Anonyme [1649], REQVESTE ET REMONSTRANCE ADDRESSÉES PAR LE PARLEMENT DE DIION A MONSIEVR LE PRINCE à son arriuée en Bourgogne. , françaisRéférence RIM : M0_3498. Cote locale : C_9_72.
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REQVESTE
ET
REMONSTRANCE
ADDRESSÉES
PAR LE PARLEMENT
de Dijon,
A MONSIEVR LE PRINCE
à son arriuée en Bourgogne.

MONSIEVR,

Le iuste ressentiment que nous auons des troubles
& sousleuemens des Peuples, nostre deuoir, l’interest
de la France, & le vostre particulier, nous obligent
de vous former & dresser nos iustes plaintes, & vous
remonstrer le tort que vous faites à vostre honneur &
à vostre reputation, quand vous espousez le party &

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les querelles injustes d’vn homme qui n’a point autre
dessein que de perdre vostre patrie. Ce crime que vous
commettez oblige la presceance Diuine & sa bonté supréme,
à vous laisser tomber en des pechez estranges,
qui vous font perdre l’amour des Peuples, ternissent
vostre gloire, & attirent sur vostre chef la iuste colere
du Ciel. Dans vostre enfance vos actions estoient miraculeuses,
la France vous admiroit comme vn des
plus grands Astres qui ont paru en vostre adolescence,
tant de belles Sciences que vous auez acquises vous
ont fait passer pour le plus sçauant Prince de l’Vniutrs ;
dans la fleur de vostre âge vous auez monstré tant de
generosité, que vous estiez surnommé, Le Mars de la
France, son Atlas, & son Amphitrion : Et maintenant
que vous estes dans vostre plus grande vigueur, au lieu
de produire des actions encore plus merueilleuses, vous
perdez courage, puisque vous employez vostre valeur
contre vostre patrie. Ce ne sont pas, Monsieur, les
fruicts que nous esperions cueillir de vos Estudes, &
que vos Royales mœurs & humeurs nous promettoiẽt ;
la candeur de vostre ame nous faisoit esperer que vous
seriez aussi bien vn Soleil dãs l’Eglise, qu’vn Mars dessus
la Terre : depuis l’heure & le moment que vous auez
fait alliance auec le Cardinal Mazarin, & que vous
auez dérobé vostre cœur de la France pour le partager
auec luy, vos mœurs & vos humeurs se sont peruerties,
vostre valeur s’est rabaissée, & la rage a saisi vostre
sein ; ce qui nous oblige ce iourd’huy à nous donner
l’honneur de vous faire quelques Leçons.

 

LEÇON I.

La premiere Leçon Chrestienne qu’il faut poser en
cette conjoncture, qui est comme la base & le fondement
de toutes les autres, sans laquelle aucun ne se
peut dire veritablement Chrestien, est l’honneur, la reuerence,
& le respect que l’on doit aux Rois : car l’authorité

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Royalle estant d’institution Diuine, quoy que plusieurs
Rois ne soient que de celle des hommes, ces caracteres
de la Majesté de Dieu qu’ils portent auec tant d’éclat,
exige necessairement de leurs Sujets, Vassaux, & Princes
inferieurs, des respects conformes à cette grandeur. Vos
dernieres actions, & cette guerre ciuile que vostre espée
auoit forgée, font voir clairement que vous auez manqué
en ce poinct ; car vous n’auez pas rendu l’honneur que vous
deuez au Roy, lors que vous auez voulu ébranler sa Couronne,
& faire perdre la vie à ses tres-fideles sujets de Paris.

 

LEÇON II.

La seconde Leçon contient l’obeïssance que l’on doit
au Roy, non pas aueugle, mais conformément aux Loix de
Dieu, aux Regles de l’Euangile & de l’Eglise Catholique,
Apostolique & Romaine. Car comme les Rois sont des
Lieutenants de Dieu pour la conduite des hommes, c’est
de luy & non pas d’eux mesmes qu’ils doiuent prendre les
Loix & les Ordonnances necessaires pour leur conseruation.
Et comme l’ame est plus precieuse que le corps, &
l’interest du salut preferable à celuy de la fortune, les maximes
de la Religion doiuent estre les regles de celle de la
Politique ; si bien que tant que les Rois commandent des
choses qui ne choquent pas le salut, les Sujets sont tenus
d’obeyr : mais deslors qu’ils passent les bornes, Saint Pierre
nous apprend la response que nous deuons faire, Qu’il n’y a
point d’apparence de rendre de l’obeïssance aux hommes au preiudice
de celle que nous deuons à Dieu : D’où resulte que vous auez
tort d’appeller les Peuples de Paris desobeïssants, puis
qu’il a tousiours obey au Roy selon les ordres de la saincte
Escriture.

LEÇON III.

Cette obïssance & ces respects que nous deuons aux
Rois, n’obligent point les peuples à l’endroit du conseil des
Ministres & des Fauoris ; car c’est vne Theologie inconnuë
à l’Antiquité, qu’on nous a voulu faire passer depuis quelques

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années, de declarer criminel de leze Majesté les fautes
cõmises à l’endroit des Fauoris & des Ministres d’Estat :
Nous ne trouuons pas cette Leçon dans l’Euangile, nul des
Conciles ne l’a establie, aucun des Peres ne l’a enseignée,
ce n’est que l’effet d’vn faste trop orgueilleux ; autrement
il faudroit dire qu’il y auroit plusieurs Rois dãs vn Royaume,
si les mesmes deuoirs qu’on rend au Souuerain estoient
rendus à leurs Ministres : ainsi les Parisiens ne doiuent pas
estre tenus pour desobeïssans, lors qu’ils n’executent le
commandement du Cardinal Mazarin, & vostre Altesse à
tort de leur imposer ce crime.

 

IV. LEÇON.

Ces mesmes deuoirs n’obligent point par égale obligation
les personnes preposées à la Regence de l’Estat durant
la minorité des Rois ; car encore que les Regents ou Regentes
soient d’vne condition plus releuée, & dans vn Estat
plus sublime que celuy des Ministres, ils sont neantmoins
tousiours dans vn ordre extremement inferieur à celuy de
la dignité Royalle ; & tout ce qu’on leur doit dans cette
qualité, n’est que la deference que deuroit rendre vn seruiteur
à celuy qui seroit le tuteur de son Maistre : c’est pourquoy
nous trouuons que vostre zele est trop accessif touchant
les deuoirs & les obeïssances que vous desirez que
l’on rende à la Reyne Mere, en qualité de Regente, & ne
plus ne moins que la deuotiõ de certaines personnes estoit
indiscrette, qui vouloient faire prier Dieu également &
publiquement dans l’Eglise pour la Reyne, aussi bien que
pour le Roy ; car la Souueraineté de France ne se partage
point, ny par consequent ses prerogatiues.

V. LEÇON.

De là vient que les Regents ou Regentes, ny tout leur
Conseil, Ministres & Fauoris, n’estans pas Souuerains, ne
peuuent point durant leur Regence & la minorité des
Rois, faire aucun changement ny restablissement qui aye

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force de loy. Car la puissance de faire des Loix est vn effet
de l’authorité absoluë, qui reside dans la seule personne du
Prince, & incommunicable à qui que ce soit : De maniere
que les Regents n’estans que tuteurs, à proprement parler,
ils n’ont que le droict de conseruer, & non pas de destruire,
de changer ou d’innouer ; Si bien qu’ils ne peuuent point
faire aucunes Loix ny Ordonnances, ny aucune creation
d’Offices, qui sont toutes fonctions du Roy majeur, & independant :
Et il y a lieu de s’estonner comment est-ce que
l’on a permis que l’on aye creé de nouueaux Offices pendant
la minorité du Roy, lesquels il pourra casser sans faire
tort à personne, estant deuenu majeur ; puis que c’est faire
le Souuerain, & entreprendre sur l’authorité inseparable
de sa Personne, que de mettre des nouueaux Officiers dans
son Estat. Ainsi la derniere declaration procurée par le
Parlement de Paris, pour le soulagement du peuple, &
dont l’infraction est la cause de tous les mouuemens, n’est
pas vne forme de Loy ny d’Ordonnance nouuelle, mais vne
correction des deffauts & suppression des abus qui s’estoient
glissez insensiblement contre les Loix & les Ordonnances,
au preiudice des Sujets du Roy, par l’auarice & l’irreligion,
non seulement des Ministres d’Estat, mais encor d’vne infinité
de petites sangsuës, lesquelles, Monsieur, vous auez
soustenuës, & dont vous estes responsable à Dieu.

 

VI. LEÇON.

Vous deuez auoir meilleure opinion du zele & de l’affection
des François enuers le Roy, & principalement du
peuple de Paris, de croire qu’ils ne sont pas prests d’exposer
leur vie & leur bien pour son seruice : la guerre qui est entre
les deux Couronnes fait assez voir le contraire, & à quoy
mesme ils se croyent obligez pour deux principales raisons.
L’vne, Que comme les enfans sont obligez par la loy de
Nature, d’employer ce qu’ils ont, & de vie & de biens
pour la protection de leur pere, & pour la conseruation de
sa famille ; Personne ne peut reuoquer en doute que cette
mesme loy ne passe dans les peuples, pour leur apprendre ce
qu’ils doiuent à leur Prince & à l’Estat, à moins que de

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renoncer au sens commun, & dire que les Rois ne sont pas
les Peres de leurs sujets. L’autre raison regarde les interests
de chaque particuliers : Car comme tout vn Estat n’est
qu’vn Corps, dont le Souuerain est le Chef, vne partie ne
peut souffrir que l’autre ne participe à sa douleur : ainsi
comme tous les Peuples ont vne liaison auec le Prince,
dont les interests ne se peuuent separer, il n’y a personne
dans l’Estat, qui par la conseruation de ses interests propres,
ne soit obligé d’employer corps & biens pour la conseruation
de ceux du public, dans lesquels tous les particuliers
sont essentiellement engagez. Ces raisons seroient capables
de porter les François à leur deuoir, si leur bon naturel &
leur rare candeur ne les y portoient pas assez. Vostre Altesse
doit croire que tout le peuple de France, & les Habitans
de Paris, sont rauis d’aise, quand le Ciel leur fait
naistre l’occasion où ils peuuent tesmoigner leur fidelité &
leurs seruices à sa Majesté.

 

VII. LEÇON.

La derniere Leçon que nous vous desirons faire, est qu’vn
Enfant se doit souuenir des dernieres paroles de son Pere :
vous sçauez que Monseigneur le Prince, d’heureuse memoire
(à qui vous deuez l’honneur de vostre naissance)
auant son deceds vous recommanda cet Empire en ces
termes : Mon fils, seruez bien la France, elle reconnoistra vostre
seruice. Voyez, Monsieur, si vous l’auez bien seruie en la
precedente occasion : Veritablemet iusques-là vous auiez
bien obserué le commandement de vostre Pere ; aussi la
France n’en estoit pas mesconnoissante, le Peuple ne preschoit
que vos louanges, la Noblesse vous appelloit le Pere
des Soldats, les Chaires des Eglises & les Tribunaux faisoient
vostre gloire ; & si nostre Loy l’eust permis, nous
vous eussions dressé des Autels. Poursuiuez, Monsieur,
poursuiuez à bien faire, reprenez vostre premiere route :
suiuez le dessein des fideles François, & non pas du Cardinal
Mazarin, Dieu benira vos projets, l’honneur accompagnera
vos victoires, qui rendront vostre nom immortel.

FIN.

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