Anonyme [1649], REPROCHES DES COQVETTES DE PARIS, AVX ENFARINEZ, SVR LA CHERTÉ DV PAIN. , françaisRéférence RIM : M0_3462. Cote locale : C_9_65.
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REPROCHES
DES
COQVETTES
DE PARIS,
AVX
ENFARINEZ,
SVR LA CHERTÉ DV PAIN.

A PARIS,
Chez IACQVES GVILLERY, ruë des Sept-Voyes,
deuant le College de Fortet, proche
Mont-Aigu.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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REPROCHES
DES
COQVETTES
DE PARIS,
AVX
ENFARINEZ,

MESSIEVRS,

Ne vous estonnez pas si nous vous declarons la Guerre
dans vn temps auquel il semble que chacun fasse gloire de
prendre les armes pour la deffense de la personne, & des
Estats du plus grand Monarque de la Terre, qui tient en
sa main la balance aussi bien que l’espée, & qui sçait vnir
parfaitement le tiltre de Iuste, à celuy de Victorieux. Dans

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vn temps, dis-ie, où le bruit des armes n’estouffe point l’eloquence
des loix, & où la violence & les fougues de Mars
n’opprimẽt point l’a douceur de Themis. Ne vous estõnez,
dis-ie, pas, si apres auoir esté long-temps d’intelligence
auec vous, nous rompons auiourdhuy le neud de nostre
alliance, puisque nous vous croyons les principaux auteurs
du mal qui nous afflige, & qu’outre les viues atteintes que
nous en ressentons dans le particulier ; nous en compatissons
encore auec le public. Ce qui nous fait ouurir la bouche
pour vous faire auiourdhuy de tres-iustes reproches,
& pour vous dire des veritez importantes en eschange des
mensonges dont vous nous auez entretenuës par vos cajolleries.
Sçachez donc que c’est vous que l’on peut iustement
accuser de la cherté du pain, ayant laschement pro fané
l’vsage de la farine, en la faisant seruir d’ornement à
vostre corps plustost que de nourriture. Oüy, vos cheueux
en ont plus dissipé que vostre bouche, & vous en
auez plus fait deuorer en vn iour au collets de vos manteaux,
que vous n’en vseriez auiourdhuy en vn mois pour
vous nourrir. Pernicieuse coustume, & maudite inuention
du vieillard amoureux, qui n’a point trouué de meilleur
moyen pour se rajeunir, qu’en faisant vieillir les autres
auec luy ; & qui pour cacher les deffauts de son aage, qui
ne paroissent iamais tant que par la blancheur des cheueux,
s’est aduise de faire paroistre cette couleur agreable
aux yeux de la ieunesse pour luy cõmuniquer ses deffauts,
ou plustost pour les cõfondre en les rendant communs
auec elle, sinon en effect, au moins dans l’apparence. Mais
ieunes Muguets trop innocens & credules, ne voyez vous
pas que vos visages n’en paroissent que plus vieux, & vostre
couleur plus bazanée ? pourquoy vous estes vous laissés

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surprendre à cette tromperie ? estoit-ce pour vous rendre
plus agreables à nostre sexe ? Helas ! quelle simplicité.
Non, non, nous aymons la Nature plus que l’Art ;
vne cheuelure noire nous plaist bien d’auantage, qu’vne
blonde, & comme nous sommes ennemies du froid,
nous n’aymons point ce qui ressemble à la neige. Cependant
toutes nos remonstrances n’ont pû faire imppression
sur vos esprits pour vous destourner de cetru
sotte coustume : vous en auez receu des reproches dans
le public, aussi bien que dans le particulier, la cigale de
Pont-Neuf, & l’illustre Sauoyart n’ont point épargné
la douceur de leurs voix, pour vous aduertir des
desordres, que vous causeriez vn iour par la charté
du pain. Ils vous l’ont chanté par toutes les places publiques,
& vous vous en estes mocquez ; les Peintres
mesmes voyant que vos oreilles estoient bouchées aux
plaintes du public, ont employé leurs plus viues couleurs,
pour vous surprendre par la veüe : Ils vous ont
representé comme des lanfarines assis dedans des chaises,
où le Meusnier vous seruant de vallet de chambre,
respandoit à plains sacs les septiers de farines, sur vos
testes, ils vous ont donné pour Laquais les enfans
de la Ville qui vous suiuoient comme basteleurs, en
criant apres vous Meusnier à l’Anneau à l’Anneau, ils
vous ont dõné pour spectateurs. Vne populace entiere
qui vous monstroit au doigt, en se moquãt de vous : Et
tous ces traits de raillerie, n’ont pû reueiller vos esprits
de l’assoupissemẽt où ils estoient plõgez : & la poudre
vous ayant rendu aueugles aussi bien que sourds, vous
auez piaffé au milieu des rués sur vos mulles criardes

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comme d’illustres Bouffons, où plustost comme des
Mascarades. Si vous estes entrez dans les Eglises, vous
auez aueuglé vn milliõ de personnes, par la poudre que
vous leur auez iettée dans les yeux, en secoüant vos testes
par brauades : & la populace vous a maudit tant de
fois qu’il ne faut pas s’estonner si vous ne sçauriez plus
trouuer à present dequoy viure. Cependant ie ne vous
plaindrois pas si vous estiez seuls dans la misere ; mais
vous y auez engagé tant de monde, qu’il ny a point
de supplice assez rigoureux pour vous punir. Vous
estes cause qu’vn Peuple est affamé, vous estes cause
qu’vne grande ville manque de pain. Vous estes cause
que toutes les Prouinces voisines, ne sont pas capables
de la rassasier. Considerés si vos fautes sont legeres,
& si ce que vous souffrés n’est pas encore au dessous
de ce que vous deuriez souffrir ? Si vous estes accoustumés
de ieusner par necessité, portant plus d’or
sur vos habits, que dans vos bourses, le peuple n’est
pas de mesme. L’Artisan doit auoir disné quand vous
vous leuez, & il se soucie peu si la loy que vous prattiqués
est de dormir au lieu de disner, vous estes mieux,
accoustumés à la faim que luy ; vostre oysiueté ne permet
pas que vous ayés si grand appetit, vous ne viués
que de viandes creuses, les Luths, les Violes, & les Clauecins,
font la plus part du temps vos meilleurs repas :
Vous vous repaissés le matin d’vne salutatiõ pour vostre
déjeuner, pour vostre disner d’vne œillade ou d’vne
parolle, à la Messe de midy ; pour vostre collatiõ d’vne
chanson legere, & pour vostre soupper de quelque
Serenades. Vous faites vn grand festin, quand vous

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nous aués excroqués quelque morceau d’escorce d’orange
ou de Citron, cela est capable de vous substanter
quatre iours aussi bien qu’vn verre de Limonade que
vous prenés au Bal par necessité, moins que par delectation.
Ainsi vous despensez fort peu en vostre nourriture,
comme aussi en celle de vos Laquais, si vous en
aués plus d’vn : car ils ne vous suiuent iamais qu’ils ne
soient garnis de quelque petit pain d’amonition comme
bons soldats, & de quelque coine de lard pour le
frotter, encore l’ont-ils desrobée dans la cuisine d’vne
bonne maison où vous aués entree par vos bouffonneries.
Ce sont là vos maximes, c’est vostre procedé,
vsez-en tant que vous voudrez, on n’y trouue
point à redire ; mais nous vous protestons, que si doresnauant
vos testes sont encore Enfarinées, il n’y aura
personne apres cecy qui ne vous happe au collet.
Prenez-y garde si vous voulez, ils vous reste encore vn
point de vie ; n’en abusez pas, & nous croyez dans ce
dernier aduis : mais le plus salutaire qui vous ait encore
esté donné, (autrement nous verserons sur vous
toutes sortes d’imprecations & d’iniures aussi bien
que les autres) nous vous enuoyerons glanner pour
auoir de la farine, nous vous enuoyerons seruir les
boulangers ou les Massons, puisque vous en aymez
tant la couleur ; Et enfin pour dernier comble de malheurs,
apres que vous aurez vendu vos habits dans
vne necessité pressante, nous vous enuoyerons à la
fripperie regratter ce peu de farine qui y reste entremeslée
de graisse, pour vous faire quelque friande
gallette. Receuez ces remonstrances, ces prieres &

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ces menaus de la part de vos Reines, de vos Maistresses,
de vos Soleils de vos ames, & de vostre
tout ; puisque comme Reines, nous deuons vous
gouuerner, comme Maistresses, vous commandez,
comme Soleils, vous esclairer dans vostre aueuglement
comme vos ames, conseruez vostre vie & comgme
vostre tout, auoir soin des parties qui les composent.

 

FIN.

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