Anonyme [1652], RESPONSE DES BOVRGEOIS D’ORLEANS FAITE A SA MAIESTÉ. ET LA DEPVTATION QV’ILS ONT enuoyée A. S. A. R. touchant le dessein qu’ils ont de ne permettre point l’entrée de Mazarin dans leur ville , françaisRéférence RIM : M0_3413. Cote locale : B_8_66.
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RESPONSE
DES BOVRGEOIS
D’ORLEANS
FAITE A SA
MAIESTÉ.

ET LA DEPVTATION QV’ILS ONT
enuoyée A. S. A. R. touchant le dessein qu’ils
ont de ne permettre point l’entrée de
Mazarin dans leur ville

M. DC. LII.

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RESPONSE DES BOVRGEOIS D’ORLEANS
faite à sa Maiesté, & la deputation qu’ils ont enuoyée
à S. A. R. touchant le dessein qu’ils ont de ne permettre point
l’entrée du Mazarin dans leur ville.

L’Honneur de rendre quelque seruice à sa patrie a tousiours fait agir puissamment les grands courage,
& la douceur que produit dans nos ames vne si
iuste & si raisonnable passion, a toujours trouué quelque
place dans vn esprit bien né, & qui est capable d’auoir
quelque sentiment pour la gloire.

La France n’a iamais manqué de ces ames genereuses,
elle en a fait naistre en quantité dans les siecles
passés, & il n’y a guere de François encor à present qui
ne se picque d’vn honneur si veritable, il est bien vray
que la plus part se contentent d’auoir cette loüable
inclination, dans l’impuissance où il est de la faire paroistre,
& que pendant vne odieuse & insupportable
tyrannie, ils apprehendent que leur generosité ne soit
mal receuë, & que la produisant hors de saison elle ne
demeure inutile. Si bien qu’ils sont contens de ressentir
auec douleur les calamitez dont la pauure patrie
est presque accablée, ne sçachant pas de moyens efficaces
pour y remedier.

Il en est bien peu dans le mal-heur public qui s’efforcent
de soulager leur pays, & qui par vne resolution
plus qu’humaine se portent à combattre l’origine des
troubles au lieu de regarder auec abattement d’esprit,
le desordres & les maux qui en prouiennent.

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Messieurs les Bourgeois de la ville & cité d’Orleans
ont paru dans cét excés d’affection pour leur
chere patrie, & ce n’a pas seulement esté en cette occasion
seule, mais dans tous les siecles passez, nous
auons eu des marques infaillibles de leur zele pour la
France : le tyran Attila y vint échoüer auec cinq cens
mille hommes, la tyrannie Romaine fut par eux abbatuë
en France, & par l’affection inuiolable qu’elle a
tousiours témoignée à son Monarque legitime, elle fut
la premiere à secoüer le ioug des Anglois si tost qu’elle
se vit en estat de resister a leur insolence qui l’auoit
renduë capitue.

Aujourd’huy elle ne monstre pas moins de fidelité
pour son Souuerain Seigneur, & tout autant d’auersiõ
pour la tyrannie. Si bien qu’elle meriteroit d’estre
l’arbitre des differens qui agitent à present tout ce
Royaume.

Le Roy au sortir d’Amboise enuoya dans cette ville
ses Fourriers & Marechaux des Logis pour y marquer
son logement auec ceux de toute sa Cour. Venant
de la part de sa Majesté, ils furent receus auec
tout honneur & tout le respect dû aux officiers de leur
Monarque : mais si tost qu’ils en furent venus iusqu’à
cét excés de temerité de marquer vn logement pour
le Mazarin, immediatement apres celuy de leurs Majestez,
ils en furent si indignez de colere contre ceux
qui faisoient cét office, que peu s’en fallut qu’ils n’en
fissent sur l’heure vn chastiment exemplaire de ces lasches
seruiteurs, non plus du Roy : mais du Mazarin.

Toute-fois ils se contenterent d’empescher cette

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hardiesse, & pour ne point se rendre coupables
pour vouloir estre trop affectionné, ils rendirent
aussi-tost raison de leur procedé en cette sorte. Ils
assemblerent le conseil de la ville ou il fut bien-tost
arresté que les portes seroient ouuertes à leurs Maiestez,
& tous les deuoirs de tres humbles & tres fidelles
sujets leurs seroient rendus, tels qu’ils leur
plairoit les exiger de leur bonne ville d’Orleans,
mais comme on en vint à la reception qu’on deuoit
faire au C. chacun commença à murmurer & à tesmoigner
hardiment qu’ils ne vouloient point donner
d’entrée à cet ennemy public qu’il falloit y resister
fortement, & que s’il y auoit quelque Mazarin
en la compagnie il en falloit dépescher le monde
aussi bien que de leur maistre si on le tenoit.

 

Aussi-tost il fut ordonné par le mesme conseil de
conduire le Canon sur les murailles dans la iuste apprehension
qu’on auoit que le M. irrité outre mesure
de ce honteux refus ne vint auec l’armée pour
s’en vanger, & metre tout à feu & à sang cette ville
plus affectionnée que luy au seruice de leurs Majestez
en effet. Ce Ministre qui ne respire plus que le
sang, & la vengeance ne leur en feroit pas moins
qu’il en vient de faire, aux malheureux habitans des
Ponts de Cé que sa rage a fait passer cruellement au
fil de l’espée, quoy que tout leur crime fut d’auoir
resisté à vn proscrit & exilé par vne authentique declaration
du Roy qui n’a point esté reuocquée en

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public, si bien qu’ils ont esté mal-heureux pour
auoir voulu estre tres obeissants. Siecle veritablement
cruel & barbare ou la vertu est si chaudement
poursuiuie, & que maudit soit le tyran qui l’a
persecuté auec tant de fureur & de rage.

 

Messieurs les Bourgeois d’Orleans ont donc sagement
fait de ne point souffrir ce monstre dans
leur ville encor tout dégoutant du sang de leurs
freres & tout affamé du leur. Ils remonstrerent sur
le champ à tous ceux qui y furent de la part de leurs
Majestez qu’ils estoient tres asseurement dans le deuoir
que l’on pouuoit exiger d’eux, qu’ils souhaittoient
auec vne extreme passion de receuoir le Roy
dans sa bonne ville, mais que pour le C. M. on sçauoit
bien qu’il estoit ennemy de l’Estat, & par consequent
le leur, que leur zele estoit incompatible
auec sa tyrannie.

Que pour témoigner encor mieux qu’ils ne vouloient
estre qu a leurs Maiestez, ils auoient fait sortir
de leur ville M. de Sourdys, qui en estoit Gouuerneur
par la seule consideration qu’il estoit suspect
pour estre à S. A. R. mais que sa Maiesté seroit
tres-humblemement suppliée de ne vouloir point
amener auec elle le C. M. qui estoit dans vne si generalle
auersion des peuples qu’il n’estoit pas possible
qu’ils pussent tesmoigner toute la ioye dont il
estoit capable en pareille celebrité, si ce Ministre
qui leur fait horreur venoit à parestre deuant leurs

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yeux, que pour cet effect les Escheuins de la ville
yroient en Cour pour faire toutes ces iustes remonstrances,
que cependant on trauailleroit incessamment
à faire mener tous les Canons sur les rampars
afin de pouruoir à la seureté de ladite ville ; que si sa
Maiesté vouloit absolument amener le C. Mazar.
pourueu que ses troupes auec lesquelles il met tout
le desordre ne fussent point auec luy, qu’on ne pouuoit
empescher qu’il ne fut dans le carrosse du Roy,
mais qu’on ne luy feroit pas plus d’honneur qu’aux
cheuaux du carrosse de sa Maiesté ausquels on oste
le chappeau parce que sa Maiesté est presente.

 

Ensuite dequoy on ne laissa pas de deputer à
S. A. R. pour l’auertir de tout ce qui se passoit en
vne ville qui estoit apres le seruice du Roy toute
sienne, & pour luy representer le sensible regret
qu’ils auoient de ne pouuoir empescher le C. Mazarin
son ennemy dentrer dans la principal ville
de son appannage, que pourtant s’ils auoient esperance
de sa part destre soutenus, & d’estre fortifiez
par la presence de quelque bon chef, accompagne
de quelques troupes, ils s’opposeroient de
toute l’estenduë de leur force à celuy qu’ils connoissoient
bien estre le veritable ennemy de
S. A. R. & le plus contraire à ses iustes desseins &
legitimes intentions de donner la paix generale.

Sur cet aduis S. A. R. leur a aussi-tost enuoyé le
Comte de Fiesque homme courageux & bon françois,

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dont la fidelité luy est connüe & le seruice
asseuré, tellement qu’on ne peut esperer qu’vn bon
effet de si loüables causes ou la patrie est tousiours
preferées à toutes sortes de choles estimables.

 

A toutes ces choses le peuple voulant ioindre
quelque preuue de cette hayne irreconsiliable qu’il
à contre le Mazarin, à fait des affiches en grosses
lettres qu’il à fait attacher aux portes de la ville,
dans lesquelles le prix de cinquante mille escus est
proposé à quiconque pourra auoir la teste du C.
Mazarin, & pour cet effet ont laissé leurs portes
toute ouuertes témoignant combien peu ils redoutent,
ce lasche ennemy & combien ils ont d’enuie
de se vanger de toutes ses fureurs qui luy seront
à la fin funestes, & qui voudront sa perte agreable
& pleine d’acclamations, de ioye parmy tous
les peuples de ce Royaume.

FIN.

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