Anonyme [1652], RELATION VERITABLE De ce qui s’est passé à la leuée du siege d’Estampes, qui fut Vendredy dernier septiesme du courant, à vne heure apres midy. Auec la deffaite des trouppes du Mareschal de Turenne, par l’armée de Messieurs les Princes, commandée par le Comte de Tauannés. , françaisRéférence RIM : M0_3212. Cote locale : B_19_40.
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RELATION
VERITABLE
De ce qui s’est passé à la leuée du siege
d’Estampes, qui fut Vendredy dernier
septiesme du courant, à vne heure
apres midy.

Auec la deffaite des trouppes du Mareschal de
Turenne, par l’armée de Messieurs les Princes,
commandée par le Comte de Tauannés.

A. PARIS,
Chez Henry Ruffin, ruë Calande, proche le Palais.

M. DC. LII.

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RELATION VERITABLE
de ce qui s’est passé à la leuée du siege d’Estampes
qui fut Vendredy dernier 7. du courant a vne
heure apres midy. Auec la deffaite des troupes
du Mareschal de Turenne, par l’armée de
Messieurs les Princes, commandée par le
Comte de Tauannes.

LA valeur qui n’est point moderée par les reflections
de la prudence, ne peut point entrer dans le nombre
des vertus heroïques : C’est vne temeraire qui se precipite
à l’aueugle, sans considerer la façon auec laquelle
il faut affronter le peril : C’est vne débordée qui ne se
conduit que par les saillies de ses boutades, & qui n’a
pour tout principe, que celuy de ne se gouuerner iamais
par les lumieres de la raison.

L’entreprise du siege d’Estampes serieusement balancée
par tous les sensés, en a bien trauaillé le raisonement :
Ceux qui n’en ont iugé, que sur l’idée dont ils estoient
preocupés en faueur du Mareschal de Turenne, se sont
efforcés d’y trouuer quelque belle couleur, pour en desguiser
la temerité, ou du moins la rendre moins desraisonable
par le pretexte specieux, de quelque intelligence
secrette qu’ils ont suposé entre luy & certains officiers de
nostre armée : Il en est beaucoup qui n’ont point opiné
sur cette conjoncture auec tant de reserue, & qui ont
franchement aduoüé que ce Mareschal n’ayant iamais

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esté d’humeur à former de petits desseins, auoit hardiment
conclu à celuy de forcer ces troupes retranchées,
pour tacher d’y terminer tous les differens de l’Estat par
vn dernier coup de partie : Mais le torrent des voix s’est
declaré pour le desespoir ; & la pluspart ont cru, que le
Mazarin ne voyant plus de iour à son restablissement, a
voulu tenter le moyen d’y faire naistre quelque resource,
mesme par vne resolution aparemment desesperée,
tant affin de nous effrayer par ie ne sçay quelle idée aduantageuse
qu’il pretendoit nous faire conceuoir de
ses forces ; que pour nous intimider en nous faisant aprehender
quelque intrigue secrete dans la plus estonnante
de toutes les entreprises.

 

Quoy qu’il en soit de ces motifs, qui pourroient peut-estre
bien auoir concouru tous trois, pour donner le
mouuement à cette hardie resolution ; Il est tres constant
qu’ils ont seruy de Theatre à toutes les vertus militaires
du Comte de Tauannes & des autres officiers qui ont secondé
sa valeur dans cette rencontre, & qu’on ne sçauroit
luy refuser les mesmes Eloges apres la leuée du siege,
que le Mareschal de Turenne eut merité, si ce braue
assiegé n’en eut fait auorter le dessein à la confusion de
ses autheurs, & à la gloire des armes de Mrs les Princes :
pour ne faire point le Paneguiste d’vne action qui n’est
que trop éclatante d’elle mesme, & qui parle assez hautement
par la reputation de celuy qui a eu le bonheur de
repousser vn des plus signales de tous les Generaux, &
de batte vne armée la plus nombreuse qui soit dans l’Estat,
mais sur tout la plus redoutable pour les vieilles
bandes qui la composent : ie me contenteray d’en donner
la relation toute simple.

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Ieudy dernier 6. du courant, entre cinq & six heures
du soir : le Mareschal de Turenne faisant vn pararalelle
desinteressé, entre la contenance des assiegés
& celle des assiegeans ; & iugeant serieusement par
la posture des vns & des autres, que la place qu’il attaquoit
estoit imprenable : parce qu’elle n’estoit réparée
que de la valeur de nos troupes, & de la prudence
de leur General ; fit assembler les principaux
officiers de son armée pour tenir le conseil de guerre,
& deliberer conioinctement auec eux, de ce qui seroit
le plus expedient dans cette conioncture.

Il ne manqua pas de leur representer la vigueur
triomfante, auec laquelle les assiegés auoient en plusieurs
sorties, fondu sur leurs troupes ; Il leur fit voir
que toutes les a proches qu’ils faisoient, ne seruoient
de rien, que pour faciliter la victoire à leurs ennemis,
par la proximité de leurs attaques ; il leur remonstra
que les grandes fatigues du siege auoient reduit leur
armée à n’en pouuoir plus ; & que de douze à treze
mil hommes qu’il auoit conduit deuant la place, il
n’en restoit quasi plus que sept à huict mille, & ceux
là mesme si harassés, que la ville ne luy paroissoit
plus que comme l’escueil ineuitable de toutes leurs
entreprises ; il leur mit deuant les yeux, les Lieutenants
Generaux, les Mareschaux de Camps, & autres
personnes de consideration, qui auoient desia signalé
la honte de ce siege par leur mort, & par la defaite
des troupes qu’ils auoient conduites ; il leur exposa
le grand danger qu’il y auoit d’attendre les troupes

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Lorraines, lesquelles ayant desia ioint, comme on
luy mandoit de la Cour, les bords de la Seine seroiẽt
bien-tost en estat de former de puissants obstacles à
leur marche, s’ils ne se hastoient promptement d’en
anticiper le passage par vne prompte retraite, Bref,
il leur fit aprehender le peril qu’il y auoit de s’opiniastrer
plus long-temps à la continuation d’vn siege,
qui ne pouuoit iamais reüssir qu’à la confusion des
attaquants, & à la ruine generalle de toute leur armée,
quand mesme il ne seroit soustenu que par la
seule valeur des assiegez, sans esperance d’aucun
secours estranger.

 

Plusieurs Officiers, qui ne se voyoient point assés
forts pour soustenir les reproches d’vn si sensible demantyr ;
ne purẽt d’abord digerer cette proposition,
de leuer le siege, qu’auec des conuulsions qu’on ne
sçauroit iamais exprimer ; & la honte d’vn si mortel
afront s’empara bien si puissament de l’esprit de certains,
qu’ils concluoient ouuertement au desespoir,
c’est à dire, à perir plustost que de reculer : si le iugement
& le nombre des plus sages n’eusse preualu
pour faire condescendre tout le Conseil à ce coup de
prudence, qu’il estoit plus honorable de se retirer
auec vn peu de honte que de perir auec desespoir.

Ce resultat de la deliberation fut suiuy d’vn ordre
secret que le Mareschal de Turenne fit donner pour
le landemain à tous les Officiers de l’armée, & qu’on
commença d’executer Vendredy 7. du courant à 8.
heures du matin. Cette necessité fut à la verité bien

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sensible à ceux qui s’estoient desia promis la redditiõ
d’Estampes dans leurs imaginations abuzées : mais il
ne falut point marchander d’aualer cet affrõt en veuë
de leur impuissance ; & l’obligatiõ d’obeyr, puis qu’ils
ne pouuoient point commander, les força de songer
promptement à la retraite.

 

Ce fut en quittant la pointe de cette fameuse demy
lune, où 600. de leurs plus braues soldats, & plusieurs
de leurs meilleurs Mareschaux de Camp, furent
enseuelis ; qu’on commença de deloger sur les
huict heures du matin. Apres quoy le Mareschal de
Turenne ayant mis son armée en bataille, & reconnu
par la contenance de ses combatans, qu’il n’estoit en
effet plus temps de reculer à ce dessein, fit defiler l’auangarde
auec tout le bagage, à vne heure apres midy,
fortifiant son arrier garde de tout ce qu’il auoit
de plus vigoureux dans les restes de ses troupes, pour
empescher qu’il ne prit enuie aux assiegez de les suien
queuë.

On ne laissa cependant pas de les salüer à bons
coups de canon ; & de leur crier hautement en les suiuant
l’espée dans les reins, qu’ils ne manquassent pas
de faire bonne prouision de sablon d’Estampes, puis
que c’estoit l’vnique gain qu’ils pouuoient auoir fait,
dans le siege, pendant les 15 iours, ou à peu pres qu’il
a duré, & qu’en tout cas, ils en pouroient auoir besoin
en quelque autre occasion, pour desroüiller vn
peu mieux leur espées, qui n’auoient peut estre pas
bien peu trancher en celle-cy, parce qu’elles n’estoient
pas bien fourbies.

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Cette nouuelle fust aportée hier au matin a leurs
Altesses, par le sieur de la Coste, lequel ayant eu bonne
part dans les fatigues du siege, a esté choisi par le
Conte de Tauanes, pour en estre le porteur ; N’attentendez
point cependant les Eloges de tous ceux qui
se sont signalez dans ce siege à l’exemple de leur General ;
vous les verrez plus au long dans le Iournal du
siege, que ie vous promets Mercredy prochain ; &
que ie rendray à l’espreuue de la calomnie, par la fidelité
d’vne entiere & ponctuelle narration.

Pour le present ie n’ay rien à vous dire, si ce n’est
qu’on a bien attaqué : mais qu’on s’est encore mieux
deffendu ; qu’Estampes n’auoit point d’autre rempart
que la seule valeur de ses soldats & de leur General ;
que ce siege a duré, quoy qu’il n’ait pas aussi bien
reüssi que celuy de Dunkerque ; que nous n’auons
pas esté plus souuent attaquez que vainqueurs ;
Et pour conclure en vn mot, ce qui nous doit faire
conceuoir vné haute idée de ce suceez, que le Mareschal
de Turenne a esté bien battu par le Conte de
Tauanes.

FIN.

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