Anonyme [1649], RESPONSE D’ARISTE A CLYTOPHON SVR LA PACIFICATION DES TROVBLES DE PROVENCE. , françaisRéférence RIM : M0_3390. Cote locale : C_3_84.
Section précédent(e)

RESPONSE
D’ARISTE
A
CLYTOPHON
SVR
LA PACIFICATION
DES TROVBLES
DE PROVENCE.

A PARIS,
Chez I. DEDIN, ruë Sainct Iean de Beauuais,

M. DC. XLIX.

-- 2 --

-- 3 --

RESPONSE
D’ARISTE
A
CLYTOPHON
SVR LA PACIFIC ATION
DES TROVBLES DE PROVENCE.

IE suis bien marri que nostre paix, au lieu
de réjouïr tous nos bons amis en vos quartiers,
les aye comme accablez de tristesse ;
neantmoins s’ils n’ont point d’autres motifs
de s’attrister que ceux que vous me marquez
dans vostre Lettre, il sera fort aisé de faire reuenir
la serenité dans leur ame, bannie par
l’apprehension qu’ils ont de voir bien-tost leur chere Patrie retomber
dans des confusions plus grandes. Ils ne trouuent point,
dites-vous, mon cher Clytophon, cét accommodement propre à
r’establir puissamment l’authorité du Roy fort ébranlée dans la
Prouince, ny bastant à reparer hautement les affronts que Monsieur
le Comte d’Alais a receu dans la ville d’Aix. Voila, ce me
semble, les principaux chefs de leurs craintes.

-- 4 --

Quant au premier, ie demeure d’accord auec vous qu’on pouvoit
plus aduantageusement mesnager les interests de l’authorité
Royale ; vn crime si public & si scandaleux meritoit sans doute vne
penitence publique, pour reparer le scandale qu’vne si manifeste
rebellion auoit causé dedans & dehors le Royaume, vne
punition éclatante sembloit estre fort necessaire, l’impunité est
contagieuse en tout temps, mais particulierement dans la minorité
de nos Rois, qui ne fauorise desja que trop le libertinage des
Peuples ; le ioug de l’obeïssance est si pesant & odieux qu’on ne
manque iamais de le secouër quand on le peut faire impunément.
Les malheurs sous lesquels la France gemit depuis vne année,
n’ont point d’autre source que la creance qui s’est glissée dans
les esprits que le Conseil n’a pas assez de vigueur pour bien faire
obseruer ses ordres, ausquels on se sousmettoit seulement à discretion
& par courtoisie, iusqu’à temps qu’on ait fait quelque
grand exemple.

Il falloit donc prendre l’occasion qui se presentoit : La Ville
d’Aix estoit reduite à la derniere extremité, il n’y auoit plus
d’argent pour la solde des estrangers, leurs trouppes se débandoient
journellement faute de paye, & attirez encore par l’esperance
de faire fortune dans l’armée qui les assiegeoit, les païsans
& les Artisans n’estoient pas bien d’accord de souffrir plus long-temps
du Parlement ; il n’y auoit plus de respect pour leurs
personnes, ny d’obeïssance pour leurs commandemens que
par contrainte : & vous sçauez que ce qui est violent n’est
pas de durée. Vous n’ignorez pas que les Vignes & les Oliuiers
sont les principales richesses de nostre Terroir. Il y auoit plus
de deux mille goujats dans l’armée de Monsieur le Comte d’Alais
qui ne desiroient que la permission d’arracher les vnes & couper
les autres ; ainsi nos vendanges se trouuoient faites pour plusieurs
années. La crainte d’vne perte si considerable les mettoit
dãs le desespoir toutes & quantes fois qu’ils venoient à faire reflection
que ce malheur n’estoit suspendu que par la bonté d’vn
Prince qui passoit pour tyran dans tous leurs discours : Iugez
par là s’ils pouuoient estre de bonne humeur auec ceux qui les
auoient portez sur le bord d’vn precipice si affreux.

D’ailleurs, Monsieur le Comte d’Alais auoit vne armée de
cinq à six mille hommes aussi bien faits qu’il estoit possible de

-- 5 --

voir. Quand nous eusmes la liberté de sortir de l’enceinte de
nos murailles, apres la publication de la paix, nos plus mauuais
garçons estoient contraints de confesser qu’ils n’auoient jamais
veu de si belles trouppes : Nous comptasmes plus de seize
cens Caualiers bien montez [1 mot ill.] le seul Regiment Colonel en
auoit six cens. S. Aunais, S. André, Bentiuoglio, Antragues en
faisoient autant : Il y auoit outre cela plus de trois cens Gentilshommes
volontaires, venus partie du Languedoc sous Monsieur
le Marquis de Monpezat, partie de Bourgongne sous Monsieur
le Comte de Seuignon, partie encore de tous les endroits de
la Prouince. On nous auoit voulu persuader que toute la Noblesse
tenoit le party du Parlement ; mais nous fusmes bien détrompez
quand nous vismes dans l’armée de Monsieur le Comte le Marquis
de Grimaut auec ses enfans, le Marquis de Senas & de
Marignane, sans parler du Marquis des Ris, & du Commandeur,
& du Cheualier de Vins freres, qui commandoient vn Corps
de mille hommes pres de Draguignan. Nous apprismes encore
là ce qu’on nous auoit caché auec grand soin, comme les principaux
Gentils-hommes qui auoient épousé la querelle du Parlement
auec plus d’ardeur au commancement, auoient employé
la mediation de l’Archeuesque d’Arles pour faire leur paix ;
la Barben, Rocquema[4 lettres ill.], le Vernegue, Mejane, Saint Andiol
l’auoient prié de vouloir estre non seulement leur mediateur,
mais encore caution de leur fidelité, en offrant à Monsieur
le Comte d’Alais de mettre garnison dans leurs places
comme il luy plairoit.

 

On faisoit courir le bruit dans Aix, que les Gentils-hommes
auoient assemblé vn secours de deux mille hommes, capable
de battre ou de faire retirer ceux qui nous blocquoient : mais
nous vismes qu’on ne nous auoit repeu que de viandes creuses,
& qu’encores qu’il soit facile d’abuser pour vn temps de la credulité
d’vn peuple, qu’il n’est pas tousiours le plus seur. Le nostre
fremissoit d’indignation contre ceux qui les auoient abusez, &
si la paix publiée n’eust desia charmé les esprits par sa douceur,
nos abuseurs couroient grand risque de ne plus se joüer de la
stupidité d’vn monstre à tant de testes, affriandé du sang depuis
quelques mois.

Nous sçeumes encore que Chasteau-Regnard, que Bourbon

-- 6 --

& S. Paul auoient esté pris à discretion, que Pertuis, Manosque
Sergualguier & Apt s’estoient reuoltez contre nous, que le sieur
de Mimet auoit defait cinq cens hommes au Baron de Bras,
que toutes Villes sur lesquelles nous auions fondé plus d’esperance
auoient recogneu leur faute & demandé pardon auec toutes
les marques d’vne parfaite contrition & d’vne veritable repentance :
on nous fit voir encor comme nous ne pouuions plus
esperer aucun secours du Comtat, depuis que le Vice-Legat d’Auignon
eust enuoyé protester de sa fidelité au seruice du Roy,
sous les ordres de Monsieur le Comte.

 

Le seul exemple qu’on fit à Merargues en pandant le Consul &
le Commandant pour auoir souffert le canon dans vne Place qui
n’estoit pas tenable, fit tomber les armes des mains aux plus
échauffez pour le seruice du Parlement ; on ne voyoit autre chose
que des Consuls & des Deputez qui venoient offrir les Clefs
de leur ville. Ceux qui auoient surpris le Chasteau de la Garde
pres de Tholon l’abandonnerent d’effroy à ce premier bruit :
Ceux du Lioure qui s’estoient laissés desbaucher au President
de Ragusse, amenerent deux canons à Madame la Comtesse dans
Tholon, pour dire qu’ils ne pensoient plus ny à rien entreprendre
ny mesme à se defendre : il n’y auoit plus rien qui branloit
dans la Prouince contre le seruice du Roy, tout l’orage de
la guerre venoit fondre dessus nos testes, sans doute nous
n’auions pas dequoy resister, & c’est vne espece de miracle
comme on n’a point assommé le Parlement, le monde auoit
ouuert les yeux : l’enchantement du premier amour que nous
auions eu pour Messieurs estoit défait, personne n’estoit resolu à
se perdre pour leurs interests : nous sçauions bien que nous pourrions
aisément faire nostre paix auec Monsieur le Comte,
en luy abandonnant ses ennemis : d’ailleurs il n’estoit pas
juste de perir pour ceux qui auoient épuisé nos bourses par des
exactions violentes ; Il n’appartient qu’à IESVS-CHRIST
d’auoir des Martyrs : chacun vouloit sauuer quelque reste de
son desbris, les choses n’estoient pas si desesperées qu’il fallut
jetter le manche apres la coignée. Ie puis dire auec verité d’auoir
veu vn grand nombre de gens de bien qui s’esjouïssoient
des progrez & de l’approche de Monsieur le Comte, pour
estre affranchis de ce mal-heur naissant. Si la paix eut tardé

-- 7 --

huict iours ils estoient assez forts pour ouurir les Portes à Monsieur
le Comte, afin de luy faire oublier toutes les injures receües
dans la joye d’vn tres-glorieux triomphe.

 

C’est à vous à sçauoir les motifs qui ont obligé ce Ministre à
ne se pas preualoir de ces aduantages : vous estes à la Cour, &
par maniere de dire à la porte du Sanctuaire : Vous ne manquez
pas d’amis qui peuuent satisfaire vostre curiosité ; & par mesme
moyen la nostre. Et comme par tout il y-a des esprits
qui s’emportent : quelques vns passoient encor plus auant,
en accusant de perfidie & de trahison celuy à qui nous auons
obligation de nostre accommodement ; il n’a pas informé
le Conseil au vray comme les choses se passoient, à ce que
disoit quelqu’vn de la trouppe. I’appris là qu’il auoit menty
en nostre faueur, & qu’il auoit escrit que les forces du
Parlement estoient tres-considerables, & que les trouppes de
Monsieur nostre Gouuerneur n’estoient que de quatre ou cinq
cens pillards, combien qu’elles passassent effectiuement cinq
mille hommes, sans y comprendre les Regimens d’Infanterie
qu’on attendoit de jour à autre pour la renforcer : Ie dis en moy-mesme,
Heureuse la coulpe qui nous a sauuez : car combien
que ie sois seruiteur du Roy, & que ie souhaite auec vne passion
qui n’est pas commune le restablissement de son Authorité, ie
suis d’ailleurs ennemy du sang, & ne sçaurois voir la desolation
d’vne Ville peuplée comme la nostre sans vn extreme déplaisir.
I’en oyois d’autres qui declamoient contre la douceur, & qui disoient,
Que ce n’est pas bien cognoistre la nature des hommes
que de s’imaginer qu’ils se portent à la vertu pour l’amour de la
Gloire, qui en est l’accident inseparable, attendu que la pluspart
ne sont gens de bien que par l’impuissance de mal-faire, ou
par l’apprehension d’estre chastiez s’ils s’escartent de leur deuoir.
Ie voulus dire à celuy qui tenoit ce discours, Que nous viuons sous
la Loy de Grace, & non pas sous les regles indispensables qui
permettoient de rendre soufflet pour soufflet. Et de plus, Que
la clemence estoit vne vertu qui rendoit les Roys semblables à
Dieu : mais d’abord il me ferma la bouche en repartant, Que
Iesus-Christ seul entre les Legislateurs auoit vsé de plus épouuantables
menaces, & que dans ses discours il a tousiours meslé la
crainte d’vne gesne eternelle, & d’vn feu qui ne se peut esteindre ;

-- 8 --

que si ceste drogue a esté jugée necessaire pour faire obseruer
vne Loy qui est naturellement grauée dans nos cœurs, la
crainte n’est point inutille quand il s’agit de l’obseruation des.
Loix humaines, pour lesquelles nous n’auons point tant de respect.
Pareillement quant à la clemence, que Dieu la peut faire
à qui bon luy semble, parce qu’il ne craint pas de voir jamais
son Trône ébranlé ; son Sceptre & sa Couronne n’estant point
des pieces detachées de sa nature, elles ne courent pas risque
de luy estre jamais enleuées ; outre qu’il ne pardonne iamais qu’à
ses amis, c’est à dire à ceux qui ont quitté la volonté de luy déplaire :
sa clemence n’est iamais dangereuse, parce qu’elle est
tousiours asséz puissante pour changer le cœur de ses ennemis,
les rendant souples à l’obeïssance. Mais les Rois n’ayant pas le
pouuoir de changer les mauuaises volontez de leurs sujets les
aigrissent bien souuent en leur faisant grace. Il y-a certains
bien-faicts dont nous auons honte naturellement. Il n’y-a point
d’abolition qui ne soit en quelque façon infamante. Tout homme
qui est redeuable de la vie à vn autre, en cette façõ, ne voit jamais
son liberateur sans se souuenir du gibet dont il a esté deliuré : par
cõsequent cette veuëne peut estre que tres-importune, puis qu’elle
est relatiue à la potence : de sorte qu’il ne faut pas douter que s’il
estoit au pouuoir des criminels d’arracher leur grace ou leur abolition
de tous les Greffes où elles se trouuent enregistrées, ils ne le
fissent tres-volontiers : Outre que, adjouste-il, la clemence n’est
qu’vne vertu arbitraire, & nullement de necessité, le Conseil
ne doit iamais l’emporter sur le commandement. Les Rois peuvent
tousjours faire Iustice auec loüange, & quelquesfois ils
ne peuuent pas faire grace sans blesser mortellement leur conscience :
par consequent qu’il faut mettre vne grande difference
entre ce qui est tous jours vertu, & entre ce qui peut degenerer
en peché. Les Rois ne sont esleuez sur le Thrône que pour
faire regner la Iustice. C’est la fin principale de leur vocation :
& la Loy la plus indispensable de toutes celles que
Dieu leur donne. Sa conclusion fut, Que le plus fort ciment pour
asseurer la Couronne sur la teste des Souuerains se faisoit du
sang de ceux qui ont la temerité d’y porter la main pour l’enleuer :
& que plus les personnes qui l’entreprennent sont qualifiez,
moins aussi faut-il les dispenser de la seuerité des Loix.

 

-- 9 --

Apres que ie l’eus escouté paisiblement, il me donna audiance
à son tour. Ie luy repartis auec toute la douceur possible que
nostre œil ne deuoit pas estre malin, parce seulement que le
Conseil estoit bon, puis que celuy qui tient à nostre égard la place
de Dieu en terre ne veut point la mort du pecheur : nous deuons
en cela conformer nos volontez à la sienne, en ne desirant
simplement que sa conuersion ; que c’est le vice du Siecle de
censurer toutes choses ; qu’il est bien facile d’accuser de foiblesse
le ministere, mais pourtant qu’il faut croire qu’il ne leur
est pas possible de faire mieux ; Que si nous estions en la place
de ceux qui manient le timon pendant la tempeste, le vaisseau
qui relasche seulement sous leur conduitte iroit eschoüer contre
quelque escueil. Sous la nostre, que les affaires des Prouinces
ont relation à tout le Royaume, & que jamais la partie n’est
mieux employée que quand on la fait seruir à l’interest de son
tout : que la veuë des Ministres doit estre plus generale & plus
estenduë que celle de ceux qui ne iugent des choses que par des
interests particuliers, qui n’ont rien de commun auec les interests
de tout l’Estat. Qu’il n’est pas tousiours à propos de penetrer
beaucoup, moins d’euenter le secret des Princes : qu’ils ne sont
pas obligez de nous rendre compte de leurs actions ; que le
moindre malheur de nostre siecle n’est pas de porter des esprits
trop clairs-voyans : que l’obeïssance seroit plus parfaite si chacun
n’abondoit pas si fort en son sens. Mercure contre le corps du
Soleil passe pour tache aux yeux de ceux qui ne sçauent pas
les routes des Astres, ny le temps de la conjonction des Planetes.
Mais apres tout, qu’il est plus à propos pour la tranquilité
de la vie de se laisser doucement conduire à ceux qui
sont appellez à cette conduite, que de controller leurs ordres.

Pour ce qui concerne les interests de Monsieur le Comte d’Alais,
les Sages trouuent icy qu’il a eu tous les auantages qu’il pouuoit
raisonnablement esperer ; premierement il a fait paroistre aux
yeux de toute la France que ses ennemis estoient aux abois : il a
dans son armée sept ou huict mille tesmoins qui ne manqueront
point de répandre cette verité dans toute l’estenduë du Royaume ;
& tout ce que nous sommes d’habitans dans la Ville en pouuons
encor rendre vn tesmoignage plus fidelle & plus asseuré. Nous
ne perdrons de long-temps le souuenir des extremitez ausquelles

-- 10 --

nous nous sommes veus reduits. Il est bien constant que si la Paix
eut encore tardé huict iours à venir, le Parlement estoit pour sentir
les transports de nostre dernier desespoir. Tous les bruits qu’on
à fait courir à Paris de nos combats chimeriques, & de nos victoires
imaginaires, ne seruent qu’à releuer l’esclat des auantages réels
de Monsieur le Comte d’Asais : Par tout nos troupes estoient battuës ;
par tout nos Soldats ont esté taillez en pieces, & rien ne les
a sauuez de ce mal-heur que la vistesse de leurs fuites : Nos stipendies
n’osoient sortir de nos murailles, ils n’estoient braues que
dans la place des Prescheurs ; ils souffroient sans honte qu’on vint
faire des prisonniers iusques sur nostre contr’escarpe : constamment
la partie n’estoit pas égale : quand nous dresserions des statuës
à Monsieur d’Estampes comme au second Fondateur de nostre
Ville, nous ne ferions qu’vne partie de nostre deuoir. Secondement,
celuy dont nous auions descrie le Gounernement comme
tyrannique, que nous auions voulu faire passer dans l’esprit
des peuples pour vn homme à ne pardonner iamais, ne nous a pas
fait la moitie des maux qu’il pouuoit nous faire ; c’est enquoy il a
bien monstré le parfait empire qu’il s’est acquis sur la plus forte
& la plus violente de nos passions ; quand il eut bien creuse nostre
terroir iusques au centre de la terre, selon les Loix du monde, il
ne reparoit pas encore assez son honneur. Pour moy i’admire
comme quoy dans si peu de temps il a pû oublier les affronts que
nous luy auions faits cét Hyuer dernier pendant les deux mois de
sa prison, & les insolens discours qui se sont tenus contre luy durant
la guerre. Il nous a donné le loisir de couper nos bleds ; il
pouuoit se mettre en campagne quinze iours plustost qu’il n’a
fait. Si nos Vignes subsistent encor ; si nos Oliuiers sont sur pied :
si nos moulins & nos maisons de la campagne n’ont point esté
bruslées ny rasées ; nous en sommes sans doute redeuables à la
moderation de son esprit tant que nos Oliuiers conserueront leur
verdure, tant que nos Vignes couuriront nos collines & nos costaux,
ce seront autant de trophées viuantes & animées qui publieront
à leur mode la victoire de sa bonté sur les ressentimens d’vne
vengeance qui paroissoit iuste aux plus moderez. Comme son armée
estoit pleine d’vn tres-grand nombre de personnes iustement
irritées par nostre insolence : tous les iours il donnoit mille combats
contre les siens, pour empescher qu’ils ne se fissent justice à

-- 11 --

eux-mesmes, & sans doute s’il ne les eut retenus d’vne main puissante,
nous verrions maintenant reduites en cendres plusieurs belles
maisons, qui seront encore long temps, s’il plaist à Dieu l’ornement
de nostre Terroir. Ceux qui iugent sainement des choses
auoueront que pouuoir faire du mal à ses ennemis, & les espargner
est vne victoire incomparablement plus glorieuse que de les pousser
iusques à vne destruction totale & entiere.

 

En troisiéme lieu, il ne faut que considerer vn peu de prés chaque
Article de cette Paix, pour voir qu’il n’y en a pas vn qui ne
soit aduantageux pour sa gloire : le premier ordonne à la ville
d’Aix de des-armer incontinent le present Ordre receu, & mettre
en liberté les prisonniers, & rendre au Roy les Places saisies, particulierement
la Ville de Bern : Monsieur le Comte d’Alais demeure
armé encor trois iours apres que ses ennemis ont posé les
armes, voire mesme tout autant de temps qu’il en faut pour faire
passer les troupes, partie en Catalogne, partie en Italie. Ce
poinct d’honneur qui des-armera le premier n’est point de si
petite importance, qu’il n’aye comme suspendu l’execution du
Traité de Paix en Allemagne prés d’vn an entier ; outre que le Roy
auoüant qu’il a des troupes dans l’armée de Monsieur nostre Gouuerneur,
nous ne pouuons pas pretendre faire passer cette guerre
pour vne querelle particuliere de Monsieur le Comte, & du
Parlement, qui est neantmoins tout ce que nous pretendions,
afin de ne passer point pour rebelles : mais le Roy nous demandant
les places, nous ordonnant de remettre Bern entre les mains
de ceux qui seront choisis par le Gouuerneur. Et nous l’ayant ainsi
ponctuellement executé, on peut dire que le masque est leué, &
que si bien le nom de rebelle & de criminel ne se void point dans
les articles du traicté : la realité du crime ne paroist que trop dans
l’obligation de rendre au Roy les places saisies sous les ordres de
Monsieur le Comte, on peut appliquer le mesme raisonnement
à la liberté du Preuost Artaud, l’ayant mise comme en teste de
tous les articles : le Conseil a voulu faire voir qu’il n’oublie
point les interests de ceux qui sont employez à faire valoir ses
ordres.

Si vous examinez encore comme il faut le second article, vous
trouuerez qu’il n’y a parole qui ne porte coup contre l’orgueil de
nos Messieurs, apres que le licentiement aura esté (des trouppes

-- 12 --

seulement qui seruoient la ville d’Aix) le Parlement & la Cour
des Comptes, Aydes & Finances, & les autres Compagnies rendront
leurs deuoirs à Monsieur le Comte d’Alais, par la deputation
la plus honorable que faire se pourra, & le prieront d’oublier
le passe : comme aussi ceux de la ville deputeront d’autres personnes
que les Procureurs du pays, qui sont maintenant en charge,
pour l’asseurer de leur obeyssance, & luy demander pardon des
fautes qu’ils peuuent auoir commises, & le prieront de retourner
à Aix auec toute asseurance, qu’il sera receu auec tous les honneurs
& respects deubs à sa qualité & à sa charge. Celuy qu’ils
auoient voulu degrader, qu’ils auoient defendu de recognoistre,
& duquel ils auoient parlé auec tant de mespris, est neantmoins
humblement prié de vouloir ne se pas souuenir des choses passées,
mesme le Roy ne iuge pas digne le Baron de Bras de luy demander
pardon, il ne veut pas que le visage coupable de tous les desordres
qui sont arriuez dans la Prouince, se presente deuant vn Prince
qu’il a si sensiblement offensé : on ne pouuoit pas ce me semble
reparer plus hautement les iniures qu’il a souffertes : il ne faut pas
dire que tout cela n’est que grimace, & que le Conseil a simplement
pretendu de sauuer les apparences, les prieres tres-humbles
que nos deputez luy firent de retourner dans la ville d’Aix, ne tenoient
rien, ny de la mocquerie ny de l’illusion, il n’y auoit rien
de plus reel ny de plus veritable, puis qu’elles estoient fondées
sur la necessité que nous auons de sa presence. Sans luy nostre ville
n’est qu’vn desert, sa demeure chez nous nous vaut plus de quatre
cens mil liures chaque année d’argent clair & liquide, qui se
distribuë manuellement à nos habitans ; la seule depense de sa maison
va tous les ans à pres de trois cens mille liures ; & puis la despense
de la Noblesse & des autres qui le viennent voir, ou par
honneur, ou pour affaires, nous laissoit pres de deux cens mille
francs. Cela se peut verifier sur les liures & sur les parties des Marchands,
chez qui ils se fournissoient de tout ce qui leur faisoit besoin
à la campagne, ou dans les petites villes de la Prouince, le
temps qui endurcit les plus dangereuses playes en cicatrices, ne
sçaura guerir celle-là, les plus sages confessent desia que c’est vn
chancre qui commence de nous ronger, & de rendre nostre corps
aride.

 

L’Assemblée des Communautez qu’on souhaittoit de tenir

-- 13 --

dans Aix auec tant d’ardeur, ne se tiendra point, par consequent
les voix seront libres ; on se pourra plaindre hautement que nous
sommes trop peu chargez ; on pourra demander hardiment que la
qualité de Procureurs ne soit pas attachée inseparablement à nos
Consuls ; & quand mesme on ne nous feroit point ce desplaisir,
le dementy tousiours nous en demeure, en ce que tous les desseins
que nos Messieurs fondoient sur l’assemblée, se tenant dans Aix,
auortent en la tenant ailleurs.

 

Ne contés vous pour rien le restablissement du Regiment,
il ne faut que se souuenir de ce que l’Autheur de nostre remonstrance
en a dit juger sainement des aduantages qui en peuuent
reuenir à Monsieur le Comte ; il suffit en general de dire qu’il
n’y a jamais presse de choquer vn Prince qui est armé naturellement.
Nous auons plus d’apprehension d’vne compagnie de
gens de guerre que de mille Arrests. Il n’y-a pas sagesse d’escrire
contre celuy qui est en estat de proscrire. Des deux symboles
de la Iustice, le Parlement n’a que la Balance ; & Monsieur
le Comte l’Espée : Iugez à cette heure lequel des deux est
mieux partagé.

Que dirons nous maintenant des éuocations que le Conseil
promet à tous ceux qui ont suiuy le party du Roy sous les ordres
de Monsieur le Comte. Nos Messieurs ne peuuent pas dissimuler
le prejudice qu’elles font à leur jurisdiction ; ils s’en plaignent
fort hautement ; & rien n’adoucit leur plainte que l’esperance
dont ils se flattent de les faire bien reuoquer. Neantmoins nous
ne croyons pas que ce qui a esté promis dans vn traicté solemne,
de paix soit jamais reuoqué que du consentement des interessés,
lesquels ne sont pas pres à se fier au Parlement. Nous sommes
en vn pays où l’on n’oublie quasi iamais les injures, & où la
vangeance est sans doute la plus forte & la plus violente des passions.
Le Conseil a trop d’equité pour donner en proye les biens,
l’honneur, la fortune & la vie de ceux qui ont seruy le Roy à
ceux qui ont fait tous les efforts imaginables pour ruïner son
authorité dans la Prouince. Le manquement de parole en vn
article si essentiel à la tranquillité publique, est de trop dangereuse
consequence. Ie craindrois que dans vne semblable rencontre
le Roy ne trouueroit plus de seruiteurs, si maintenant
consormement à sa promesse, il ne les empesche de tomber sous

-- 14 --

le pouuoir de leurs ennemis irrités. Il n’y a point de Gent il homme
qui n’ait eu quelque demeslé, & qui ne se soit porté sur le Pré :
on ne manqueroit point à deterrer les vieux pechez & à leur intenter
des procez criminels au suiect des vieilles querelles.
Encore bien que Monsieur le Comte doiue employer tout son
credit à faire subsister ses euocations en faueur de ceux qui ont
suiuy son party, faisant paroistre qu’il n’oublie point ses amis &
ses seruiteurs, neantmoins c’est plus l’interest du Roy que le sien.
Voila pour quoy le Conseil qui est sage ne relaschera rien d’vn
article si necessaire : Il est donc à craindre qu’il n’y aye grand
espace à se promener dans nostre place des Prescheurs ; & que
nos tribunaux ne soient desormais vn peu plus solitaires qu’ils
n’auoient accoustumé d’estre.

 

Ce qui afflige encor sensiblement nos Messieurs est de voir
casser les Consuls des Communautez faits en vertu de leurs Arrests
depuis le vingtiesme Ianuier jusques au iour de la paix, &
restablir ceux qui auoient esté destituez. Il n’y a rien qui les
fasche tant comme quand on fait voir aux peuples leur peu de
credit : Ils n’ont subsisté iusques à maintenant que par ceste
fausse persuasion imprimée dans les esprits par leurs partisans,
Qu’ils sont tous puissans à la Cour ; que le Conseil redoute leurs
intelligences. Le traicté de paix nous detrompe en cassant leurs
Arrests comme du verre aux yeux de toutes les Communautez,
qui disent en ouurant les yeux, Comment est il possible que les
ouurages d’vn Corps que nous croyons, & que nous publions immortel,
n’aye eu que quelques momens de durée ?

L’Article qui dit que les troupes qui seront cy-apres enuoyées
dans la Prouince ou pour y passer, ou pour y sejourner, seront
logées par les ordres de Monsieur le Gouuerneur comme il se pratiquoit
auant le traicté de Monsieur le Cardinal Bichi, luy est encore
extremement aduantageux puis qu’il l’affranchit de la necessité
de prendre l’attache des Procureurs du Païs. Au cõmencement
de la guerre ils persuadoient aux idiots qu’ils ne la signeroient
point que le Roy n’abolit tous les imposts, & ne leur rendit
tous les priuileges dont ils jouïssioent sous le Roy René : Mesme il
me souuient qu’ils nous promettoiẽt de ne poser iamais les armes
si le Conseil ne consentoit à leur dõner des Places de seureté dans
la Prouince pour l’asseurance de la paix. C’est ainsi qu’il seduit la

-- 15 --

simplicité du peuple, neantmoins nous voyons bien que toutes
leurs promesses ont esté vaines pensées, & que bien loin d’esperer
du soulagement par la descharge des subsides, il faut penser à
mettre de nouuelles impositions pour payer nos nouuelles debtes.
Nous nous sommes engagez à leur consideration de cinq cens
mil liures tout de nouueau, les interests de coste somme, auec ceux
que nous deuions desia nous vont abysmer : Il n’y-a qu’vne parole
seule dans ce Traicté qui puisse estre interpretée à leur auantage,
c’est le mot d’Amnistie ; encore les sages nous disent sourdement
que c’est vn piege, & qu’vne abolition eust esté meilleure
& plus asseurée.

 

Au reste ie vous prie consolez-vous de la crainte que
vous faites paroistre dans vostre Lettre, que cette paix ne sera
pas de longue durée. Pour moy qui connois vn peu plus
particulierement que vous leur foiblesse, ou plutost leur impuissance,
i’oserois la parier éternelle : Ils n’ont plus le nerf de
la guerre, leur vaisselle d’argent est fonduë, les ioyaux, les perles
& les bagues de leurs femmes sont en gage dans Avignon :
tous nos Marchands sont presque ruïnez & prests à faire banqueroute
pour leur auoir presté ce qu’ils ne pourront pas retirer de
long-temps : Les Deputez du corps des galeres & des vaisseaux
les pressent de payer ce qu’ils ont promis au Roy. Quand ils auroient
presentement deuant eux vn million de comptant, ils n’en
auroient pas la moitié de ce qu’il en faut pour sortir d’affaires.

Enfin, s’il y auoit quelqu’vn qui eust sujet de se plaindre de cette
paix, ce seroit vne centaine de particuliers sortis d’Aix auec
beaucoup de peine au commencement de la guerre, crainte d’estre
assommez & immolez à la fureur du Peuple ; pour auoir tesmoigné
vne constante fidelité au seruice du Roy : Leurs maisons
ont esté pillées, leurs meubles vendus à l’encan : On a enleué iusqu’aux
portes & aux fenestres ; Il ne reste plus rien dans leurs maisõs
champestres que les murailles, quelques vnes mesmes ont esté
bruslées par nos cadets : Neantmoins Monsieur le Comte d’Alais
leur promet, à ce qu’on nous a dit, d’appuyer fortement leur
cause, & d’employer tous ses amis & toute son authorité au Conseil
pour leur faire auoir raison des torts qu’on leur a faits.
La Reyne qui est tous les iours au pied des Autels pour respandre
non seulement ses larmes, mais encore son cœur deuant le Pere

-- 16 --

des misericordes sera touchée de compassion de leurs maux quant
elle sçaura qu’ils ne sont miserables que pour luy auoir esté fidelles.
Voila au vray l’estat present de nos affaires. Quand il vous
plaira vous nous ferez part de ce qui se passe à la Cour, & obligerez
fort par ce moyen.

 

D’Aix le 12.
Sept. 1649.

Vostre tres-humble
& affectionné serviteur,
ARISTE.

PERMISSION,

PAR Permission de Monsieur le Lieutenant Ciuil, il est permis à
I. DEDIN d’imprimer le present Liure intitulé Response d’Ariste à
Clytophon, &c. & defenses à tous autres de le contrefaire. Fait ce 30.
Septembre 1649. Signé, DAVBRAY.

Section précédent(e)


Anonyme [1649], RESPONSE D’ARISTE A CLYTOPHON SVR LA PACIFICATION DES TROVBLES DE PROVENCE. , françaisRéférence RIM : M0_3390. Cote locale : C_3_84.