Anonyme [1652], REFVTATION DES LOVANGES DONNEES A MAZARIN, Dans l’écrit qui porte pour titre, LE CONSENTEMENT DONNÉ PAR LE ROY A l’esloignement du Cardinal Mazarin. , français, latinRéférence RIM : M0_3070. Cote locale : B_11_19.
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REFVTATION DES LOVANGES
données à Mazarin.

SI le Mazarin n’estoit declaré criminel par la
voix du Ciel & de la terre : si celle de tous les
bons François ne s’accordoit à le publier : si
mesmes les sujets insensibles ne taschoient de former
quelque expression palpable pour en porter
l’idée à nos sens : Si les ombres des morts
& les tombeaux qu’on voit si frequents dans toutes
nos Villes, ne s’efforçoient d’en rendre vn
témoignage muet aux viuans. Ie n’aurois pas mis
la plume à la main, pour respondre à l’iniure
qu’on fait à la Iustice de nostre ressentiment, par
les loüanges indiscrettes qu’en cet escrit venu de
Pontoise, on donne à nostre ennemy mortel,
pour le iustifier dans Paris. Certes, quiconque à
des yeux, n’a point besoin d’oreilles pour estre informé
de son crime ou de sa foiblesse : il ne faut que
voir la France au miserable estat où ce Tyran l’a
reduite, pour connoistre qu’il fut tousiours incapable
de la regir, & qu’il n’a iamais merité par ses
vertus l’éclat du haut rang, où l’aueuglement de
la fortune la conduit par les mesmes degrez, qui
sous l’apparence d’vn parfait bon-heur, monterent
autresfois nostre mal-heur presque au dernier
point, sous le regne d’vn autre Ministre. Ces Plaines
desertes, ces Villes détruites, ces Bourgs rauagez,

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ces maisons des champs pleines d’ossements,
de cẽdres & de ruines, ces forteresses a demy rasées,
cette mortalité qui regne en tous lieux dans nos
Prouinces, ces peuples Fugitifs & Mendians, ces
Hospitaux remplis des malheureuses carcasses des
Estropiez, des Blessez, & des Mourans de l’vn & de
l’autre sexe, cette cessation du Commerce, [illisible]tte
suspension des Lois, cette prophanation des Autels,
cet abandonnement du Louure, ces contestations
& ces interdictions mutuelles du Parlement
qui se combat soy-mesme, ce desordre de la
Cour d’vn Roy tres-Chrestien, renduë vagabonde
comme celle du Grand Camp de Tartarie, cette
opposition des Princes d’vn mesme sang, & de ces
escadrons qui parlent vne mesme langue, & reconnoissent
vn mesme Prince, ces indignes propositions
d’vn honteux traitté de Paix faites à l’Espagnol
de la part du Roy parle Conseil du Mazarin,
pour coniurer la tempeste qui menaissoit ce malheureux
& insolent Ministre : Toutes ces pertes,
dis-ie, & tous ces fleaux, ou plustost tous ces objets,
sont comme vn vaste champ, ou comme vn grand
theatre, ou l’on voit l’estallage de tous ses crimes, &
de tous ses defauts, qui le rendent ainsi beaucoup
plus digne d’estre esclaue que de commander.
Quoy donc, s’il n’estoit tout à fait imprudent, &
tout à fait ignorant dans la Politique, estoit-il assez
malheureux pour s’estre procuré la haine vniuerselle
des François par de bonnes actions? Est-il
possible, qu’vn aueuglement si fatal pût saisir à

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la fois les esprits de tant de millions d’hommes à
son preiudice, & de ceux-là mesmes qui l’estimerent
autrefois sur la caution du feu Cardinal où du
feu Roy, & qui le souffrirent doucement, lors que
comme Neron en sa premiere ieunesse, il ne faisoit
encore que des ieux & des bastellages, & ne commencerent
de le haїr, qu’à lors que suiuant l’exemple
de cet Empereur en son changement, ils virent
qu’il se rendoit coneussionnaire public, homicide,
empoisonneur, boutefeu, sacrilegue, symoniaque,
& le plus cruel Tyran que iamais la France ait veu.
Sa conduitte passée, a mesmes donné beaucoup
dindices des crimes plus grands & plus cachez, dont
il a jetté le soupçon dans vne infinité d’esprits, par
le commerce d’vne chanteuse Italienne, qu’il fit venir
exprez de son paїs, & loger dans les Thuilleries,
auec vne personne de la Cour, que le respect m’empesche
icy de nommer : & l’on croit auec beaucoup
de raison que nos malheurs s’estans escoulez de
cette source, par ce funeste débordement, ont inondé
toute la France, pour y produire ces funestes objets,
qui sont à present le supplice de nos yeux,
& le tourment de nos esprits.

 

Mais diray-je aussi, que les obseruations de
plusieurs grands hommes de l’antiquité, sur les remarques
de quelques Astrologues encor plus anciens,
semble nous donner quelque pressentiment
des maux qu’il nous deuoit faire vn iour : Et ces rares
figures expliquées il y a plus de cent ans, par le
grand Metaphraste Paracelse, & dont cinq ou six

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le dépeignent naїuement, ne sont-elles pas exposées
aux yeux de tous ? Ce serpent entortillé autour
de l’Espée Royale, qui tient dans sa gueule vn faisseau
de verges, & traisne de sa queüe deux meules
de moulin, n’est-il pas la vraye effigie de ce monstre
qui nous destruit & nous accable ? N’est-ce pas
luy, qui comme il se voit en vne autre figure, iette
les fleurs de lis dans des épines, & qui comme il
paroist en la suiuante, d’vne de ses meules accrauante
la Couronne Royale posée sur des eaux ? Et
n’est-ce pas à cause de luy que la ville de Paris dans
ces figures est dépeinte pleine de picques, dont
quelques-vnes au dehors panchent vers ses ennemis,
pour marque des genereux efforts qu’elle fait à
se deffendre ? Mais laissant à part ces recherches trop
curieuses pour des esprits du commun : Ie prie seulement
les François de s’arrester à la consideration
de la Paix qu’il oblige le Roy de precipiter auec l’Espagne
en sa fauenr, & dont il veut se rendre apres
son depart l’agent & l’entremetteur. Ces propositions
desia faites de luy remettre toutes les Prouinces
& toutes les Villes que le bon-heur de nos armes
nous fit conquerir sur luy par le passé, ne meritentclles
pas, si elles sont suiuies de l’effet, qu’on le pleure
auec des larmes : de sang ? Quoy l’ouurage de tant
d’années & des soins du feu Roy & du feu Cardinal,
qui leur a cousté les biens de taut de familles,
& la vie de tant de millions d’hommes, & qui a
laissé nos Prouinces toutes pleines d’estropiez &
de mendians, sera renuersé, destruit & consommé

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en vn iour, en vne heure & en vn moment,
pour procurer vn azile à celuy qui fait que nous
n’en trouuons presque plus parmi la France ? N’estce
pas donner vn iuste sujet de douleur, non seulement
aux bons François, qui constituent vne partie
de leur bon-heur dans la gloire de l’Estat, mais
sur tout à ceux qu’on a si cruellement gesnez, pour
les obliger de contribuer leurs biens à cette guerre,
où ceux, qui suiuans l’employ des armes, se sont
sacrifiez au desir de nous acquerir cét auantage sur
nos ennemis ? Comment parleront de nous desormais
les picards ruinez durant ces troubles. Les
Catalans abandonnez, & nos Alliez d’Italie laissez
à la discretion de leurs tyrans ? Si ce sont-là des
fruits de la Politique du Cardinal, doit-il passer
pour grand homme, & merite-t’il que le Roy témoigne
de l’affliction à son de part ? Mais si la gloire
de l’Estat est particulierement le bien du Prince,
& si l’Empereur Adrian fascha les Romains pour
auoir quitté les trois Prouinces au delà du fleuue
du Tygre, que Trajan son predecesseur auoit conquises,
ne deuons-nous pas gemir en sa place, de
voir que perdant l’occasion de changer son titre de
Roy de France, en celuy de Roy des Gaules, dont
il estoit presque tout à fait maistre, il retrecit les limites
de son Empire à ses anciennes bornes, & que
cette montagne de son regne ouuert en triomphant,
ne produise qu’vne chetiue souri en ce traité.
C’est ainsi que Mazarin est prudent, qu’il est bon
Politique, & qu’il sert bien son Prince & l’Estat

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Aussi quelque affection que le Roy continue d’auoir
pour luy, nous plaindrons tousiours son malheur,
sans accuser sa facilité, & nos regrets pour
ses pertes iustifieront tousiours la haine que nous
portons à ce Tyran. Que l’Autheur de cét écrit ne
publie donc plus, que le Roy s’est fait violence dans
le dessein d’esloigner le Cardinal. L’enuoyer à
Boüillon n’est pas en purger la France, & suiure
tous ses conseils, & n’attendre que de luy ses satisfactions,
n’est pas le chasser veritablement ? Nous
ne doutons point qu’on ne doiue bien-tost le rappeler :
c’est pour cela que nous tenons sa sortie indifferente.
Mais ce point passe chez nous pour vn
article de foy, que la plus grande marque de la haine
que le Ciel nous porte, paroist en cét amour que
le Roy & la Reine continuent d’auoir pour ce
fugitif, que nous pouuons iustement nommer par
ces belles paroles de Tacite, parlant des Astrologues,

 

Malum quod semper & vetabitur & retinebitur.

FIN.

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