Anonyme [1649], REMERCIMENT AV ROY, PAR MESSIERS LES ADVOCATS DV PARLEMENT DE PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_3286. Cote locale : A_8_80.
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REMERCIMENT
AV
ROY,
PAR MESSIERS LES
ADVOCATS
DV
PARLEMENT
DE
PARIS.

M. DC. XLIX.

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Remerciment au Roy, par Messieurs les Aduocats du
Parlement de Paris.

SIRE,

Vos extraordinaires faits d’armes, sont la matiere ordinaire
de ceux qui vous loüent. Tous s’attachent à vostre vaillance
recognuë, & confessée par vos ennemis sans contredit,
pour ce que c’est vne piece que la Nature vous a donnée par
preciput, sur tous les Princes de la terre. Ainsi ils mettent leurs
escrits à l’abry de l’enuie des presens, & sont bien asseurez que
la posterité libre en ses iugemens, ne le pourra picoter : La vertu
eminente & plus qu’humaine ayant cela de propre, qu’elle se
fait honorer à force ; personne n’en ose parler qu’en bien ; & ce
qui est plus admirable, la longue absence, qui faict perdre les
biens de fortune, conserue les siens. De sorte que tant plus il y a
que leur Maistre est mort, tant plus ils sont viuans & forts pour
gangner le prix sur les actions des successeurs. C’est pourquoy
ceux qui ont autrefois mis à la balance ces deux grands Poëtes,
Homere & Virgile, ont trouué que celuy-là n’emportoit l’autre
que pour son ancienneté (à cause de milans.)

Et vous SIRE, qui vous parangonneroit à Cesar ou Alexandre,
on ne pourroit remarquer en eux par dessus vous autre
chose, sinon qu’ils sont les premiers en datte. Le priuilege du
temps n’est pas honneste, & ne fait encherir la chose, quand elle
est opposée à vne autre de pareille valeur. Et à le bien prendre,
ces deux Heroës n’ont excellé, qu’en vne des parties de la vie,
à sçauoir, en la guerre : pour la paix l’vn la passoit en buuettes &

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dissolutions ; l’autre estoit si broüillé en l’Estat qu’il auoit vsurpé,
qu’il auoit assez à faire à se maintenir soy-mesme, sans s’adonner
à penser au salut d’autruy. Au lieu que vostre Majesté
tranquille en son Royaume, plus aymé que craint de son peuple,
ne se donne point de repos ; ains trauaille incessamment
pour son soulagement, faisant tous les iours de bonnes & sainctes
Loix, pour faire refleurir la Iustice. Entre lesquelles l’Arrest
donné à Fontainebleau le deuxiesme de Iuillet, portant
permission aux Aduocats d’exercer l’vne & l’autre charge
d’Aduocats & Procureurs, n’est pas des dernieres ; car quel
moyen pouuoit-on trouuer plus expedient, pour couper la teste
au procez, que nostre Poëte appelle le monstre des François,
qu’en retranchant vn nombre effrené de Cabalistes, qui
ne visent qu’à ce qu’ils voyent & sçauent, à sçauoir, vn allongement
& retardation, par l’obseruance d’vn stil qu’ils tiennent
de main en main, duquel ils reuerent les Articles comme des
Oracles de Delphes. Et pensans que ce soit la vraye Iurisprudence,
l’appliquent indifferemment à tous affaires. Ils ressemblent
à ce petit poisson nommé Echeneïs, lequel estant aggraphé
à vn nauire le retient & le garde d’aller viste. Et pour monstrer
encor plus la conuenance de l’vn à l’autre ; on dit qu’il a ceste
vertu, quand on le porte sur soy, de nourrir les querelles, &
retarder l’issuë des iugemens. Toutesfois ne sont-il pas dignes
d’excuse ? Les Biches monstrent du commencement à leurs
Fans à courir, comme si elles leurs monstroient à fuir, & les
meinent par des rochers pour les duire au paisage. Estans
grands ils fuyent, brossent, & franchissent legerement les pas
des montagnes. Ainsi les Procureurs apprennent à leurs

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Clercs les longueurs & la fuitte, à s’arrester plustost à
des cauillations comme a des rochers, que de suiure le
grand chemin de la Iustice : se faut-il donc estonner si
ayans pris vne habitude à cela par vn exercice frequent,
& plaisant à cause du proffit qui en reuient, ils
la retiennent toute leur vie ?

 

On dict qu’Hercule eut plus de mal à vaincre le
Cancre, pour ce qu’il reculoit tousiours, que les plus
grands & plus forts monstres. Et de ces deux grandes
Balaines qu’il est dict que nostre Seigneur crea au 5.
chap. du Genese, & que les Rabbins entr’autres Selomon
en ses Commentaires, sur ce chapit. dict qu’il tua
aussi tost, de pœur qu’elles n’occupassent toute la terre ;
& qu’il les salla puis apres, afin que de leurs chairs il
fist vn bãquet aux Iuifs au iour de la Resurrection. Celle
qui s’appelle Leuiathan, que Iob au 40. chapit. pour
monstrer qu’elle est inuincible à cause de sa ruse, dict
ne pouuoir estre tiree auec l’hameçon, est pour cela
mesme nommee par Isaye au chap. 27. Serpent fuyard,
& glissant.

Et puis, comment se porteroient-ils iudicieusement ;
à la fin & decision des procés ; veu qu’à la pluspart des
affaires difficiles, dont ils n’y entendent que le haut-Allemand,
pour n’auoir cognoissance de la Iurisprudence,
qui est comme le Soleil qui esclaire & faict iour
en l’obscurité des difficultez qui se presentent ? Si vn
aueugle heurte, ou faict vn faux pas, qui est celuy qui
s’en esbahit ? S’il y en a quelques-vns entr’eux, qui ayent

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la raison & iugement naturel plus fort que les autres,
cela est bon ; mais pourtant ils ne peuuent iamais faire,
ce que les Aduocats, qui ont la nature & l’Art ensemble,
feront. C’est pourquoy Democrite disoit, que
ceux qui viuoient des fruicts qui naissent d’eux-mesmes,
c’est à dire, de viandes vulgaires, non delicates &
recherchees, ne pouuoient estre capables de la contemplation
des choses hautes.

 

Il est impossible (ce que quelqu’vn pouroit dire icy)
que les Aduocats empeschent les fautes que ces gens
commettent, pour ce qu’ils n’y sont appellez, & qu’on
ne les va voir que sur le tard à l’extremité, lors qu’il faut
plaider, r’habiller ce qui est gasté, & que la bourse du
Client est à flac. Et d’ailleurs estans maistres des parties
& des causes, tenans les pieces & tiltres en ostage,
le chois des Aduocats depend d’eux par consequent.
Cela faict que la conscience n’est pas libre, estant l’esprit
distraict en deux considerations contraires ; à chercher
la verité, & charlataner le Procureur. Ainsi la volonté
principe d’agir naturellemẽt est aucunemẽt forcee,
par la iuste crainte que l’on a de n’estre pas employé,
& de manquer de gangner sa vie. On dict, qu’anciennement
les Celtes donnoient, à la charge que le
Donataire se lairroit couper la gorge. Ceux-cy donnent
de la practique, à condition qu’on se chargera de
toutes causes au peril de l’ame, trop plus precieuse que
le corps. Ie veux bien que ceste condition n’est pas expresse ;
mais elle se garde rigoureusement pourtant : car

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si vn ieune Aduocat qui n’a pas encor pris pied és affaires,
refuse, ou faict difficulté de se charger de quelque
cause qui luy apportent, les voilà estrangez, & Dieu
sçait quel leure il faudra pour les rappeller. Les Iuges
sont quasi en mesme seruitude, mais ils ne sont pas à
plaindre, puis qu’ils l’endurent.

 

Ie reuiens aux Aduocats, quand passans par dessus
ceste forte consideration de la vie, ils feroient des merueilles,
se portans vertueusement au bien & à la verité
en leurs conseils, ce seroit en vain : car les Procureurs
qui ont les leurs à part ne feront tousiours que ce que
bon leur semblera. Tellement qu’il faut dire en matiere
de procés, ce que le Prince des Medecins Hypocrate
dict és maladies. (Ce n’est assez que le Medecin face
de bonnes ordonnances, si le malade, & ceux qui le
gouuernent ne font leur deuoir de les executer.)

C’est vne cruelle chose, SIRE, qu’apres qu’vn ieune
homme a faict ses estudes, & que ses parens se sont promis
luy auoir acquis vn heritage & moyen de viure exempt
des Loix de la fortune ; apres s’estre par les lettres
formé vn courage genereux, contempteur de toutes
actions basses & deshonnestes, il faut qu’il se reforme
& change de visage, en se submettant à ses inferieurs,
& symbolisant à des humeurs toutes contraires
aux siennes : ou bien qu’il se resolue de voir faire les autres
toute sa vie. C’est pourquoy on peut dire aux Peres,
qui s’imaginent des miracles de leurs enfans, si tost
qu’ils seront de retour des Vniuersitez : ce que Stratonicus

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iouëur de Cithre, dict vn iour à Chrysogonus qui
se promettoit deuenir riche pour ce qu’il auoit deux
fils. L’vn d’eux, disoit-il, sera maistre de Musique ; l’autre
iouëur de Flutes. Encor luy dict Stratonicus, pour
venir à bout de ton dessein, tu as besoin d’vne chose. Et
de quelle ? luy dict l’autre ; du Theatre pour les escouter.
Aussi quelque calcul que vous faciez, Peres ambitieux,
du bien & de l’honneur de vos enfans, que vous
esleuez à ceste noble vacation : vous auez besoin des
Procureurs. Que si la nature leur a dõné trop de courage,
comme à moy, il faudra changer de mestier, apres
auoir mangé leur patrimoine. Comme Epicure dict en
quelque lieu d’Aristote, qu’apres auoir dissipé le sien,
il alla à la guerre ; & voyant qu’il ne proffitoit encor
rien là, se mit à vendre des me dicamens ; & puis voyant
l’Eschole de Platon ouuerte y alla, où il apprit beaucoup.

 

SIRE, sans le benefice de vostre Arrest, les lettres
estoient perduës. La place n’estoit plus tenable, il falloit
ceder à l’ignorance : car quelle apparence y a-il
d’aymer vn trauail ingrat, & s’exercer à vn Art difficile,
mal plaisant, & voir apres ceux qui n’y ont fait aucun
apprentissage, en recueillir les fruicts & la recompence ?
Sullius & Conssutianus Senateurs Romains, du
temps de Tybere, pour empescher l’establissement de
la Loy Titia, qui defendoit aux Aduocats de prendre
aucune chose pour plaider, sceurent bien remonstrer,
(Que l’Eloquence ne s’acqueroit pas à si bon marché,

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& que d’oster le prix aux estudes mesmes, qui seroient
delaissées, si cela auoit lieu, comme moins honorables)
Vacquer aux lettres pour plaisir, & n’auoir autre
but que le contentement & la renommée ; cela est bon
pour les grands Signeurs, qui sont nez riches, comme
Lucian qui faisoit de si beaux vers en ses jardins, Dieu
mercy, qu’il n’auoit que ce seul pensement ; au lieu que
la pluspart des Poëtes de son aage, comme ces pauures
Artisans, estoient contraints de haster leurs ouurages,
pour les vendre aux Theatres. Cela sied encor mieux
à ceux de vostre qualité, comme à Alexandre qui se
fascha contre son Maistre, de ce qu’il auoit mis en lumiere
quelques liures de la Physique, qu’il luy auoit
interpretez particulierement, & luy mande par la lettre
qu’il luy escrit sur ce sujet ; qu’il veut bien qu’il sçache,
qu’il n’est pas moins desireux, & jaloux d’acquerir
la reputation d’auoir esté sçauant, que vaillant. Mais
pour des hõmes priuez, de basse fortune, tels que nous
sommes, la pluspart, ce seroit vne vanité, & presomption
insupportable, si cõtẽnts d’estre mõstrez au doigt,
nous ne cherchions le profit necessaire à nostre entretient,
& celuy de nos enfans. Ie parle d’enfans, pour ce
que les choses estoient reduites à ce point, que sans vostre
Royale prouidence, on n’en vouloit plus faire estudier
vn seul. Comme aussi seroit vne pauure ambition,
d’esleuer des enfans de bon lieu auec beaucoup de
despence, pour en faire des Charlatans.

 

Encor que vostre Maiesté, ne face rien, qu’elle n’en

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sçache la raison ; elle me permettra de marquer en ce
lieu, (encor que tout ce que dessus y tend) ce qui la
doit auoir meuë principallement, auec son Conseil,
à donner ce sainct Arrest de permission, & d’executer
ce que le feu Roy Charles IX. auoit heureusement
estably en plains Estats d’Orleans, pour le soulagement
des parties ; Se sont les propres termes de l’ordonnance :
tirez de ceste consideration, que ce qui se peut faire
par le ministere d’vne seule personne, est bien plus
prompt, & de moindre despence, que s’il faut passer
par les mains de deux. Or est il, qu’en cas d’option, il
faut retenir les Aduocats, comme plus capables, &
ne faire pas comme les derniers Grecs, qui estimerent
plus les Arts mechaniques que les lettres ; Et de faict
que les Estyeiens & Orites dedierent en leur Theatre
la statuë d’Airain de Theodorus, Sculpteur d’Eschets :
Et les Thebains le simulachre du Chantre Cleon, &
laisserent là Pindar, leur honneur, sans honneur. Les
Aduocats sont en possession de tout temps, de manier
les affaires de la Iustice : ce sont ses enfans tres-chers,
qu’elle auoit exposez, à la mercy d’vne sorte de gens,
qui se sont depuis quarante ou cinquante ans au plus,
glissez au bareau. Premierement, en solliciteurs, &
puis ils ont peu à peu chargé la longue robe (propre
habit des gens de lettres) de sorte qu’on ne les recognoist
plus d’auec les Aduocats. Encor s’ils se contentoient
d’auoir pris leur habit, sans vsurper leur mestier.
Mais auiourd’huy ils tiennent les Bailliages par tout le

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plat pays, ils plaident, font des escritures, & passent
autant de sentences ent’eux, comme les luges mesmes.
Ainsi ils representent trois personnages, soubs vn
seul masque. Comme ce Musicien dans Athenee, qui
ioüoit en mesme temps, de trois modes, à sçauoir,
Doryque, Lydien, & Phrygien sur vn mesme instrument.

 

Voilà donc la Iustice, Vierge, fille du Ciel, captiue
mal traictee entre les mains des barbares, que vous
deliurez par vostre Arrest. Cest acte, SIRE, est plus
grand, que le vulgaire ne pense : & vous acquerra autant
de gloire enuers la posterité qu’aucune de vos
plus fameuses conquestes. Ie veux bien que souz vostre
regne tres-heureux, la France ioüisse du bien, d’vne
longue & profonde Paix ; mais ceste Paix n’est pas
telle que celle qui estoit jadis en Italie, souz le Roy
Latinus, duquel Virgile dict,

Cestuy tenoit son peuple en vne paix paisible.

Car en effect les procez animeusement exercez, sont
vne autre guerre pour les François, que vous appaisez
sans doute, estant bien certain, que les Aduocats faisans
l’vne & l’autre charge, la Iustice en sera plus
briefue. Aussi c’est vn grand fait, qu’il n’y a qu’en
France où les Procureurs soient en si bon point, comme
on lit dans l’Histoire naturelle, que les Tragelaphes,
ou Cerfs barbus se font & se nourrissent mieux,

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le long du fleuue Phaso, qu’en tout autre climat. Mais
quoy ? Il falloit que ce mal durast iusques à vous, pour
accroistre vos honneurs par le remede. Ie dy hardiment,
auec verité, que vous deschargez vostre peuple
d’vn gros tribut, & du pronosticq d’vn grand mal
que luy pourroit causer ce desordre. On a veu autrefois
arriuer de grandes choses par le moyen de petits
animaux, dont on ne tenoit compte. Marcus Varro,
dict que les Connils firent ruiner vne ville d’Espagne
par leurs Clapiers. Et que les Taupes en firent autant
en Thumenestie. En France, ce dict Pline, toute vne
ville fut contrainte ceder, & faire place aux grenoüilles.

 

Ie respondray vn mot à leurs plaintes. S’il est ainsi
qu’anciennement on ne les cognoissoit point, & que
les Aduocats estoient en honneur, surquoy se fondent-ils ?
Il y a plus de quinze cens ans, qu’ils estoient
bien receus en France. Et pour le faire voir à vostre
Majesté, Iuuenal par le ainsi en sa septiesme Satyre.

 


Qui escoute Basile encor que bien disant ?
Qu’il se retire en France, ou plustost en Affrique,
Nourrice d’Aduocats, s’il veut de la practique.

 

Ceste corruption estoit chez les Romains, de son
temps, qu’il ne faisoient estat & n’employoient vn
Aduocat, s’il n’estoit riche, suiuy d’vn grand nombre
d’Esclaues, & magnifiquement vestu. Ceux donc

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qui vouloient faire quelque chose, ausquels ces choses
manquoient, estoient contraincts, d’auoir recours
aux loüange. Au lieu qu’en ces quartiers du temps
de Cæsar plus de soixante ans deuant l’Eloquence &
les lettres estoient en vigueur, comme luy-mesme
met en ses Commentaires. Si depuis l’ignorance a
passé les bornes & enjambé sur l’heritage d’autruy,
c’est vne erreur qui estoit suiecte à amandement. Toutefois,
afin que les Procureurs ne se desesperent, ils ne
feront qu’vne demarche en arriere, & ne tomberont
pas de si haut qu’ils pensent. Ils deuiendront Solliciteurs,
où ils ne lairront pas de gaigner honnestement
leur vie. Car s’imaginer qu’vn Aduocat peut tout faire,
il est impossible. Il faudra qu’il aye des gens souz
luy, pour se donner le loisir de vacquer à ses liures.
Tellement qu’il ne faut auoir esgard à ce murmure qui
s’est esleué au cry de l’Arrest ; que cela sera cause d’oster
la vie à beaucoup de personnes, qui s’estoient
nourries à ceste vaccation. Car en premier lieu, on
ne les interdit pas. Ceux qui se pourteront modestement,
conserueront leur practique. Seulement ceste
permission d’aller aux Aduocats, pour s’en seruir en
double qualité, leur sera vne bride, pour les tenir en
deuoir, & les faire croire, que souz pretexte de quelques
diligences & vaccations villes qu’ils contribuent,
(pour ce qu’il seroit mal-seant à vn homme de lettres
de s’y abbaiser) ils ne sont pour cela necessaires, & ne
font partie des gens de Iustice. L’impudence qu’ils

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ont exercée iusques icy, de se mettre en ce nombre,
est donc pareille à celle de Philoxene, qui alloit sur
l’heure du repas, sans prier és maisons d’autruy, accompagné
de garçons qui portoient, l’vn du vinaigre,
l’autre de l’huile, & autres choses de peu de prix, auec
lesquelles il faisoit les sausses ; & puis s’inuitoit de luy-mesme,
souz ombre de ces menus fatras, & s’asseoit
entre les conuiez pour en manger.

 

Ils se promettent pourtant de parer au coup de
l’Arrest, par deux moyens. Le premier est, qu’au
commencement, par vne intelligence qu’ils auront
entr’eux, ils reculeront aux expeditions, & refuseront
aux Aduocats les appointemens raisonnables pour
les harceler. Le second en baillant de l’argent, se promettans,
qu’on ne les veut qu’effeuiller, ou esbrancher
comme des arbres luxurians. Comme s’il y auoit
bien de la conscience, & qu’il fallut chercher vn specieux
pretexte, & prendre vn grand tour pour aboutir
là. Quant à ce qu’ils pensent fascher les Aduocats,
c’est vne pauure inuention ; tous leurs efforts seront
vains, & leurs traicts demeureront pendans à leur
bouclier, comme iettez d’vne vieille & debile main.
Et comme Pline dict, que les Ours ont la teste aussi
tendre, que les Lyons l’ont dure, & que l’on a veu
souuent és combats des Ours qui se faisoient és Colyzees,
c’est animal tomber tout roide mort d’vn
soufflet, ou d’vn coup de poing qu’on luy donnoit. Ainsi
en ces chicaneries affectées, les Aduocats comme

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Lyons, qui ont la teste plus ferme, que les Procureurs,
sçauront bien dés la premiere rencontre les faire dechoir
de leurs intentions. Pour le regard de ce qu’ils
croyent eluder vostre benefice Royal par des offres
d’argent, ils s’abusent encor plus lourdement ; car en
premier lieu, pour l’inegalité qui est entr’eux, ils ne
pourroient iamais s’accorder à certaine somme. Et
puis ils font iniure à vostre Maiesté, & à vostre Conseil,
de se persuader, que ce ne soit pas zele du bien & du
soulagement de vostre peuple, qui vous ait porté à
donner ce sainct Arrest. Et par ainsi laisser ce reproche
à vostre heureux regne enuers la posterité, que durant
iceluy les Loix sacrees ayent esté en commerce,
reuoquees à l’appetit du plus offrant. Vous estes trop
faict à l’honneur ; trop bon œconome de vostre gloire,
qui ne peut auoir son rond & son plein, si vous ne ioignez
les actiõs de la Paix & de la Iustice, aux Triõphes
& Lauriers de la guerre. Si vous ne vous faictes aussi
amy des Muses, en auançant la fortune de ceux qui les
carressent, comme vous estes les delices de Mars ? Elles
dependent entierement de vous ; vostre bras les
soustient, & vostre aspect diuin & gracieux les faict
viure ;

 

 


Pour ce à bon droict nos vieux Predecesseurs,
Logeoient Hercule au Temple des neuf Sœurs,
Pour desseigner que leur puissance est morte,
Si quelque Heros ne leur tient la main forte.

 

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Vous descendez de cest Hercule François, ennemy
de l’ignorance, & de faict qu’en vn autre lieu & en autre
aage que celle où vous estes à present, le Poëte qui
dict celà de luy, vous nomme, Ieune Herculin. Quoy,
mon Prince, voudriez vous degenerer de luy, & de
vous mesme ? Vous auez esté vn Diamant que le fer n’a
peu rompre en temps de guerre, & en paix, vous,
vous lairriez esbrecher à l’argent ? Vous sçauez trop
bien que l’exemple des Roys est contagieux, & que
leurs mœurs, coulent en leurs subiets, comme la deffluxion
du chef sur les membres. Denys a la veuë
courte, tous ses Courtisans chopent à chaque pas.
Suiuez en cest endroit, s’il vous plaist, le conseil de
Tybere dans Tacite. (Tous les mortels (dict-il) bornent
leurs desseins, à ce qui est de leur proffit particulier,
les Princes sont d’vne autre condition ; car mesmes
en leurs plus importans affaires, ils doiuent tousjours
viser à la renommée.)

Les Escurieux ont ceste sagacité, qu’ils remplissent
leurs trous, du costé d’où doit venir le vent, & font
ouuerture de l’autre. Les Procureurs au contraire,
qui n’ont pas bon nez en cest affaire, ne sçachans d’où
vient le vent, ne sçauent aussi quel trou boucher, mais
font ouuerture du costé, par où il pourroit bien souffler.
Car quel effect plus certain peuuent auoir leurs
Offres, sinon de descouurir leurs forces, & ce qu’ils
peuuent contribuer pour les necessitez du Royaume,
des deniers qu’ils ont mal pris sur le Royaume ?

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Au demeurant, SIRE, vostre bien-faict est iuste,
& bien colloqué. Vous obligez vne sorte de gens,
qui peuuent seruir à l’aduancement & celebration de
vostre gloire : qui employeront d’oresnauant le loisir
que vostre Magnificence Royale aura donné à leurs
Estudes ; les vns à bien dire ; les autres à bien escrire
de vous. Et si Alexandre trouuoit Achilles heureux,
d’auoir rencontré vn Homere, qui luy a dressé vn monument
si superbe, en son Illiade ? Vostre Majesté
s’acquiert, sinon des Homeres, des plus beaux esprits
de la France pour l’immortaliser. C’est donc a elle
que s’adresse premierement cest humble REMERCIMENT ;
lequel bien qu’impoly & habillé à la rustique,
ne lairra pas d’auoir bonne entrée au Louure. Car
comme vn Ancien disoit des Dieux, qu’ils ne regardoient
pas tant à l’elegance des prieres qu’au cœur de
celuy qui les fait. Ainsi les Roys obseruent plus la volonté,
que l’ornement des paroles. C’est à vous, dis-je,
Restituteur de nos droicts & honneurs : l’Astre du
flux & reflux de nos affaires, premier mobile, grand
Esprit, par qui ioüent les autres esprits & ressorts de
vostre Royaume, à qui est deuë la souueraine reconnoissance
de ceste faueur. Et puis auec vostre bon
plaisir, nous en aurons de l’obligation, à Messieurs de
vostre Conseil. Car s’il est vray, ce que Pline escrit,
qu’vne espece de poisson nommé Murex, estoit grandement
reueré au Temple de Venus Guidienne, pour
auoir arresté vn nauire de Periander ; en s’y attachant,

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qui alloit en toute diligence à pleines voiles, porter
l’Edict de faire chastrer tous les enfans des Gentilshommes
de la ville. Nous les honorerons au Temple
de la Iustice pour auoir non arresté, mais acceleré par
leurs saincts aduis l’Arrest de Permission. Et ce d’autant
plus grande affection, qu’il produit vn effect és
esprits de plusieurs Gentils-hommes & enfans des
meilleures maisons de France, contraire à celuy que
produisoit cest Edict és corps, en les faisant deuenir
fœconds (au lieu qu’ils estoient, par maniere de dire,
chastrez & impuissans de porter aucuns fruicts) plus
dispos à vn trauail non ingrat, au contentement des
Peres, honneur des Lettres, & soulagement des parties.

 

FIN.

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