitta auec nous lors
qu’il vint au monde, & de quelle façon il nous traite encore

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tous les iours, sous les adorables especes du sainct Sacrement
de l’Eucharistie. Y a-t’il rien au monde de plus criminel
que l’homme, puisque le plus iuste peche sept fois le
iour, & qu’vn seul peché mortel suffit pour nous priuer à iamais
de la Beatitude eternelle. Et neantmoins vous voyez
sa diuine Bonté ne laisse pas d’accorder sa Misericorde & sa
Iustice auec vne telle harmonie, que nous trouuons nostre
salut où nous deuions estre asseurez de nostre perte. Vous
sçauez bien que c’est l’exemple sur lequel toute la nature
humaine doit former les actions de sa vie, si nous voulons
estre mis quelque iour au nombre de ceux qui doiuent participer
à sa gloire. Vous sçauez bien qu’il faut aimer Dieu
de tout son cœur & de toute son ame, & son prochain comme
soy mesme, sur peine d’estre priuez & de la grace & de
la gloire ? Vous sçauez bien que ce sont les deux premiers
Commandemens, & les deux plus grands qu’il nous puisse
faire : & que c’est le sacrifice le plus considerable de tous
ceux que l’homme luy sçache rendre ? Vous sçauez bien
que ceux qui ne viurons pas dãs son amour & dans sa crainte,
auec de grands tremblemens de cœur, ne participeront
iamais à sa misericorde ? Vous sçauez bien qu’il faut suiure
& imiter Iesus-Christ, tout autant qu’il est possible à
l’homme de pouuoir faire, si nous ne voulons pas choir
dans les abysmes de son eternelle disgrace ? Vous sçauez
bien qu’il nous faut endurer patiemment les persecutions
que l’on nous fait, si nous voulons estre bien heureux, &
si nous voulons viure religieusement en l’amour du Sauueur
de nos ames : & qu’il vaut mieux fuir aux maux que
l’on nous fait, que de se rebeller en aucune façon contre les
Puissances Superieures ? Si le Fils de l’Homme n’a pas pû
euiter les tribulations, ny les disgraces du monde ; comment
les pourrions nous euiter, nous qui ne sommes que
ses creatures ? Ne sçauez vous pas bien qu’il faut entrer au
Royaume des Cieux, par les douleurs & par les souffrances ?
L’Amour de Dieu en inuente continuellement pour
nous esprouuer, & pour nous reputer dignes de sa Beatitude.
Moyse faisoit mille fois plus de cas des déplaisirs &
des reuers de la fortune, que de tous les plus riches thresors

-- 14 --

de l’Egypte. Nous regnerons auec Iesus Christ, si
nous endurons les persecutions des hommes. Ceux qui
sont iustifiez par soy, se glorifient dans les malheurs, &
dans les disgraces. Vous sçauez bien aussi qu’il se faut absolument
resigner à la volonté de Dieu dans toutes ses tribulations,
qu’il se faut sousmettre aux Decrets de sa souueraine
Puissance, si nous ne voulons pas irriter son courroux,
& nous abandonner à sa Iustice ? Vous sçauez bien
encore qu’on ne sçauroit estre regeneré que par la foy, qu’il
faut croire aux paroles du Verbe infini, pour n’estre pas horriblement
chastié : & que ceux qui ne feront pas ce que
Dieu leur commande, seront sans aucune remission eternellement
maudits, & mille fois plus griefuement punis que
tous les Sodomites ensembles ?

 

Matth. 2.

Mare. 12.
Deut. 6.
Philip 2.
Matth 10.
Petr. 2. & 3.
Luc. 1.

Deut. 13.
1. Sam. 12.
Ephes 5.

2. Tim. 3.
Matth. 5.

Matth. 10.

Ioan. 15.

Act. 14.

1. Petr. 4.
2. Thes. 1,

Hebr. 11.

1. Tim 2.

Rom. 5.

Rom. 11.
Iac. 14.
Iob. 2.
Rom. 3.
Cor. 5.
Heb. 4.

Deut 11.

Matt. 10.
Hebr. 2.

FIN.

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