Anonyme [1649], REFVTATION DE LA RESPONSE SANS IVGEMENT, AV BANDEAV DE LA IVSTICE. , français, latinRéférence RIM : M0_3068. Cote locale : A_8_50.
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LA REFVTATION DE LA RESPONSE
sans iugement, au Bandeau de la Iustice.

DIEV deffend de mal iuger des actions
de son prochain, mais il ne deffend pas
de se plaindre, & la mesme Loy qui veut que
nous fermions les yeux pour ne pas voir les
manquemens d’autruy, permet d’ouurir la
bouche pour donner passage aux Soupirs qui
sortent du fond de nos poictrines, & qui sont
les tesmoins de nos douleurs, afin que venant
iusques à la langue elle ait la liberté de les exprimer
& de les dire. Ne pas mesdire de personne
c’est estre Chrestien, souffrir sans murmurer
pleurer & rire tout ensemble, sont des
effets d’vne vertu qui n’est pas commune, mais
estre insensible aux coups de la fortune, &
ne pas ressentir les disgraces que cause vne malice
imprudente, c’est perdre la qualité d’homme,
& meriter celle des bestes. Le sang d’Abel
estoit iuste, celuy des Innocens estoit saint, &
neantmoins ils se plaignent tous deux, & demandent
vengeance aussi de tous les mal’heurs
que souffrirent les Iuifs dans la captiuité de Babilone,
celuy de n’auoir pas la liberté de pleurer

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leur misere fut sans doute le plus grand. Les
soldats qui les gardoient, repoussoient leurs larmes
à grands coups de bastons, & ces pauures
esclaues furent à la fin contraints de leur donner
de l’argent pour auoir la permission de se
plaindre, d’où vient que saint Ambroise appelle
leurs larmes, des larmées acheptées à prix
d’argent emptitiæ lachrymæ. Mais vous qui accusez
les autres de mesdisance, & qui dites qu’on
est obligé de cacher les défauts d’autruy, peut
estre n’estes vous pas assez Theologien pour
sçauoir que cela sentend des actions particulieres,
& qui ne sont connuës qu’a nous, & non
pas de celles qui sont publiques, & dont la malice
où la lascheté à interessé l’authorité des
Princes, la puissance des Roys, le repos des
Peuples : autrement les Prophetes, les Apostres,
les peres de l’Eglise, les Predicateurs passeroient
pour les plus mesdisans du monde.
Que n’a point dit le fils de Dieu de l’hypocrisie,
de la dissimulation, de l’auarice secrette des
impietez, des Scribes, & Pharisiens ; qui sous
pretexte de Religion commettoient tous les
crimes imaginaires ? neantmoins il estoit le plus
innocent de tous les hommes, & sa bouche
sacrée n’estoit accoustume qu’au benedictions.
C’est cette mesme bouche, & les oracles qui
en sortent qui prononcent malediction contre

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ceux qui iugent la terre, & dont la Iustice
n’a plus ny bandeau, ny balances. Væ vobis qui
iudicatis terram. Vous qui prenez leurs interests
& qui blasmez seulement leur procedé ; vous
blasmez aussi leur actions sans y penser, puisque
vous deuez scauoir qu’vne conscience qui
se laisse conduire aux lumieres du Ciel, & qui
n’entreprend rien qu’à la faueur de ses mouuemens,
ne peut iamais chopper en des affaires
importantes comme ont fait ces Messieurs.
Alleguez pour leur deffence toutes les raisons
que vous pourrez, ils seront tousiours criminels
d’auoir choqué vne puissance souueraine
qui veut estre absoluë, & apres auoir manqué
aux premieres deuoirs de la Religion qui deffend
d’attaquer nos Princes bien qu’ils nous
persecutent. Ils ont encore manqué aux veritables
maximes de la Politique qui ne veut pas
que nous irritions vne Couronne, si nous nauons
moyen de la destruire, parce que cechoque
l’oblige à nous faire plus de mal quauparauant.
Les Roys sont les parfaittes images de
Dieu, s’est s’attaquer directement à luy que de
les offencer. Il commande de leur rendre ce
qui leur appartient : reddite quæ sont Cæsaris, Cæsarj.
Leur puissance est vne dependance de la sienne ;
omnis potestas à Deo est : il leur faut obeyr en
tout ce qu’ils demandent de nos obeissances,

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& de nos soumissions iusques à la perte de nos
biens, & le hazard de nos vies. Et quand Dieu
donna vn Roy à son peuple il l’aduertit en méme
temps, qu’il se rendroit maistre de tout ce
qu’il possederoit, enfin il est iuste que nous respections
les Princes, & pour quelque raison
que ce soit ne s’esleuer iamais contre-eux. Vous
vous offencez en épousant la querelle de ces
Messieurs de ce que l’on dit, que leurs maisons
sont cimentées du sang des pauures, & basties
des despoüilles d’autruy. Respondez moy apres
la bourse des Princes, & de quelques Partisans
qui est vn peu remplie, qui possede tout l’argent
de France sinon eux à qui appartiennent
les plus riches Fermes, les plus superbes Chasteaux,
les plus belles Terres, & les meilleurs
fiefs nobles de la Campagne sinon à eux. Faites
comparaison de la maison du plus puissant Seigneur
du païs auec celle d’vn President il ny a
point, & assez souuent celle du Gentilhomme
n’est qu’vne Cabane à l’esgard de celle de monsieur
le Conseiller. Dites moy où trouuerez
vous apres les Princes & les Financiers qui ont
beaucoup, & qui n’ont rien d’asseuré, quelque
Seigneur pour puissant qui soit, qui possede
cent où six vingt mille liures de rente comme
fera vn monsieur du Parlement, & qui ait en
son Hostel cinq ou six Carrosse comme luy.

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Estant donc certain qu’ils possedent de grandes
richesses il est, raisonnable qu’ils assistent
l’Estat dans ses necessitez ; veu particulierement
que les coffres du Roy sont vuides, que
la France est espuisée, les peuples appauuris les
Prouinces ruinez. Vous les dites, & ils se le disent
aussi les Peres, & les Tuteurs des Roys
doiuent-ils laisser leurs enfans, & leurs pupilles
dans l’incommodité, & dans l’indigence
sans leur offrir librement leurs tresors. Dites
moy pourquoy, du temps du Cardinal de Richelieu,
ont-ils passé tous les Edits qui estoient
à la foulle du peuple sans faire aucune resistance,
& sans s’opposer à ses desseins ; ils firent pour
lors comme ces oracles qui cesserent de parler,
& qui ne rendirent plus de responses quand le
Sauueur parut au monde ; & maintenant-ils
font comme ces demons qui commencerent
à heurler & à crier : lorsque le mesme Sauueur
les voulut cõtraindre d’abandonner les corps,
dont-ils auoiẽt la possession depuis long-temps.
Le Cardinal de Richelieu le plus puissant Genie
du monde, a t’il éclatté sur les fleurs de Lys
comme vn oracles qui charmoit les Princes,
& les peuples par la force & l’energie de ses
paroles, ces Messieurs n’ont presque ou point
parlé. Et neantmoins ils le pouuoient ? pour
lors, les maladies de la France n’estoient pas

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sans remede, le feu de la guerre n’estoit pas
bien allumé ; le Royaume n’auoit ny ennemis
à combattre, ny rebellions à vaincre. Mais à
present remuer que la France est toute enuironnée
d’ennemis, & denier son assistance au
Roy, c’est mal prendre son temps, & agir auec
peu de prudence. Monsieur auez vous iamais
leu l’Histoire qui remarque qu’vn tres-excellent
Sculpteur qui auoit graué la statuë de la
deesse Themis qui estoit proche du Capitole,
luy auoit fait des balances d’vne matiere si legere,
qu’vn iour Cesar passant par la les fit branler
auec vn souffle de vent sorty de sa bouche,
disans ces belles paroles. Les balances de la Iustice
remuent au gré du vent des Princes. Le
Cardinal de Richelieu à fait pancher leur balance
de quelque costé qu’il a voulu. Maintenant
ils veulent peser dans l’vne l’authorité des
Roys auec la leur son pouuoir auec leur iurisdiction,
sa pourpre auec leur écarlatte. Et dans
l’autre le mal’heur des peuples, la misere des
Prouinces. Apres tout, parlez Monsieur qui
les deffendez : que nous est-il reuenu de cette
guerre dont-ils ont esté la cause sinon que de
trente où quarante sols enuiron, que chaque
Bourgeois de Paris eut donné au Roy par an,
les moins riches ont despensé durant trois mois
plus de mille liures auec des incommoditez extrémes,

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des craintes épouuentables, des surprises,
& les accidens qui ont causé la mort à
plusieurs. Vous dites qu’ils ont fait la guerre à
leurs despens, tout le monde sçait le contraire ;
puisqu’ils ont fait des leuées immenses de deniers
sur les habitans de la ville, qu’ils ont pris
de l’argent par tout ou ils en ont trouué, &
que plusieurs se plaignent tous les iours d’auoir
esté despoüillez, où volez sans que l’on parle
de les rembourser aucunemẽt. Et mesme quelques
Generaux de larmée de Paris ont vescu
dans la Campagne aux despens des Païsans, &
du domaine du Roy. Pour ce qui est de ce que
vous dites que l’Autheur du bandeau à qui
vous respondez assez mal à propos, merite la
potence, il vous prie de mieux parler & d’apprendre
que c’est vn supplice qui n’est deub
qu’aux voleurs : d’ailleurs il est trop bon François
pour estre Mazariniste, ny pour iustifier
ses mauuais deportemens, Dieu le cognoist
qu’il les puise, il est aussi trop homme de bien
pour estre sergent, & trop docte pour auoir
esté Clerc. Ce sont des reproches qui retournent
à vostre confusion, & qui font voir euidemment
les absurditez de vostre ignorance,
vne autre fois soyez plus sage. Mais ie crois que
vous auriez bien de la peine à l’estre, & qu’il
faudroit trauailler long-temps pour faire en

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vous vn ouurage dont le Ciel ne vous à point
rendu capable, & que toutes les industries de
la nature ne peuuẽt perfectionner. Dites moy,
vous qui parlez de l’Histoire dans vostre response,
& qui meslez les Senateurs de Rome
auec les Empereurs qui la gouuernoiẽt, qu’elles
sont les raisons qui ont obligé les peintres
aussi bien que les graueurs à representer la Iustice
auec vn bandeau qui luy couure les yeux,
& des balances qu’elle tient dedans ses mains ;
sinon pour nous donner à cognoistre qu’ayant
les yeux bandez elle ne doit pas se laisser corrompre ;
mais si elle leue le bandeau pour voir
ceux qui la prient de commettre vne iniustice,
& si manquant aux desseins que les hommes
ont eu en la representant de la sorte ; elle vient
à se rendre coupable ; ne nous sera-il pas permis
de le dire ; n’aurons nous pas la mesme liberte
de publier ses defauts, comme de respecter
ses grandeurs : de mesme qu’il nous est permis
de blasmer les obscures eclipses du Soleil,
& d’admirer la clarté de ses rayons. Mais d’ailleurs
si la Iustice tient des balances en ses mains,
ce n’est pas seulement pour examiner les action
d’autruy, mais aussi pour peser les siennes
propres, & quand par vn desreglement de
volonté, par vn mouuement d’interest ou de
passion elle condamne les vnes pour approuuer
les autres, ne pouuons nous pas l’accuser

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de crime & de lascheté tout ensemble. Ce
n’est pas que l’on ne scache fort bien que parmy
vne si august compagnie il y à de tres grands
personnages, tres doctes tres zelez à la Religion,
& tres fidels au seruice de leur Prince.
Mais aussi l’on scait qu’il y en a beaucoup d’autres
qui ne possedent pas ces qualitez, & qui
ne sont qu’en apparence, ce qu’ils doiuent estre
en verité. Ie louë les vns & ie blasme les autres :
& les tenans tous pour gens de bien plustost
par maxime de conscience que par cognoissance
de cause, ie scay en moy mesme le discernement
que i’en puis auoir. Enfin chacun se plain
selon le mal qu’il souffre, & s’attaque à ceux
qu’il scait en estre les Autheurs, le Parlement
deuoit tout perdre, ou ne rien hazarder, & de
mesme qu’vne dent a demy arrachée fait beaucoup
plus de douleur que si elle estoit tout à
fait attachée à sa racine, qu’vne iambe à moitié
coupée peut plustost causer la mort que si
elle estoit entierement separée de la cuisse. Ainsi
nous deuons craindre plus de mal’heurs apres
ces mouuemens agitez, & appaisez en mesme
temps que s’ils estoient encore à commencer,
où qu’ils fussent paruenus au derniere periode
de leurs desordres. C’est pourquoy bien qu’en
plusieurs choses ie loüe le Parlement, ie le
blasme en cecy d’auoir remué contre leur Prince,
laudo illos, in hoc non laudo.

 

FIN.

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