Anonyme [1649], REGRETS HEROIQVES DV SOLDAT AMOVREVX, RESOLV DE MOVRIR POVR SA PATRIE. , françaisRéférence RIM : M0_3089. Cote locale : C_8_46.
SubSect précédent(e)

REGRETS
HEROIQVES
DV SOLDAT
AMOVREVX.

 


AV profond d’vn valon, dés l’enfance du monde,
Est vn Temple fameux d’vne figure ronde ;
Quatre portes de fer en quatre endroits diuers,
Par l’ordre des destins partagent l’Vniuers ;
L’vne est vers le Couchant, & l’autre vers l’Aurore,
L’vne void le Sarmate, & l’autre void le Maure ;
Et là viennent en foule & sous d’esgales loix,
Les ieunes & les vieils, les peuples & les Rois :
La vieillesse, la fievre, & les douleurs mortelles,
Sont de ces huys sacrez les portieres fidelles ;
Leurs habits sont de deüil, & cét obscur manoir
A ses funestes murs entourez de drap noir,
Où des flambeaux de poix les lumieres funebres,
Par leurs noires vapeurs augmentent les tenebres ;
Dans vne Isle deserte est ce valon affreux,
Qui n’eust iamais du Ciel vn regard amoureux ;
Sous ces climas glacez où le flambeau du monde,
Espand auec regret sa lumiere feconde,
Nature pour toute herbe, y produit des poisons,
Et l’hyuer y tient lieu de toutes les saisons,
Tous les champs d’alentour, ne sont que cymetieres,
Mille sources de sang, y font mille riuieres,

-- 4 --


(Qui traisnant des corps morts, & des vieux ossemens)
Au lieu de murmurer, font des gemissemens.
Là sur de vieux cyprés dépoüillez de verdure,
Nichent tous les oyseaux de mal-heureux augure ;
Vn Monstre sans raison, aussi bien que sans yeux,
Est la Diuinité qu’on adore en ces lieux,
On l’appelle la Mort, & son seuere empire,
S’estend dessus les iours de tout ce qui respire ;
Le plus digne sujet des souspirs & des vœux,
Venoit d’estre immolé dans ce Temple fameux,
La place d’alentour estoit toute sanglante,
Et rougissoit encor du meurtre d’Amarante,
Alors que Lizidor, dont le funeste amour,
Est connu de tous ceux qui connoissent le iour,
L’ame de desespoir & de fureur attainte,
Aux pieds de ses Autels profera cette plainte.

 

 


Puissante Deïté, noire fille d’Enfer,
Qui fais trembler les Roys sous ton sceptre de fer,
De qui l’aueuglement ne respecte personne,
Et n’espargna iamais ny throsne, ny Couronne,
Toy qui regne par tout, & dont tous les humains,
Doiuent ensanglanter les Autels & les mains,
Toy qui par vne Loy de toute aage suiuie,
Dois donner le trespas à qui reçoit la vie,
Ne ferme point l’aureille escoute ce discours,
Ie ne viens point icy pour prolonger mes iours,
Mes veux sont de mourir, & cacher sous la terre,
Vne Ame à qui les Cieux ont declaré la guerre,
De despoüiller ce corps de la clarté du iour,
Et ne rien retenir, si ce n’est mon amour ;

-- 5 --


Vnique reconfort des douleurs incurables,
Port où sont à couuert les Esprits miserables,
Deesse qui conduits aux infernales eaux,
Frappe, ie tens le sein à tes sacrez cousteaux,
Ne priue pas mon cœur d’vn espoir legitime,
Et ne refuse pas le coup à ta victime,
Les autres oublians qu’on les a faits mortels,
Se font traisner pas force aux pieds de tes Autels.
Ce murmure confus, & ce confus carnage,
De corps si differends, de rang, de sexe, & d’âge,
Ce fer fumant du sang que l’on vient d’espancher,
Ces testes & ces bras espars sur ce buscher,
Ces flammes que le temps ne void point amorties,
Ces pleurs meslez aux cris des mourantes hosties ;
Tout ce tragique aprest les fait desia souffrir,
Ils se laissent oster ce qu’ils deuroient offrir,
Et faisans à regret ce que le Ciel commande,
Leur lascheté noircit leur gloire & leur offrande ;
Leur maintien deuant toy n’a rien que d’indecent,
La peur pour vn trespas leur en fait craindre vn cent,
Le fer perd dans leur sein l’honneur de son office,
Le Prestre fait vn meurtre au lieu d’vn sacrifice,
Et profane ses mains en rompant les accords,
Que la nature a mis entre l’ame & le corps ;
De moy, que ton sainct bras s’arme contre ma teste,
Qu’il fasse dessus elle esclater sa tempeste,
l’ay bien assez de cœur pour ne reculer pas,
Et voir tomber le coup qui porte le trespas ;
Mes yeux seront sans pleurs, & ma bouche sans plainte,
Mon corps sans tremblement, & mon ame sans crainte,

-- 6 --


Ne crois pas que le temps qui tarist tous les pleurs,
Cét heureux Medecin de toutes les douleurs,
Luy de qui tant d’amans ont senty le remede,
En apporte iamais au mal qui me possede :
En vain tout l’Vniuers me voudroit secourir,
Toy seule as dans tes mains ce qui le peut guerir,
Et pour te faire voir comme il est incurable,
Apprends ce que mon sort à de plus deplorable.

 

 


Entre vn nombre infiny d’adorables beautez,
Qu’enfanta dans ses murs la Reyne des Citez ;
Paris dont l’Vniuers ne void point de pareille,
Chacun sçait qu’Amaranthe estoit vne merueille,
La gloire de brusler aux flammes de ses yeux,
Contentoit les desirs des plus ambitieux,
Et ses fers captiuans les ames des plus braues,
Faisoient autant de Roix comme ils faisoient d’esclaues.
Amour de qui les feux m’ont esté si cuisans,
Me fit voir cette belle en ses plus ieunes ans,
Sa main mal asseurée & ses regards timides,
Firent sur moy l’essay de leurs traits homicides ;
Ce fut dessus mon cœur qu’elle apprist à tirer,
Mon cœur fust le premier qu’elle fit souspirer ;
Et mes yeux arrousans ses belles mains de larmes,
Payerent les premiers le tribut à ses charmes :
Mais comme le premier entre tous les mortels,
Ie luy rendis des vœux, & bastis des Autels,
Aussi de tant d’Amans espris de cette gloire,
Amaranthe me crût digne de sa victoire,
Ma conqueste luy plust, & mon cœur enflammé,
Ne l’aymast pas long-temps sans qu’il en fust aymé.

-- 7 --


Sa glace se fondit aux ardeurs de ma flâme,
Son ame compatit aux douleurs de mon ame,
Son cœur de ses souspirs honnora mes douleurs,
Ses beaux yeux pour mes pleurs me donnerent des pleurs,
Sa voix me consola dans mes plus fortes gesnes,
Et sa diuine main vint soulager mes chesnes :
I’estois l’vnique objet de ses affections,
Ma tristesse & ma ioye estoient ses passions,
Ma crainte dans son ame excitoit mille craintes,
Et mes moindres douleurs faisoient naistre ses plaintes,
Deux cœurs ne respiroient que les mesmes desirs,
Et deux cœurs ne poussoient que les mesmes souspirs.

 

 


Icy ie te permets, trop fidelle memoire,
De cacher à mes yeux le comble de ma gloire,
Ne me fais point trouuer dans ses bras languissans,
Ne mets point son beau corps au pouuoir de mes sens,
Que toutes ses faueurs passent pour des mensonges,
Et tant d’heureuses nuits me soient autant de songes,
Desrobe à mon penser ces precieux tresors,
Qui me firent aymer son esprit & son corps,
Donne à tant de beautez vne ame inexorable,
Fais là moy sans pitié, si tu m’es pitoyable,
Et pour rendre aujourd’huy mon mal moins rigoureux,
Forme la moins aymable, ou me rens moins heureux :
Mais i’ay beau me flatter pour soulager ma peine,
Elle fust tousiours belle, & iamais inhumaine,
Son ame fut d’accord auecque mes desirs,
Et i’ay souspiré peu qu’au milieu des plaisirs,
De tant de passions dont nous sommes la proye,
I’ignorois presque tout, hors l’amour & la ioye :

-- 8 --


Le Ciel ne voyoit rien de plus heureux que moy,
Et ie goustois vn bien aussi pur que ma foy :
Las ! il fut aussi pur, mais non pas si durable,
Et ma felicité fut vn songe agreable,
Sa beauté fut pareille à celle d’vn esclair,
Qui dans l’obscure nuict brille au milieu de l’air,
Son iour rit à nos yeux, mais il porte la foudre,
Qui frape, qui terrasse, & qui reduit en poudre,
Et nous sert bien souuent de funeste flambeau,
Pour mener nos esprits vers la nuit du tombeau.
I’estois dans les transports des premieres delices,
Dont amour couronna mes fideles seruices,
Lors qu’vne ardente fievre assaillit la beauté,
Qui dedans ses liens tenoit ma liberté.
Il n’est rien icy bas qui ne soit perissable,
Les plus fermes rochers sont assis sur le sable,
Les throsnes, & les Roys sont rongez par les vers,
Et deux points sont l’appuy de ce grand Vniuers ;
Tout fleschit sous les lois des fieres destinées,
Tout paye le tribut au Tyran des années ;
Et nos peres ont veu son bras audacieux,
Renuerser leurs Autels, & foudroyer leurs Dieux.

 

 


Amaranthe languit d’vne fatalle atteinte,
Sa constance à son mal veut desrober la pleinte,
Et comme dans vn fort se retire en son cœur :
Mais il s’en rend le maistre, & la traite en vainqueur ;
La fievre en ce beau corps orgueilleuse & hautaine,
Sur des ruisseaux de sang, serpente, & se promeine,
Et le feu dans la main menace du tombeau
Tout ce que la nature a de riche & de beau :

-- 9 --


Elle efface les fleurs sur son visage escloses,
Y fait iaunir les lys, y fait paslir les roses,
Et rauit à son teint cét esclat nompareil,
Qui ne deuoit perir qu’auecque le Soleil ;
Ses yeux dont les rayons illuminoient mon ame,
Ne iettent plus de traits, ne iettent plus de flâme,
Ces beaux astres n’ont plus leur mouuement si prompt,
Et la seule douleur regne dessus son front,
De moment en moment sa peine deuient pire,
Son ame la ressent, sa bouche la souspire.
Elle pour qui l’on vid souspirer tant d’amans,
Souspire à cette fois sous l’effort des tourmens ;
Et par de tristes cris qu’interrompent ses plaintes,
Estonne mon amour, & reueille mes craintes,
I’accuse de mon sort, & la terre & les cieux,
Et ie rends criminels les hommes & les dieux :
Ie deuiens furieux, & contraire à moy-mesme,
Mon cœur forme des vœux, & ma bouche blaspheme,
I’implore leurs secours, & blesse leur bonté,
Et mets le sacrilege auec la pieté :
Ce qui plus me trauaille en ma triste aduenture,
Est qu’il me faut cacher le tourment que j’endure,
Ie voile mes ennuis, ie deuore mes pleurs,
I’interdis la parole à mes iustes douleurs,
Ie fais mentir mes sens, ma voix & mon visage,
Ie feins d’auoir du calme au milieu de l’orage :
l’ay l’espoir dans la bouche, & la peur dans le sein,
Et plus qu’à demy mort ie contrefais le sain,
Mais qui peut long-temps feindre aux yeux de son amãte,
Qui peut voir d’vn œil sec sa maistresse mourante,

-- 10 --


Quand ma raison m’eust dit qu’vn ouurage si beau,
Deuoit dans peu de iours enrichir vn tombeau,
Amour me fit bien prendre vn autre personnage,
Ie changeay de couleur, ie changeay de langage,
Et tous mes sentimens reuoltez contre moy,
Tesmoignerent ma crainte, & trahirent leur foy :
Cette belle malade interprete mes larmes,
Explique mes souspirs, iuge de mes alarmes,
Elle lit sur mon front son lamentable sort,
Et voit de dans mes yeux les signes de sa mort :
Ce n’est pas son tourment, mais le mien qui l’outrage,
Son mal & non le mien estonne mon courage,
Nous ressentons tous deux ce que nous n’auons pas,
Elle plaint ma douleur, & ie crains son trespas.
Pour les maux estrangers nos ames sont passibles,
Et nos propres malheurs nous treuuent insensibles :
La fievre cependant se rit de nos douleurs,
S’accroist par nos souspirs, s’enflame par nos pleurs,
Et son ardeur fait voir que toute son enuie
Est de borner le cours d’vne si belle vie.

 

 


Amaranthe voyant qu’vn sort iniurieux
Alloit bien tost fermer & sa bouche & ses yeux,
Me tendit en pleurant sa belle main tremblante,
La mit dedans la mienne, & d’vne voix mourante,
Exprima dans ces mots sa viuante amitié :
Mais helas ! ses souspirirs en dirent la moitié.

 

 


S’en est fait, à ce coup, la vigueur me delaisse,
Ie vais perdre la vie, & tu perds ta maistresse,
Ie meurs, mais ie meurs tienne, & la severe loy,
Qui peut tout sur mes iours, ne peut rien sur ma foy,

-- 11 --


Et ton beau nom qui fust, mon tourment & ma gloire,
Malgré l’ordre du sort, passera l’onde noire.
Ha ! mon cher Lyzidor, que ie puis bien nier,
Que l’espoir soit en nous ce qui meurt le dernier,
Puisque pour mon supplice il est vray qu’en mon ame
Ie n’ay plus d’esperance, & i’ay beaucoup de flame,
Ie n’espere plus rien, mais helas ! i’ayme encor :
Ie renonce à la vie, & non à Lizidor,
Ma force diminuë, & mon desir augmente,
Ma lumiere est esteinte, & mon ardeur viuante,
Ie ne la quitte pas mesme en quittant le iour,
Et perdant mon amant ie garde mon amour,

 

 


Le souspir qui poussa cette belle parole
Comme vn globe enflamé vers les astres s’enuole :
Amaranthe sans voix, sans poux, sans mouuement,
Tombe dedans les bras de son fidel amant,
Qui ne pouuant mourir auprés de cette belle,
Fit voir qu’on ne meurt pas d’vne douleur mortelle :

 

 


Deesse qui connois l’excez de mes malheurs,
N’espargne point mon sang, mais espargne mes pleurs,
Et permets que i’abrege vn discours si funeste,
Mon extresme douleur te dit assez le reste,
Tu vois par ce recit qui depeint mes amours
Si mon tourment a tort d’implorer ton secours,
Si ie puis viure encor sans me noircir de crimes,
Et si mes tristes vœux ne sont pas legitimes :
Viens mon vnique espoir, tu vais en tant de lieux,
Où ton nom est l’effroy des ieunes & des vieux,
Approche, & que ta main en meurtres si feconde,
Fasse vn coup aujourd’huy qui m’oste de ce monde,

-- 12 --


Lance vn trait dessus moy ; ie ne demande pas
Vn de ceux dont les Roys reçoiuent le trespas,
Le moindre suffira pour destacher mon ame,
Et couper de mes iours la malheureuse trame :
Mais c’est trop te prier, & c’est trop discourir,
Essayons si sans toy nous pourrons bien mourir
Dans les occasions de la guerre ciuille,
Combattant pour Paris, ma Patrie, & ma ville.

 

FIN.

Permis faire imprimer le liure intitulé, Les Regrets heroïques
du soldat amoureux, &c. Fait ce 30. Auril 1649.

Signé D’AVBRAY.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649], REGRETS HEROIQVES DV SOLDAT AMOVREVX, RESOLV DE MOVRIR POVR SA PATRIE. , françaisRéférence RIM : M0_3089. Cote locale : C_8_46.