Anonyme [1651], REPROCHES DE L’OMBRE DV CARDINAL DE RICHELIEV, FAITES AV CARDINAL MAZARIN. Sur les affaires de ce Temps. , françaisRéférence RIM : M0_3458. Cote locale : C_11_28.
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REPROCHES
DE
L’OMBRE
DV
CARDINAL
DE RICHELIEV,
FAITES AV
CARDINAL
MAZARIN.

Sur les affaires de ce Temps.

M. DC. LI.

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REPROCHES
DE
L’OMBRE
DV
CARDINAL
DE RICHELIEV,
FAITES AV
CARDINAL MAZARIN,

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Sur les affaires de ce Temps.

QVE les Ombres des deffuncts se fassent quelquefois
entendre aux personnes viuantes, les Poëtes
& les Payens en demeurent non seulement d’accord,
mais nous en auons des exemples aux Saintes Lettres :
comme les Ombres du Prophete Samuel au Roy
Saül. Ce n’est pas mon intention d’approfondir cette verité,
mais bien de faire cognoistre au public, que les Manes
& les Ombres du deffunct Cardinal Duc de Richelieu,
auoient iuste sujet de se plaindre du Ministere du
Cardinal Mazarin, de ses fourberies & actions, indignes

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d’vn Ministre d’Estat, qui veut tenir le premier lieu dans
les Conseils d’vn grand Monarque.

 

Iules Mazarin estoit comme incogneu, lors que durant
le siege de Cazal, par le Marquis de Spinola, pour
le Roy d’Espagne, apres auoir demeuré d’accord auec
les Ministres du Roy Tres-Chrestien, d’vne Paix traitée
& concluë à Cherasco en Piedmont, Mazarin Ministre
du Pape Vrbain VIII. dernier decedé, parut entre les
deux Armées de France & d’Espagne pour la publier,
comme il fit, lors qu’ils estoient sur le point de venir à
vne Bataille sanglante, & que desia de part & d’autre
s’estoient tirez quelques coups de canons : Il cria la Paix
au nom de sa Saincteté, chacun des Generaux l’ayant en
leur pochette arrestée & signée. Ce qu’il fit pour faire
sortir le Roy d’Espagne à l’honneur de cette Guerre, qui
ne pouuoit estre que honteuse pour luy : Cette action de
Iules Mazarin commença à le faire cognoistre : de maniere
que quelque temps apres sa Saincteté l’enuoya
en France, pour affermir la Paix entre les deux Couronnes,
& estant en Cour le Cardinal de Richelieu le gousta
aucunement : car en peu de temps il cogneut qu’il luy
pourroit seruir en Italie, aux affaires importantes qui se
traittoient lors à Rome, pour rendre le Pape entierement
affectionné à la France, & le tenir suspect aux
Espagnols.

Il demeura prés de deux ans à la Cour du Roy, où
il passoit la pluspart du temps aux Comedies, à la Chasse,
& aux Ieux, ses occupations plus ordinaires & familieres,
enquoy il parroissoit plus sçauant qu’aux affaires d’Estat,
Aussi sa Saincteté voyant le peu où point d’auancement
qu’il faisoit pour ses affaires en France, le fit retourner à
Rome, assez mal satisfaict de sa negotiation. Ce que sçachant

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le Cardinal de Richelieu, s’imagina qu’il estoit
homme qui pouuoit rendre de bons seruices au Roy,
pour les grandes intrigues qu’il auoit en Cour de Rome
& ailleurs : Il le fit considerer par quelques François qui
estoient à Rome pour les affaires de sa Majesté, qui n’eurent
pas grande peine à luy faire prendre resolution de
quitter le seruice du Pape, & le sejour de Rome pour venir
faire sa demeure en France, par les grandes pensions
qu’on luy promettoit.

 

Le Cardinal de Richelieu le retint au seruice du Roy,
il conferoit iournellement auec luy dans son cabinet, &
autres lieux, & apprenoit de luy ce qu’il desiroit sçauoir
des affaires de sa Saincteté, & des pratiques des Espãgnols
en Italie, il le faisoit entendre aux Conseils secrets du Roy,
pour le mettre en consideration. Il le mena à la Guerre
qui se faisoit lors contre le Roy d’Espagne, au Comté de
Roussillon, fit leuer des Regimens de Caualerie & d’Infanterie
soubs son nom, Mazarin. Ce qui dura iusques à
la mort dudit sieur Cardinal, lequel quelque temps auparauant
le recommanda au Roy, le pria de se seruir de
luy en ses Conseils, & en ses plus importantes affaires,
comme le croyant capable de luy succeder au Ministere,
enquoy il se vid trompé, ainsi que l’Ombre de ce grand
Cardinal luy reproche à present.

Car apres son deceds, le Roy s’en voulant seruir en
ses Conseils : cét Ombre luy reproche que d’vn plein
sault il vouloit porter son ambition, sans mesure, iusques
à se prendre aux Princes & aux Grands : car ayant
gagné par ses fourberies l’oreille du Roy, il fit arrester
Monsieur le Duc de Beaufort, & l’enuoya prisonnier au
Bois de Vincennes, quoy qu’innocent, & sans crime,
apprehendant que le grand courage de ce Prince fist eschet

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à son ambitieuse intention de viure sans ombrage
d’aucun, & de disposer des volontez de sa Majesté, &
abusant ainsi de son authorité & de son nom, il fit esloigner
Monsieur le Duc de Vendosme, & Monsieur le
Duc de Mercœur son fils, qui pour mettre leurs personnes
en seureté contre ses mauuais desseins, se retirerent à
Florence, & Madame la Duchesse de Vendosme commandée
de se retirer hors de la Cour, en l’vne de ses maisons,
sans permettre à ses amis de la voir pour la consoler
& la visiter.

 

Le mesme Ombre luy reproche, qu’outre cette insolente
authorité qu’il se donnoit à la Cour, d’éleuer &
d’abaisser tous ceux qu’il croyoit luy estre affectionnez
ou contraires : Il se prit aussi aux Cours Souueraines qui
ne vouloient verifier les Edicts qu’il y enuoyoit, & qui
alloient à la foule du peuple, contre tout droict & equité,
pour par iceux commencer à emplir sa bourse, par les diuers
partis qu’il faisoit accorder aux Partisans, sangsuës
de la France, & comme dans ces Cours Souueraines, il
se trouuoit des personnes courageuses pour deffendre &
empescher la soule du peuple, qui declamoient contre
les Edicts, & s’opposoient à leur verification, il y en eut
aucuns qui ressentirent les effets de sa cruelle vengeance,
& qu’il fit bannir ou mourir de mort violente ; comme
entr’autres le President Barillon, qu’il fit enuoyer à Pignerol,
où il mourut enfin d’vn poison lent, au iugement
des Medecins, & le President Gayan, qui mourut aussi
de mort violente & soudaine, par le mesme mauuais
conseil.

Les mesmes Ombres blasment l’insolence du Cardinal
Mazarin : C’est qu’apres la mort du deffunt Roy
Louis XIII. de memoire immortelle, afin de disposer

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entierement & plus librement des volontez & personnes
du Roy & de la Reine Regente sa Mere, il se fit Surintendant
du Gouuernement de la Personne du Roy : Et
pour ne le point abandonner, & ne laisser aucun prés
d’eux que ses partisans & confidens, il achepta les Capitaineries
de Fontainebleau & du Chasteau de S. Germain
en Laye, pour estre tousiours logé en la maison du
Roy. Ambition qui n’entra iamais en la pensée du deffunt
Cardinal de Richelieu, quoy que François & premier
Ministre d’Estat. On n’a point veu qu’il ait logé ny
couché en la Maison du Roy, où ne doiuent estre que ses
Officiers, & Gardes plus proches de sa Personne. Ce qui
a donné sujet à plusieurs plumes à blasmer cette trop insolente
hardiesse, & qui sur ce sujet se sont souuente fois
emportez à parler iusques à l’excez & selon leur passion.

 

Les mesmes Manes du Cardinal de Richelieu, reprochent
au Cardinal Mazarin les vols qu’il a faits des Finances
du Roy, & d’auoir succé toute la substance du peuple :
Il a fait vne si grande profusion de nos Louis & de nos Iustes
en Italie, à Venise, à Rome & autres lieux où il les a
mis à la banque, qu’il a rendu la France toute espuisée
d’or & d’argent, pour assouuir son auarice insatiable, sous
le pretexte de l’entretien des Armées en diuers lieux : quoy
que l’on sçache le contraire, que les Armées enuoyées en
Italie & Catalogne se sont perduës & dissipées faute d’argent.
Ce qui a esté cause que la pluspart des lieux conquis
par nos François ont esté repris par nos ennemis : Comme
au Royaume de Naples, Piombino, Orbitello, Portolongone,
Lerida, Tortose en Catalogne, d’où nos François
ont esté honteusement chassez & défaits : ce que n’a
point fait le Cardinal de Richelieu, qui a eu grand soin de
faire payer les Armées employées hors de France, par les

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grandes sommes qu’il leur a fait toucher par la voye de
Hollande, de Hambourg, & d’autres lieux : que s’il a leué
des deniers ç’a esté la pluspart pour le seruice du Roy,
le bien & la gloire de cette Couronne, pour aller au deuant
des entreprises ennemies, fortifier nos Frontieres
contre l’inuasion de nos voisins, comme Peronne, Calais,
le Havre de Grace, Broüage, l’Isle d’Oleron & autres,
afin de rompre le dessein des Anglois & Espagnols
qui fauorisoient la rebellion des Rochelois, ce que n’a
point fait le Cardinal Mazarin : Au contraire, tant de tresors
& argent par luy pris, ont esté employez & consommez
à entretenir des Estrangers en France & hors le
Royaume, qui executoient ses volontez, aux jeux, aux
festins, aux Comedies, sans qu’il paroisse auoir fait aucune
chose qui fust pour le bien & seureté du Royaume. Il
a sait des partisans & des pensionnaires par tout, non
point pour le bien du seruice du Roy, mais pour se maintenir
en authorité.

 

Le mesme Ombre l’accuse d’auoir aymé la durée de
la guerre plus que la paix, pour auoir sujet d’excogiter
tousiours mille moyens d’auoir de l’argent. Ce qui s’est
veu au traité de Munster, fait pour paruenir à vne paix generale,
auquel quoy que nos ennemis nous quittassent
tous les aduantages que nous auions sur eux pour auoir la
paix, & qui eust esté glorieuse à la France, il l’a tousiours
empesché. Et quoy qu’il eust esté donné tout pouuoir à
Monsieur le Duc de Longueuille & à Monsieur le
Comte d’Auaux pour la faire & la conclure, ainsi qu’ils
auoiẽt la plume en main pour la signer, paroissoit vn autre
ordre contraire de luy, de n’en rien faire. De maniere
que les Allemands, les Imperiaux & les Suedois ont esté
contrains de la faire & conclure entr’eux à Nuremberg,

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sans la France : Ce qui a mis tout le peuple en vne grande
necessité, sans commodité, sans negoce, sans moyens de
viure & de subsister. Il s’est pleu a entretenir la France en
trouble, tant par la guerre ciuile, que par les concussions,
voleries & brigandages des Intendans de la Iustice, fortifiez
des Gouuerneurs ses pensionnaires dans les Prouinces,
pour assister les partisans à surcharger & ruyner le
peuple : Ce qui a fait naistre quantité d’emotiõs, seditions,
meurtres & massacres dans les pays, comme en Normandie,
Poictou, Guyenne, Languedoc, Prouence, Dauphiné,
Bourgogne, Bourbonnois, & Champagne, sans y apporter
aucun remede ny forme de Iustice.

 

Les mesmes Ombres luy representent la ialousie qu’il
a mise entre Monsieur le Prince de Condé, sur le faict de
l’Admirauté, de laquelle le Cardinal Mazarin vouloit disposer
en faueur du Cardinal Iaqueti son frere Archeuesque
d’Aix, qui en a fait quelque temps la fonction, en faisans
amas de Galeres & Navires de guerre, tant pour l’Italie
que pour la Catalogne, où il a commandé quelque
temps comme Viceroy, au grand mescontentement des
Catalans, & au mespris que les Gens de guerre faisoient de
luy : Ce qui l’obligea de quitter la charge, & de renoncer
à cette fonction d’Admiral ; Office important, que le
deffunt Cardinal de Richelieu auoit fait suprimer, pour
plusieurs grandes considerations.

Les mesmes Ombres luy font cognoistre son imprudence
ou impudence, en ce qu’és années 1647. & 1648.
afin de tirer le dernier teston du Royaume, voyant que
la campagne estoit ruïnée, & qu’il ne pouuoit esperer
grande finance du pauure peuple, il s’aduisa de deux malheureuses
inuentions pour en auoir de force & violence,
en rendant les Villes capitales du Royaume taillables,

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sous ce beau mot d’aisez, forçant les plus commodes à
payer des sommes immenses qu’ils ne deuoient, & les autres
villes à fournir des charges insuportables d’argent
pour la subsistance des gens de Guerre, iusques à la Noblesse
le bras droict du Roy, & les priuilegiez, mis à la
taille pour rassasier son auidité tyrannique. Et de plus
il s’est seruy de deux insignes voleurs Partisans qui
ont fait vn party inouy, en retenant les gages des Officiers
des Cours Souueraines, & des autres Officiers
de Iustice, l’an 1648. tres-mauuais Conseil, sans considerer
qu’il heurtoit toute la France, & que cela ne se
passeroit iamais sans trouble, & sans aprehender le peril
où il s’exposoit : Au contraire il se moquoit de tout ce
que l’on luy pouuoit remonstrer là dessus, & qu’il falloit
par tous moyens abaisser le pouuoir des Parlemens, pour
disposer ainsi en suite de toute la France : Procedure à laquelle
le feu Cardinal de Richelieu n’auoit pensé, de mettre
ainsi à la taille les Villes capitales, la Noblesse, & les
priuilegiez, au contraire il les auoit tousiours conseruez,
sans permettre qu’ils fussent chargez de telles impositions.
Cela fut cause de l’vnion de toutes les Cours Souueraines
de Paris ; sçauoir du Parlement, de la Cour des
Aydes, de la Chambre des Comptes, du grand Conseil,
& auec eux des Maistres des Requestes de l’Hostel, &
des Tresoriers generaux : tous lesquels s’assemblerent
souuent pour s’opposer aux desseins du Cardinal Mazarin,
& casserent tous Arrests & Declarations d’Offices,
de subsides & d’imposts qui n’auoient esté verifiez. Comme
aussi ils procederent pour casser les Intendans de la
Iustice aux Prouinces, & nommerent des Conseillers
Commissaires, qui s’assembloient en la Chambre de S.
Louis pour receuoir les procez verbaux des concussions

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desdits Intendans de la Iustice, pour les voir, les examiner
& en faire leur rapport à la grand’Chambre.

 

Mais au mois d’Aoust de la mesme année 1648. le
mesme Cardinal Mazarin prit vne resolution la plus
mauuaise & pernicieuse qui se soit pû faire : ce que les
Ombres du deffunt Cardinal de Richelieu luy reprochẽt
comme action tyrannique, suiuie d’vne trahison insigne.
Car comme Monsieur le Prince de Condé, commendant
l’Armée du Roy, contre celle d’Espagne aux Paysbas,
eut obtenu vne glorieuse victoire sur les Ennemis,
les actions de graces en deuoient estre renduës à Dieu, ce
mauuais Ministre se voulut seruir de cette action diuine,
de loüanges, & d’actions de graces qui se firent en l’Eglise
de Nostre Dame de Paris, par vn TE DEVM solemnel
qui s’y chanta, en presence de leurs Majestez & des Cours
Souueraines : Car sçachant qu’entre les personnes notables
du Parlement, portées de zele & d’affection pour le
bien public, & qui s’opposoient courageusement à ses
tyrannies, estoient Messieurs les President de Blancmenil,
de Broussel Conseiller en la grand’Chambre, homme
incorruptible, d’vne vie irreprochable, & tres-affectionné
pour le peuple, & autres. A l’issuë de ce TE
DEVM, il enuoya des gens choisis, armez & stipendiez
pour l’execution de ses violences aux logis de ces Messieurs,
qui les enleuerent & les menerent, sçauoir, Monsieur
le President de Blancmenil au Bois de Vincennes,
& Monsieur de Broussel fut conduit d’vn lieu à autre
comme vn criminel de leze Majesté, auec intention de
le perdre pour assouuir sa passion furieuse, contre ce grand
homme de bien & d’honneur. Action qui mit tout le
peuple de Paris en vn trouble fort extraordinaire, entendant
l’enleuement de Monsieur de Broussel : Ils s’arment

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d’armes & de pierres, se ietterent sur les Compagnies des
Gardes du Roy, qui auoient accompagné sa Majesté au
TE DEVM, & dans trois heures toutes les ruës de Paris
se virent fermées de barricades, & tous les Bourgeois en
armes aux portes & aux ruës de la Ville & des Fauxbourgs,
tant de nuict que de iour.

 

La resolution prise de rauoir Messieurs de Blancmesnil
& de Broussel par tout Paris, les Cours Souueraines
s’assemblent dés le lendemain au Palais, & vont en corps
au Palais Cardinal, qui alors estoit comme inuesty de
Bourgeois armez, demander à leurs Majestez ces deux
Messieurs. La faction du Cardinal Mazarin estoit si puissante,
que n’eust esté la force & les menaçes du peuple
d’assaillir le Palais Cadinal où sa personne estoit en grand
danger, il eust esté bien difficile de faire ramener ces deux
prisonniers, lesquels par ce moyen furent deliurez. Monsieur
le President de Blancmesnil fut dés le mesme iour
sorty du Bois de Vincennes, & ramené en sa maison, &
Monsieur de Broussel le lendemain, au milieu d’vne acclamation
publique de tout le peuple, qui estoit sous les
armes le long des ruës de son passage.

Les mesmes Ombres reprochent au Cardinal Mazarin,
que le deffant Cardinal de Richelieu n’auoit iamais
pensé à telles actions tyranniques contte vne Cour Souueraine,
en vn iour de resiouïssance publique, & dans vne
action de graces tres solemnelle. Il auoit tousiours rejetté
les mauuais conseils d’aucuns remuans, de contraindre
la ville de Paris d’armer pour sa deffence. Cela n’appartenoit
qu’au Cardinal Mazarin, ennemy du repos public :
lequel ne se contenta point de cette violence, mais il en
excogita vne autre l’an 1649. car par ses conseils, il fit enleuer
le Roy, à deux heures de nuict du iour des Roys

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sixiesme Ianuier, & l’emmena à S. Germain en Laye : Et
au mesme temps fit venir aux enuirons de Paris toutes les
trouppes des Armées qui estoient en Flandres, en Italie,
& en Catalogne, qui se saisirent de toutes ses aduenuës des
chemins & de la riuiere, qui empeschoient l’abord des
viures, pretendant par là affamer cette grande Ville, & la
voir reduite en vne boucherie forcée, par le massacre general
de ses habitans par la populace affamée : Iamais Neron
officier de cruauté, ne prit vne plus cruelle resolution,
lors que pour satisfaire à sa cruauté il desiroit voir
la ville de Rome reduite en cendres : Et cettuy-cy pretendoit
voir vne tuërie plus que barbare dans la plus
grande Ville du monde, sans descrire ny les voleries,
cruautez, sacrileges, impietez, & inhumanitez prodigieuses
qu’il fit commettre aux Villes, Bourgs & Bourgades
d’alentour de Paris, sans espargner les lieux plus sacrez,
ny sexe ny aage, par des Polonois & Allemands
Lutheriens, accoustumez à telles violences, telles que les
Nations plus barbares en auroient horreur.

 

Les mesmes Ombres reprochent à cét ennemy de
nature & du sang François, la resolution prise dans vn
cabinet par vn Conseil Estranger, tel qu’est le sien, de
faire arrester deux Princes du Sang Royal, Messieurs les
Princes de Condé & de Conty, & le Duc de Longueuille,
qui furent par ses ordres conduits au mois de Ianuier
1650. au Bois de Vincennes, & logez au donjon auec vne
garde seuere, sans qu’il parut d’aucun crime en eux, qui
leur eust faict meriter vn traitement si rigoureux, & du
depuis les fit sortir de ce lieu la, conduire en vn fort chasteau
prés Marcoussis, & enfin dans la Citadelle du Havre
de Grace, ce qui fut cause que tous les Ordres du Royaume
s’interesserent pour pouruoir aux mauuais desseins de
leur commun ennemy, qui se joignant auec le Parlement

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de Paris, & les autres Cours Souueraines de France, sous
l’authorité de son Altesse Royale, les firent mettre en liberté,
& fut contrainct ce mauuais Ministre de quitter
la Cour, & de s’esloigner, voire enjoint à luy de sortir
hors du Royaume.

 

Il vouloit que les Princes fussent obligez à luy de leur
liberté, & de faict il auoit enuoyé au Havre le sieur de
Lyonne son premier Secretaire, pour traitter auec Monsieur
le Prince de Condé : mais il ne le voulut, & dit qu’il
ne vouloit estre obligé de sa deliurance à son Ennemy, de
sorte que ledit de Lyonne s’en reuint sans rien faire.

Ce fut alors que son Altesse Royale vny auec le Parlement,
trauailla pour la liberté de Messieurs les Princes,
& resolut auec Messieurs de la Cour d’en auoir le consentement
de la Reine, ce qu’ils obtinrent, enfin sa Majesté
le donna, & alors furent choisis Monsieur Viole President
au Parlement, le Prince de Marsillac Duc de la Rochefoucault,
& Monsieur de la Vvrilliere Secretaire d’Estat,
lesquels partirent de Paris le Vendredy 10. Février
pour s’acheminer au Havre de Grace, ayans de trois en
trois lieuës des relais de carrosse pour aduancer leur chemin,
le Dimanche 12. ils arriuerent à Roüen où le Parlement
les alla visiter, & le sieur de Rix premier President
les traitta magnifiquement : de Roüen ils allerent au Havre
où ils arriuerent le Lundy 13 Février, Monsieur le
Prince les voyant, dit qu’il auoit vne tres grande obligation
à son Altesse Royale & à Messieurs du Parlement,
d’auoir moyenné leur liberté.

Dés le lendemain Mardy 14. du matin les Princes
sortirent de la Citadelle, & se mirent dans vn carrosse à
six cheuaux, & se rendirent le Ieudy à S. Denis en France,
où le Corps de l’Abbaye & de la Ville les receut, auec
l’honneur qui leur estoit deub.

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Ce mesme iour grande quantité de personnes, tant
de Noblesses que des Cours Souueraines, se rendirent à
cheual & en carrosses à S. Denis, & accompagneront ces
Princes le long du chemin.

Sur le soir son Altesse Royale accompagnée de Monsieur
le Duc de Beaufort, de Monsieur le Coadjuteur, du
Duc de Luynes, & d’autres en vn carrosse à six cheuaux,
suiuis de grande quantité de Caualiers, iusques hors le
Faux bourg S. Denis, où se fit le rencontre, le carrosse
des Princes approchant Monsieur le Prince de Condé
sortit le premier, son Altesse Royale sortit aussi hors son
carrosse, Monsieur le Prince l’approchant se baissa fort
bas pour saluer Monsieur le Duc d’Orleans, lequel le prit
au dessous des bras & le releua, Monsieur le Prince la l’arme
à l’œil de ioye remercia son Altesse, lappellant son Liberateur,
puis en suitte Monsieur le Coadjuteur & Monsieur
le Duc de Beaufort qu’il embrassa, le priant de croire,
que veu l’obligation qu’il leur auoit d’auoir moyenné
sa liberté, il vouloit employer son sang & sa vie pour eux,
Messieurs le Prince de Conty & le Duc de Longueuille
firent le mesme.

Apres cela tous entrerent au carrosse de Monsieur le
Duc d’Orleans, qui furent ensemble au Palais Cardinal,
où son Altesse le presenta à leurs Majestez, qu’ils saluërent
& rendirent leurs deuoirs, en suitte de quoy apres auoir
receu les honneurs des Seigneurs qui y estoient, ils en sorterent
assez tard, & furent tous descendre au Palais d’Orleans,
où sadite Altesse les traitta fort magnifiquement
au souper.

Et dés ce soir tout Paris & les Faux bourgs, témoignerent
la ioye qu’ils auoient de leur de iurance, par les
feux de ioye qui s’y firent.

FIN.

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