Anonyme [1650], RESOLVTION POLITIQVE Des deux principaux doutes qui occupent les Esprits du temps ; Sçauoir est, Et pourquoy est-ce qu’il s’opiniastre à leur detention, en veuë des desordres qui troublent l’Estat, pour procurer leur eslargissement. Dediée A ceux qui voudront voir vne Apologie sans passion, vne inuectiue sans aigreur, & vn raisonnement sans obscurité. , françaisRéférence RIM : M0_3515. Cote locale : B_6_1.
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II. RESOLVTION POLITIQVE
du deuxiesme doute.

Pourquoy est-ce que Mazarin s’opiniastre si fort à la
detention de Messieurs les Princes, &c.

IE confesse d’abord que les motifs de l’emprisonnement
des Princes, sont ceux de leur detention ;
& que le Cardinal Mazarin doit s’opiniastrer à l’empeschement
de leur deliurance, par les mesmes raisons
qu’il a eu pour s’asseurer de leurs personnes. Mais
les bons Politiques connoissent bien que le temps a

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fait naistre de nouueaux obstacles, qui font regarder
cet eslargissement, comme l’infaillible escueil de la
fortune de Mazarin, & que les causes premieres de ce
coup hardy, ne donneroient point tant de tranchées
à tout le conseil de leur Autheur, s’il n’estoit obligé
d’en detester l’infecondité, par la fatale necessité que
leurs effets luy donnent, de ne pouuoir consentir à
cette deliurance, sans souscrire tacitement à sa perte.

 

Deuelopons vn peu plus clairement cette verité
par vne longue deduction de toutes les circonstances
qui sont suruenuës à cet emprisonnement, & qui ne
laissent point trouuer d’autre source à la deliurance,
que celle de la perte de Mazarin : pour cet effet ie reprends
mes airrhes, & ie dis que cet ingrat, à tout
rompre, ne pouuoit du moins manquer de se maintenir
mal-gré toute la haine de l’Estat, s’il eust voulu
ménager prudemment les affections de Monseigneur
le Prince, qui sans doute le pouuoit soustenir, quelque
effort qu’on eust fait, pour luy faire quitter le
timon ; & qui n’eust iamais manqué de le proteger,
en intention de se seruir de l’authorité qu’il auoit auprés
de la Regente, pour n’estre iamais refusé dans
aucune de ses demandes : Les plus oculez auoient
bien preveu ce seul moyen ; mais Mazarin, quelque
connoissance qu’il en eust luy-mesme, n’eust
pas le cœur de se voir reduit à la necessité seruile de
seconder inuiolablement toutes les intentions de
Monseigneur le Prince : C’est pourquoy l’ambition
qu’il auoit de posseder le cœur de la Reyne, sans estre
obligé d’en soumettre les faueurs à la discretion d’vn

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bien faicteur, luy suggera le dessein de supposer des
crimes à l’irreprochable mesme, & de tascher suiuant
cette maxime du monde.

 

Qui nihil potest sperare, desperet nihil.

De trouuer quelque ressource à la faueur d’vn desespoir,
en ostant de deuant ses yeux celuy qu’il ne pouuoit
regarder que comme le Dieu de son bon heur.

Il est vray qu’il estoit à la veille de le porter plus
haut que iamais, si ce grand coup luy eust reüssi,
mais les bons destins de la France ont voulu que les
Partizans de ces trois illustres, ne se sont point endormis
à la nouuelle de cette insolence ; & que le party
qui s’est formé pour en vanger l’affront, a fait conceuoir
à tous les iniustes ennemis de la vertu de
Monseigneur le Prince, que le Cardinal Mazarin,
bien loing de veiller aux auantages de la Royauté,
n’auoit point de plus ambitieuse passion que d’en
sapper les plus solides fondements, puis qu’il attaquoit
l’innocence de celuy, dont la seule presence
deuoit estre la bride de tous les mal-heureux desseins
qu’il pouuoit brasser contre cet Estat : C’est aussi de
cette funeste source qu’on a veu naistre ces grands desordres,
qui font encore auiourd’huy trembler tout
ce Royaume, & qui font estonner mesme les plus
prudents, de ce qu’on n’y pouruoit pas au plutost par
cette deliurance tant desirée, de Messeigneurs les
Princes.

Mais pour ne laisser point de lieu à cet estonnement,
ie croy qu’il faut sçauoir que l’afront que
Monseigneur le Prince a receu d’auoir esté emprisonné

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par le conseil de celuy que sa faueur auoit
maintenu, ne peut esperer de moindre reparation
apres leur deliurance, que celle de la perte du Cardinal
Mazarin, & que cet Illustre Conquerant seroit le
plus insensible des mortels, s’il pouuoit endurer qu’il
eust retenty par toute l’Europe, sans qu’il se mist en
peine d’en faire éclatter encore plus hautement la reparation :
Voyla l’entrée de ma premiere raison, que
ie puis encore rendre plus sensible à tous les curieux
desinteressez, s’ils veulent prendre la peine de faire
quelques reflections sur la bassesse du méconnoissant,
& sur la grandeur du méconnu ; sur la reputatation
de Monseigneur le Prince, & sur le decry du
Cardinal Mazarin ; sur l’importance du bien-faict
du costé de celuy qui l’a receu, & sur l’indifference
de celuy qui l’a donné

 

Quand ie parle de Monseigneur le Prince, ie parle
de celuy dont le nom est plus grand que toute
l’Europe ; dont la valeur est plus connüe que celle
des Cesars ; dont la naissance peut du moins aller
du pair auec toutes les plus illustres du monde ;
quand ie parle de Mazarin, ie parle de celuy (sans
passion) dont le nom n’a éclatté que comme celuy
d’Herostrate à Ephese ; c’est à dire, à la faueur des
embrazements qu’il a fomentez dans toute l’Europe,
dont les trahisons sont generalement detestees,
tant des estrangers que des domestiques, & de peur
de redite, dont la naissance n’est pas plus releuée que
celle des boulangers de Gounesse, ou des charbonniers
de Paris, & neantmoins toute l’Europe sçaura

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que ce descrié, ce traistre, ce vilain a fait emprisonner
ce Redoutable, ce Conquerant, cet Illustre, sans
que ce dernier s’efforce en aucune façon, apres son
eslargissement, d’en faire aussi hautement éclatter la
vengeance, que l’afront en a retenty : si quelqu’vn
croit que cela se puisse, ie luy promets qu’il ne sera
iamais damné.

 

Cependant ie continuë pour faire voir que l’importance
d’estre appuyé de Monseigneur le Prince,
estoit necessaire pour la conseruation de Mazarin ; &
que l’indifference que Monseigneur le Prince auoit à
le soustenir, estoit si parfaite, qu’il n’y estoit obligé
par acune consideration, que par celle de sa propre
generosité : qu’eust fait le pauure Mazarin, si Monseigneur
le Prince se fust voulu ietter dans le party
des Parisiens, & s’il eust acepté la Regence qu’on luy
offroit : par les Messieurs ses Partisans, ie vous asseure
que ie ne vous contrediray pas, parce que ie croy
que vous ne serez pas assez effrontez pour nier que
la perte de vostre maistre n’ait esté à la liberté de Monseigneur
le Prince : mais quels estoient les motifs que
Monseigneur le Prince auoit pour soustenir Mazarin,
est-ce qu’il consideroit ses alliances ; il n’en a iamais
pû trouuer, mesme auec des simples Gentils-hommes :
est-ce qu’il redoutoit sa puissance ? il ne subsistoit
que par sa faueur : est-ce qu’il pretendoit se faire
aymer en le protegeant ? il ne voyoit que trop qu’il
s’alloit decrediter dans l’idée des François : est-ce
qu’il respectoit quelque grand qui fust interessé à
son party ? tout le monde l’auoit presque generalement

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delaissé : il faut donc necessairement qu’il n’ait
eu que sa propre generosité pour le motif de cette
protection, & qu’il ne l’ait fait subsister mal gré toutes
les secousses de l’Estat, qu’auec vne aussi pure indifference ;
que son secours estoit absolument necessaire
pour le Cardinal Mazarin, afin de n’estre point
precipité du faiste du gouuernement : apres ces reflections
ie m’imagine qu’il faut auoir renoncé au sens
commun, pour ne voir pas que la necessité, que
l’honneur imposera à Monseigneur le Prince, de perdre
Mazarin sera indispensable, & qu’il n’est obligé
ny par les loix humaines, ny par les Diuines, de luy
pardonner, à moins qu’il soit en dessein de iustifier
l’iniustice de son procedé, par celle de sa tolerance ;
& qu’il vueille laisser l’idée de son accusation dans l’imagination
des foibles, pour faire paisiblement suruiure
à la reparation de sa gloire, celuy qui l’a si outrageusement
flestrie : mais cela ne se peut, ny ne se
doit : la reputation de ce Prince n’est pas moins necessaire
à l’Estat, que la cõseruation de sa personne ; &
puis que toute l’Europe en a conceu des idées qui ne
pouuoient estre que tres-desauantageuse à son honneur
en suitte de cet emprisonnement ; il faut necessairement
qu’elles soient effacées de l’esprit des peuples,
en faisant voir par les effets d’vne iuste vengeance,
que l’enuie d’vn mauuais fauory, quoy qu’innocemment
appuyée de l’authorité souueraine, a fait
heureusement triompher ses trahisons pour opprimer
l’innocence la plus connüe de ce siele.

 

La Politique, la Morale & le Christianisme sont

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