Anonyme [1649], REMERCIMENT DE PARIS A MONSEIGNEVR LE DVC DORLEANS, POVR LE RETOVR DV ROY ET DE LA REYNE. , françaisRéférence RIM : M0_3275. Cote locale : C_8_47.
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REMERCIMENT
DE
PARIS
A MONSEIGNEVR
LE DVC
DORLEANS,
POVR
LE RETOVR DV ROY
ET DE LA REYNE.

A PARIS,
Chez DENYS LANGLOIS, au mont S. Hilaire,
à l’Enseigne du Pelican.

En en sa Boutique au bout du Pont-neuf, vers l’Eschole.

M. DC. XLIX.

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REMERCIMENT
DE PARIS
A MONSEIGNEVR
LE DVC D’ORLEANS
POVR
LE RETOVR DV ROY
ET DE LA REYNE.

 


GRAND PRINCE, ie ne sçay comment
Vous faire vn beau Remerciment
Digne d’vne Royalle Altesse ;
Vous auez banny ma tristesse
Et finy mon si long effroy,
En ramenant icy le Roy,
En ramenant icy la Reyne,
Mon Souuerain & Souueraine.
Adorable & charmant GASTON.
Qu’en diray-ie & qu’en dira-t’on,
D’vne obligation si grande ?
Ah que n’ay-ie vne rare offrande

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Pour vous la pouuoir faire icy
Au lieu d’vn commun grand mercy ?
Ah que n’ay-ie à ma fantaisie
Des mots choisis tout d’Ambrosie,
De Nectar, ou plus doux encor,
Et des vers tout de soye & d’or ?
Ie vous ferois voir sans machine,
Pourtant à façon de la Chine,
Vne piece de cent Couleurs,
Auec toutes les belles Fleurs,
I’entens les Fleurs de l’Eloquence,
Qui sont les plus de Consequence :
Et vous peindrois mon sentiment
Auec vn ioly Compliment.
Mais où tend ce discours friuole ?
Faut-il auec quelque parole
Payer vn si rare Bien-fait,
Et l’honneur que vous m’auez fait ?
Non, non, pour cette grace extrême
Ie me dois tout à vous moy-même,
Et m’offre autant que ie le puis
Tout Grand & Gros comme ie suis ;
Ie me donne à vous sans reserue :
Monseigneur que Dieu vous conserue,
Pour m’auoir si fort obligé,
Moy qui fus tousiours affligé,
Depuis sept mois & dauantage
Que ie perdis cét aduantage
De posseder mon Roy charmant
Qu’on me prit helas en dormant.
Quoy ! sept mois sans mõ cher Monarque ?
Comment donc conduire ma barque
Parmy l’horreur de tant de flots ?
I’auois assez de Matelots,

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Mais point de Pilote suprême,
Ainsi dans ce peril extrême
I’ay failly cent fois de perir
Sans sçauoir à qui recourir :
Et cent fois vn nouuel orage
M’a mis à deux doigts du naufrage.
Quoy ! sept mois sans Chef vn grand Corps !
O quel monstre i’estois alors !
O quelle épouuantable Beste,
Qu’vn si nombreux Peuple sans Teste !
Quoy ! sept mois sans voir mon Soleil !
O mal sans doute sans pareil !
O prodigieuse aduanture !
Veit-on iamais dans la Nature
Vn Eclypse durer si fort
Par l’extrauagance du sort ?
Ouy, sans le Roy mon plus doux Astre
Mes Bourgeois n’ont eu que desastre,
Et loin de ses rayons diuins
Ils sembloient tous des Quinze-vingts,
Ils tastonnoient dans les tenebres,
Ils trouuoient tous obiects funebres ;
Ce n’estoit que confusion,
Horreur, crainte, & diuision,
Soupçon, murmure, défiance,
Chagrin, tristesse, impatience,
Perpetüel aueuglement,
Perpetüel déreglement :
Les Sages les mains dans leurs poches
Estonnez en fondeurs de Cloches,
Sans donner ordre à l’auenir
Ne sçauoient plus que deuenir.
Les Poltrons forgeoient des alarmes,
Les braues déroüilloient leurs armes ;

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Les plus froids deuenus mutins
Renouuelloient les Maillotins,
Tout chacun auec grande brigue
Trauailloit à grossir sa ligue.
Cependant on mouroit de faim,
Les pauures pleuroient pour du pain ;
Les Conuois lassoient la jeunesse,
On ne iuroit que par Gonnesse,
C’estoit alors le plus sainct Nom,
Et le lieu du plus grand Renom ;
Les Marchands quittans leur boutique
Mettoient les mousquets en pratique,
Pour aller chercher par les Champs
Quelques viures bons ou méchans,
Et dans vn temps si pitoyable,
Vn boiteux couroit comm’vn Diable,
Les Coyons estoient aguerris,
Les femmes suiuoient leurs maris,
Chacune estoit vne Amazone,
Les Riches demandoient l’aumosne ;
Vn Amoureux le plus galan
N’alloit iamais sans pain chalan,
Et les Dames les plus Coquetes
Ne vouloient point d’autres fleuretes :
Vn boisseau d’orge ou bien de son
Valloit bien mieux qu’vne Chanson :
Vn discours fait tout de farine
Sçauoit charmer la plus chagrine,
Et les moins aimables Amans
Qui faisoient de tels Complimens
Passoient alors pour des Oracles,
Et faisoient plus que des miracles ;
C’estoit pour vous en asseurer
Vn temps de rire & de pleurer :

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Mais ceux qui n’auoient pas à frire,
Malaisément pouuoient-ils rire ;
On ne faisoit en tout quartier
Qu’vne vie & qu’vn seul mestier,
Et le plus lâche de la terre
S’estimoit vn foudre de guerre :
On marchoit sans Chef & sans rang,
On ne respiroit que le sang,
La mort, le meurtre, & le carnage,
Chacun estoit grand personnage,
Et discouroit de ses exploits ;
L’vn demandoit de beaux Emplois
Pour auoir plus de recompense
Et faire plus grande despense ;
L’autre n’estoit pas negligent
A serrer d’abord son argent,
Et par fois selon son caprice
Il l’enterroit par auarice.

 

 


Cependant on ne faisoit rien,
Tout chacun consommoit son bien,
La plus aimable marchandise
Ne trouuoit plus de chalandise,
Horsmis les armes & le pain ;
Les plus beaux Arts n’étoiẽt qu’en vain,
Les Peintres dans cette auanture
Ne peignoient plus rien qu’en peinture,
Leurs pinceaux estoient superflus :
Les Graueurs ne trauailloient plus ;
Les Muses auec leur science
Dans la faim & l’impatience
N’employoient leur plus beau Latin
Qu’à pester contre le Destin :
Themis en mauuaise posture
S’en alloit dans la sepulture.

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Les Procureurs estoient perclus,
Les Aduocats ne causoient plus :
La Medecine en grand desordre
Ne trouuoit desia plus où mordre,
Et ses Valets tous grands Saigneurs
Ne faisoient plus tant les Monsieurs,
(Car on saignoit en abondance
Sans argent & sans ordonnance.)
Ainsi dans vn temps si peruers
Tout estoit icy de trauers :
Aristote alloit à la queste,
Galien n’esoit qu’vne Beste,
Iustinian qu’vn grand Coquin,
Apollon qu’vn pauure Faquin.
Et Mars alors ce méchant Diable,
Auec vn visage effroyable
Triomphoit seul à mes dépens,
(Dont grandement ie me repens,
Et dont ie suis par parenthese
Encore bien mal à mon aise :)
Ainsi dans ces confusions,
Dans ces folles illusions,
Et dans ce desordre suprême,
Ie pouuois dire de moy même
Que i’estois en ce temps de fer,
Non vn Paris, mais vn Enfer.
Et quand la Guerre fut passée,
La Paix se trouua bien lassée
De combattre tant de malheurs
Qui faisoient durer mes douleurs.
Les Artisans & le Commerce
N’en souffroient pas moins de trauerse,
Il falloit viure du gagné
Ceux qui n’auoient pas épargné

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Auant le temps de la misere
Faisoient depuis fort triste chere,
Chacun mangeoit son petit fait ;
Et beaucoup d’enfans de Iafet
Qui n’auoient pas la panse pleine,
Apprenoient à tirer la laine
Pour auoir dequoy se saouler
Au hazard de mourir en l’air.
Voila la miserable vie
Dont ie n’auois aucune enuie,
Mais qu’on a faite malgré moy
Depuis l’éloignement du Roy.
Pendant sept mois ; O Dieu ! quel terme ?
Comment pouuoir demeurer ferme
Sans m’ébranler de tout costé
Dans vne telle aduersité ?

 

 


En fin, en fin, Prince adorable,
Par vne bonté fauorable
Vous auez finy mes malheurs,
Vous auez essuyé mes pleurs,
Vous m’auez rendu mon Pilote,
Ie ne crains plus que ma Nef flote,
Elle est à l’abry de tout vent
Bien plus seure qu’auparauant :
Ie me mocque de la tempeste,
Vous m’auez redonné ma teste
Pour rétablir les doux accords
Qui font agir vn si grand Corps,
Et conseruent chaque partie
Dans vne belle sympathie.
Vous m’auez par vostre Conseil
Rendu l’Aurore & le Soleil ;
Ouy cette rauissante Aurore,
Que de bon cœur i’aime & i’honore,

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Et cét agreable Soleil
Que ie vay voir de si bon œil
Aprés vne si longue perte,
Que mal-gré moy i’en ay soufferte ;
En fin le voicy de retour.

 

 


Ah c’est maintenant qu’il est iour !
Et qu’vne nuict funeste & sombre
Ne m’accable plus de son ombre ;
I’entens vne nuict de soucy,
Il est tout passé Dieu mercy :
Et ie sens ma premiere joye
Que ce bel Astre me renuoye.

 

 


Ah qu’il fait clair, ah qu’il fait beau !
Quel transport ! quel plaisir nouueau
Se répand dans toutes mes veines !
Adieu miseres ! adieu peines !
Adieu troubles ! adieu trauaux !
Adieu toutes sortes de maux.

 

 


Et vous, ô discordes Ciuilles,
Pestes des ames & des Villes,
Adieu Megeres pour iamais :
Ie ne crains plus rien desormais,
Me voila dedans l’asseurance
Le lieu le plus soûmis de France :
Et loin de tant de soins diuers
Le plus heureux de l’Vniuers.

 

 


Qu’on fasse mille Feux de Ioye,
Que par tout mon bon heur se voye ;
Qu’on forme vn Iour tout de Flãbeaux,
Qu’on seme l’air d’Astres nouueaux :
Que l’on inuente des fusees,
Qui de long-temps ne soient vsées,
Dont l’éclat s’épande en tous lieux,
Et monte même iusques aux Cieux,

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Pour porter par tout la nouuelle
D’vne solemnité si belle.

 

 


Qu’on dresse des Arcs Triomphaux,
Qu’on dresse cent mille Eschafaux,
Pour voir par tout & bien à l’aise
Ce Roy qui tous mes maux appaise.
Qu’on fasse bien tout tapisser
Par où mon Ange doit passer :
Ouy, c’est mon Ange Tutelaire,
Que tout soit propre pour luy plaire.

 

 


Qu’on s’égosille à qui mieux mieux
A crier d’vn ton bien ioyeux,
viue le Roy, Viue la Reyne,
Qui font en fin cesser ma peine.

 

 


Qu’on n’épargne point les Canons,
Puis qu’à ce coup nous le tenons,
Ce ieune Prince incomparable,
Ce LOVIS si fort desirable,
Et si fort aussi desiré ;
C’est auiourd’huy qu’il m’a tiré
En bonne & saine conscience
D’vne bien grande impatience.

 

 


Grand-mercy ie vous dis encor,
Braue GASTON Prince tout d’or ;
Grand-mercy mille fois & mille,
Vous dit PARIS la grande Ville,
A vous qui m’auez fait vn bien
Aprés quoy ie ne veux plus rien.
Puissiez-vous durant cent années
N’auoir que de belles iournées,
Et iamais que d’heureuses nuits
Sans déplaisirs & sans ennuis.
Puissiez-vous auoir vne vie
De toutes les douceurs suiuie,

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Et mourir enfin bien content,
(Car enfin la mort nous attend.)
Mais que vostre Race soit telle,
Qu’on la puisse voir immortelle.

 

 


Et vous trop obligeant Prelat,
De qui l’esprit tout plein d’éclat
A, d’vne façon nompareille,
Gaigné son cœur & son oreille :
Agreable Solliciteur,
Auprés du genereux Auteur
De ce Retour si Salutaire,
Pensez-vous que ie puisse taire
Et negliger à cette fois
Le Grand-mercy que ie vous dois ?
Non, non, ie veux que cette grace
De mon cœur iamais ne s’efface,
Et tousiours le doux souuenir
M’en dois rester à l’auenir :
Mais il est temps que ie m’adresse
Au suiet de mon allegresse.

 

 


Grand Monarque, diuin LOVIS,
Si mes yeux sont tous éblouïs
De voir vostre brillant visage,
C’est que i’auois perdu l’vsage
Des belles clartez du Soleil,
En vous perdant Vous son pareil :
Vous estes toute ma lumiere,
Et depuis cette nuict derniere,
Qu’il vout pleut déloger sans bruit,
Il n’a iamais esté que nuit,
Au moins pour moy ie le puis dire
Sans dissimuler & sans rire.
Helas en ce triste depart,
Mon cœur percé de part en part

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Fut tout d’vn coup comme sans vie ;
Ie n’eus depuis aucune enuie
Ny de chanter, ny de dormir ;
Et ie n’ay rien fait que gemir.
Helas que i’estois miserable
Dans vn estat si deplorable
Où ie me vis precipité !
Mais vous m’auez resuscité
Par vostre agreable presence,
(C’est pour parler sans complaisance)
Et quand ie puis vous admirer
Ie commence de respirer.

 

 


Cher Prince, helas ! souffrez de grace
Que vos genoux du moins i’embrasse,
Que ie vous tienne desormais
Sans vous pouuoir perdre iamais ;
Ne sortez plus hors de ma Terre,
Ny pour la Paix, ny pour la Guerre,
Vous estes mon Tout, mon beau Roy,
Et ie meurs si ie ne vous voy.
LOVIS la merueille des Princes
N’allez plus parmy les Prouinces,
Et sans changer d’auis ny d’air
Ne quittez point Paris sans pair.

 

 


GRANDE REYNE, Chere Princesse ;
Que ie dois reuerer sans cesse,
Ne vous éloignez plus de moy,
Ie suis à vous, ainsi qu’au Roy ;
C’est en vos Bontez que i’espere,
I’aime le Fils, i’aime la Mere,
Ie n’attens mon bon-heur que d’eux,
Et ie vous dois tout à tous deux.
Passez icy vostre Regence
Dans vne bonne Intelligence :

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Passez y doucement vos Iours
Iusques à la fin de leurs Cours,
Tousiours heureuse & satisfaite
Comme pour moy ie le souhaitte.

 

 


Si vous allez à Saint Germain,
Retournez-en le lendemain
Sans y faire longue demeure,
Pour empêcher que ie n’en meure :
Laissez-là ce Château si haut,
Ce n’est pas vn lieu comm il faut
Pour loger vne grande Reyne,
Non plus que Madrid vers Surenne.

 

 


Laissez-là ce Fontainebleau,
Quoy qu’il vante tant sa belle eau,
Car sans luy faire vne querelle
L’eau de ma Seine est bien plus belle.
Il n’est qu’vn Palais Cardinal,
Que i’estime vn Original,
Tenez-vous là toûjours, MADAME,
(Ie vous le dis de cœur & d’ame)
Iusqu’à vôtre derniere fin,
Pour y voir vn iour vn Dauphin,
Aimable & beau comme son Pere,
Ioüer en baisant sa Grand’-Mere.

 

 


Et vous, cher Prince de Condé,
De qui l’ardeur a bien aidé
Au dessein aussi doux que iuste
Du Retour de mon ieune Auguste ;
Vous de qui l’extrême pouuoir
Se fait en tout aisément voir,
Faites pour empêcher ma plainte
Qu’il soit toûjours dans mon Enceinte,
Et qu’il n’en vueille plus sortir
Sinon pour s’aller diuertir,

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Soit au Cours, ou bien à la Chasse,
Mais ne souffrez-pas qu’il s’y lasse,
Et vueillez prendre le soucy
De l’amener le soir icy,
Ou de vos conseils d’importance
Vous luy donnerez assistance
Pour l’aller seruir de vos bras
Où de long-temps il n’ira pas,
Et froter son fier Aduersaire.
Tout comme vous le sçauez faire.
Cependant dites auec moy,
VIVE LE ROY, VIVE LE ROY.

 

FIN.

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Anonyme [1649], REMERCIMENT DE PARIS A MONSEIGNEVR LE DVC DORLEANS, POVR LE RETOVR DV ROY ET DE LA REYNE. , françaisRéférence RIM : M0_3275. Cote locale : C_8_47.