Anonyme [1650], RESOLVTION POLITIQVE Des deux principaux doutes qui occupent les Esprits du temps ; Sçauoir est, Et pourquoy est-ce qu’il s’opiniastre à leur detention, en veuë des desordres qui troublent l’Estat, pour procurer leur eslargissement. Dediée A ceux qui voudront voir vne Apologie sans passion, vne inuectiue sans aigreur, & vn raisonnement sans obscurité. , françaisRéférence RIM : M0_3515. Cote locale : B_6_1.
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RESOLVTION
POLITIQVE
Des deux principaux doutes qui occupent
les Esprits du temps ;

Sçauoir est,

Et pourquoy est-ce qu’il s’opiniastre à leur detention, en veuë
des desordres qui troublent l’Estat, pour procurer leur
eslargissement.

Dediée

A ceux qui voudront voir vne Apologie sans passion,
vne inuectiue sans aigreur, & vn raisonnement
sans obscurité.

M. DC. L.

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RESOLVTION POLITIQVE
du premier doute.

Pourquoy est-ce que le Cardinal Mazarin a fait emprisonner
les Princes, dans le temps de la Minorité.

CE doute n’a point de fondement dans l’idée de
certains petits sçauanteaux, qui tranchent des
Docteurs en Politique, sans faire aucune reflexion,
que c’est la science des solides ; & que les raisons d’Estat
ne peuuent estre maniées que fort grossierement,
par des personnes qui n’ont point vieilly dans l’exercice
de leurs intrigues. Cét emprisonnement des trois
Princes ne passe dans leur esprit, que pour vn ieu d’enfant
qu’ils cõsiderent auec mépris, parce qu’ils iugent
que son execution n’a iamais eu l’impossibilité, que
les plus iudicieux y soubçonnoient plus raisonnablement ;
& pourueu qu’ils ayent allegué les raisons,
dont le vulgaire repaist la foiblesse de son esprit, ils
se persuadent fort facilement qu’il n’y reste rien plus
à resoudre, quoy qu’en effet ils n’en ayent deuelopé,
que les difficultez, que leur euidence naturelle rend
visible, mesme aux moins éclairez dans les connoissances
du gouuernement.

Les plus sages neantmoins ont de la peine à conceuoir
les raisons, qui peuuent auoir fourny le conseil
de cet emprisonnement : mais sur tout lors que
faisant reflection sur l’impuissance d’vne minorité,
ils considerent qu’elle n’est point capable de brasser

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vn si grand party ; & qu’il semble tres-euident par
l’inuincible experience de tous les siecles, que ses
Ministres sont ou mal intentionnez, ou fort imprudemment
conseillez, lors que suiuant les lumieres,
ou bien plutost les caprices de leur ambition, ils portent
les Regents à se mettre sur les bras ces grandes
affaires, qui ne seruent puis apres, que de pretexte
apparemment specieux, pour appuyer les reuoltes ;
pendant qu’ils ne deuroient auoir de conduitte, que
pour faire couler tout doucement le temps de la foiblesse
de cet enfance, que les desordres ont troublé
de tout temps quelque moderation que ses Ministres
ayent porté pour en estouffer les naissances.

 

C’est sur cette pensée, que les sensez establissent
tous leurs soubçons, & c’est de là mesme, qu’ils concluent
par vne consequence necessaire, qu’il faut absolument
aller foüiller au de-là des idées du commun
pour y contempler les principes de cette dangereuse
emanation, & les grands motifs de cet emprisonnement
qu’vn Roy majeur eust entrepris auec moins
d’esperance d’y reüssir, que dans le recouurement de
la terre Saincte.

C’est pour quoy nous voyons que de tous ceux qui
se debattent pour la resolution de ce doute, quatre
puissans partis se sont formez, dont les vns concluent
en interessez : les autres en veritables genereux ; plusieurs
en Theologiens, quelques-vns en Philosophes,
& tous auec incertitude probable de la solidité de
leur raisonnement : les interessez se passionnent selon
les motifs de leurs obligations, & la seule reconnoissance

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les fait entrer en party pour y opiner en faueur
de celuy qui captiue leurs iugements, souz le tirannique
esclauage des esperances qu’il leur donne : les
genereux ne se declarent, du moins en intention,
que pour la verité ; & leurs conclusions ne sont pas
moins independantes de toute sorte de motifs interessez,
que leurs esperances ne sont nullement allechées
par les amorces d’aucun respect humain : les
Theologiens ne resoluent rien que par les lumieres
qu’ils empruntent de la prouidence, & lors qu’eils
condamnent, ou qu’ils iustifient, ils pretendent que
leurs iugements soient dautant plus équitables, qu’ils
sont pezez par les balances de la Iustice de Dieu : les
Philosophes ne discourent que par Probleme, & la
subtilité qu’ils employent pour la resolution de ce
doute, cause mille confusions, qui font vn dedale, de
la plus importante question du temps.

 

Pour moy, ie ne suis ny Philosophe, ny Politique,
ny aucunement interessé, comme i’ay desia protesté
dans l’entrée du discours d’Estat ; mais ie pense neant
moins qu’apres auoir attentiuement foüillé dans les
secrets de Mazarin, ie peus y auoir rencontré les veritables
motifs, qui l’ont pû porter à se resoudre
pour ce dangereux emprisonnement ; & pour en rendre
la connoissance dautant plus sensible que plus elle
est esloigné du sens commun à raison de sa profondeur,
ie presupose en premier lieu, que les obligations
importantes que le Cardinal auoit à Monseigneur le
Prince, depuis le succez du siege de Paris, auoiẽt tellement
engagé cet ingrat à seconder toutes les intentions

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de ce grand heros, qu’il n’en pouuoit choquer
vne seulle, sans vne méconnoissance d’autant plus
noire, que plus il estoit contraint de confesser, qu’il
ne s’estoit maintenu dans le gouuernement de l’Estat,
que par sa seule faueur ; Secondement ie presuppose
que la qualité de premier Prince du sang, & la
gloire d’auoir fait paroistre sur le theatre de Mars, le
plus redoutable vainqueur de l’Europe, & le plus illustre
conquerant François se presentoient à Mazarin,
cõme deux titres specieux, qui le conuainquoient
assez, que Monseigneur le Prince n’estoit plus en
estat de faire des demandes qui ne fussent de beaucoup
inferieures à la grandeur de son merite ; & que
par consequent il falloit se resoudre à interposer le
credit que la fortune luy auoit acquis auprés de la Regente,
pour ne luy laisser rien refuser de ce qui seroit
au dessous de la Souueraineté. Ie presuppose en dernier
lieu, que cette grande reconnoissance de Mazarin
estoit incompatible, auec la necessité qu’il auoit
de se maintenir dans sa premiere authorité, & que ce
Ministre ne pouuoit manquer de se voir reduit au
dangereux choix, ou de refuser à Monsieur le Prince
l’enterinement des demandes, qu’il ne luy pouuoit
faire que tres-ambitieuses ; ou de luy donner par reconnoissance
ce qui le rendoit puis apres superieur
& absolu sur tous les ordres de sa conduite.

 

La verité de ma premiere supposition ne paroistra
que trop euidente à ceux qui voudront se ressouuenir,
que ça esté la seulle, quoy que genereuse imprudence
de Monseigneur le Prince, que d’auoir entrepris

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de soustenir le Cardinal Mazarin mal-gré les
efforts, que tout le Royaume faisoit pour le precipiter
au plutost du gouuernail de l’Estat ; & que la
France qui l’auoit tousiours adoré comme le Dieu
de la valeur du temps, & le veritable Cesar de ce siecle,
ne changea son amour en haine, qu’apres le foible
pretexte, qu’elle crut pouuoir emprunter de l’aueuglement
de cette protection : si bien que si cét
Heros restablit cét infame dans son premier éclat,
en dépit de la coniuration generalle de toute la Monarchie,
il en déchut luy-mesme dans l’idée des foibles,
qui l’ayant du depuis regardé auec quelque refroidissement
de leur premiere affection, ont donné
occasion à cét ingrat de se preualoir de leur haine,
pour oster de deuant ses yeux, celuy, qu’il ne pouuoit
regarder que comme le Ioseph de son restablissement :
ainsi ie conclus par vne consequence aussi raisonnable
que necessaire dans la politique des honnestes
gens, que Monsieur le Prince ne s’estant descrié
que pour auoir soustenu la chutte de Mazarin, celuy-cy
deuoit se sentir obligé de seconder desormais toutes
intentions de cet illustre protecteur, quelques releuées
que son ambition les luy peut suggerer pour
les heureux succez de ses entreprises. Il n’est que les
fols & les enragez qui puissent s’inscrire en faux contre
b/> cette consequence.

 

Ie passe cependant à ma seconde suposition, où
i’ay d’abord à combattre les beaux pretextes de cét
emprisonnement, artificieusement estallez dans la
Declaration du Roy par les intrigues de Mazarin ; &

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ie soustiens que ce malicieux politique n’ayant pû
trouuer que des raisons supposées pour authoriser du
moins en apparence, l’entreprise de ce coup hardy,
n’a pû faire voir que des phantosmes, afin d’en amuser
l’imagination des foibles ; en ce qu’apres auoir rigoureusement
censuré les actions irreprochables de
Monsieur le Prince, il est enfin contraint d’alleguer
pour les principaux chefs de son accusation, qu’il se
rendoit trop importun à la Royauté par les demandes
extrauagantes qu’il faisoit en toute sorte d’occasion,
& sur tout par celles de l’Admirauté, & de l’épée
de Connestable ; & que cette necessité où il aloit
reduire l’authorité de son souuerain de ne pouuoir
presque rien plus ordonner que par sa disposition,
estoit d’vne si dangereuse consequence, qu’on ne
pouuoit plus en tolerer les progrez sans trahir visiblement
les interests de sa Majesté : Ie sçay bien que
la Declaration allegue d’autres pretextes, mais le iugement
general de tous les sensez fait passer ceux que
ie viens de nommer pour les principaux : ainsi puis
que ma supposition est contradictoire à ces raisons
supposees, ie n’ay qu’à les destruire, afin de l’establir.

 

Pour cét effet ie prie les Iuges de mon raisonnement
de préocuper leur esprit d’vne verité qui ne peut
estre condamnée que par les ignorans dans les matieres
d’Estat, & de faire reflection, que les actions
d’vn premier Prince du sang, quoy qu’esgales pour
leur matiere, comme parlent les Philosophes, à celles
d’vn simple Seigneur, éclatent neantmoins tellement

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pour leur forme, ou pour la reflexion qu’on doit faire
sur la plus eminente Noblesse de leur Autheur,
qu’on leur doit vne recompense dautant plus grande,
que plus elles releuent par dessus les autres, à raison
de leur Principe : Cette verité ne peut-estre choquée
que par ceux qui ne sçauent pas qu’vne belle
parole, qu’vn Prince aura lachée dans vn conseil de
guerre, merite beaucoup plus que ne feroit vn beaucoup
d’épée dextrement assené par vn simple Seigneur
dans le plus fort du combat ; & que l’honneur
que ce premier a, d’aprocher de plus prés la personne
du Roy, met toutes ses actions dans vn si haut degré
d’éleuation, que celles de l’autre n’y sçauroient iamais
aspirer, quelque extraordinaire neantmoins que
fut l’esclat auec lequel il les auroit produites. De ce
raisonnement ie passe à vn second, & ie dis qu’il n’est
point de Seigneur en France quelque illustre qu’il
soit, dont les actions puissent marcher de pair auec
celles de Monsieur le Prince, mesme pour leur nombre
& pour leur matiere, & que les plus iniustes ennemis
de ce grand Heros, ne luy contestent pas la
gloire de l’auoir emporté sur tous les Capitaines du
temps, soit qu’ils considerent les batailles rangées,
soit qu’ils regardent les prises des plus importantes
places, soit qu’ils iettent leurs yeux sur les conquestes
entieres des Prouinces : D’où ie conclus en suitte, que
puisque les gestes de Monseigneur le Prince ne peuuent
point souffrir de comparaison, mesme auec ceux
des plus signalez Capitaines de l’Estat, ny pour leur
forme, ny pour leur matiere ; les recompenses qui doiuent

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s’en ensuiure, aussi releuer à proportiõ par dessus
celles que ces autres genereux pourroient pretendre.

 

Or est-il qu’il n’est point de simple Seigneur en
France, voire mesme ny de simple Gentil-homme,
qui ne crut auoir merité l’épée de Connestable (car
pour le baston de Mareschal, le bois en nâit auiourd’huy
dans toutes les campagnes) s’il auoit emporté
quatre victoires en bataille rangée, dont la premiere
eust sauué l’Estat, comme le Rocroy de Monseigneur
le Prince ; s’il auoit pris les plus fortes places de l’Europe,
comme Thionville, Philisbourg, Dunkerque,
&c. s’il auoit fait perdre les titres d’inuincibles, ou de
redoutables aux plus illustres Generaux d’armées de
l’Europe, comme au Comte de Fontaines, aux Generaux
Bec, Iean de Wert, Mercy, Mello, Picolomini,
& à l’Archiduc : & s’il auoit surmonté les veux des
plus hardis en executant comme Monsieur le Prince
par dessus les idées de ceux qui n’auroient pas peu porter
si haut, les souhaits mesmes de leur ambition.

Si cette verité reçoit quelque doute qu’on en demande
la resolution à Philippe Auguste, qui ne crut
iamais pouuoir recompenser assez dignement le courage
que Matthieu II. de Montmorency auoit témoigné
dans la bataille de Bouines, s’il ne luy mettoit
en main l’espée de la France, dont il auoit si genereusement
coupé les aisles de seize Aigles Imperiales ;
ne se contentant pas mesme du pouuoir fort
limité, que les Connestables auoient auant le succez
de cette glorieuse iournée, & le releuant iusqu’à ce
prodigieux rehaussement qui le fait auiourd’huy regarder

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comme l’écueil de la Royauté, par ceux qui
ne considerent pas que le dessein de ce Dieu donné,
fut de réueiller le courage des plus genereux, en leur
proposant vne épée, dont la Iustice du premier Valois
recompensa puis apres la valeur de Charles III.
de l’illustre maison de Gié, apres le succez de la sanglante
iournée de Cassel ; & dont en suitte Iean premier,
Charles V. VII. VIII. Louis XII. & Henry
second, ont honoré le merite de simples Gentils-hommes,
tels qu’estoient le Connestable de Clisson,
le Connestable du Guesclin, & plusieurs autres, qui
ne sont pas inconnus aux sçauans.

 

S’il est donc vray que l’intention de ces illustres
fondateurs, lors qu’ils ont estably ce haut degré de
gloire, n’a esté que de le proposer en recompense à
ceux qui voudroient y paruenir par la voye des Heros ;
& qu’en effet il est constant par la suitte de tous
les siecles, que ç’a esté la plus haute faueur dont nos
Roys ont voulu reconnoistre les seruices de ceux qui
ne s’estoient point épargnez dans les occasions, pour
la meriter ; N’est-il pas encore plus vray que Mazarin
est le plus extrauagant de tous les hommes, en ce qu’il
veut faire voir dans la Satyre qu’il a faite paroistre
soubs le tiltre de Declaration du Roy, que la demande
que Monseigneur le Prince faisoit de cette charge
estoit trop ambitieuse ; & qu’il estoit trop insolent
de pretendre vne recompense, dont les Roys de tout
temps, & les plus iustes mesmes ont honoré depuis
peu, les simples Gentils-hommes.

Falloit il donc, Voleur trauesti en Cardinal, que

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ce Prince ne demandât pour recõpense de toutes ses
actions qu’vn simple baston de Mareschal de France ?
falloit-il qu’il bornast son ambition à se contenter
des honneurs, dont tes caprices sont à la veille de
combler des infames ? falloit que cet illustre Sang,
dont cét Heros a cimenté le repos de l’Estat ne fust
versé, que pour teindre cet escarlatte, dont la France
ne t’a reuestu que dans sa pamoison ? falloit-il ne recompenser
ce Cesar que d’vn vain tiltre de General
d’armée, que des temeritez heureuses font porter
tous les iours, à des potirons de terre, heureusement
éclos apres les chaleurs de quelque legere escarmouche ?
falloit-il que son bras conquerant ne moissonnast
des lauriers, que pour en couronner tes fauoris ?
falloit-il que cette illustre espée qui nous a tousiours
acquis le glorieux tiltre de redoutables ne fust point
celle de Connestable ; & que ces heroïques actions
qui l’ont fait souhaitter par les nations estrangeres,
pour releuer l’esclat de leurs couronnes, ne fussent
point honorées des plus illustres recompenses de la
Monarchie ?

 

Si la Iustice de la France n’a pû refuser vn baston
de Mareschal à vn Gentil-homme pretendu, pour
auoir fait des actions de Cheuau leger, ou enleué
quelques quartiers à la faueur de la nuit : qu’est-ce
qu’elle pouuoit refuser à celuy, qui estant nay premier
Prince du Sang, auoit genereusement prodigué
sa vie pour l’exposer en plein midy dans les illustres
hasards de quatre batailles, dont il est sorty vainqueur,
& triomphant mal-gré l’opiniastre resistance

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de ses ennemis ? Si nous voyons que des simples Gentils-hommes
emportent tous les iours les titres de Generaux,
pour auoir surpris quelque bicoque, ou pour
s’estre porté genereusement à la breche, à la teste des
enfans perdus : La France peut-elle auoir de recompenses
qui ne soit inferieures aux merites de Monseigneur
le Prince, puis qu’il se peut vanter d’auoir forcé
des villes imprenables, & de n’auoir iamais attaqué
que des rampars où nos ennemis croyoient estre
à l’abry de toutes sortes d’assauts ?

 

Mais ie veux faire tréve de tous ces Eloges, de peur
de m’emporter insensiblement au panegyrique, pour
conclure en faueur de ma seconde supposition, qu’il
n’estoit point de demandes, qui ne fussent inferieures
à celles que Monseigneur le Prince pouuoit faire
tres-équitablement, pourueu qu’elles fussent au dessouz
de la Royauté ; puis la matiere & la forme de
ses actions, pour parler en termes d’escole, l’emportoient
infiniment pardessus celle de nos plus illustres
Generaux ; puisque mesme plusieurs de nos Gentils-hommes
auoient merité les plus hautes charges de
l’Estat, pour auoir heureusement executé les Ordres
de Monseigneur le Prince ; puisque la moindre de ses
actions estoient capable de faire vn Mareschal de
France ; puis qu’il en auoit fait beaucoup plus qu’il
n’en falloit pour meriter l’espée de Connestable, &
puis que nos Roys mesme n’ont iamais eu d’autre dessein,
lors qu’ils ont basty cet eminent degré de gloire,
que d’y asseoir les Illustres qui l’auroient merité
dans cette grande lice ; où Monseigneur le Prince a

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visiblement deuancé, tous ceux que nos Souuerains ont
iamais honoré de cette haute recompense.

 

Si quelqu’vn veut s’inscrire en faux contre ces propositions,
il faut necessairement, ou qu’il soit Mazarin
endiablé, ou qu’il soustienne qu’vn premier Prince
du Sang ne peut pas iustement porter son ambition
plus haut qu’vn simple Seigneur, ce qui seroit
impertinent ; ou bien qu’il soit contraint d’aduouer
malgré son opiniastreté, que toutes les plus hautes
charges de l’Estat estoient beaucoup inferieures à la
iustice des demandes de Monseigneur le Prince ; &
qu’en luy donnant l’espée de Connestable, on n’assouuissoit
qu’vne petite partie des pretentions qu’il
pouuoit iustement auoir sur tout ce qu’il y auoit de
plus éclatant souz la Royauté,

Apres cet inuincible raisonnement ma troisiesme
supposition, me reste à prouuer : ou ie soustiens que
la conseruation de Mazarin dans l’eminente dignité
de premier Ministre d’Estat, & la reconnoissance qu’il
doit aux biens qu’il a receu de Monseigneur le Prince
sont incompatibles ; & qu’il faut necessairement qu’il
se témoigne ingrat pour se maintenir, ou qu’il se destruise
volontairement pour se reuancher des faueurs
dont il luy est redeuable. Voila deux necessitez
estonnantes ; mais elles ne paroistront pas moins euidentes,
à ceux qui voudront considerer que la verification
de cette supposition est vne consequence infaillible
des deux precedentes ; & qu’on ne m’aura
pas plutost accordé que Mazarin doit la conseruation
entiere de sa fortune à Monseigneur le Prince ; &

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que celuy-cy ne peut faire des demandes que le Mazarin
ne soit obligé de fauoriser, & que la France ne
doiue enteriner ; que ie ne concluë d’abord, qu’il faut
necessairement, ou que le Cardinal soit ingrat, ou
qu’il se destruise pour reconnoistre son bien-faicteur.

 

Pour cette fin, il faut considerer que Monseigneur
le Prince ne sçauroit demander à la France, que ce
que la faueur à mis à la disposition de Mazarin ; &
que la tyrannie de la fortune a fait de cet estranger
le dispensateur Souuerain des honneurs, des charges,
des dignitez, & de tous les commandements de la
de la Monarchie ; si cela n’est vray qu’on me demante,
ou qu’on me fasse voir le contraire : cela supposé,
i’adiouste que ce pouuoir souuerain de la fortune de
Mazarin est vn effet de la protection de Monseigneur
le Prince, comme ses ennemis mesmes le confessent :
je conclus doncques que Monseigneur le Prince ne
sçauroit estre refusé dans pas vne des demandes, dont
l’entherinement general est à la disposition de Mazarin,
à moins que cet infame obligé se resolue de choquer
son illustre bien-faicteur, auec la mesme authorité
que sa protection luy a maintenu.

Ce discours ne laisse point douter de la premiere
partie de ma supposition : ie passe à la seconde, pour
faire voir que Mazarin ne sçauroit fauoriser toutes
les demandes de Monseigneur le Prince, sans se destruire ;
& qu’il faut necessairement qu’il le choque
en quelque occasion, pour se maintenir dans le mesme
pouuoir que ce Prince luy a conserué. Si quelqu’vn

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se rebutte de la hardiesse de cette proposition,
qu’il suspende son iugement, iusques à ce qu’il ait
appris en premier lieu, que le pouuoir de Mazarin est
absolu, quoy qu’apparemment il soit dans la dependance
des ordres de leurs Majestez ; & que par consequent
cette obligation necessaire que la reconnoissance
luy imposeroit de seconder tous les mouuements
de Monseigneur le Prince, le detrôneroit de
cette Souueraineté qu’il a dans l’Estat, pour en faire
entierement le pensionnaire de ses volontez : pour
douter que cette grande subiection, à laquelle Mazarin
seroit obligé par le deuoir de sa reconnoissance,
ne deust estre l’escueil infaillible de sa haute fortune,
ie croy qu’il ne faut point sçauoir faire de reflection,
que tout le pouuoir des premiers Ministres
de la minorité consiste dans cette grande liberté
qu’ils ont de donner, ou de refuser selon les diuers
caprices de leurs inclinations ; & qu’ils commencent
à dechoir de leur authorité, pour n’estre plus contez
que parmy les domestiques de la Cour, lors que pour
obuier à leur decadence par l’entremise de quelque
Grand, la reconnoissance les oblige puis apres à ne
branler que par ses mouuements ; & à ne porter l’apparence
de souuerain sur les volontez du Regent, que
pour y faire regner en effet toutes les passions de celuy,
qui captiue leur liberté par la consideration de
leur reconnoissance. De ce raisonnement des deux
parties de ma supposition, ie conclus que Mazarin
doit estre ingrat s’il veut se maintenir ; ou qu’il doit
se perdre, s’il veut estre reconnoissant. Enrage qui

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voudra, voila mon opinion, & celle des sensez.

 

Cependant ie reprends mon train, apres auoir estably
la verité des trois suppositions que i’ay fait passer
les premieres, comme les bases & les fondements de
mon discours ; & certainement il me semble que la
resolution du doute qui en fait le subiet, ne souffre
plus de difficulté, si l’on veut adiouster à ces trois suppositions
precedentes, celle que ie croy la plus infaillible
de toutes ; c’est à dire, que le Mazarin n’a point
de plus forte passion que celle de se maintenir dans le
gouuernement absolu, & qu’outre cela, c’est le personnage
le plus méconnoissant, que la fortune ait iamais
eleué dans le ministere d’Estat : Ie proteste deuant
Dieu, que ie parle sans passion, ou que ie le pretends
pour le moins, & que le motif de l’interest ne
m’a rien encore fait auancer, qui puisse seruir de
preiugé, pour appuyer le raisonnement de ceux
qui voudroient condamner le mien sur la fausse
creance de ce soubçon : bien est vray, que ie defie les
plus interessez à la defense de Mazarin de me pouuoir
nier, que leur maistre ne soit extremément ambitieux
de se conseruer dans le gouuernement, attendu
l’entreprise effroyable de ce grand coup, qui
marque euidemment vne auidité dautant plus insatiable,
que plus il estoit probable qu’il ne l’entreprendroit
que dans l’extremité du desespoir : mais ie croy
que i’entreprends de prouuer qu’il est iour en plein
midy, lors que ie veux faire voir la passion que le
Cardinal a de faire subsister sa fortune mal-gré les attaques
de ses ennemis, puis qu’il n’appert que trop par

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la hardiesse de ses entreprises, que c’est l’vnique, ou la
principale de ses ambitions, & qu’il aimeroit cent fois
mieux mourir, que d’estre iamais reduit à la necessité
de suruiure à la honte de se voir decheu du haut faiste
de son authorité : Pour prouuer qu’il est vn ingrat,
& pour fermer la bouche à tous ceux qui voudroiẽt y
faire quelque replique, ie n’ay qu’à leur mettre deuant
les yeux toute la haine de cet Estat, qui ne se declareroit
iamais si generalement contre cet estranger :
Si tous les François n’y reconnoissoient vne méconnoissance
visible ; & si l’experience qu’on a de sa lacheté,
depuis qu’il est dans le Ministere, ne vous conuainquoit
en toutes façons, que Mazarin n’a point
de vice plus remarquable que celuy de son ingratitude ;
& qu’il ne donne iamais, que lors qu’vne derniere
necessité luy vient arracher quelque chose des
mains.

 

I’establis sur ces veritez presupposées, & generalement
receües de tout le monde, l’infaillibilité de la
consequence qui doit faire la resolution de ce doute ;
ie dis auec tous les prudens, que Mazarin n’a point eu
d’autre motif en emprisonnant les Princes, que celuy
qui luy a esté inspiré par la necessité de se maintenir
dans son premier esclat ; & par la repugnance
que son lache naturel auoit de se sçauoir redeuable
de toute sa fortune, à celuy dont la grandeur ne pourroit
iamais estre egalement reconnüe, que par vne
constance non iamais interrompüe de subiection,
qui luy feroit espouser tous ses interests, sans qu’il
luy fut iamais permis de le choquer dans la moindre

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de ses intentions, à moins qu’il ne voulust se resoudre
de prester tousiours les oreilles aux reproches de
son rétablissement. C’est cette reflection qui luy a fait
fermer les yeux à tous ces nobles motifs, qui seroient
neantmoins les continuels aiguillons de la generosité
des plus laches ; c’est elle qui luy a fourny toutes ces
fausses coleurs, dont il a reuestu puis apres les inuectiues
d’vne dangereuse accusation, pour rendre son visage
hideux, aux yeux de ceux qui ne le considereront
que dans ses trompeuses apparences ; & pour acheuer
de le noircir dans l’idée de ceux ausquels le siege de
Paris seruoit desia de pretexte, pour le deguisemẽt de
l’iniustice de leur haine : C’est cette consideration,
dis-je, qui a fait resoudre cet ingrat, & cet ambitieux
à l’emprisonnement de celuy dont la liberté deuoit
captiuer la sienne : dont la puissance deuoit estre le
frein de sa tyrannie, & dont le pouuoir ne pourroit
plus souffrir son authorité que dans la dependance
generale de toutes ses intentions.

 

Il me semble que mon raisonnement commence
à porter coup ; & que ces sensez pretendus, qui ne iugent
iamais que sur les apparences, pourront enfoncer
plus auant, pour penetrer dans la cõnoissance, qui
peut faciliter la resolution de ce doute, lors qu’ils
considereront tous que Monseig. Ie Prince ne pouuant
rien demander qui ne fust à la disposition du
Cardinal : & le Cardinal ne pouuant rien refuser à
Monseigneur le Prince, qui ne marquast vne méconnoissance
insupportable ; & le mesme Monseigneur
le Prince ne pouuant se rendre importun, quelques

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frequentes que fussent les demandes, qu’il eust pû faire
à celuy qui ne s’estoit restably que par sa faueur ; il ne
se pouuoit faire que cet Estranger n’abusast de son authorité,
pour tacher de perdre celuy qui la deuoit captiuer
par la necessité de sa reconnoissance.

 

Ce raisonnement est d’autant plus infaillible, que
plus il est vray que l’ambition debordée, & l’ingratitude
sont inseparables, & qu’il ne se peut en aucune
façon que lors que celle-la prédomine dans vn
esprit, celle-cy n’en soit la principale campagne :
puis que l’ambition, comme parlent les Sages,
n’est rien autre chose qu’vn certain debordement
de nostre imagination, qui nous fait paroistre à
nous-mesme plus grands que nous ne sommes ; ce
qui ne se pourroit iamais, si l’ingratitude n’y venoit
au secours, pour effacer de l’esprit le souuenir de cette
noble seruitude de reuanche, à la quelle nous sommes
obligez par la reconnoissance ; & pour nous faire oublier
les faueurs d’autruy, dont la memoire nous feroit
sans doute paroistre en effet, moindres que nous
ne sommes par imagination : pour cette raison il est
fort aizé à conclurre que le Mazarin estant vn des
plus ambitieux personnages du monde, il falloit par
mesme consequence que son ingratitude fut en mesme
degré ; & que pour luy conseruer cette idée extrauagante
de sa grandeur, elle luy effaçast de l’esprit la
pensée de celuy, lequel il ne pouuoit regarder sans se
sentir obligé de dire, qu’il n’estoit grand que par sa
seulle faueur : ainsi la necessité de seconder toutes les
intentions de Monseigneur le Prince par reconnoissance,

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ou de les choquer auec ingratitude, reduisoit
Mazarin à cette extremité, qu’il ne pouuoit luy refuser
chose quelconque, sans se seruir de son propre
bien-fait pour le desobliger ; ny procurer seruilement
l’execution de toutes ses demandes, sans se rendre plutost
le Ministre dependant de ses volontez, que de
celles de son souuerain.

 

Cette consequence paroist si visible dans toute la
Declaration du Roy ; c’est à dire, dans toute l’inuectiue,
que Mazarin a fait passer à la faueur de cet illustre
titre, qu’il semble que cet ambitieux ingrat n’en peut
dementir le dessein : Tellement qu’à bien considerer
toute la suitte de son discours, les plus seueres concluent
que tous les crimes de Monseigneur le Prince
ne reuiennent qu’à l’importunité de ses demandes.
S’il demande le gouuernement de quelque place,
pour quelque Capitaine, que la valeur luy ait fait remarquer
dans les combats, il est soubçonné de vouloir
brasser quelque mauuais party contre la Royauté :
s’il propose quelque hõme d’elite pour estre nommé
à quelque Euesché vaquant, c’est vn insatiable
qui ne se contente iamais ; s’il parle de l’Admirauté,
ou de l’espée de Connestable pour seruir de recompense
à la grandeur des seruices qu’il a rendus à l’Estat,
c’est vn criminel visible de leze Majesté, s’il se
passionne vigoureusement pour le progrez des affaires
de la Monarchie, pendant la minorité de son Souuerain,
c’est vn violent, c’est vn seditieux, c’est vn
boute-feu, c’est vn… Arrestez, arrestez,
Monsieur le Cardinal, il n’en faut pas d’auantage,

-- 22 --

pour faire voir que les demandes de Monseigneur le
Prince sont importunes, ou criminelles, parce qu’elles
vous ostẽt la liberté de disposer de toutes les charges
de l’Estat, selon vos caprices.

 

Si Monseigneur le Prince n’est conuaincu de leze
Majesté, que pour auoit pretendu à l’espée de Connestable,
ou à la dignité d’Admiral il n’est criminel
que pour auoir voulu en recompense de quatre batailles,
ce que nos Roys ont donné par faueur à des
simples Gentils-hommes ; s’il n’est soubçonné du
dessein d’auoir brassé quelque mauuais party, que
pour auoir demandé des gouuernements pour ceux
qu’il auoit veu voler dans les occasions, il n’est soubçonné
de trahison, que pour auoir fait son deuoir, en
procurant quelque recompense à ceux dont il reconnoissoit
peut-estre tout seul le merite : enfin s’il n’est
insolent que pour s’estre vigoureusement interessé
dans les progrez de l’Estat, vous estes vn eceruelé de
ne sçauoir mieux couurir vostre jeu pour le decrediter
dans l’idée des fidelles Subiets de ce Royaume,
qui n’atendent rien moins de la generosité de Monseign.
le Prince, que cette vigoureuse fermeté d’esprit,
à laquelle il faisoit fort heureusement échouër
toutes vos peruerses intentions, pour le maintien de
l’authorité de son Prince.

Mais leuez le masque, & mettez du moins vne
fois le cœur sur vostre front, afin de nous y laisser lire
sans fourbe, ces importantes veritez que nous venons
de descouurir enfin, par la suitte infaillible d’vn fort
raisonnement, c’est à dire, I. qu’il vous fachoit trop

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sçauoir que vous deuiez toute vostre fortune à Monseigneur
le Prince, II. que vous ne pouuiez souffrir
cette grande obligation que vous auiez à seconder
toutes ses intentions III. que la necessité d’intheriner
toutes ses demandes vous reduiroit enfin à ne
gouuerner l’Estat, que pour en prendre les ordres de
sa conduitte, IV. que cette grande seruitude, vous
empeschoit de disposer des charges de la Monarchie,
en faueur de vos va-de-pieds V. que vous estiez
honteux de ne porter qu’vn vain titre de premier Ministre
d’Estat, & VI. que vous n’estiez plus en liberté
de gouuerner au gré de vos caprices, & que cet
Illustre Genie espioit trop seuerement tous vos pas
pour ne vous obliger pas à luy brasser quelque mauuais
party. Voyla ce me semble la resolution entiere
du premier doute, ie passe au second.

 

II. RESOLVTION POLITIQVE
du deuxiesme doute.

Pourquoy est-ce que Mazarin s’opiniastre si fort à la
detention de Messieurs les Princes, &c.

IE confesse d’abord que les motifs de l’emprisonnement
des Princes, sont ceux de leur detention ;
& que le Cardinal Mazarin doit s’opiniastrer à l’empeschement
de leur deliurance, par les mesmes raisons
qu’il a eu pour s’asseurer de leurs personnes. Mais
les bons Politiques connoissent bien que le temps a

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fait naistre de nouueaux obstacles, qui font regarder
cet eslargissement, comme l’infaillible escueil de la
fortune de Mazarin, & que les causes premieres de ce
coup hardy, ne donneroient point tant de tranchées
à tout le conseil de leur Autheur, s’il n’estoit obligé
d’en detester l’infecondité, par la fatale necessité que
leurs effets luy donnent, de ne pouuoir consentir à
cette deliurance, sans souscrire tacitement à sa perte.

 

Deuelopons vn peu plus clairement cette verité
par vne longue deduction de toutes les circonstances
qui sont suruenuës à cet emprisonnement, & qui ne
laissent point trouuer d’autre source à la deliurance,
que celle de la perte de Mazarin : pour cet effet ie reprends
mes airrhes, & ie dis que cet ingrat, à tout
rompre, ne pouuoit du moins manquer de se maintenir
mal-gré toute la haine de l’Estat, s’il eust voulu
ménager prudemment les affections de Monseigneur
le Prince, qui sans doute le pouuoit soustenir, quelque
effort qu’on eust fait, pour luy faire quitter le
timon ; & qui n’eust iamais manqué de le proteger,
en intention de se seruir de l’authorité qu’il auoit auprés
de la Regente, pour n’estre iamais refusé dans
aucune de ses demandes : Les plus oculez auoient
bien preveu ce seul moyen ; mais Mazarin, quelque
connoissance qu’il en eust luy-mesme, n’eust
pas le cœur de se voir reduit à la necessité seruile de
seconder inuiolablement toutes les intentions de
Monseigneur le Prince : C’est pourquoy l’ambition
qu’il auoit de posseder le cœur de la Reyne, sans estre
obligé d’en soumettre les faueurs à la discretion d’vn

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bien faicteur, luy suggera le dessein de supposer des
crimes à l’irreprochable mesme, & de tascher suiuant
cette maxime du monde.

 

Qui nihil potest sperare, desperet nihil.

De trouuer quelque ressource à la faueur d’vn desespoir,
en ostant de deuant ses yeux celuy qu’il ne pouuoit
regarder que comme le Dieu de son bon heur.

Il est vray qu’il estoit à la veille de le porter plus
haut que iamais, si ce grand coup luy eust reüssi,
mais les bons destins de la France ont voulu que les
Partizans de ces trois illustres, ne se sont point endormis
à la nouuelle de cette insolence ; & que le party
qui s’est formé pour en vanger l’affront, a fait conceuoir
à tous les iniustes ennemis de la vertu de
Monseigneur le Prince, que le Cardinal Mazarin,
bien loing de veiller aux auantages de la Royauté,
n’auoit point de plus ambitieuse passion que d’en
sapper les plus solides fondements, puis qu’il attaquoit
l’innocence de celuy, dont la seule presence
deuoit estre la bride de tous les mal-heureux desseins
qu’il pouuoit brasser contre cet Estat : C’est aussi de
cette funeste source qu’on a veu naistre ces grands desordres,
qui font encore auiourd’huy trembler tout
ce Royaume, & qui font estonner mesme les plus
prudents, de ce qu’on n’y pouruoit pas au plutost par
cette deliurance tant desirée, de Messeigneurs les
Princes.

Mais pour ne laisser point de lieu à cet estonnement,
ie croy qu’il faut sçauoir que l’afront que
Monseigneur le Prince a receu d’auoir esté emprisonné

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par le conseil de celuy que sa faueur auoit
maintenu, ne peut esperer de moindre reparation
apres leur deliurance, que celle de la perte du Cardinal
Mazarin, & que cet Illustre Conquerant seroit le
plus insensible des mortels, s’il pouuoit endurer qu’il
eust retenty par toute l’Europe, sans qu’il se mist en
peine d’en faire éclatter encore plus hautement la reparation :
Voyla l’entrée de ma premiere raison, que
ie puis encore rendre plus sensible à tous les curieux
desinteressez, s’ils veulent prendre la peine de faire
quelques reflections sur la bassesse du méconnoissant,
& sur la grandeur du méconnu ; sur la reputatation
de Monseigneur le Prince, & sur le decry du
Cardinal Mazarin ; sur l’importance du bien-faict
du costé de celuy qui l’a receu, & sur l’indifference
de celuy qui l’a donné

 

Quand ie parle de Monseigneur le Prince, ie parle
de celuy dont le nom est plus grand que toute
l’Europe ; dont la valeur est plus connüe que celle
des Cesars ; dont la naissance peut du moins aller
du pair auec toutes les plus illustres du monde ;
quand ie parle de Mazarin, ie parle de celuy (sans
passion) dont le nom n’a éclatté que comme celuy
d’Herostrate à Ephese ; c’est à dire, à la faueur des
embrazements qu’il a fomentez dans toute l’Europe,
dont les trahisons sont generalement detestees,
tant des estrangers que des domestiques, & de peur
de redite, dont la naissance n’est pas plus releuée que
celle des boulangers de Gounesse, ou des charbonniers
de Paris, & neantmoins toute l’Europe sçaura

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que ce descrié, ce traistre, ce vilain a fait emprisonner
ce Redoutable, ce Conquerant, cet Illustre, sans
que ce dernier s’efforce en aucune façon, apres son
eslargissement, d’en faire aussi hautement éclatter la
vengeance, que l’afront en a retenty : si quelqu’vn
croit que cela se puisse, ie luy promets qu’il ne sera
iamais damné.

 

Cependant ie continuë pour faire voir que l’importance
d’estre appuyé de Monseigneur le Prince,
estoit necessaire pour la conseruation de Mazarin ; &
que l’indifference que Monseigneur le Prince auoit à
le soustenir, estoit si parfaite, qu’il n’y estoit obligé
par acune consideration, que par celle de sa propre
generosité : qu’eust fait le pauure Mazarin, si Monseigneur
le Prince se fust voulu ietter dans le party
des Parisiens, & s’il eust acepté la Regence qu’on luy
offroit : par les Messieurs ses Partisans, ie vous asseure
que ie ne vous contrediray pas, parce que ie croy
que vous ne serez pas assez effrontez pour nier que
la perte de vostre maistre n’ait esté à la liberté de Monseigneur
le Prince : mais quels estoient les motifs que
Monseigneur le Prince auoit pour soustenir Mazarin,
est-ce qu’il consideroit ses alliances ; il n’en a iamais
pû trouuer, mesme auec des simples Gentils-hommes :
est-ce qu’il redoutoit sa puissance ? il ne subsistoit
que par sa faueur : est-ce qu’il pretendoit se faire
aymer en le protegeant ? il ne voyoit que trop qu’il
s’alloit decrediter dans l’idée des François : est-ce
qu’il respectoit quelque grand qui fust interessé à
son party ? tout le monde l’auoit presque generalement

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delaissé : il faut donc necessairement qu’il n’ait
eu que sa propre generosité pour le motif de cette
protection, & qu’il ne l’ait fait subsister mal gré toutes
les secousses de l’Estat, qu’auec vne aussi pure indifference ;
que son secours estoit absolument necessaire
pour le Cardinal Mazarin, afin de n’estre point
precipité du faiste du gouuernement : apres ces reflections
ie m’imagine qu’il faut auoir renoncé au sens
commun, pour ne voir pas que la necessité, que
l’honneur imposera à Monseigneur le Prince, de perdre
Mazarin sera indispensable, & qu’il n’est obligé
ny par les loix humaines, ny par les Diuines, de luy
pardonner, à moins qu’il soit en dessein de iustifier
l’iniustice de son procedé, par celle de sa tolerance ;
& qu’il vueille laisser l’idée de son accusation dans l’imagination
des foibles, pour faire paisiblement suruiure
à la reparation de sa gloire, celuy qui l’a si outrageusement
flestrie : mais cela ne se peut, ny ne se
doit : la reputation de ce Prince n’est pas moins necessaire
à l’Estat, que la cõseruation de sa personne ; &
puis que toute l’Europe en a conceu des idées qui ne
pouuoient estre que tres-desauantageuse à son honneur
en suitte de cet emprisonnement ; il faut necessairement
qu’elles soient effacées de l’esprit des peuples,
en faisant voir par les effets d’vne iuste vengeance,
que l’enuie d’vn mauuais fauory, quoy qu’innocemment
appuyée de l’authorité souueraine, a fait
heureusement triompher ses trahisons pour opprimer
l’innocence la plus connüe de ce siele.

 

La Politique, la Morale & le Christianisme sont

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Anonyme [1650], RESOLVTION POLITIQVE Des deux principaux doutes qui occupent les Esprits du temps ; Sçauoir est, Et pourquoy est-ce qu’il s’opiniastre à leur detention, en veuë des desordres qui troublent l’Estat, pour procurer leur eslargissement. Dediée A ceux qui voudront voir vne Apologie sans passion, vne inuectiue sans aigreur, & vn raisonnement sans obscurité. , françaisRéférence RIM : M0_3515. Cote locale : B_6_1.