Anonyme [1649], SERMON DE L’EVCHARISTIE POVR L’OCTAVE DE LA FESTE-DIEV. PREMIERE PARTIE. Preschée par le R. P. A. D. , français, latinRéférence RIM : M4_78. Cote locale : C_10_8.
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SERMON
DE
L’EVCHARISTIE
POVR L’OCTAVE
DE LA
FESTE-DIEV.

PREMIERE PARTIE.

Preschée par le R. P. A. D.

A PARIS,
Chez PIERRE DV PONT, au Mont sainct Hilaire,
ruë d’Escosse.

M. DC. XLIX.

AVEC APPROBATION.

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SERMON
DE L’EVCHARISTIE
POVR L’OCTAVE
DE LA FESTE-DIEV.

QVICVMQVE MANDVCAVERIT
panem hunc, vel biberit Calicem Domini indigne
reus crit corporis & sanguinis Domini,

aux Corinthiens, chap.

PETRVS Blesensis a remarqué que Dieu par vn
conseil digne d’estre adoré de tous les mortels,
auoit esleué la Table des pains de proposition vers
la porte du Tabernacle qui regarde l’Aquilon, d’où
n’aist tout le mal. Quæ ad Aquilonem vnde panditur omne
malum posita est : Afin de la fermer & empescher que les
maux ne tombassent sur la teste de ceux qui en approchoient
dignement, & l’ouurir à mesme temps sur les
coupables de quelque irreuerence & indignité ; pour nous
apprendre que l’Eucharistie dont elle n’estoit que la figure,
dit S. Hierosme, est éleuée dans nos Eglises pour verser

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sur les Iustes qui la participent dignement l’estenduë
de tous les biens. Mais qui par vn sort contraire est
vn sujet de perte, & de mille maledictions sur ceux qui
Communient indignement : Iesus Christ par vn iugement
que i’adore auec esfroy, estant mis sur nos Autels aussi bien
que dans la creiche & sur le gibet ; pour la mort & la resurrection,
le salut & la ruine de plusieurs : car quiconque
se rendra criminel du Corps & du Sang de Iesus-Christ,
sans doute il sera condamné à la mort eternelle, si ce n’est
que la Diuine Marie qui a pastri de son laict le pain adorable
de ce Sacrement, n’en arreste les rigueurs, disant à
ces pieds les Diuines paroles de l’Ange. Aue Maria, &c.

 

LES Lecteurs en la Messe de S. Iacques commençoient
le Cantique des Seraphins auec ces paroles d estonnement.
Sileat omnis humana, & mortalis caro, stetque cum
metu & tremore, & nihil terrcstre cogitet, Rex enim regnantum,
& dominus dominantium progreditur. Que toute chair
humaine & mortelle se taise & s’arreste deuant la Majesté
de cét Autel, auec crainte & tremblement ; qu’elle se garde
bien d’y penser rien de terrestre & de raualé, puis que
voila Iesus-Christ mesme qui vient y paroistre comme le
Roy des Monarques, & le Souuerain de toutes les puissances,
& où il veut que nous adorions ce Mystere redoutable,
auec ces trois mouuemens, de silence, d’effroy & de
tremblement ; afin que le premier honore dignement sa
grandeur & sa diuinité ; le second, la Majesté de sa gloire,
& le troisiesme, la profondeur de ses iugemens : Que par
l’vn l’on publie son ineffabilité, par l’autre sa perfection
infinie, & par le dernier son incomprehensible iustice.
Sainct Chrysostome vit autrefois les Puissances, les Principautez,
les Throsnes, les Dominations, & tout ce qu’il
y a de plus Sainct & de plus grand parmy les Hierarchies
des Anges, descendre deuant l’Autel auec des estoilles esclattantes,
les pieds nuds, les genoux en terre, & les yeux
attachez sur l’Hostie, adorer auec respect & silence la
grandeur de ce Sacrement, pour apprendre aux hommes

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la crainte d’vn si haut mystere, aux iustes le transport d’vn
amour si prodigieux, & aux pecheurs l’horreur d’vne indigne
communion qui enferme en soy la malice & l’abomination
de tous les crimes : prodige estrange, dit l’ererius,
que le mesme fruict que l’amour d’vn Dieu auoit destiné à
la vie d’Adã & de sa posterité, à sa santé, sa ieunesse, sa ioye,
& ses delices, par vne corruption mal-heureuse s’est changé
en autant de pechez qu’il comprenoit de perfections ;
puis qu’il le rend orgueilleux, incredule, temcraire, gourmand,
desobeyssant à son facteur, desreglé vers soy-mesme,
imperieux à son espouse, qu’il accuse en s’excusant ; mais
ô merueille incomprehensible, ô miracle sans exemple,
ô prodige des plus espouuentables, de voir qu’en l’Eucharistie
où Dieu mesme se donne comme vn fruict de vie, de
salut, de puissance, de force, de bon-heur & de gloire, la
reparation de toutes les ruines d’Adam, dit S. Thomas, se
change par la meschanceté des Chrestiens qui le prophanent
en vne infinite de pechez qui estonnent les Cieux,
espouuantent la terre, resiouyssent les enfers, attristent le
Paradis, nous glacent le sang dans les veines, & nous ouurent
auioud’huy la bouche & les yeux pour nous plaindre,
& pleurer leur multitude & grauité. Ie veux pourtant
borner mes larmes & mon discours auec S. Paul sur trois
les plus insignes qui puissent s’imaginer, & en faire le sujet
de vostre entretien durant ces trois iours. Le I. est vne
ingraritude nompareille, le second, vn sacrilege horrible,
& le troisiesme, vn parricide atroce, trois maux, ou trois
cloux meurtriers, dont nous outrageons le corps adorable
de Iesus-Christ plus cruellement que ne firent les bourreaux
sur le Caluaire.

 

Introd.

Ie commence aujourd’huy par l’ingratitude, & la poursuiuant
i’entreprens la cause des dieux & des hommes, &
attends des vns le secours fauorable, & des autres l’attention.
Ce crime, dit S. Chrysostome, est la source de tous
les maux, l’aneantissement des biens-faits, la ruine des merites,
& rien sous le Ciel n’anime dauantage la colere de
Dieu que ce monstre horrible. Nihil sic indignationem Des

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prouocat sicut ingratitudo. La recognoissance est vne vertu
glorieuse à laquelle toutes les creatures se sentent obliglées
par les loix de la nature : Les oyseaux saluent le Soleil
en naissant, & le recognoissent par leurs chans le principe
de leur lumiere & de leur ioye : la terre donne des
fruicts aux hommes qui la cultiuent ; la mer enrichit ceux
qui fendent ses ondes, & courent ses riuages ; & generalement
toutes les choses viuantes caressent ce qui les perfectionne,
& leur communique quelque bien. Or l’homme
qui est esleué en l’ordre de la nature par dessus tous les
estres creés les doit surpasser en ce mouuement naturel, &
lors qu’il manque à cette obligation, sans doute il peche
contre la iustice, il viole les loix de la nature ; contrarie
ses inclinations, & s’abaisse au dessous des creatures les plus
insensibles.

 

Seneque remarque qu’il n’y a point d’animaux pour
cruels qu’ils soient qui ne sentent les bons offices qu’on
leur rend, ils s’appriuoisent par le soin de leurs maistres, &
en deuiennent amoureux, les Elephans oublient leur ferocité
& leur grandeur de courage, & pour se soûmettre
aux seruices les plus vils & les plus abjets : Les lyons se
laissent conduire par ceux qui leur donnent vn peu de chair,
& l’experience nous oblige de croire que les louues ne
font point de dommage aux lieux où elles prennent leur
naissance. Nous apprenons de l’Histoire de Gellius qu’vn
certain Androcles esclaue fugitif, fut deliuré de la mort
par vn lyon à qui il auoit arraché vne espine du pied.

Mais si les crimes se mesurent à l’objet, l’ingratitude qui
sera contre Dieu, n’aura-elle pas vne estenduë infinie,
puis qu’elle regarde vn objet qui n’a ny bornes, ny limites ;
& celle qui s’attaque au corps adorable de Iesus-Christ en
ce Sacrement de nos Autels, n’aura-elle pas deux pechez
épouuãtables, puis qu’elle fait iniure à deux objects qui sont
si Saincts & si excellents. Le Soleil, disent les Philosophes,
contient en soy par eminence toutes les differentes vertus
des corps inferieurs, la palme fournit à certains peuples
tout ce qui est necessaire à l’entretien de leur vie ; la manne

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enfermoit le goust de toutes les viandes ; Et ce Diuin Sacrement,
le Soleil, & la Palme de tous les autres nous porte
dans le sein par sa presence, toutes les vertus, toutes les
suauitez, & toutes les douceurs du monde. Voire-mesme
par vne liberalité & vn amour qui n’aura iamais d’égal ; il
y donne Dieu, l’ame, le corps, la diuinité, fontaine de
tous les biens, pour nous rendre par ce bienfait l’Arche du
Pere, le temple du Fils, le sanctuaire du S. Esprit, le Palais
du ternaire de la sur-adorable Trinité, pour faire de nostre
empirée, vn Ciel plus riche que le firmament, vn throsne
des personnes Diuines, plus rare que celuy du pacifique
où elles reposent non seulement par amour & par grace,
mais encor par presence, & par verité, & qu’est-ce autre
chose d’en approcher indignement, sinon mespriser
la grandeur de tous ses biens, violer ses misericordes, &
nous rendre coupables de la plus horrible de toutes les mecognoissances,
si l’ingratitude s’accroist & s’esleue par la
multitude des bienfaits, par l’amour de celuy qui les donne,
& l’excellence de la chose donnée : Iugeons par toutes
ces raisons de celle que commet vn pecheur, qui approche
de cét Autel auec indignité, car sans doute il mesprise
ce don en qui sont tous les dons, il fait iniure à Dieu
son donateur, il reiette son amour, & refuse ses faueurs, &
liberalitez. Iesus-Christ nous aymant nous donne tout ce
bas monde auec son Royaume, & comme si cela n’estoit
rien, il se donne luy mesme à nostre nature dans le mystere
de l’Incarnation : en naissant il se fait nostre compagnon,
mangeant auec nous il se donne en viande & nourriture ;
mourant il se donne comme prix, & regnant comme
nostre couronne & nostre recompense : Que peut faire
dauantage son amour ; Attendamus nobis ipsis dilectissims
talibus fruentes bonis : Mes bien aymez, dit S. Chrysostome,
regardez ie vous prie les faueurs, & les liberalitez que
nous receuons de Dieu en ce mystere adorable : Beatus qui
manducabit panem in regno Dei, Bien-heureux celuy qui mãgera
ce pain dans l’eternité de la gloire, où il se donne pour
recompense, Se regnans dat in prœmium : Heureux qui le

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mangera au Caluaire comme nostre prix & nostre redemtion ;
Se moriens in pretium.

 

Luc. 1.
cap, 19.

C’est là dit S. Bernard, ce superbe & Royal banquet où
les iustes se nourrissent de ce pain Celeste, où ils s’enyurent
de ce raisain de cypre, Botrus Cypris dilectus meus, où ils
s’en graissent de tourmens, d’espines, de cloux, de foüets,
mais fortunés ceux qui le mangent à l’autel, où il se donne
comme viande pour nourir nostre ame, comme pain pour
la renforcer, comme vin pour leschauffer, comme leau
viuante pour la rafraischir, comme miel pour la resioüir,
seruant aux foibles de support, aux voyageurs de viatique,
aux sains de nourriture, aux malades de Medecine, & aux
mourans de gages d’immortalité. Hei mihi quot æd salutem
nobis viœ, nos corpus suum effecit, nobis suum communicauit
corpus, & horum nos nihil à malis auertit, ô bonté, ô amour
s’escrie S. Chrysostome : Helas mon Dieu & mon Maistre,
combien de voyes vous nous ouurez pour arriuer à la gloire
& à la beatitude, vous nous faites vostre corps en naissant,
comme nostre chef & nostre Roy vous nous communiquez
le vostre, & dans iceluy tous les biẽs de la terre & des Cieux.
Et cependant toutes ces choses ensemble ne sont pas capables
de nous affranchir du mal, de vaincre nostre ingratitude,
& d’arrester nostre malice. O tenebres de l’entendemẽt
humain, ô aueuglement incomparable, ô miseres qui surpassent
toutes nos imaginations : Obstupescite cœli super
hoc : Flambleaux des Cieux qui roulez incessamment sur
nos testes, demeurez stupides pour ne nous pas reprocher
nostre insensibilité, & vous bel astre du iour qui eschauffez
la terre de vos rayons, & l’esclairés de vos lumieres ; cachez
vous sous le voisle de vos esclipses, pour ne pas voir l’horreur
de nostre insigne mecognoissance : car s’il est vray ce
que dit S. Thomas, qu’en ce Sacrement sont compris tous
les mysteres de nostre salut : Concluons que comme celuy
qui communie dignement, en participe tous les biens & en
reçoit tous les auantages, qu’au contraire celuy qui communie
auec vn peché mortel les offense tous ensemble, &
se rend coupable d’ingratitude enuers tous.

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Vne Amantẽ dans Ouide se plaignant de l’ingrat Demophon
demandoit si sa teste criminelle contre tant de diuinités
offencées pourroit iamais en supporter les vengeances,
& les carreaux, parce qu’elle croyoit que luy ayant
iuré de l’amour par la venuë de son Fils, & de la fidelité
par le reste des Dieux, que toutes ces puissances suprémes
luy deuoient chacune vne punition & vn foudre : mais
helas ! ces mal-heurs sont bien plus à craindre d’vne indigne
communion, puis qu’elle offence toutes les diuinitez
que nous adorons, & qu’elle blaspheme ces mysteres qui
sont l’objet de nostre foy & de nostre amour. Quicumque
manducauerit panem hunc, quiconque mangera ce pain &
boira ce Calice indignement il sera coupable du Corps &
du Sang de Iesus-Christ, anneanty dans l’Incarnation, enueloppé
de langes en sa Natiuité, soûmis à la Circoncision,
offert au Peré Eternel dans le Temple, rayonnant de gloire
en sa Transfiguration, couuert de playes & de blessures
en sa mort, sortant glorieux du tombeau, & seant à la
dextre du Pere dans les Cieux. Circumdabo altare luum Domine,
vt audiam vocem laudis, & enarrem vniuer sa mirabilia tua. O Dieu
Eternel qui estes assis sur les Cherubins, i’enuironneray
vostre Autel pour y escouter la voix de ce Sacrement de
loüange, & publieray toutes les merueilles & toutes les
punitions qu’il reserue pour les ingrats. De mesme que les
Payens enuironnoient leurs Autels par trois fois, & auec
des cordes à trois couleurs y attendoient les vengeances
contre ceux qui en mesprisoient les ceremonies. Audite
cœli, & auribus percipe terra, quoniam Dominus locuius est, silios enutriui
& exaltani, ipsi autem spreuerunt me, cognouit bos possessorem
suum, & Asinus præsepe Domini sui, Isrdel autem non me cognouit &
populus non intellexit. Que les Cieux escoutent, & que la terre
preste l’oreille, dit Dieu qui regne en cét autel, & qui veut
parler : I’ay nourry de ma chair, & de mon sang des enfans :
Ie les ay esleué iusques à l’vnion de ma diuinité dans ce
mistere, & au lieu de m’en remercier, ils ont payé mes
faueurs de mespris. Le Bœuf recognoist son maistre & l’Asne
l’estable de son Seigneur, & ce Chrestien me mecognoist,
ce peuple aueuglé mesprise mes biens, reiette mes

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liberalités, & refuse mes presens. Audite cœli & auribus percipe
terra. Mais pourquoy Dieu ne demande-il plustost au Ciel
& à la terre des feux & des foudres pour perdre ces enfans
ingrats, que des yeux & des aureilles pour voir & entendre
leur lascheté. Les Perses les punissoient de mort, & par les
loix que Solon auoit estably on pouuoit appeller en iugement
les ingrats comme ont fait les debiteurs ou ceux qui
ont noircy nostre reputation & opprimé nostre innocence.
Le droict Romain permet de retirer les donations des
mains de ceux qui les payent de quelque insigne mecognoissance,
il donne la liberté aux peres d’exhereder leurs
enfans, aux maistres de remettre leurs esclaues emancipez
en seruitude s’ils manquent aux respects qu’ils sont obligez
de rendre, & selon nos coustumes le Seigneur saisit le
fief sur le vassal qui ne s’aquitte pas de son hommage.
Or Dieu tient la qualité de bien-facteur, de maistre, de pere
de Souuerain en ce Sacrement ; c’est pourquoy si chacun
de ces titres pris separement produit vne grande obligation,
elle est extreme lors qu’ils se trouuent vnis en vn seul
sujet, & dans vne personne qui nous fait des faueurs sans
nombre ; Pourquoy est-ce doncques que Dieu les traitte
auec moins de rigueur. Ne nous y trompons pas, Messieurs,
la punition qu’il en tire par ce moyen est la plus espouuantable
& la plus cruelle de toutes celles qui se puissent imaginer,
car autant d’astres & de lumieres qu’ont les Cieux
sont autant de flambeaux qui esclairent cette mecognoissance,
& qui luy causent par cette confusion plus de tourmens
& de gesnes, que toutes les rouës & les supplices du
monde ne feroient ensemble ; Apud supienres & honestes grauius
est aliqua nota confundi quam mori, dit S. Hierosme, parmy les
Sages & les gens d’honneur, la mort est beaucoup plus
supportable qu’vn reproche infame, & la lascheté est si
honteuse au iugement des mieux sensez que les plus coupables
n’ont pas mesme l’effronterie de s’en vanter comme
ils font des autres crimes. De sorte que les demons choisissent
plustost de brusler parmy les flammes & les ardeurs,
queed souffrir la confusion des yeux de Iesus-Christ qu’ils

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ont mesprisé comme remarque Procope, Cupient igne potiue
etiam combusti quàm saluatorem omnium inter morsales degentem intueri.
Disons que les gens de bien ont cecy de commun auec
eux qu’ils trouuent des delices parmy les seux ; de mesme
que ces trois enfans dont l’escriture publie l’innocence
entonnoient des chants d’allegresses, & des Cantiques de
loüange au milieu de la fournaise de Babylone : De toutes
les peines qu’endure Dauid, il n’y a que sa propre honte
qui le persecute sans cesse, & qui ne luy donne ny treues
ny relasches, Tota die verecundia mea contra me est, & confusio faciet
meœ cooperuit me ; Cependant c’est le supplice dont Iesus-Christ
vange l’ingratitude contre son corps ; il appelle tous
les flambeaux des Cieux, & toutes les oreilles de la terre
pour estre tesmoins de l’horreur de ce crime, afin de le
rendre public & cogneu à tout l’vniuers, punition plus
cruelle que les gibets, que les feux, que les flammes, & que
les rouës, dit S. Chrysostome, Hœc verecundiœ supplicia magis
illos cruciabant ; Mais ce n’est pas encor assez punir vn crime
si effroyable que de l’exposer à la veuë du Ciel & de la terre,
de le rendre la honte & l’insamie des estoilles & des rochers ;
il faut mesme que la rage, que le desespoir, que
l’enfer & les demons en soient les bourreaux dés ce monde.
Et ie vous prie qui rend Iudas forcené, qui luy donne
vne mort honteuse & funeste, qui le fait la victime des
diables sinon l’ingratitude qu’il commet contre cét Auguste
& redoutable Mystere : Homini ingrato intrauit panis in
ventrem, host is in mentem, dit S. Augustin, sur ces paroles de
l’Euangile, Et post buccellam intrauit in eum Satanas. Iesus-Christ
trempant du pain figure de l’Eucharistie & le donnant à
Iudas, à mesme temps qu’il entre dans la poictrine de cette
ingratte creature, le diable se saisit de son ame, prend
possession de son esprit, & comme son ennemy & son bourreau,
il le rend vn deicide, vn traistre, vn sacrilege, vn perfide
& vn damné pour iamais ; le gesne par sa propre conscience,
par l’horreur de ses crimes, par vn poteau infame
où ce miserable se pend, & en suitte par des feux qui ont
l’Eternité pour durée.

 

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S. Paul voulant nous apprendre à nous vanger de nos ennemis
nous en donne les moyens par ces paroles dignes
de son excellent esprit, sie suriuit inimicus tuus ciba illum, si
sit it potum da illj, hoc enim faciens carbones ignis congeres super
caput eius. Si ton ennemy a faim donne luy à manger, si
la soit le presse donne luy à boire, & ces faueurs extraordinaires
qu’il n’attendoit pas de ta bonté irritée deuiendront
des charbons allumés qui embraseront son cœur, luy ouuriront
les yeux pour luy faire voir que tu paise son ingratitude
auec des biens-faits & des tesmoignages d’amour.
C’est de la sorte, dit le docte Rupert, dont Iesus-Christ vange
l’indigne communion de Iudas. Le corps & le sang de
son maistre qui sont des charbons d’amour, & de biẽ-vueillance
deuiennent dans la bouche de cét ingrat des feux de
colere, de hayne, & de damnation. Ouy Chrestiens, ce
memorial de tous les misteres que nous adorons, l’abbregé
de touslles bien-faits que nous auons receu de la main liberalle
de Dieu, le cabinet où sont renfermés toutes ses richesses,
& tous ses tresors, comme parle l’Apostre S. Paul,
in quo absconditi sunt omnes thesauri sapientiœ, & scientiœ
dei, iette autant de charbons sur nos testes criminelles qu’il
enferme de grandeurs ; & faict qu’au lieu d’en attendre des
graces, nous n’en deuons esperer que de rudes chastimens.
Ingrati spes tanquam Hybernalis glacies tabescet, & disperiet
tanquam aqua superuacua, dit le Sage. L’esperance que l’ingrat
à conceu en son cœur de quelque nouuelle faueur sera
reduitte au neant par son ingratitude, ny plus ny moins que
la glace qui se fond aux rayons du Soleil, & comme elle
n’est point arrestée, elle s’escoulera comme l’eau qui tombe
seulement à fleur de terre, sans penetrer plus auant, ny
sans luy causer le bon-heur de la fertilité : Il en arriue de
mesme aux Chrestiens ingrats qui communient indignement,
leur mauuaise conscier ce qui les condamne, leur
fait perdre l’esperance des bienfaits que cét Auguste Sacrement
communique aux ames innocentes, & bien qu’il
soit la source sacrée des eaux celestes, & des diuines rosées
capables de les arrouser, & de les rendre fertiles en bonnes

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œuures, il ne produit rien dans les criminelles d’ingratitudes
que des espines qui les deschirent, & qui leurs
font dire auec Dauid lors qu’il fut mal-heureusement tombé
dans le pechez de la plus lasche ingratitude qui se puisse
imaginer. Effusus sum sicut aqua. Ie me suis répendu comme
l’eau. Surquoy s’escrie admirablement le grand S. Augustin.
Ideò Dauid effusus est sicut aqua quia in gratitudinis conscius indignè presumpsit
bibere de petra de qua sancti patres sancté biberunt in deserto.
Les graces, les faueurs les liberalités, les auantages que le
Prophete Roy a receu du Ciel, lors qu’il estoit selon le cœur
de son Dieu, se sont comme éuanoüis de son ame à l’instant
méme qu’il est deuenu amoureux de Betlabée, & que par
vne mécognoissance indigne de la grandeur d’vn sceptre, il
s’est oublié de ce qu’il deuoit à son bien-facteurs : Seneque
remarque que l’ingratitude peut monter au comble de sa
malice par deux degrés dont le premier est l’oubliance des
biens-faits receus. Ingratus est qui non reddit. Ainsi l’Histoire
blasme Neron ce monstre de nature de ce qu’il prenoit
plaisir à voir les feux & les flammes qui embrasoient sa patrie.
Volumnia Dame Romaine & genereuse : fit d’insignes
reproches à son fils Coriolanus de ce qu’il auoit assiegé
la ville de Rome, dont il estoit natif, & de ce qu’oubliant
les honneurs, & les respects que les Citoyens luy auoient
autrefois rendu, il estoit sur le poinct de la prendre, & la
liurer entre les mains des ennemis des Romains. De sorte
qu’vn certain Citoyen de Rome, ne pouuant supporter ces
desordres, s’escria disant ! ô mal-heur ! ô detestable crime
d’ingratitude de leuer les armes contre sa patrie, & de planter
la lance dans le sein de celle qui nous a nourrie, Messieurs :
Le Fils de Dieu en ce Sacrement de nos Autels que
nous adorons non seulement est vne patrie Celeste, puis
que la Cour est tousiours par tout où le Roy est, & que les
Seraphins y demeurent auec les mesmes respects que dans
l’empirée, mais il y est encor la veritable nourriture de nos
ames, & par vn prodige estrange de son amour infiny il
nous y substante de sa propre chair, & de son propre sang,
ô estonnement qui fait fremir les Anges, s’escrie le grand

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S. Chrysostome, voyant que Dieu par vne tendresse d’affection
infiniment plus grande que n’est celle des peres &
des meres de la terre qui souuent abandonnent leurs enfans,
ou du moins les donnent à nourrir à d’autres ; nous
esleue dans son propre sein, & auec ses propres mains,
nous allaitte de ses propres mammelles, meliora sunt vbera
tua vino ; & nous nourrit de son propre corps.

 

Rom.
12. c.

Ad
Heb 6. 4.

Eccles.
6. 16..

Psal.
160.

Augin
Ps.
160.

Seneca
lib. 3.
de Benef.

Cæntic.
2. lc.

Le second degré d’ingratitude, dit le mesme Seneque,
c’est lors que l’on se sert des faueurs d’vne personne pour
l’offencer. Vn Empereur autrefois apres auoir beaucoup
obligé les Citoyens d’vne des villes de son Empire, & les
auoir gratifiez de quantité de priuileges, sçachant qu’ils
s’estoient reuoltez contre luy, fasché d’vne si insigne lascheté
se resolut de les perdre, & les chastier de leur crime.
L’Euesque de la ville connoissant l’animosité du Roy, &
le iuste sujet qu’il auoit de se mettre en colere, touché de
compassion pour ces miserables, fut trouuer sa Majesté &
prosterné à ses pieds demanda misericorde pour eux, & s’efforça
par ses larmes d’obtenir leur grace. L’Empereur le
releuant auec respect, luy dit. Quoy grand Prelat, pouuez
vous bien prier pour des ingrats qui ne meritẽt que des punitions,
& qui sont indignes de pardon ; est-ce à cause que
i’auois releué cette ville iusques à vn tel poinct d’honneur,
qu’elle ne pouuoit monter plus haut ? est-ce à cause des priuileges
que ie leur auois donné ? ou peut estre à cause que
ie les auois trop aymez, & luy desduisant tous ces biensfaits
luy demanda lequel de tous auoit esté la cause de leur
rebellion ; ce qu’entendant le pauure Euesque tout confus
de tant de reproches, ne trouua point d’autre inuention
pour mieux plaider sa cause que de ranger du costé de la
Iustice, & luy repartir les larmes aux yeux, & les souspirs
au cœur : Grand Prince nous confessons nostre faute, &
auoüons franchemẽt que nous sommes tres-coupables de
vous auoir offensé. Mais prenez vous en à vous mesme de
ce que vous nous auez si fort honorez, & fauorisez de si
puissantes obligations que nous n’auons peu demeurer
long-temps dans nostre bon-heur, les demons enuiant

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nostre condition nous ont portez à commettre le lasche
traict qui nous rend dignes de vos fureurs. Mais Sire, souuenez-vous
de vostre clemence, aussi bien que de bontez,
& pardonnez à des coupables. Helas ! Chrestiens Dieu est
nostre Prince Souuerain, aussi bien dans ce Sacrement de
nos Autels, que dans l’empirée ; s’il regne par gloire dans
les Cieux, il regne par amour dans la terre, & en tous les
deux il est vn Monarque absolu. Ipse regnabit super nos,
cuius imperium super humanum eius. Nous receuons en ce mistere
adorable toutes les faueurs que sa puissance & son amour
nous peuuent faire, & luy mesme nous en assure par
la bouche de son Prophete. Quid vltra potui facere vincœ mœ
& non feci. Toutes les nations du monde sont les ouurages
de ses mains cõme parle l’Apostre. Ipsius enim factura sumus :
Mais les Chrestiens sont les plus nobles productions de son
cœur, & en cette consideration, nous en receuons des
graces, des faueurs, des liberalitez toutes particulieres
comme le chante son Prophete Royal. Non fecit taliter omni
nationi. Et neantmoins tous ces biens-faits nous portent
à la méconnoissance, & nous rendent criminels, puis
que nous nous seruons de ces biens pour outrager sa diuine
Majesté, & que nous deuenons d’autant plus rebelles à
ses loix, que son amour & industrieux à nous faire du bien.
Le bien-fait a cela de propre qu’il gagne les cœurs les plus
farouches, & neantmoins l’homme moins sensible qu’vne
beste veut souuent ignorer la cause des faueurs qu’il reçoit
de la bonté de Dieu, afin de ne luy pas rendre ce qui luy est
deu. Cette ingratitude est non seulement vn crime, mais vn
crime de leze Majesté Diuine, vn sacrilege, vne prophanation
de ses graces, vne espece de desespoir qui nous rend
artificieux à nostre ruine, & qui nous arme contre nos propres
interests, ouy dit l’Apostre S. Paul, comme la charité de
Iesus-Christ se rendit recommendable, & parut auec éclat
en ce qu’il voulut mourir pour nous dans le temps mesme
que nous estions ses plus grands ennemis. In hac Deus commendat
charitatem suam in nobis vt cum inimici essemus pro nobis mortuus
est. Comme il voulut donner son Corps & son Sang à

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manger à ses Apostres dans le moment que Iudas le deuoit
vendre, que S. Pierre l’alloit renier, & les autres abandonner.
De mesme son amour se fait connoistre en nostre
endroit, en ce qu’il nous oblige de ses presens en
cette Eucharistie bien que nous en soyons méconnoissans,
& que par nos insignes ingratitudes nous mesprisions la
grandeur de ses biensfaits : Mais Chrestiens pensons qu’à
la fin son amour irrité se vengera de nos insolences, &
que ce Sang precieux qui selon la pensée de S. Paul, ne
peut demander la destruction de ses ennemis, changera de
voix, & animera les creatures à la perte de ces ingrats. Si
ce n’est qu’en adorant ce Diuin mystere & le receuant dignement
dans leurs ames ils ne trouue en luy la source de
toutes les graces qui font les iustes en terre, & les Saincts
dans le Ciel : Où nous conduise le Pere, + le Fils, + & le
S. + Esprit, Ainsi soit-il.

 

Isaia
c. 20.

Isa. c.
7. ad
Cod.
c. s.
Psal.
56.

Ad
Rom.
c. 7.

AV LECTEVR,

CHER Lecteur, Vous aurez dans peu de temps
le second Sermon, le troisiesme ; & la suitte de
l’Octaue : Que ie vous prie de receuoir d’aussi bon
cœur, que la sincerité & deuotion est grande, de
celuy qui vous le presente, Adieu.

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Anonyme [1649], SERMON DE L’EVCHARISTIE POVR L’OCTAVE DE LA FESTE-DIEV. PREMIERE PARTIE. Preschée par le R. P. A. D. , français, latinRéférence RIM : M4_78. Cote locale : C_10_8.