Anonyme [1649], REFLEXIONS CHRESTIENNES, MORALES ET POLITIQVES, DE L’HERMITE DV MONT VALERIEN, Sur toutes les Pieces volentes de ce temps. OV IVGEMENT CRITIQVE, Donné contre ce nombre infiny de Libelles diffamatoires, qui ont esté faites depuis le commencement des Troubles, iusques à present. Par des personnes Quid detur tibi, aut quid apponatur tibi, ad linguam dolosam? Psalm 119. , français, latinRéférence RIM : M0_3060. Cote locale : E_1_73.
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Prou. 26.

Nous n’auons point d’imperfection plus abominable que
celle de detracter de nostre prochain, & de tacher la renommée
de nos freres d’vne prodigieuse infamie. C’est vn
vice que Dieu ne sçauroit examiner que le foudre à la main,
& qu’en le condamnant à des punitions eternelles. Iamais
chose quelconque ne fut si contraire à la charité ny à la deuotion,
que la médisance. Tous les autres pechez se font
auec quelque estime de celuy que nous offensons : mais la
detraction se fait auec vn grand mépris de la personne offensée.
De la mesme mesure que vous mesurerez vostre
prochain, de la mesme mesure vous serez mesurez de celuy
qui mesure toutes choses à l’aune de sa Iustice. Ne condamnez
donc pas personnes, si vous ne voulez pas estre

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condamnez comme vous condamnerez les autres. Ceux
qui iugeront auant que le Seigneur vienne, pour reueler le
secret des tenebres, & pour manifester les conseils des
cœurs, seront eux mesmes iugez à l’eternité des siecles.
La Loy de Dieu defend de iuger personne, sans auoir vne
parfaite connoissance de ses deportemens, & sans auoir bien
examiné leur crime, encore veut-elle que ce soient des Magistrats
que la voix de ce souuerain Seigneur ayt appellez
a cette dignité, en qualité d’Interpretes de sa volonté, afin
de la rendre intelligible à toutes les Nations de la Terre.
Et Iesus-Christ mesme nous ordonne de sa propre bouche,
de ne iuger qui que ce puisse estre, ny de diffamer son prochain
en façon quelconque. Les iugemens temeraires sont
aussi desagreables à Dieu, que les pechez les plus criminels
des hommes. L’intention & la volonté des mortels, qui
sont les veritables formes de l’offense, n’estant point reuelées
de celuy qui les a conceuës, font des mysteres inconnus
au plus illuminé de tous les plus clairs-voyans de la
terre. Le Prophete Royal Dauid nous apprend, qu’il est
de certaines personnes qui ne iugent iamais des actions de
leur prochain qu’auec toute sorte d’iniustice. Nos nouueaux
Autheur de tant de Libelles diffamatoires en font
de mesme : mais qu’ils s’asseurent d’estre iugez comme ils
iugeront leur prochain, & leur semblable. Ce n’est pourtant
pas le chemin qu’il faut tenir, pour se rendre agreable
à Dieu, & pour s’asseurer de la mesme felicité, dont il glorifie
ses Anges, C’estoit aussi vne chose prodigieuse de voir
l’empressement qu’ils se donnoient à philosopher & à médire
auec toute sorte de liberté, & en toute sorte de manieres.
Et certes, ie croy qu’il s’est fait plus de Libelles diffamatoires
en trois mois de temps que les desordres ont duré,
qu’il ne s’en estoit fait auparauant durant le regne des deux
plus Illustres Monarques du monde. Les plus picquans
estoient les mieux receus, & les plus criminels estoient les
plus dignes de gloire. Certes ce peché de iugement temeraire
est vne maladie tellement funeste à l’ame du patient,
qu’elle ne s’empare iamais de son esprit, que pour luy donner
vn dégoust continuel de toutes les vertus les plus excellentes.

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Si vos iugemens sont iustes, Messieurs les nouueaux
Politiques, vostre eslection sera glorieuse ; s’ils sont
charitables, vous en serez recompensez : & s’ils sont temeraires,
vostre salut est fort casuel, & vostre eternité bien
dangereuse. Abimelech aima mieux iuger bien d’Isaac & de
Rebecca, que d’en conceuoir vne mauuaise impressiõ, quoy
qu’il en eut des suiets assez legitimes. Il vaut mieux iuger
de l’estat de son prochain en sa faueur, qu’en sa disgrace. Si
le Sauueur de nos ames eut vse de la mesme rigueur enuers
ses creatures dans leur premiere cheute, le monde auroit
trouué sa perte dans son peché, & sa fin dans le commẽcement
de son estre. Celuy qui veut viure selon la Loy, doit
laisser à Dieu le iugement de son prochain, aussi bien que
la punition de son crime, s’il n’est du corps de ceux qui ont
accoustumé de prononcer, ou ses Decrets ou ses Oracles.
C’est le diuertissement d’vne ame basse & inutile, que de
s’amuser à mal iuger de son semblable. Les iugemens temeraires
produisent des effets tres-pernicieux & tres-abeminables.
C’est la peste des plus glorieuses actions des mortels,
& le fleau des plus excellentes vertus des hommes.
Celuy qui pourroit oster la médisance de l’Vniuers, en
osteroit la plus grande partie des pechez, & nous feroit viure
presque comme des Anges. La mort de la vie ciuile, &
la mort de la vie spirituelle, n’est introduite icy bas parmy
nous, que par son entremise. Celuy qui detracte de la bonne
renommée de son prochain, s’attaque directement & à
Dieu & aux hommes : & outre les pechez qu’il commet en
parlant mal d’autruy, il est obligé de leur rendre l’honneur
qu’il vient de leur oster auec les mesmes circonstãces dont
il s’est seruy, lors qu’il la leur a diffamée. Nul n’entrera
dans le Royaume des Cieux, dit le Sauueur de nos ames ;
s’il ne restituë premierement ce qu’il vient de desrober à
son prochain auec tant d’iniustice. La renommée est le plus
riche tresor de la nature, & par consequent le plus considerable
moyen dont le mauuais esprit se puisse seruir, pour
nous faire choir dans ses lors, lors qu’il nous suscite à ternir
la gloire de nos semblables.
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Anonyme [1649], REFLEXIONS CHRESTIENNES, MORALES ET POLITIQVES, DE L’HERMITE DV MONT VALERIEN, Sur toutes les Pieces volentes de ce temps. OV IVGEMENT CRITIQVE, Donné contre ce nombre infiny de Libelles diffamatoires, qui ont esté faites depuis le commencement des Troubles, iusques à present. Par des personnes Quid detur tibi, aut quid apponatur tibi, ad linguam dolosam? Psalm 119. , français, latinRéférence RIM : M0_3060. Cote locale : E_1_73.