Anonyme [1651], REMERCIMENT FAIT AV ROY PAR MADAME LA PRINCESSE, SVR LA DELIVRANCE DE MESSIEVRS les Princes. , françaisRéférence RIM : M0_3284. Cote locale : B_6_28.
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REMERCIMENT
FAIT
AV ROY
PAR MADAME
LA
PRINCESSE,
SVR LA
DELIVRANCE DE MESSIEVRS
les Princes.

A PARIS,

M. DC. LI.

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REMERCIMENT FAIT
au Roy au nom de toute la Frãce
par Madame la Princesse sur
la deliurance de Messieurs les
Princes.

SIRE

Anaxarchus, voulant consoler Alexandre le
Grand, du regret qu’il auoit, d’auoir tué Clitus son Fauory,
luy dit que Themis & Dice estoient tousiours
assises aux costez de Iupiter, voulant dire par cette
Mistagogie que le Prince ne deuoit iamais rien faire
qu’auec Iustice, & qu’il deuoit tousiours auoir les Loix
deuant ses yeux pour regler ses passions, & pour les
reduire continuellement dans vne merueilleuse obeissance.
Ouy certes, SIRE, si le Prince veut reussir parfaitement
bien en toutes ses entreprises, & s’il veut attirer
les benedictions de Dieu & les loüanges de ses
peuples sur sa personne, il faut qu’il se declare la guerre
à soy mesme, & qu’il employe toutes ses forces à
faire regner la raison aussi absolue dans son esprit,
que la iustice dans son ame. Et finallement il faut qu’il
l’imite sa puissance par la loy Diuine, & par la loy Naturelle
imprimée dans le cœur de tous les hommes,
puis que toute son authorité ne tire sa source que de
ces deux illustres Pedagogues de la vie humaine, &
ne se maintient que par l’inuiolable obseruance de la

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Iustice : Autrement quand il s’en escarte. Dieu luy enuoie
mille sortes d’afflictions, & le liure à la fin entre
les mains de ses aduersaires, comme il fit en la personne
de Saül & de plusieurs autres : Mais aussi il
n’est point de subiet qui ne soit obligé de croire que
tout ce que le Prince fait, est iuste, afin de se tenir tousiours
dans les termes de l’obeissance qui luy est deuë,
veu qu’il n’est pas obligé de rãdre compte de la moindre
de ses actions, qu’à celuy qui la fait ce qu’il est,
ainsi qu’il est porté par les Decrets d’vn Souuerain, à
qui il faut adiouster vne inuiolable foy, sur peine de
punition eternelle. C’est vn crime de leze maiesté
bien grand, que d’en conceuoir vne mauuaise opiniõ,
comme dit fort bien Nazarius en son Panegyrique de
Constantin : C’est vne temerité bien Criminelle, que
d’interpreter ses desseins en mauuaise part : & c’est
estre bien punissable que de trouuer à redire à son gouuernement,
veu qu’il n’est rien qui ne soit sacré. Sa personne
est sacrée : sa Maiesté est sacrée : son conseil est
sacré : ses volontez sont sacrées : ses Edicts sont sacrez :
son Domaine est sacré : ses Images sont sacrez. Et neantmoins
il arriue d’ordinaire que de petites gens se
donne plus de licence de parler des affaires publiques,
que ceux qui sont en pouuoir de les resoudre : trouuent
à redire aux actions du Roy, expliquent ses Edicts &
ses Declarations à leur volonté, & voudroient que le
Conseil ne decidat iamais rien qui ne fut passé par leur
censure. Et bien souuent il se trouue que ces gens là
ne sont pas seulement capables de regler leur maison,
ny de reformer leur conduitte.

 

Ce qui n’arriua que trop licentieusement lors que
vostre Maiesté fit arrester Messieurs les Princes : car
il faut aduoüer que toute l’Europe ne fut pas moins
estonnée de cet arrest inopiné, que si tons ses peuples
eussent esté frappez d’vn coup de tonnerre. Quelques

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vns disoient qu’ils s’estoient grandement oubliez, &
que Monsieur le Prince ne cherchoit que les moyens
d’afoiblir l’authorité Royale, par le nombre infiny
des biens faits qu’il tachoit d’auoir de vostre Maiesté !
Quelques autres disoient que c’estoit parce qu’il parloit
trop hautement, & qu’il menaçoit de mal-traiter
quantité de personnes tres releuées. D’autres disoient
que c’estoit vn coup du Ciel. Et ceux qui penetroient
plus auant dans la verité des choses, disoient que c’estoit
parce qu’il s’estoit rendu redoutable au Cardinal
Mazarin, & qu’il l’empeschoit de gouuerner les
affaires à sa mode. En vn mot, chacun en parloit selon
sa passion, & selon la portée de sa suffisance, sans cõsiderer
que vostre Maiesté n’est pas moins Souueraine
dans ses Estats, que l’intelligence dont parle Auincene,
dans le lieu où elle reside : puis qu’elle ne doit iamais
rendre compte de ses actiõs qu’à la premiere qui
la establie : & sans sçauoit aussi que ce qui a esté vne
fois proposé & resolu au Conseil de vostre Maiesté,
ne peut ni ne sçauroit estre blasmé de qui que ce soit,
sans prononcer vn Arrest de mort contre soy mesme.
Vos decrets, SIRE, sont des resolutions celestes &
mysterieuses : vos deliberations sont des Euripes fluans
& refluans, sans que personne du monde en puisse
connoistre la cause : vostre Monarchie est vne machine
dans laquelle se ioüent imperceptiblement tous
les ressors de la sagesse humaine sans que le peuple y
puisse rien comprendre. Quand Numa fit bastir sous
terre vn Temple fort tenebreux, dedié au Conseil de
Romulus, il vouloit enseigner par là, que cõme les Rois
ne peuuent pas atteindre au Conseil des Dieux, que les
Subiets ne peuuent pas pareillement aussi penetrer dãs
les secrets de leur Prince, mais comme il est quelquefois
necessaire que les parties les plus nobles d’vn
corps, quoy que fort saines, souffrent les violens efforts
de la Medecine qu’il a prise pour se remettre en

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sa premiere santé, il est pareillement aussi quelquefois
necessaires que les plus grands d’vn Estat souffrent
quelque chose pour le restablir, ou pour le rendre plus
florissant qu’il ne souloit estre,

 

Mais ce qui a le plus estõné tous vos subiets, SIRE,
ça esté de l’auoir veu transferer de Chasteau de Vincennes
au Haure de Grace, par le Cardinal Mazarin :
Car de l’auoir veu quelque temps dans le mesme Bois
de Vincennes par ordre de vostre Maiesté, cela estoit
hors detonnement, quoy qu on sçeut bien que cette
capture s’estoit fait contre vostre volonté pour plaire
à celuy qui abusant de vostre nom, tranchoit du Souuerain
pour s’assuiettir tous les plus grands de vostre
Estat, & pour tyranniser vniuersellement tous vos
peuples. Mais apres auoir ieté les yeux de vostre bonté
sur son innocence, pour euiter les desordres que sa
detention causoit à tout cet Estat, & pour luy rendre
vne parfaite iustice, il à pleu à vostre Maiesté de le deliurer
des prisons où ses ennemis le tenoient captif, &
de luy donner sa premiere liberté si apprehendee de
l’estranger, & si desirée de tous vos peuples.

Receuez donc, SIRE, ce tres-humble remerciment
que ie vous offre de tout mon cœur, au nom de
toute la France, d’auoir remis en vn temps si opportun,
vne partie de vostre sang en liberté, qui genereusement
touché de reconnoistre vn bien fait de cette
importance, ne cherchera iamais que les occasions de
l’espancher pour vous : afin de vous rendre le plus glorieux
Monarque de la terre. Vous vous pouuez bien
asseurer que par cette deliurance vous auez coupé la
racine à toutes les ligues & à toutes les factions qui se
pouuoient tramer dans le Royaume, sous pretexte
d’vne plus longue detention de leur personne. Car
quand on nous donnoit des esperances d’vne paix de
longue durée, ceux qui sentendoiẽt quelque peu aux

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affaires, & qui auoiẽt la faculté de lire dans les choses
à venir, estimoient qu’elle estoit impossible sans la deliurance
de Messieurs les Princes. Quand on disoit
que vostre Maiesté nous auoit esté donnée de Dieu en
nos plus grandes necessitez, & lors qu’on y songeoit
le moins, pour mettre l’Estat en sa plus grande splendeur,
pour vaincre tous ces ennemis, & pour faire adorer
Iesus-Christ par toute la terre habitable, on disoit
que tout cela estoit fort visible : mais que pour y
reussir heureusement, il faloit que Monsieur le Prince
fut de la partie, afin de surmonter auec plus de facilité
tout ce qui se voudroit opposer à de si glorieuses &
si faintes entreprises. Ouy, SIRE, vous pouuez attendre
de luy, ce que les Grecs attendoient auec tant de
passion des dessendans d’Hercule, qui sont des Miraculeux
exploits, meslez de Cõseil & de Sagesse. Ouy,
SIRE, Vostre Maiesté se peut asseurer d’auoir desormais
auprés d’elle vn Prince tres zellé pour la Religion
Catholique, Apostolique & Romaine : & tres
affectionné, & saintement passionné pour vostre seruice.
Bruslant de desir de maintenir sous l’authorité de
vostre nom, la grandeur de vostre Maiesté, le bien public,
la gloire de l’Estat, & de preuenir tous les desseins
des ennemis de cette Couronne. Ouy, SIRE, Vostre
Maiesté se peut bien asseurer d’entendre desormais
opiner en vostre Conseil, vn Prince stilé aux grandes
affaires, prompt à les conceuoir, vif à les comprendre,
meur à les digerer, & courageux à les executer,
selon le commandement qu’il vous aura pleu de luy
en faire, ainsi que l’ont fort bien remarque ceux qui se
sont seruis de vostre nom & de vostre authorité pour
sa detention, en la Lettre qu’ils ont enuoyée au Parlement
de Paris, le vingtiesme Ianuier, de l’année mil
six cens cinquante.

 

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A la verité disent ils, quand il a falu deliberer sur
l’arrest d’vn Prince du Sang grandement estimable
pour beaucoup de hautes qualitez qu’il possede ;
d’vn Prince qui a remporté plusieures Victoires sur
les ennemis de cét Estat, où il a signalé son courage,
& qui s’est acquis vne haute reputation par les
exploits de guerre qu’on luy a confiez, estant en
estat de rendre de grands seruices à cette Couronne,
par ses conseils & par ses actions, en des temps
difficiles comme sont ordinairement ceux d’vne
Minorité si longue que celle de nostre Monaque.
Ne voilà-t’il pas SIRE, de beaux Eloges en faueur
du Prince, pour la liberté duquel ie vous rends ces
actions de graces. Certes vostre Majesté ne les doit
pas auoir pour suspectes, puis qu’ils partent de la
bouche de se propres ennemis, & de ceux qui n’ont
iamais trauaillé qu’à sa perte. Vous voyez bien par
là, SIRE, si ie dis vray, & comme la verité est d’vne
nature à ne pouuoir iamais estre cachée, non plus
que la presence de celuy qui se fait voir à toutes les
choses crées.

Enfin, SIRE, c’est vn Prince de l’aduis duquel
vostre Majesté se peut vtilement seruir, pour pratiquer
encore auec plus d’adresse la science de bien
Regner, que Socrate & Xenophon appellent la
science des Rois & des Princes. Polybe disoit que
la musique estoit necessaire aux Arcadiens pour les
diuertir, à cause que le pays est montagneux & desagreable :
mais cela se peut bien dire à meilleur titre
de la Politique, veu qu’elle n’est pas moins necessaire
aux Rois, qu’elle est agreable au reste des
hommes.

Veritablement elle leur est si necessaire, SIRE,
qu’ils ne sçauroient iamais regner que par emprunt
sans son entremise. Et quand Socrate dit, que Dieu

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fait beaucoup de graces aux hommes, de leur faire
apprehender les bonnes maximes sur la fin de leurs
iours, il a dit vne sentence tres veritable au regard
de ceux qui veulent mourir dans leur peché : mais
non pas au regard de ceux qui veulent preuenir de
bonne heure aux inconueniens de leurs Estats,
pour en euiter le precipice.

 

Ce Prince, SIRE, a toutes les qualitez d’vn homme
propre à bien conseiller & à bien conduire vne
affaire, quoy qu’il ne soit pas des plus âgez du monde.
Et quand vostre Maiesté l’entendra opiner aux
choses d’importance, elle benira l’heure de l’auoir
mis en liberté, & de l’auoir appellé aupres de vostre
personne. Les occasions où il s’est trouué, & les
reuolutions d’affaires qui se sont passees depuis qu’il
a l’honneur de porter les armes pour vostre seruice,
l’ont rendu capable de tout oser, & de tout entreprendre
pour le bien de cette Monarchie. Outre
que treize ou quatorze mois de loisir qu’il a eu à
bien approfondir les Maximes d’Estat dans sa detention,
ne luy ont pas mal appris son deuoir, aussi
bien enuers Dieu que vers les hommes. C’est pourquoy
vostre Majesté ne luy entendra plus proferer
que des paroles de pieté, ny que des sentences de
Politique.

Les Princes du Sang, SIRE, sont à vostre Majesté,
ce que l’ombre est au corps, ce que l’image est
à la chose representée, ce que le rayon du Soleil
est à ce bel Astre du iour, ce que le poinct est à la
ligne, & ce que le cercle est à la Sphere : car comme
ombre ils les doiuent suiure, comme images ils les
doiuent representer, comme rayons du Soleil ils en
doiuent émaner pour éclairer au reste des hommes,
comme poincts ils en doiuent resulter, & comme
cercles ils suiuent ou bien ils doiuent suiure ses reuolutions

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de quelque nature quelles puissent estre :
Bref ils sont à l’Estat, au dire de Tacite, ce que
Drusus & Neron estoient en la maison des Cesars,
où ils seruoient de bases & de colomnes. Oüy veritablement,
SIRE, ils sont tellement necessaires à
la France quelle reçoit vn notable dommage de
leurs aduersité, & vn insigne bon-heur de leur prosperité
& de leur deliurance.

 

Ie ne veux pas dire, SIRE, que vostre authorité
depende aucunement d’eux, à Dieu ne plaise :
mais ie veux dire que vostre Majesté a bien plus d’eclat
lors quelle est enuironnée de ces illustres Conquerans
que lors quelle ne l’est pas, ainsi qu’vn
beau diamant lors qu’il se trouue enuironné de plusieurs
autres brillans, ou bien ainsi qu’vn grand lys,
lors qu’il se trouue entouré de plusieurs autres fleurons
au milieu d’vn superbe partere.

De mesme, SIRE, quoy que vostre Maiesté soit
sans doute en estat de faire ce que bon luy semble
sans leur assistance : Quelle puisse proposer, conferer,
resoudre, commander, & faire executer toutes
choses : Que vostre Authorité soit pleniere, absoluë,
souueraine, independante, entée à vostre
Couronne, ayant auec elle la souueraineté du Roy
des Roys qui vous a estably, & portant au frontispice
de sa grandeur, cette haute & sourcilleuse Fpithete
que l’on graua autre-fois au pied d’estail de la
Statuë de Iupiter Olympien, Puissant d’eux mesmes,
elle ne laissera pas de regner auec plus de douceur,
auec plus de plaisir, & auec plus de satisfaction, lors
quelle bannira d’aupres d’elle l’olygarchie, tousiours
accompagnée d’ambitions, de monopoles,
d’enuies, de seditions, & d’vn nombre infiny de
partialitez, quoy quelle soit vne espece de gouuernement
fort raisonnable en apparence : & lors

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qu’elle appellera les Princes de son sang, & les principaux
officiers de sa Couronne en ses conseils ; afin
de resoudre ce qu’il y aura de plus important à decider
pour le bien de cette Couronne.

 

Ce sera à lors, SIRE, que vostre Majesté imitera
en cette action ces premiers Roys de Perse tant
vantez par Aristote, lesquels decidoient les plus
grandes affaires de leur Royaume en la ville d’Ecbatane,
assis sur vn Trosne d’yuoire, au milieu des principaux
officiers de leur Couronne, pendant que les
Gouuerneurs de leurs Prouinces executoient leurs
Declarations, & leurs Ordonnances. Et quand vostre
Majesté les imitera en ces actions, SIRE, elle
ne fera qu’appuyer de plus en plus, le glorieux Trosne
de sa pieté, & le magnifique Tribunal de sa Iustice,
qui sont les deux Lions qui soustenoient celuy
de Salomon, & qui doiuent estre les deux illustres
fondemens qui doiuent appuyer le vostre. Par
la pieté vostre Majesté reprimera la promptitude
de ses subjets, qui ne sont de leur nature que trop
remuans, & les rangera doucement dans vne parfaite
obeïssance, & par la Iustice elle leur fera voir que
vous estes la veritable Image de Dieu, lequel sans
consideration de personne punit les meschans & recompense
les debonnaires. La Iustice, dit Plutarque,
est la fin de la Loy ; la Loy est l’ouurage du
Prince, & le Prince est l’Image de Dieu qui regit
toutes choses, n’ayant besoin ny d’Appelles pour
le peindre, ny de Phydias pour le tailler, ny de Polyclete
pour le grauer, ny de Myron pour le tirer en
moule C’est luy mesme qui se doit former par la
iustice au moule de son Createur, qui est le plus noble,
le plus beau, & le plus excellent modelle, de
tous les exemples qu’il se puisse dresser luy mesme.
Vous estes Roy d’vn Empire si puissant, que si vos

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subiets viuent vne fois en bonne intelligence sous
l’authorité de vos loix, vous serez tousiours ce que
vous estes desia, qui est la terreur des Estrangers &
les delices de tous ceux qui viuent sous vostre Empire.
Les murailles de Bysance estoient inexpugnables
à cause qu’elles estoient parfaitement bien cimentées.
Mais si auec l’vnion de vos subiets vous
auez vne fois dix ou douze milions de reserue dans
vos coffres, comme auoit Henry le Grand ; quand
toutes les nations du monde seroient armées pour
vous destruire : quand les Scythes, les Tartares, les
Moscouites, les Ottomans, les Indiens, & tout le
reste des peuples de la terre seroient desia dans vos
Estats pour les enuahir, vingt mille François bien
vnis & bien zelez pour vostre seruice, & commandez
par vn Prince que vostre Majesté vient de mettre
en liberté, extermineroient toutes ces legions
estrangeres, & les reduiroient toutes en poudre,
tant cette nation est adroite à surmonter tout ce
qui s’oppose à la fureur de vos armes. Les Romains
ne renforçoient iamais leurs bataillons, quand ils
vouloient facilement surmonter leurs Ennemis, que
de ces insignes guerriers, & deux mille François taillerent
bien en pieces trante mille Maures. Oüy,
SIRE, ce n’est veritablement qu’en l’vnion de vos
subiets que consistent toutes les forces de cét Empire.
Et certes il n’y a ny legions, ny forteresses, ny
propugnacles qui vous puissent rendre plus redoutable
à tout l’Vniuers, que ce lien indissoluble. En
cela vostre Maiesté se trouuera exempte de toutes
les apprehensions qui vous pourroient arriuer,
quelques iniurieuses quelles puissent estre.

 

Le François n’est vaincu que par le François mesme,
dit vn de nos Poëtes. Toute la terre habitable
redoute ces peuples comme la foudre. Que n’ont-ils

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pas fait lors que Sainct Louys les conduisoit en
la Conqueste de la Terre Sainte ? Que n’ont-ils pas
fait lors que les Romains les voulurent assujettir,
& que n’ont ils pas fait durant qu’ils se rendirent
maistres de la ville de Rome. Mais, SIRE, sans
aller chercher des exemples dans des temps si esloignez
de nous, que n’ont-ils pas fait sous le Regne de
Louys le Iuste vostre tres-honnoré Pere, dans toutes
les guerres estrangeres & domestiques que nous
auons euës. Et certes, SIRE, que n’ont-ils pas fait
sous le vostre, conduits par Monsieur le Prince. Les
insignes progrez qu’il a faits dans la Flandre pour
la gloire de vostre nom, & pour l’accroissement de
cette Monarchie ne sçauroient passer que pour des
miracles dans l’esprit des plus clairs voyans, tant ils
sont d’vne nature inconceuable. Vostre Maiesté
qui n’auoit autre intention de faire la guerre que
pour auoir la paix, voyant que ce Prince auoit toutes
les qualitez d’vn illustre Conquerant, & que sa
condition de premier prince du Sang luy donnoit
vn grand credit sur tous les principaux de l’armée,
l’obligea de s’en aller en Flandre où il gagna des
Batailles, & fit des Conquestes que la posterité ne
pourra iamais croire, tant ces actions semblent
estre au dessus de la portée des hommes. Quiconque
n’a pas vn grain de foy pour les miracles, n’en
aura iamais pour des actions de cette nature, s’il ne
la veut liberalement donner à la complaisance, ou
bien à la gloire d’vn corps dont il se peut dire estre
vne partie.

 

I’ay veu, i’ay vaincu, disoit Alexandre : mais ce
Prince en pouuoit bien dire de mesme, puis qu’il a
forcé vingt-quatre ou vingt-cinq places, & gagné
quatre ou cinq sanglantes Batailles, contre toute
forte d’apparences humaines. A t’il iamais rien fait

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qu’entasser lauriers sur lauriers, tant il sçauoit l’art
de surmonter le Ennemis de cette Couronne. A t’il
iamais assiegé sans prendre. La terreur de ses armes
obligeoit les habitans des places à luy porter les
clefs, & à receuoir les conditions telles qu’il luy plaisoit
de les leur faire : car la generosité de ceux qui
les deffendoient ou qui les vouloient deffendre,
n’estoit qu’vne vaine protection contre vne puissance
à tout assubjetir comme la sienne. Ils furent contrains
de s’humilier aux decrets de leur sort, & de
chercher leurs suretez dans leur mauuaise destinée.
De sorte que le capituler & se rendre, leur furent
des moyens beaucoup plus auantageux que tout ce
qu’ils auroient sçeu pratiquer pour leur deffences.
L’Espagne ne se plaint-elle pas encore du sang que
ses coups luy ont fait épancher, & des places que sa
Valeur luy a prises[illisible] Et la Flandre ne fremit elle pas
au seul bruit de l’eslargissement de ce Vainqueur
inimitable. Et tout cela, SIRE, ne sont-ce pas des
effets qui obligent vostre Majesté à le considerer
comme vn Heros qui peut remettre l’Estat en sa
plus haute splendeur, ou du moins à forcer toute
l’Europe à faire vne Paix generale, telle qu’il plaira
à vostre Maiesté de la faire. Il n’est point de Roy si
puissant, si genereux, ny si entendu aux affaires, qui
n’ait besoin de l’assistance d’vn grand homme d’Estat,
& d’vn grand Conquerant pour mieux reüssir
en toutes ses entreprises. Ce qui se trouue parfaitement
bien en la personne de ce Prince, & ie ne sçache
point d’homme si doüé d’excellentes qualitez
qui ne face vanité de le suiure en toutes ses entreprises.
Il a vne parfaite connoissance des hommes, des
affaires, des pays, & si il est sçauant à toutes sortes
d’occurrences. Il n’a rien qui ressente la flaterie, ny
la lascheté & moins encore la seruitude. Il ne permet

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pas que son interest marche deuant le vostre, ny
deuant celuy du public ; qui est l’escueil où les esprits
ambitieux & mercenaires se plongent ordinairement
pour auancer leurs affaires. Enfin il a l’ordre en ses
discours, la sincerité en ses oppinions, la constance &
le secret aux commandemens, la diligence & la facilité
aux resolutions, & la fidelité dans toute sorte
de seruice. Et certes, SIRE, celuy qui est admiré
de tous comme luy, ne sçauroit estre comparé à personne.
Il faut estre monté bien haut pour atteindre à
des qualitez si releués que les siẽnes. Il parle aux hommes
comme s’il parloit à Dieu, il nomme les choses
par leur nom, il fauorise ouuertement les bons, il reprend
doucement ceux qui ont failli il n’a point d’oreilles
pour les mauuais rapports, ny pour les mesdisances,
ny pour les flateries, & s’il faut dissimuler pour
le secret, il le fait si sobrement, que l’innocence ny la
verité ne s’en sçauroit iamais plaindre : la Reyne mesme
auant sa detention luy confioit ses plus secretes
pensees,

 

Mais comme rien ne mangue où la grace abonde,
ie tiens que rien n’a tant ay dé à son eslargissement que
la pieté dont il accompagnoit les prieres qu’il faisoit
à Dieu. & l’affection qu’il auoit conceuë pour le bien
commun de la Patrie : Car s’il a fait autrefois quelque
chose qui n’ait pas esté fort agreable à tous les peuples
de France, il la fait pour n’auoir pas osé desobeyr au
commandement qu’on luy en auoit fait de la part de
vostre Maiesté, & en cela il n’agissoit pas tant en mauuais
François, qu’en seruiteur zellé pour vostre seruice.
S’il auoit de la repugnance à faire ce qu’il faisoit, il
en auoit encore plus à ne pas suiure les ordres qu’on
luy donnoit de la part de son Prince. L’amitié des
Roys ne s’acquiert que par ceux qui s’accomodent
aux inclinations de leur ieunesse, ou aux exercices &

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passions de leurs plaisirs, ou à l’accroissement de leurs
finances, ou bien à l’estenduë de leurs conquestes.
C’est ce qui le faisoit agir contre sa propre conscience
sachãt bien qu’vn suiet de quelque cõdition qu’il puisse
estre, se doit resoudre à la mort ou à l’obeissance de
son Souuerain, ainsi qu’il arriua à Nabot Israëlite, lequel
ayãt refusé sa vigne à Achab, qui estoit vne chose
de bien moindre importance que celle qu’on luy cõmandoit,
fut contraint de perdre sa vie & son heritage
tout emsemble pour auoir desobey à ce Prince.

 

Ce n’est pourtant pas que l’authorité du Roy ne
doiuent estre douce, puis qu’il a non seullement la nature
pour guide : mais encore l’Autheur de la nature
mesme, lequel rend à chacun ce qui luy appartient selon
ses merites. On ne void rien dans les Histoires,
que des Rois punis pour auoir indignement traitté
leurs peuples. Ce n’est pas vne authorité Royale que
de se faire voir enuironné de terreurs, & de marcher
par tout sur les cẽdres de ses subiets & de ses villes fumantes.
L’authorité Royale est vn rayon de la diuinité
& vne tres grande veneration que nous auons
pour la personne du Prince : & les Roys n’ont iamais
esté creés que pour le bien de ceux que Dieu a voulu
sousmettre à leur Empire. Les bons Roys font prosperer
les Royaumes, & les Israëlites ont esté tres hureux
lors qu’ils ont esté regis par de bõs Princes : mais
au contraire ils ont esté tousiours affligez sous des
Achis, sous des Amons, & sous des Manassez. Mais
vous SIRE, qui ne nous auez esté donné de Dieu que
pour nostre bien, vous nous ferez la grace d’imiter
Iosias, en toutes ses actions, lequel apres s’estre rendu
sçauant en la Loy, assembla tous les plus anciens de
son Royaume, & accompagné de tous les Prophetes,
& de tous les Sacrificateurs, monta au Temple, &
s’estant assis en son siege fit alliance deuant Dieu, d’obeir

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à ses Statuts, à ses Constitutions & à ses Ordonnances,
& fit promettre à tous ses Subiets, d’accomplir
toutes les parolles de l’Alliance, selon la paction
du Dieu de leurs peres, ce qu’ils garderent tout le
temps de la vie de ce Prince.

 

I’espere, SIRE, que vous en ferez de mesme, &
qu’apres vous estre rendu sçauant en la Loy, qui est selon
Pindare, la Reine de Dieu & des hõmes, ou pour
en parler plus raisonnablement auec Demostene, vn
don de Dieu, & vne inuention & ordonnance des Sages,
pour reprimer les malefices, & maintenir la Republique,
à la regle de laquelle chacun doit dresser
le cours de sa vie, que vostre Maiesté assemblera tous
les plus anciens de son Royaume pour en former vn
bon Conseil, ou se resoudront sagement & prudemment,
sans interest & selon Dieu, toutes les affaires les
plus espineuses, afin de nous redonner ce Siecle d’or
dont ioüissoient nos premiers peres. Et puis apres regner,
& entre celuy qui regne, l’vn & l’autre n’ont
qu’vn mesme but, qui est le salut de l’Estat. & tous les
deux sont ordonnez pour le bien de la Patrie : & c’est
pour cela qu’on dit que seruir au Senat c’est regner, &
que regner est vne espece de seruitude. De maniere
que celuy qui sçait bien seruir le Prince, scait bien
seruir l’Estat, & qui sçait bien seruir l’Estat scait bien
seruir le Prince. Ordonner ou conseiller ce qu’il
faut qu’on ordonne est vne mesme chose.

Voilà, SIRE, vne partie des qualitez d’vn Prince
pour la deliurance duquel toute la France vous remercie,
& d’vn Prince, SIRE, qui sera vn iour
vostre bras droit en la conqueste de la Terre-Sainte.
Et voilà, SIRE, les grandes obligations que toute la
France vous a, de luy auoir redonné celuy qui doit
estendre ses limites par tout où le Soleil estend sa lumiere,
tout le monde sçait bien que Dieu & la Nature

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l’ont doüé de toutes les graces qu’on sçauroit desirer
en la personne d’vn Prince, son esprit est subtil,
penetrant & fort vniuersel. Son courage inuincible,
son parler concis & sententieux, & sa dexterité imcõparable.
On void bien qu’il a l’œil vigilant, le visage
benin, & la constance fort belle. Ceux qui ont l’honneur
de l’approcher voyãt son naturel & son humeur,
sont contraints d’auoüer qu’il est l’vnique en son espece.
Toutes ces excellentes qualitez qui paroissent
éminemment en sa personne me donneront, s’il
vous plaist, SIRE, la liberté de vous dire en sa
faueur, ce que peut-estre homme du monde ne vous
oseroit dire, tant la Maiesté des Roys est enuironnée
de flateurs & d’hypocrites, contre la volonté de Solon :
Car il dit qu’il ne faut point approcher des grãds
que pour leur dire la verité des choses : mais il la leur
faut dire auec paroles de soye, ainsi que Parisatis mere
de Cyrus nous l’enseigne.

 

Il faut grand Roy, que vous teniez tousiours ce
Prince pres de vostre personne, afin qu’il ne s’esloigne
de vous non plus que l’ombre de son corps, que
les rayons du Soleil de leur Astre, que le ruisseau
de sa source, que la tige de son arbre, que le corps de
son ame, ni que l’homme de celuy qui luy a donné
l’estre. Les Planetes ne sortent iamais de leur Zodiaques,
ou si par vn mouuement desreglé il arriue qu’elles
en sortent, tout l’Vniuers en est troublé, & tout
le monde sublunaire se trouue dãs vne confusion tres-horrible.
Les Princes du Sang sont les vrayes planetes
du Ciel où vostre Maiesté reside, leur lumiere
ne se tire que de la presence de leur Souuerain,
qui est le veritable Soleil de ces Planettes raisonnables,
plus ils en approchent & plus ils sont radieux
au reste des hommes, plus ils vous aggreeront,
& plus ils en seront considerables. Simbolisant auec

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vos volontez, & cherissant ceux que vous cherissez,
ils en seront plus en honneur, plus en authorité &
plus en asseurance. Il n’y aura faction si forte & si
puissante, quelque dangereuse qu’elle puisse estre,
qui s’ose esleuer contre eux, quand vostre Maiesté les
tiendra sous vne protection si considerable que la vostre,
ny Monarque si grand & si redoutable en toute
l’Europe qui veüille entreprendre d’armer contre
vous, quand ils ne vous abandonneront iamais, &
qu’ils seront tousiours prests d’exposer leurs biens &
leurs vies pour vostre seruice. Ainsi vostre maiesté
leur seruira de Protecteur, contre leurs enuieux, &
ces illustres Heros vous seruiront de rempart contre
tous les plus grands de la terre. Voyez de grace aprés
celà SIRE, si toute la France n’est pas bien
obligée de vous remercier, comme elle fait par mon
entremise, de la deliurance de ces Princes, puis
qu’ils sont si necessaires à Vostre Maiesté, & puis
qu’ils doiuent faire le salut de toute cette Monarchie.

 

FIN.

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Anonyme [1651], REMERCIMENT FAIT AV ROY PAR MADAME LA PRINCESSE, SVR LA DELIVRANCE DE MESSIEVRS les Princes. , françaisRéférence RIM : M0_3284. Cote locale : B_6_28.