Anonyme [1651], REQVESTE DE LA NOBLESSE POVR L’ASSAMBLEE DES ESTATS GENERAVX. , françaisRéférence RIM : M0_3472. Cote locale : B_3_16.
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REQVESTE DELA NOBLESSE
pour l’Assemblée des Estats generaux.

SIRE,

Les grandes Monarchies sont sujettes à tomber
de temps en temps en des desordres, ausquels
toute la prudence des plus sensez a bien de la peine
à trouuer des remedes : Soit que les esprits des
Souuerains ne puissent pas tousiours reluire sur
toutes les parties qui composent ces grãds Corps :
soit que la foiblesse, où les interests de leurs Ministres
laissent descheoir ou diuiser leur authorité :
soit enfin que la Prouidence eternelle dont les
Decrets sont incomprehensible se plaise à changer
les choses qui semblent les plus affermies : Il
est constant, que les Royaumes & les Empires les
plus forts, sont ceux qui souffrent en de certains
temps les plus horribles secousses. Il n’est pas necessaire
de rechercher des preuues de cette verité
dans les histoires anciennes ou modernes des
autres. Estats La constitution presente de la France

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ne nous la persuade que trop, & le déreglement
qui va tousjours croissant depuis quelques
années dans les principales & quasi dans toutes
les parties de cette Monarchie, nous fait apprehender
auec raison quelque decadance ou reuolution
estrange.

 

SIRE, On ne sçauroit penser à l’Estat florissant
de ce Royaume, lors de l’auenement de Vostre
Majesté à cette Couronne, qu’on ne deplore
en mesme temps les confusions presentes. Le feu
Roy Pere de Vostre Majesté, luy laissa tous ses Estats
paisibles au dedans & triomphans au dehors :
l’authorité Royale estoit en vigueur, la Discipline
dans les armées : l’Obeyssance dans les Prouinces :
les Ministres de Sa Majesté estoient en estime :
ses Edits & Ordonnances executées : les
Finances autant bien administrées que la condition
des temps & des guerres le pouuoit permettre.
Car encor qu’elles se consommassent pour la
plus grande partie dans l’entretenement de nos
armées tant Françoises qu’Estrangeres, elles ne
laissoient pas de reuenir à nous par vn commerce
& vn reflus qui conseruoit l’abondance : La foy
publique qui fournissoit tant de prompts secours
aux necessitez les plus pressantes de l’Estat estoit
religieusement gardée : la punition suiuoit les crimes
& la recompense les actions loüables.

Aujourd’huy, par vn reuers aussi surprenant
comme il est deplorable, toutes les choses se trouuent

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dans vne disposition entierement contraire :
L’Authorité Royalle affoiblie & presque
aneantie : les armées dans la licence qui est telle,
que les violences & les rauages des gens de guerre
dans leurs routes & leurs garnisons, n’espargnent
pas mesmes les maisons de Gentils hommes
qui sont dans le seruice : les Prouinces reuoltées :
les principaux Ministres de Vostre Majesté
dans le mespris & dans l’horreur : les Edicts du
Prince sans execution : les Finances ou dissipées
ou diuerties, ce qui cause la misere & l’attenuation
du general & des particuliers : le credit & la
foy publique tellement ruïnez, qu’il est impossible
de trouuer le moindre secours dans les plus
grandes necessitez ; En vn mot, les démerites & les
crimes recompensez, les seruices & les fidelitez
punies.

 

SIRE, Ce n’est pas ici le lieu où l’on doiue accuser
les causes prochaines de tous ces desordres :
il suffit de representer à Vostre Majesté que l’estat
present de ses affaires semble vne manifeste preparation
à quelque grand changement, & que
pour le preuenir il est temps de penser serieusement
aux remedes salutaires.

Toutes les fortunes des sujets de Vostre Majesté,
de quelque Ordre qu’ils soyent, estant
comprises dans celle de l’Estat, ils sont tous obligez
de parler en cette rencontre, & de luy porter

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leurs remonstrances accompagnee de leurs tres-humbles
supplications : & sur tous ceux qui
composent la Noblesse de vostre Royaume, ne
peuuent demeurer dans le silence, sans encourir
le blasme d’vne lascheté aussi honteuse, comme
elle est contraire à leur naissance & à leur profession.

 

SIRE, On ne sçauroit presumer que ceux qui
sont preposez à l’éducation de Vostre Majesté,
ne luy ayent souuent dit qu’Elle ne tient son
Royaume que de Dieu & de l’espée de ses ancestres :
Qu’il a esté fondé & cimenté auec le
sang des premiers Nobles de cet Estat ; & que
leurs descendans, & ceux qui dans la suitte des
temps ont merite par leurs belles actions, d’estre
distinguez du vulgaire sont les veritables appuys
de cette Monarchie, & par consequent les
personnes les plus interessées en sa conseruation.

Ce n’est pas que par cette preéminence de la
Noblesse, nous pretendions obscurcir le merite
des autres Ordres : nous sçavons que les secours
& les contributions du Tiers Estat, sont des conditions
sans lesquelles tous les plus grands courages
ne pourroyent tien produire, & que le Clergé
attire par ses prieres & par le culte de la vraye Religion,
b/> l’assistance & les benedictions du Ciel.

Mais, SIRE, la Noblesse de vostre Royaume

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se peut vanter, que comme Elle approche de
plus pres de la personne & des fonctions essentielles
de Vostre Majesté que aucun des autres Ordres,
Elle prend aussi plus de part en ce qui la touche :
Elle reconnoist sa subsistence si estroitement
liée à celle de la Monarchie, que l’vne ne
peut estre alterée sans que l’autre souffre, ny renversée
sans que l’autre périsse.

 

C’est sur ce fondement, SIRE : qu’vne bonne
partie de cet Ordre, ioint à plusieurs Princes nez
dans vos Estats & sous vostre domination, ose se
presenter à Vostre Majesté, pour la supplier de
vouloir agréer ses Remonstranees & Requestes
tres-humbles.

Dans l’apprehension qu’ils ont tous d’vne reuolution
qui les anneantiroit dans la ruine publique,
ils ne peuuent plus differer de representer
à Vostre Majesté, que pour releuer l’authorité
Royale au point d’où elle est descheuë, restablir
l’Ordre en toutes sortes de conditions & preserver
l’Estat de la subuersion dont il est menacé,
il n’y à point de remede plus infaillible que celui
qui a esté pratiqué par nos ancestres en des necessitez
pareilles & beaucoup plus moindres qu’est
l’Assemblée generalle des trois Ordres du Royaume.

SIRE, dans cette Assemblée, les Deputez de
toutes les Provinces conuoquez au nom de Vostre

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Majesté, pourront auec sa permission lui proposer
suiuant leur conscience & leur honneur,
les véritables moyens pour reduire les peuples à
leur premiere obeïssance & à la contribution necessaire
pour soustenir nos conquestes & la gloire
de nos armes : faire rentrer les Officiers, tant
d’espée que de robe dans le iuste exercice de leur
deuoir & de leurs charges : regler l’administration
des Finances par des Ordonnances & for
mes nouuelles & inuiolables : trouuer dequoy acquitter
les debtes de Vostre Majesté, & remettre
la foy publique si essentielle à la dignité du
Prince : faire vne exacte recherche de tous les crimes
importans & dont la consequence est pernicieuse
à l’Estat. Enfin le consentement de tant de
personnes choisies & aduoüees des peuples, apportera
tout ce qui peut seruir à la reformation
des desordres que la licence des guerres à introduits ;
Et les secours que Vostre Majesté peut desirer
dans les nécessitez presentes de son Estat, seront
dautant plus exigibles qu’ils sembleront
proceder de la bonne volonté & meure deliberation
des suiets.

 

SIRE, Vostre Majesté nous permettra, s’il
luy plaist, de lui dire qu’il est temps de trauailler
à toutes ces choses, & que nous estimons qu’on
ne sçauroit y reüssir plus efficacement que par
cette Assemblée. Comme elle sera plus celebre &

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plus authentique que nulle autre, nous croyons
qu’elle trouuera plus de veneration & de deference
dans les esprits des peuples : Que les Ordonnances
qui emaneront de l’absolu pouuoir
de Vostre Majesté sur les cayers qui lui seront
presentez, seront suiuies d’vne obseruation purement
volontaire, & que Vostre Majesté imitant
en cette rencontre la prudence de ses predecesseurs,
n’en retirera pas moins d’auantages
qu’ils ont fait dans des necessitez moins extrémes.

 

Ce seroit vn denombremeut ennuyeux si nous
rapportions ici toutes les Assemblées des Estats
generaux, pour authoriser les motifs de celle-cy :
Il suffira d’en remarquer quelques exemples
des plus conuenables à nostre temps & à
l’estat present des affaires, afin que Vostre Majesté
voye que nous ne lui proposons rien qui
n’ayt esté pratiqué en de semblables desordres.

Apres la iournée de Poictiers & la prison du Roy
Iean, le Daufin son fils, depuis Roy, surnommé
Charles le Sage, ne fut pas plustost à Paris qu’il
y conuoqua les Estats generaux pour conferer
avec eux sur le gouvernement du Royaume & les
moyens de deliurer le Roy son pere. Il est vray
que comme les grands remedes n’operent point
sans tourmenter ou debiliter quelque partie, les

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animositez de quelques particuliers de cette
Assemblée causerent les destitutions de trois
ou quatre Officiers : Mais au fonds elle conspira
tousjours à la conseruation de l’Estat : Et lors
que le Roy d’Angleterre, abusant de l’auantage
que lui donnoit la prison du Roy Iean, proposa
des conditions de paix trop insolentes, l’Assemblée
generale les reietta genereusement, & se
prepara incontinant à fournir toutes les choses
necessaires pour la continuation de la guerre.

 

Et nous remarquons encor qu’apres le Traitté
de Bretigny, les diuerses infractions des Anglois
ayant obligé le mesme Roy Charles à leur declarer
vne nouuelle guerre, les Estats generaux assemblez
de nouueau à Paris, l’assisterent par des subsides
tres considerables, dont ils entreprirent &
executer entr’eux mesmes les leuées.

Loüis XI. Prince autant soupçonneux comme
il estoit ialoux de son authorité, bien qu’apres
le traité de Conflans, il ne se trouuast pas encor
trop assuré des Princes & des peuples de son
Royaume, qui lui auoyent fait vne sanglante guerre,
sous le specieux pretexte du bien public, &
qu’il fust en de continuelles apprehensions des
machines ouuertes & secretes des Anglois qui
estoyent à lors les ennemis irreconciliables de cet
Estat : Si ne laissa t’il pas parmi tous ces desordres
& ses deffiances, de conuoquer les Estats generaux

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à Tours & de les faire Iuges des differends
qu’il auoit, tant auec le Duc de Normandie son
frere qu’auec les Ducs de Bourgongne & de Bretagne,
qui auoyent divisé tout le Royaume en
factions contraires. En effet cet Assemblée fut si
bien intentionnée pour le bien de l’Estat, qu’elle
se separa auec cette prudente resolution : Que le
Roy seroit tres humblement supplié d’octroyer à
Charles son frere vn appanage conuenable à sa
naissance & à sa dignité : Que Monsieur seroit
prié de s’en contenter : Que le Duché de Normandie
estant inalienable, & ne se pouuant demembrer
de la Couronne, le Duc de Bretagne seroit
sommé de rendre tout ce qu’il auoit pris dans
cette Prouince : Et au cas qu’il en fist refus, ou
qu’il fust certifié au Roy qu’il eust contracté alliance
auec l’Anglois ancien ennemy de la France,
que le Roy retireroit ses villes à main armée
& lui feroit la guerre : Que pour cet effet les trois
Estats promettoyent de secourir & seruir Sa Maiesté :
à sçauoir les Ecclesiastiques de leurs prieres
& de leurs biens temporels : les Nobles & le Tiers
Estat de leurs biens, de leurs personnes & de leurs
vies : Enfin que le Duc de Bourgogne seroit admonesté
de ne point favoriser les ligues qui se faisoyent
contre Sa Majesté & contre le repos de
l’Estat, mais bien de contribuer comme Prince
du Sang Royal & Pair de France à sa reformation

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par des voyes ciuiles.

 

SIRE, le bon succez de cette Assemblée, dans
vne conjoncture de temps & d’affaires si semblables
aux nostres, ne doit-il pas nous faire esperer
toute sorte de bien de celle que nous requerons
de Vostre Majesté ? Et si Loüis XI. qui estoit vn
Roy assez peu aymé de ses suiets, receut tant de satisfaction
& d’accroissement en son authorité de
la resolution de ces Estats generaux, se trouuerat’il
des personnes assez soupçonneuses pour apprehender
que l’innocence de Vostre Majesté, si
cherie de tous les peuples, n’inspire pas aux Deputez
des Prouinces des intentions aussi fidelles
& aussi généreuses qu’il conuient pour le salut
de l’Estat & le restablissement de l’authorité
Royale ?

Nous abuserions de la bonté de Vostre Majesté,
SIRE, si nous lui racontions importunément
tant d’autres Estats generaux, dont les Roys
vos predecesseurs ont tiré de nobles auantages.

Ceux qui furent encor tenus à Tours sous le
mesme Roy Loüis XI. par la resolution desquels,
conformément à l’intention de Sa Majesté, le
Duc de Bourgogne fut cité pour respondre au
Parlement de Paris sur plusieurs faicts dont il
estoit chargé.

Ceux qui furent conuoquez dans la mesme
ville de Tours au commencement du regne de

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Charles VIII. sur le sujet de la Regence.

 

Ceux qui sous François I. s’opposerent vigoureusement
à l’execution du Traitté de Madrid si
desauantageux à cette Couronne.

Ceux qui sous Henry II luy fournirent le se
cours extraordinaire qu’il demanda apres la perte
de S. Quentin, pour soustenir la guerre que luy faisoient
les Espagnols & les Anglois joints ensemble.

Ceux qui durant le regne de François II furent
ouuerts à Orleans, continuez depuis au mesme
lieu dés le commencement de la minorité de
Charles IX. & qui pourueurent au payement
des debtes du Roy, qui montoient alors à plus de
quarante millions de liures : somme qui estoit
beaucoup plus excessiue, eu égard à la condition
de ce temps là, que tous les Emprunts qu’il a conuenu
faire à Vostre Majesté pour les despenses
extraordinaires de la presente guerre.

Enfin, ceux qui furent tenus à deux diuerses
foys à Blois sous Henry III : lesquels bien que
meslez de quelques partialitez & accidens tragiques,
ne laisserent pas de donner des interualles
aux troubles d’Estat & de Religion qui affligeoient
alors ce Royaume : Outre qu’ils nous ont
valu cette belle Ordonnance de Blois, la quelle
jointe à celle d’Orleans, nous fournist vn Digeste
admirable de toutes les Loys & Reglemens les

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plus authentiques de cet Estat.

 

Et nous ne pouuons oublier de representer icy
à Vostre Majesté, SIRE, qu’encore que l’Assemblée
des Estats generaux d’Orleans semblast
lors qu’elle fut proposée, aller directement à la
destruction du credit & de l’authorité de Messieurs
de Guise, qui gouuernoient sous le regne de
François II, si est-ce qu’ils la trouuerent si raisonnable
& si necessaire au bien de l’Estat, qu’ils n’oserent
s’y opposer : & l’aduis de l’Admiral de Chastillon
qui la demanda fut generalement suiuy de
tous les Notables qu’on auoit assemblez à Fontainebleau,
& qui opinérent sur cette proposition.

SIRE, Tous ces exemples joints aux considerations
particulieres de l’Estat present des affaires,
furent sans doute les veritables motifs, qui porterent
le Conseil de Vostre Majesté à luy persuader
il y a plus de deux ans cette conuocation des Estats
generaux ; Et les Lettres en ayant esté expediées
dés ce temps là par toutes les Prouinces du
Royaume, afin qu’on procedast à l’Election des
Deputez, & qu’ils se pussent trouuer au temps &
lieu de l’Assemblée qu’on leur prescriuoit, nous
ne pouuons pas comprendre ce qui peut auoir
jusques icy empesché l’effet d’vne si sainte resolution :
car tant s’en faut que les raisons & les necessitez
des Estats generaux soyent cessées, qu’au

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contraire elles sont deuenuës & deuiennent tous
les jours plus pressantes par le continüel accroissement
de nos calamitez.

 

Novs supplions donc tres-humblement Vostre
Majesté, SIRE, & la conjurons par l’interest
& le salut de son Estat, de ne differer pas dauantage
l’execution de ce qui a esté si judicieusement
resolu en son Conseil les années passées, touchant
cette conuocation des Estats generaux ; & de commander
de nouueau & tres-expressement à tous
les Baillifs, Seneschaux & autres Magistrats des
Prouinces de son Royaume, d’élire & enuoyer
leurs Deputez au lieu & dans le temps qu’il plaira
à Vostre Majesté de leur prescrire, afin que conspirans
tous au bien & à la conseruation de l’Estat,
ils proposent les moyens qu’ils jugeront les plus
raisonnables & les plus vtiles pour le maintien de
la Monarchie & soulagement des peuples.

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