Anonyme [1649], SOMMAIRE DE LA DOCTRINE CVRIEVSE DV CARDINAL MAZARIN. PAR LVY DECLAREE EN VNE LETTRE qu’il escrit à vn sien Confident, pour se purger de l’Arrest du Parlement, & des Faicts dont il est accusé. Ensemble la response à icelle, par laquelle il est dissuadé de se representer au Parlement. , françaisRéférence RIM : M0_3683. Cote locale : E_1_81.
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SOMMAIRE
DE
LA DOCTRINE
CVRIEVSE
DV
CARDINAL MAZARIN.

PAR LVY DECLAREE EN VNE LETTRE
qu’il escrit à vn sien Confident, pour se purger de l’Arrest
du Parlement, & des Faicts dont il est accusé.

Ensemble la response à icelle, par laquelle il est dissuadé de se
representer au Parlement.

A PARIS,
Chez NICOLAS BESSIN, Imprimeur & Libraire, au Palais, en
l’allée S. Michel : Et rue des Carmes, au
mont S. Hilaire.

M. DC. XLIX.

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AV LECTEVR
SALVT.

AMY LECTEVR, Cette lettre du Cardinal Mazarin,
qui contient vn abregé de ses pernicieuses
Maximes, m’estant tombée entre les mains, i’ay
douté si ie deuois la donner au public, de crainte
que les simples n’y trouuassent de quoy se surprendre
par les faux appas de ce Ministre, & la couleur
de ses raisons : Mais apres les auoir bien considerées,
& recogneu que prises mesmes auec le sens
qu’il leur donne, elles font beaucoup plus pour sa condamnation
qu’elles ne sont capables de le iustifier, I’ay crû que ie ne deuois priuer
les Curieux de la satisfaction qu’ils pourront auoir par la lecture de
ces Maximes si extraordinaires, qui feront voir que ce n’est pas sans
raison, que ce Ministre tyran a attiré sur luy l’indignation de tous les
gens de bien. Et neantmoins comme il s’en trouue qui n’ont pas assez
de lumiere, pour penetrer sa malice à trauers des faux iours qu’il a donné
à sa conduite, ie te promets (cher Lecteur) à mon premier loisir la
response à ces pernicieuses Maximes ; par laquelle ie te feray voir, qu’il
n’y a iamais eu de Tyran, aussi inique qu’il aye pû estre, qui ait commencé
ses oppressions sur des fondemens si dangereux, que sont
ceux que le Cardinal Mazarin establit pour raison de sa Doctrine : me
reseruant encores de te descouurir pour lors les Maximes de sa Politique,
qu’il appelle Secrette, lesquelles ie te reserue pour ce temps,
Adieu Lecteur, & lis attentiuement.

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SOMMAIRE DE LA DOCTRINE CVRIEVSE
DV CARDINAL MAZARIN,

Par luy declarée en vne lettre qu’il escrit à vn de ses Confidents,
pour se purger contre l’Arrest du Parlement, & des Faicts
dont il est accusé.

Ensemble la response à icelle, par laquelle il est dissuadé se representer au Parlement.

Et premierement la lettre du Cardinal Mazarin à T. T. son Confident.

MONSIEVR, La conduite de mon entreprise
n’ayant vn succez si heureux, comme ie me l’estois promis, ie
voids bien qu’il me faut chercher vne autre voye, pour me restablir au
rang que i’ay acquis dans le Royaume ; m’estant du tout impossible de
mettre le Parlement & le Peuple à la raison, attendu la mutuelle vnion
de toutes les Prouinces & leurs intelligences auec vne partie de nos gens de
guerre, aux efforts desquels nostre party ne pourra resister, lors que toutes
leurs forces seront assemblees pour nous combatre : C’est pourquoy ayant aussi d’ailleurs esprouué,
que ie ne pouuois estre en seureté en aucun autre Royaume, ou Republique, qui tous
ont refuse de me receuoir, quoy que mon or & mon argent y soient en depost, & que i’aye employé
tout mon credit pour les en conuier ; I’ay resolu auparauant que d’attendre que ceux du
party contraire ayent aucun aduantage sur moy, d’aller me iustifier au Parlement des accusations
que l’on m’impose, pour faire leuer l’Arrest qu’ils ont donné contre moy sans aucune formalité.
Ce qui produit, ce m’a-on dit, vne nullité en la forme, & m’ouure le moyen de me faire
releuer de la condamnation portée en iceluy. Mais pour y paruenir, & ne rien faire auec
legereté, ie me suis fait enuoyer par vn de mes amis, qui a cognoissance des intentions de ceux
qui me veulent du mal, vn Memoire des Faits & Articles sur lesquels ils pourront me faire
interroger ; lequel ayant receu de sa courtoisie, i’ay esté bien aise d’apprendre qu’ils n’auoient
plus grande instruction contre moy ; ce qui me donne occasion de demeurer dans le dessein que
i’auois pris : Mais auparauant que de l’executer, i’ay encores trouué à propos de communiquer
à vne personne capable & affectionné pour mes interests (comme ie vous estime, Monsieur)
les Responses que i’ay preparées sur les calomnies que l’on m’impute, pour voir si ie ne me
trompe pas, de croire qu’estant contraint d’aduoüer tous les faits dont ie suis accusé, attendu
que la preuue en est maintenant trop facile à mes ennemis, ie puis par la force de mon raisonnement,
& de ma Politique, facilement destruire & satisfaire à tous les chefs des accusations
que l’on me propose, sans laisser aucun suiet à mes Iuges de reuoquer en doubte mon innocence.
C’est ce qui me fait ennoyer vers vous ce porteur, pour vous donner auec la presente le
Memoire de ces Faits apostillez de mes Responses ; afin que ie puisse receuoir vostre sentiment
au retour de ce Courier, qui est vne voye tres-fidelle & tres-seure. Ie vous pris donc de
trauailler à cet examen auec la fidelité qui vous est ordinaire ; & i’espere que vous iugerez
comme moy qu’il est bien difficile de surprendre vn Italien rompu dans les grandes affaires,
quand il a le temps de preparer sa defense, & qu’il faudroit auoir beaucoup d’addresse pour
me susciter des accusations ausquelles ie ne puisse satisfaire par mes artifices. Esperans
donc de vos nouuelles, ie suis

Vostre seruiteur & amy, I. M. C.

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Ensuit le Memoire enuoyé par le Cardinal Mazarin
à son Confident, ou l’Interrogatoire qu’il s’est fait ;
Accompagné de ses Responses.

PREMIEREMENT, Interrogé de mon Nom, & de ma Qualité ?

1. Int.

Ie respondray, que ie m’appelle Iulles Mazarin. Et quant à ma qualité, que
ie porte le tiltre de Cardinal de la saincte Eglise Romaine, & grand Ministre du
Royaume de France : laquelle dignité de Ministre tenant le premier lieu dans l’Estat,
apres le Roy, me rendroit independant de quelque iurisdiction que se pust
estre, n’estoit que ie me submets volontairement à celle du Premier Parlement du
Royaume, dans le desir que i’ay de faire paroistre mon innocence aux yeux de toute
la France, contre toutes les accusations, que la liberté du temps a fait éclater contre
moy, & dans l’asseurance que i’ay que ce Parlement, instruit de la verité de mes
intentions, ne degenerera pas de son integrité ordinaire, pour me rendre la iustice
que i’attends.

Resp.

De mon Origine, & de mon Pays ?

2. Int.

Que ie tiens à gloire d’auoir pris naissance de Mazara ville de Sicille : parce qu’estant
des dependances du Royaume d’Espagne, celuy de France m’est d’autant plus
particulierement obligé, si quittant les interests de mon Roy naturel, i’ay laissé
mon pays pour me donner entierement à ce Royaume.

Resp.

De mon Pere, & de mon Extraction ?

3. Int.

Que ie m’estonne comme mes ennemis ont voulu prendre aduantage, de ce que
la fortune de mes parents ne correspond pas à la mienne, & se soient fort estudiez
à chercher les moyens d’auilir ma famille : veu que c’est le plus grand honneur
qu’ils me puissent faire, puis qu’ils font voir par ce moyen, que comme vn autre
Ciceron, le rang que ie tiens n’est deu qu’à mon merite, & que ie suis d’autant plus
digne de le conseruer, que ie l’ay acquis par mes seuls artifices.

Resp.

Quels biens ma naissance m’a donné : combien il m’en est escheu par donation,
succession, ou autrement ?

4. Int.

Que ie ne rougiray iamais de dire, que ie dois tous les biens que ie possede à la liberté
du Roy : & quoy que veritablement sa recognoissance ait esté grande en mon
endroit, i’ose neantmoins me vanter que la Reyne m’a souuent tesmoigné que les
trauaux & les soins que ie prenois pour le Royaume n’estoient pas suffisamment
recompensez à l’occasion des necessitez de l’Estat.

Resp.

Si dans ces seruices, que i’ay rendus à l’Estat, i’ay tousiours correspondu au rang
que la Reyne m’a donné en son Conseil, & à la fidelité qu’vn premier Ministre
d’vn Royaume doit à la Couronne qu’il sert ?

5. Int.

Que les personnes qui ont esté dans l’employ des grandes affaires en rendront
tesmoignage pour moy ; & puis dire iustement, que par ma subtilité, i’ay mis les affaires
à vn tel point qu’il n’y a que moy qui puisse y donner vn heureux succez, par
la continuation de mes artifices ; & tout autre qui en verroit les intrigues, sans en
sçauoir le secret, croiroit que i’ay ioüé à tout perdre en quantité de rencontres, où ie
feray neantmoins voir l’aduantage euident de la France.

Resp.

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S’il n’est pas vray que i’ay tousiours preferé mes interests à tous ceux du Royaume ?

6. Int.

Que ie n’ay pas creu qu’en faisant les affaires du Roy, ie deusse negliger les
miennes, & que iusques à present ie n’ay pas trouué de veritable Politique qui
m’aye enseigné le contraire ; que Machiauel mesme tres-affectionné pour les interests
du Prince, le conseille : mais qu’il ne se trouuera que pour mon vtilité particuliere
i’aye consenty à aucune chose, qui peust causer quelque perte considerable
à la France : si l’on considere mon procedé dans les maximes d’Estat, & non pas
auec vne exacte recherche particuliere de mes actions, qui n’estant considerées dans
toutes leurs suites, & les liaisons qu’elles ont eu l’vne auec l’autre, pourroient estre
estimées par ceux qui n’ont vne veritable cognoissance de la Politique, n’auoir pas
tousiours esté aussi sinceres, comme mes pensees l’ont esté, n’ayant iamais eu de soin
plus particulier en mon administration, que d’accommoder mes interests, auec ceux
du Roy & de l’Estat.

Resp.

Si ie n’ay pas transporté grande quantité d’or & d’argent hors du Royaume ? Si
n’agueres ie n’ay pas faict passer douze mulets chargez d’or & de pierreries, que
i’enuoyois à M. mon pere ? Si ie n’ay pas des sommes considerables, tant sous mon
nom, que ceux de mes Confidens, aux banques de Venise & d’Amsterdam, & au
Mont de Pieté de Rome ? Si pour transporter l’or plus facilement, ie n’ay pas fait
fondre les Iustes & les Pistoles en lingots ? Si ie n’ay pas acheué vn des plus somptueux
edifices qui soit dans Rome, que i’ay acheté bien cherement ? Et si pour orner
ce Palais, ie n’ay pas fait transporter les plus beaux & plus exquis meubles de l’Europe ?
Pourquoy ayant profité de ces biens en ce Royaume, ie ne les y ay consommez,
& employez en acquisitions de belles terres ? Et pourquoy il semble que i’aye
affecté de n’acquerir aucuns biens en France ?

7. Int.

Que ie m’estonne comme l’on me propose pour crimes, des actions qui tournent
à l’vtilité du Roy & à l’honneur de l’Estat. Car qui a-t’il rien de plus glorieux à la
France, que de faire paroistre aux Estrangers, qu’elle n’est ingrate à ceux qui luy rendent
quelque seruice, & d’attirer par ce moyen le cœur de tous ceux qui luy peuuent
apporter quelque avantage ? & ce sans interesser les finances du Royaume : puisque
ie puis dire auec verité, qu’il ne s’est pas transporté par mon ordre & pour mon particulier
plus de trente millions, depuis le temps qu’il y a que i’ay l’honneur d’estre
employé dans le haut Ministere ; qui est peu à comparaison des richesses qui sont en
ce Royaume. Ce qui a neantmoins causé l’admiration de toute l’Italie, & fait connoistre
aux Estrangers la puissance de ce Pays. D’ailleurs qu’ayant sceu par la longue
experience que i’ay des affaires, que la fortune d’vn Estranger est exposée à de
grandes calomnies, dont l’exemple est aujourd’huy apparent dans les affaires du
Temps ; il est sans doute que les gens d’esprit m’eussent accusé de peu de prevoyance,
si ie n’auois mis mes biens en tel estat de sortir le moins interessé qu’il m’eust esté
possible, si la persecution de ceux qui me veulent du mal eust esté plus violente &
plus puissante. Et ceux qui considereront de pres, verront encores que ce que ie
n’auois aucuns biens considerables en France, a beaucoup seruy pour ma conseruation,
ayant retenu des plus considerables de mon party, qui m’eussent abandonné
si par ma perte il y eust eu quelque confiscation de consequence à esperer. En quoy
l’authorité du Roy eust sans doute esté blessee, puis qu’il dépend de sa grandeur, de
maintenir ce qu’il a esleué, & de me conseruer en vn estat qui puisse exciter les bons
esprits de luy voüer leurs seruices.

Resp.

Si ie sçay que ces transports d’or & d’argent sont contre les Ordonnances
Royaux ?

8. Int.

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Qu’il est hors de propos, pour blasmer mes actions, de me proposer les Ordonnances,
puis que representant la personne du Roy, c’est moy qui en dispense les
autres.

Resp.

Si pour auoir occasion de transporter cet argent, ie n’ay pas pratiqué les sieges
de Piombino & de Portolongone, quoy que tous ceux qui auoient quelque experience
en la guerre, m’eussent asseuré que ces sieges ne pouuoient apporter aucun
honneur à la France ? Si pour le mesme sujet, ie n’ay pas affecté de faire des leuées
de gens de guerre chez les Polonois, Allemans, Escossois & Anglois, afin de trouuer
quelque pretexte à la sortie de l’argent hors de France, quoy que l’on aye iamais
manqué d’hommes en ce Royaume, & que les Estrangers que l’on y fait venir
coustent quatre fois autant que les soldats François, qui valent neantmoins mieux
dans les armees, que ceux des autres Nations ?

9. Int.

Qu’il suffit de dire pour me justifier de ces sieges, que ne paroissant pas que dans
leurs entreprises ils fussent dommageables à la France, que le mauuais succez n’en
doit faire blasmer les desseins ; estant incertain si d’autres eussent reussi plus fauorablement
que ceux là, & que la commodité que i’en ay tiree ne me peut estre imputee,
puis qu’il n’importoit à l’Estat de quel costé il attaquast son Ennemy, pourueu
qu’il en pust esperer de l’avantage. Et me suffit aussi pour ma justification, que les
leuees de gens de guerre chez les Estrangers, ayent apporté cette vtilité à la France,
de conseruer ses hommes pour des occasions pressantes, sans que la commodité que
i’en tire, puisse passer pour criminelle ; veu qu’il suffit qu’elle ne combatte pas les
interests de la France, pour estre à l’abry de tout reproche.

Resp.

Si ie n’ay pas diuerty le fonds des finances du Roy, & employé plus d’argent aux
machines des theatres & balets qu’à celles de la guerre ?

10. Int.

Que ce faict ne consiste qu’en interpretation, & que ces profusions ne me seront
pas imputees à crime, quand on sçaura qu’il ne coustoit chose quelconque au Roy
des balets & des comedies, qui luy ont donné tant de plaisir, parce que les avances
se prenoient veritablement dans les coffres de sa Maiesté ; mais ayant eu soin de les
faire representer au Public, apres que le Roy & sa Cour y auoient pris leur satisfaction,
ie retirois par mes gens beaucoup plus que les avances n’auoient cousté. Ce
que i’emploiois aux recompenses que la Reine me permettoit de prendre pour mes
seruices, dont les finances de sa Maiesté demeuroient d’autant deschargees.

Resp.

Si ie n’ay pas pris des profus sur le pain de munition, destiné pour la nourriture des
gens de guerre ?

11. Int.

Que c’est m’accuser d’auoir trop bien mesnagé les finances du Roy, parce que de
verité ayant veu en quelques annees, que le soldat estant avancé dans le pais ennemy,
auoit moyen de subsister des pillages qu’il faisoit, i’ay donné ordre à quelques
personnes interposees, de souffrir aux Entrepreneurs du pain de munition, qu’ils le
diminuassent de quelques onces : à la charge qu’il leur seroit moins baillé à proportion
du prix conuenu auec eux, ayant depuis employé cette diminution vtilement
pour quelques affaires secretes.

Resp.

Si abusant de l’authorité que la Reine m’a donnée, ie n’ay pas disposé des principalles
charges & offices du Royaume indifferemment à toutes sortes de personnes,
sans auoir égard aux merites, pourueu qu’il m’en fût donné récompense ; & si particulierement
ie n’ay pas tiré vne somme tres-considerable pour pouruoir le sieur d’Emery
de la Surintendance, & Monsieur le Camus du Controolle general des Finances ?

12. Int.

Que cette demande contient ma deffence : car puisque la Reine a laissé les grandes

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charges du Royaume à ma discretion, il est hors de doute, que i’en puis disposer à
telles conditions que ie trouueray raisonnable ; moyennant que i’en pouruoye des
personnes qui n’en soient incapables, & qui sçachent exercer les fonctions des charges
que ie leur commets.

 

Resp.

Si ie n’ay pas soûtenu les Partisans pour mon interest particulier : parce qu’il ne
s’adiugeoit pas de party au Conseil, que l’Adiudicataire ne me donnast vn droit &
récompense tres-considerable ?

13. Int.

Que i’ay tousiours estimé que la direction des finances par party, estoit tres-avantageuse
à la France, à cause de la facilité & prompt secours que les affaires du
Roy en reçoiuent. Ce qui rend l’interest des particuliers fort peu considerable, qui
se pleignent de ce que par ce moyen il se leue beaucoup plus d’argent qu’il ne se feroit
dans la forme ordinaire ; & que par vne injustice apparente, il se void que ceux
par le moyen desquels ces deniers sont leuez ; y profitent plus que le Roy mesme,
outre les recompenses qu’ils sont obligez de donner à ceux qui leur facilitent ces
partis : parce qu’où l’interest du-Roy & de l’Estat se rencontre, celuy de ses subiets
ne luy doit estre opposé ; & le Prince, ny ses Ministres qui gouuernent le Royaume,
comme Peres communs autant des vns que des autres, ne doiuent considerer, si les
biens de l’vn de ses subiets passent à l’autre, pourueu qu’ils demeurent tousiours dans
le Royaume. Et n’importe en façon quelcõque à la conseruation de l’Estat, si le riche
est dépouillé pour en couurir le pauure, pourueu qu’il en demeure tousiours vn riche
sur qui le Roy puisse leuer les droicts qui luy appartiennent. De là s’ensuit que ce ne
m’est pas vn crime d’Estat d’auoit profité des partis, particulierement s’il est remarqué,
que ce qui m’estoit baillé n’alloit pas à la diminution du party, qui entroit entierement,
pour mon regard, dans les coffres de sa Maiesté, & ma part ne consistoit
qu’en vn present que le Partisan me faisoit à sa discretion, & qui n’alloit qu’a sa
charge.

Resp.

Si sous le pretexte des Comptans, ie ne me suis pas fait bailler plusieurs sommes
considerables, que i’ay appliquées à mon profit ?

14. Int.

Que ce faict est veritable : mais qu’il ne m’est calomnieux, parce que i’ay fidellement
precompté ces sommes sur le courant de mes pensions, la Reine ayant trouué
tant de sincereté en mon procedé, qu’elle m’a permis de tirer mes recompenses en
telle maniere que ie croirois le plus expedient, sur ce que ie luy ay donné à entendre
qu’il n’estoit pas à propos que mes gages & pensions passassent par les formalitez
ordinaires des Finances, suiectes à vne infinité d’Officiers, qui n’ayans connoissance
de la despense qu’il conuient faire à vn Ministre, s’en pourroient formaliser, & exciter
du bruit parmy le peuple, à quoy toutes personnes interessees dans les affaires
publiques doiuent particulierement prendre garde.

Resp.

Si par ces moyens, & plusieurs autres desquels ie me seruois, ie n’ay pas tiré des
sommes immenses des coffres du Roy ?

15. Int.

Que ie ne dois rendre compte de cet article, parce que la Reine m’ayant trouué assez
fidelle pour laisser à ma discretion les sommes que ie dois toucher par chacun an
pour mes gages & pensions ; & sa Maiesté ayant la disposition absoluë de toutes les
Finances du Roy, aussi bien que ses autres affaires, il s’ensuit que les biens que i’ay
acquis en France ne me peuuent estre enuiez, & encores moins imputez à crime,
supposé que la quantité s’en trouue exhorbitante : parce que l’acquisition que i’en
ay faite, a eu pour fondement vne authorité absoluë.

Resp.

Si ie ne me suis pas serui de Leony, & d’autres banqueroutiers pour attirer à moy
l’argent de plusieurs Bourgeois de Paris, ayant souffert qu’ils ayent fait banqueroute

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à leurs creanciers apres m’estre emparé de leurs biens ?

 

16. Int.

Que cet article est veritable ; & neantmoins que l’on n’en peut tirer aucun aduantage
contre moy : parce que Leony mesme demeura d’accord que ie luy auois presté des
sommes tres considerables ; de sorte qu’en prenant ses effets & ses biens, ie n’ay fait
que recouurer ce qui m’appartenoit à iuste titre. Et si en cela i’ay esté plus aduisé que
les autres creanciers, ie n’en dois rien qu’à ma vigilance, n’ayant pas crû deuoir negliger
l’occasion dont on m’a donné aduis, de me saisir de ses biens, parce que ne
consistans qu’en choses mobiliaires, on m’a fait entendre que les ayans pris en ma possession,
les autres n’y pouuoient plus rien reclamer : d’autant qu’en France, ce m’a on
dit, meubles n’ont fuite par hypoteque.

Resp.

Si estant Estranger, ie ne me tiens pas incapable de tenir le rang que ie tiens en France ?
Si ie sçay que par les Ordonnances du Royaume les charges, & particulierement
celles de consideration, & les Benefices m’estoient interdits, comme n’estant originaire
François, & que ces Ordonnances ont esté renouuellées par vn Arrest notable de
reglement de l’an 1617. que l’on appelle du Marquis d’Ancre ?

17. Int.

Que lors que defunct Monsieur le Cardinal de Richelieu me proposa de m’esleuer
& de me faire succeder en sa place, il m’aduertit que cet inconuenient l’auoit plusieurs
fois arresté d’y songer, & que i’auois à y prendre garde : mais que pour luy il n’estimoit
pas dans les regles de la veritable Politique, ny que le Parlement par son Arrest
ait pû imposer ce joug à son Roy, de ne se seruir de telles personnes qu’il trouuera
bon pour la conduite de ses affaires, ny mesme que les Rois par leurs Ordonnances
ayent pû establir cette loy à l’esgard de leurs successeurs. Et que pour mon particulier
ces Arrests & ces Ordonnances ne me deuoient donner aucun sujet d’apprehender,
veu que tant que ie pourrois me maintenir, personne n’auroit la hardiesse de s’en
vouloir seruir contre moy : que lors qu’vn Ministre a laissé prendre quelque ascendant
sur soy, ceux qui ont la puissance de le choquer ne manquent pas d’occasion ; & que
pour luy, quoy qu’il ne fût Estranger, il sçauoit fort bien que ses ennemis n’eussent
manqué de pretexte pour le deposseder s’il eust souffert que le Roy les eust entendus,
Et qu’enfin ie deuois m’asseurer sur cette maxime, que la conseruation de l’estat d’vn
Ministre ne despend pas de la force des Ordonnances ny des loix du Royaume, mais de
la seule bonne volonté du Roy, ou de celuy qui le represente.

Resp.

Si en abusant de l’authorité de la Regence, & en estendant le pouuoir plus qu’il ne
doit estre par les loix fondamentales du Royaume, ie n’ay pas exercé mon ministere
comme si i’eusse administré l’Estat sous vn Roy majeur, en promettant des villes en
souueraineté à Monsieur le Prince, en faisant creer indifferemment toutes sortes d’Offices,
& fait plusieurs autres actes semblables, qui dependent de la pleine puissance
du Roy, qui ne peut estre exercée par qui que ce soit, sinon en quelque occasion vrgente
dans les formes ordinaires, c’est à dire auec l’approbation des Estats, ou du
Parlement qui le representent ?

18. Int.

Que ie n’ay iamais mis de difference entre l’authorité du Roy, exercée par luy-mesme,
estant majeur, & celle qui est confiée à vne Regente pendant sa minorité,
& que ie suis bien asseuré que ceux qui sont tant de bruit sur cette difference qu’ils
se sont imaginée, ne m’en sçauroient monstrer le fondement. Et qu’en tout cas pour
moy ie ne puis estre blasmé, si par la bonté de la Reine, ayant eu le pouuoir de la Regence
entre les mains, i’ay tasché de l’estendre autant que i’ay pû pour l’honneur de sa
Majesté : ayant esté du deuoir de ceux qui croyent auoir droict de l’empescher, d’en
restraindre les limites, s’ils iugeoient que ie les portois trop auant.

Resp.

Si ie n’ay pas empesché que le Parlement y donnast ordre en interrompant leurs Assemblées,

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& bannissant ceux que ie croyois auoir plus de zele pour s’opposer à mes
entreprises ?

 

19. Int.

Que le Parlement & moy estans dans des sentimens contraires, & nous appuyans chacun
d’vne authorité opposée, ils ont peu faire de leur part, ce qu’ils ont creu necessaire
pour l’acheuement de leurs desseins : mais aussi ne doit-on trouuer estrange si de ma
part i’ay fait ce que i’ay peu pour conseruer ce que ie croy auoir legitimement estably.

Resp.

Pourquoy ayant fait accorder à la Reine vne Declaration, qui regle les plus pressans
desordres de l’Estat, & fait promettre au Parlement quelques articles secrets, sous la
foy desquels cette Compagnie se reposoit, ie n’en ay rien voulu executer, & esté le
premier à y contreuenir.

20. Int.

Parce que l’experience a fait voir à la Reine & à son Conseil, que pour entretenir
cette Declaration, il falloit renuerser les maximes par lesquelles le grand Cardinal de
Richelieu auoit si heureusement commencé de gouuerner le Royaume, & que i’ay
du depuis fomentée par les belles instructions qu’il m’en a donné, & que ie fais gloire
de tenir d’vn si grand Politique, ce que sa Majesté ny son Conseil n’ont trouué à propos
de faire ; d’autant que ce seroit souffrir que l’authorité du Roy retournast du
haut poinct où nous l’auons esleuée, à celuy dont les anciens Rois se sont contentez
auec beaucoup d’incommodité, assuietis qu’ils ont esté aux formalitez des Estats, &
des assemblées de leurs peuples pour les choses de consequence, lesquelles toutefois
l’authorité absoluë du Roy esclate bien mieux qu’ez affaires cõmunes & iournalieres.

Resp.

Si ie n’ay pas fait plusieurs leuées de deniers dans le Royaume en vertu d’Edicts non
verifiez, & si facilitant par trop les entreprises des Partisans, ie n’ay pas souffert qu’il
se soit communement donné des Arrests au Conseil, par lesquels il estoit ordonné
que foy seroit adioustée aux coppies collationnées d’iceux par vn Secretaire du Roy,
comme aux propres originaux, & si ie n’ay pas sceu que la plus grande partie des gens
d’affaires possedans ces offices de Secretaires, pouuoient par ce moyen fauoriser les
fourbes les vns des autres ?

21. Int.

Pour respondre à cet article, il n’est besoin que de considerer que le Roy est maistre
absolu des vies & biens de ses subiets, & que si les precedens Rois ont fait verifier
leurs Edicts & Declarations ez Cours Souueraines, ce n’a esté que pour donner plus
de couleur & d’apparence à ce qui estoit par eux ordonné, parce que les peuples
estoient accoustumez à cet vsage, où lors qu’ils ont souhaité que leurs volontez fussent
transmises à la posterité, d’où vient que defunct Monsieur le Cardinal de Richelieu
& moy ayant esleué par nos soins l’authorité du Roy à vn tel poinct, que sans aucune
consideration ses volontez sont absolumẽt executées par ses subjets, nous auons
crû inutil de nous arrester à ces verifications ; principalement lors que nous auons
preueu que les Edicts dont l’executiõ estoit necessaire pour nos desseins, souffriroient
quelque resistance dans les formalitez de la Iustice.

Resp.

Si ie n’ay pas preueu que les aduances, & prests que i’ay introduits, alloient à
la ruine de l’Estat, & que les Finances se trouueroient à la fin tant accablées d’interests,
que le Roy auroit de la peine à s’en descharger ?

22. Int.

Qu’au contraire c’estoit par ce moyen que i’esperois sans formalitez exercer la
Chambre de Iustice, & retirer des Partisans ce qu’ils auroient gaigné auec si peu de
peine : ayant tousiours eu intention, lors que Dieu auroit donné la paix à la France,
de cõfisquer tous les prests faits par les Partisans & autres gens d’affaires pour la peine
de leurs maluersations.

Resp.

Si sans tirer argent de mes coffres, ie n’ay pas trouué cette inuention de recompenser
mes Confidens aux despens du Roy & de ses subjets, en leur faisant achepter

-- 11 --

des rentes sur l’Hostel de Ville au denier 2 ou 3. que ie leur faisois incontinent rachepter
au denier 12. & 14.

 

23. Int.

Qu’en cela l’interest du Roy n’est pas blessé, puis qu’il ne paye que ce qu’il doit,
non plus que celuy des particuliers : veu que l’on n’a encores veu que l’on ait vsé de
contraintes pour leur faire vendre leurs rentes, & que d’ailleurs quãd elles leur seroient
demeurées, manquans de faueur, ils ne pouuoient esperer pareil rachapt & aduantage
que mes amis qui sont employez dans le seruice du Roy reçoiuent par ce moyen.

Resp.

Pourquoy i’ay souffert tant de desordres dans la leuée des Finances, que d’auoir
permis aux gens d’affaires d’estre arbitres & les maistres des taxes, dont ils auoient
pris le party : comme il est arriué dans le traitté des Aisez, où il s’est veu que les particuliers
qui auoient esté cottisez apportans le tiers ou le quart de leurs taxes aux
Traittans, ils auoient incontinent vn arrest de descharge pur & simple, qui ne despendoit
que de la volonté du Partisan, lequel en suite saisoit adiouster qui bon luy sembloit
sur son roolle, & bien souuent tel, que celuy qui estoit deschargé auoit pour ennemy,
& nommoit en sa place, au quel il faisoit porter, capable ou non de ce faire, la
taxe entiere, comme s’il n’auoit rien receu du premier ?

24. Int.

Qu’vne seule raison satisfait à ce pretendu desordre, lequel nous auons esté obligé
de souffrir, parce que les Traittans s’estans rendus adiudicataires de ce party, sous
l’esperance qu’on leur auoit donnée, que la Declaration par laquelle il estoit authorisé
seroit verifiée au Parlement : ce que cette Compagnie ayant refusé, apres toutefois
que nous eusmes touché les aduances de ce party, nous ne peusmes trouues de plus
prompt remede pour contenter les Partisans, qui nous importunoient de toute part
afin d’auoir des recouuremens des pertes qu’ils souffroient à cette occasion, s’estant
rencontré quantité de lieux où les Taxez se preualans des defences qu’ils obtenoient
du Parlement de les contraindre pour leurs taxes, que de leur permettre de
leuer ce qu’il leur seroit possible en vertu de ce party, & de recouurer leurs pertes
comme ils pourroient, l’estat des affaires du Roy ne nous permettant pas de leur assigner
d’autres recouuremens.

Resp.

Pourquoy, pour faire reüssir mes desseins, vsant mal de l’authorité du Roy, ie me
suis seruy de moyens si extraordinaires, que de bannir des Magistrats sans autre sujet
que d’auoir expliqué leurs pensées auec trop de liberté, & maintenu contre ma volonté
les droicts qui leur appartiennent ? & d’esloigner deux Ministres de la Cour,
dont l’experience de l’vn & integrité de l’autre, accompagnée d’vne longue fidelité
vers la Reine estoient recommandables, sous pretexte que la grande pieté de l’vn ne
pouuoit compatir auec la conduite des affaires d’Estat, & que ie redoutois pour
mon interest particulier l’esprit entreprenant de l’autre ?

25. Int.

Que l’vtilité de l’emprisonnement des Magistrats paroist par l’exemple des affaires
du temps, qui sans doubte ne seroient en cet estat, si le peuple m’eust permis de continuer
mes entreprises, qui se iustifient assez en ce qu’il se void qu’elles n’auoient autre
intention que le maintien de l’autorité Royalle. Que l’esloignement de Monsieur
l’Euesque de Beauuais n’est pas moins iuste, non pas que ie tienne absolument que la
deuotion soit tousiours incompatible auec le ministeriat, mais parce que dans le rencontre
particulier, où il s’agissoit de continuër le gouuernement de l’Estat, dans les
fondemens & maximes que defunct Monsieur le Cardinal de Richelieu auoit commencé
d’establir, & qui ne paroissent pas aux yeux d’vn chacun aussi sinceres qu’elles
sont en verité : Ie vis fort bien de la façon qu’il s y prenoit que la grande pieté à laquelle
il est attaché, estoit vn puissant obstacle pour le faire reüssir en son administration :
Et de faict il pensa mettre de la diuision dans le Conseil, & fist quelque impression

-- 12 --

dans l’esprit de la Reine lors qu’il appuya si fort les moyens de paix, qu’il s’aduisa vn
iour de mettre en deliberation en vn temps qu’elle ne pouuoit encores estre proposée,
pour songer a son accomplissement. Et enfin que i’ay eu aussi raison de procurer l’emprisonnement
du sieur de Chauigny, & que ç’a esté auec sujet que i’ay douté l’effet
de ses entreprises, qui alloient à la subuersion de l’Estat, ayant recognu par l’examen
que i’ay fait de son procedé, qu’il estoit trop estudié, pour n’auoir autre dessein que
celuy qu’il me tesmoignoit ; & que si ie n’eusse arresté le cours de ses pratiques, il
n’eust plus tardé long-temps à iouër au boute-hors, en quoy sans doute l’Estat eût
beaucoup souffert, attendu les particulieres cognoissances que i’ay des affaires du
Royaume, que ie ne puis descouurir que quand ie verray la necessité de me donner
vn successeur.

 

Resp.

Si ie n’ay pas employé le poison pour me deffaire de defunct Monsieur le President
Barillon ? Et pourquoy i’ay mis au hazard les vies de Messieurs de Beaufort & de la
Motte-Houdancourt, en leur suscitant des accusations qui ont paru calomnieuses par
l’euenement, & par les Arrests qui sont interuenus à leur descharge en deux Cours de
Parlement ?

26. Int.

Que par ma qualité de Ministre representant identiquement la personne du Roy,
ie ne dois rendre compte à qui que ce soit de la mort de ses subjets ; parce que leurs
vies estans sousmises à nos authoritez, nous en pouuons disposer ainsi que nous trouuons
bon pour le maintien de son Estat. De là viẽt qu’il suffit que i’aye iugé que Monsieur
le President Barillon auoit esté & seroit vn obstacle à l’auancement de mes desseins
dans la conduite du Royaume pour en auoir pû tirer raison par sa mort, en laquelle
les gens d’esprit estimeront beaucoup ma prudence de m’estre seruy d’vne voye
extraordinaire & secrette : parce que ie ne le pouuois autremẽt sans interesser vn grand
Corps, qui par le ressentiment qu’il estoit obligé de tesmoigner, eust pû apporter
quelque desordre dans l’Estat ; Et que l’on ne me doit imputer si i’ay prononcé cette
condamnation sans information & sans forme, dautant que par cette representation de
la personne du Prince, ie possede en moy la dispense de toutes les Loix & Ordonnances
du Royaume, qui ne sont establies que pour la conduite des Iuges ordinaires, & des
esprits communs ; afin qu’eux qui ne possedent cette infaillibilité de iugement, qui est
le partage des grands esprits ils trouuent vn ordre dans ces formalitez pour ayder leurs
deliberations. Que quant à Messieurs de Beaufort & de la Motthe, ils ont tout sujet
de se louër de moy, si ayant iugé que leurs morts n’estoient absolument vtiles à l’Estat,
ie les ay renuoyez à des iurisdictions ordinaires, pour estre eslargis auec absolution.

Resp.

Si pour me rendre maistre absolu de la personne du Roy, ie n’ay par esloigné des
Capitaines de ses gardes, & congedié sa garde de mousquetaires à cheual, remplie de
Gentils-hommes tres-affectionnez au seruice de sa Majesté, pour ne les auoir pû faire
condescendre à mes desseins ?

27. Int.

Qu’il est important au bien de l’Estat, qu’en ayant la generalle administration, ie
puisse disposer de toutes les personnes qui y tiennent quelque rang considerable ; &
que si i’auois suiuy exactement les memoires de Monsieur le Cardinal de Richelieu,
la France ne se verroit en l’estat qu’elle est : parce que i’aurois mis dans les charges &
places de consequence des personnes de mon intelligence, desquels i’aurois mieux
disposé que ie n’ay fait dans cette vrgente necessité du Royaume.

Resp.

Si ie n’ay pas eu intelligence auec l’ennemy de l’Estat, & à cette occasion interrompu
le cours des heureux succez de la France ? Si pour faciliter la prise de Courtray tres-necessaire
au Royaume pour la correspondance des villes du Pays Bas, ie n’ay pas employé
vne armée qui n’estoit que trop suffisante pour resister à celle de l’Archiduc

-- 13 --

Leopold, au siege de la ville d’Ypre, qui ne se peut garder toutefois & quantes que
l’Espagnol se trouuera en estat de l’assieger, & que pour luy en donner plus de moyen,
i’ay empesché qu’elle ne fust fortifiée ? Si en cette mesme année apres auoir laissé
perir l’armée par les incommoditez qu’elle souffrit, & la necessité des viures & d’argent,
qui firent passer plusieurs de nos soldats dans les armées ennemies, ie ne suscitay
pas la battaille de Lens, en laquelle, sans vne grace particuliere du Ciel, l’armée
du Roy deuoit indubitablement succomber ? Si pour priuer la France de ses meilleurs
chefs, ie ne leur ay fait hazarder plusieurs batailles eu Catalogne & aux Pays-Bas,
esquels ils deuoient perir, cessant leur courage & bonne conduite ? Si pour faciliter
la mesme prise de Courtray, ie n’en fis pas sortir auparauant le siege par vn ordre secret
le sieur de Paluau gouuerneur, auec vne partie de la garnison, sous pretexte de
donner secours à Monsieur le Prince au siege d’Ypre ? Si par le mesme moyen ie n’ay
pas liuré Mardic en le degarnissant du monde ? Si dans le quartier d’hyuer de 46. ie
n’empeschay pas, sous pretexte de la paix qui se traittoit, que les recruës fussent leuées :
ce qui fut cause qu’au commencement de la campagne suiuante le Roy n’eut aucune
armée considerable au champ : de sorte que l’Archiduc eut moyen de prendre
tel aduantage qu’il voulut ? Et si enfin apres auoir fait bruit par les Generaux, l’armée
estant en campagne pour fauoriser le siege de Landrecis, ie ne fis point venir deuers
moy les sieurs Gassion & de Ranssau Generaux, sous pretexte de les accommoder
de quelque differend qu’ils auoient ensemble, afin pendant leur absence de donner
le loisir aux ennemis de former le siege, ainsi qu’ils firent ? Si depuis ces deux Generaux
ayans resolu de secourir cette ville, comme il leur estoit aisé de faire, ie ne les
en empeschay pas par ordre que ie leur enuoyé de ne rien hazarder ? Si pour faire perdre
l’armée du Roy, conduite par Monsieur le Prince deuant Leyrida, ie n’aduertis
pas les Ministres d’Espagne de ce siege, de sorte que s’y estans preparez, Monsieur
le Prince trouua autant de monde dans la ville pour la deffendre, qu’il en auoit conduit
pour l’attaquer ? Si lors qu’au commencement des campagnes les armées du
Roy ont esté victorieuses, & se sont trouuées en estat de conquerir des Prouinces entieres,
ie ne les ay pas laissé perir par les necessitez que ie leur ay fait souffrir ? Et enfin
si pour tous ces seruices que i’ay rendus à l’Espagne, ie n’ay pas receu des pensions de
luy, & souffert que d’autres subjets du Roy en receussent, ayant esté aduerty qu’il y
auoit dans Paris vn Agent du Roy d’Espagne, lequel payoit les gages des pensionnaires
qu’il auoit en France, sans que ie m’en sois mis en peine & aduerty le Conseil ?

 

28. Int.

Que la response à tous les chefs de cest article despend de la plus sublime Politique,
qui a mesme esté incognuë au diuin Machiauel, & que peu de personnes pourront
comprendre, à moins que de penetrer bien auant dans les secrets de cest art ;
Que neantmoins pour en rendre quelque raison, puis qu’il semble que l’on veuille
particulierement insister sur ce poinct, qui de verité paroist le plus specieux de tous
ceux qui iusques à present m’ont esté proposez, ie diray ce qui eût esté tres vtile à
l’Estat de ne pas diuulguer, que le meilleur moyen que i’aye inuenté pour la conseruation
de l’Estat, depuis que i’exerce le ministere, a esté de pratiquer ces intelligences
auec l’Ennemy, par le moyen dequoy en luy laissant aller quelquesfois de
petits aduantages, afin de paroistre affectionné à son seruice, rien des secrets du
Conseil d’Espagne ne m’estoit caché. Dont i’ay tiré de tres-grands profits pour
faire reussir les affaires de la France & obtenir les grandes victoires, desquelles elle
s’est veuë victorieuse, depuis que i’ay entrepris sa conduite, & que ie me suis seruy
de ces artifices : dont ayant tousiours trouué quelque pretexte d’excuse vers le Roy
d’Espagne pour entretenir cette pratique, & qui ayant esté communiquée à mes
ennemis, par vne ame infidelle que i’emploiois à cette negociation sans luy en dire

-- 14 --

le secret, ils ont pris subiet d’en faire vn chef d’accusation contre moy, quoy que les
indicieux voient fort bien que ces intelligences n’alloient qu’au bien general de la
France : Qui auoient encores cest effet, outre celuy que ie viens de remarquer, que
i’attirois par ce moyen de tres-grandes sommes de deniers des coffres de nos ennemis,
dont le Royaume profitoit, & particulierement ceux employez aupres de
moy pour le seruice du Roy, ausquels donnant cette liberté de receuoir ouuertement
ces pensions, cette tolerance apportoit ce bien à l’Estat, que par ce moyen
ils ne mandoient rien au Conseil d’Espagne, qu’ils ne me l’eussent communiqué
auparauant : Au lieu que si i’eusse voulu empescher ce commerce, & que ie n’eusse
tesmoigné estre du party aussi bien qu’eux, ils m’eussent si bien caché leurs pratiques,
que ie n’en eusse eu aucune cognoissance ; Et qu’au lieu que ie profitois pour
la conduite de l’Estat de ce qu’ils mandoient au Roy d’Espagne, la France à cause
de ces intelligences, en eust receu vn notable dommage : puis que ceux qui sont employez
dans les grandes affaires ont remarqué cette maxime, qu’il est impossible,
quelque diligence qu’on y puisse apporter, qu’ils n’ayent tousiours quelqu’vn de
ceux qui sont aupres d’eux, qui n’ayent des secrettes pratiques auec ceux du party,
contraire : Et ainsi ne loüera-on pas mon adresse, non seulement par mes artifices
d’auoir attiré en France les Finances d’Espagne ; mais mesme d’auoir espargné les
profusions qu’il failloit faire chez les ennemis, pour pratiquer de nostre part ces
intelligences auec eux : puis que sans m’en mettre en peine, elles m’estoient descouuertes
iournellement sous pretexte de fauoriser leur party.

 

Resp.

Si ie n’ay pas empesché l’effet de l’entreprise de Naples, qui auoit cousté tant de
peine au defunct Cardinal de Richelieu, en retardant le secours destiné pour y enuoyer ?
Si ie n’ay pas fait surprendre Monsieur de Guise entre les mains de nos ennemis ?
Et si lors que ie sus congratuler Madame sa mere du secours que ie luy preparois,
ie n’auois pas receu les nouuelles de sa prise ?

29. Int.

Que c’est le seul poinct où i’ay renuersé à dessein les entreprises de Monsieur le
Cardinal de Richelieu, & ce qui m’a excité à ce faire a esté ce que i’ay appris de
l’Histoire, que les desseins sur l’Italie n’auoient iamais apporté aucun profit aux
François, & qu’il falloit necessairement que les esprits, & la conduite de ceux de
ce Royaume cedassent à cette nation subtile & guerriere tout ensemble : au lieu
que les habitans de la France doiuent aduoüer, s’ils veulent recognoistre la verité,
que ce climat ne leur octroye que la derniere de ces deux qualitez, & qu’il faut
qu’ils obseruent religieusement cette maxime, de n’attaquer iamais ceux de cette
nation sans tres-grande necessité, puis que ce n’est pas tout d’entreprendre & d’auoir
des desseins de conquerir ; mais qu’il faut pour estre estimez iustes & raisonnables
qu’ils reçoiuent quelque apparence dans leur execution. D’où vient que
l’on ne doit trouuer estrange si ie n’ay iugé à propos d’attaquer le Roy d’Espagne
du costé qu’il est le plus fort ; non plus que si ayãt sceu la prise de Monsieur de Guise,
ie ne l’ay si-tost voulu declarer à Madame sa mere, dautant que ie fus bien aise de luy
tesmoigner auparauant quelque affection pour sa famille, a fin de me maintenir en
ses bonnes graces, vn Ministre deuant auoir cette adresse de se conseruer s’il peut
tous ceux qui sont en quelque consideration dans le Royaume, ce qui retourne au
bien & à l’vnion de l’Estat.

Resp.

Si ie ne suis pas la cause de la mort du Roy d’Angleterre oncle de sa Majesté,
ayant continué indiscretement les pratiques que le defunct Cardinal de Richelieu
y auoit commencé, pour allumer la guerre en ce Royaume ?

30. Int.

Que i’ay receu la nouuelle de cette mort auec douleur ; & que ie n’en dois estre

-- 15 --

consideré comme la cause, non plus que defunct Monsieur le Cardinal : dautant
que i’ay trouué sur les memoires, qu’il n’auoit suscité cette guerre que pour diuertir
le secours, qu’il sçauoit de bonne part que le Roy d’Angleterre deuoit enuoyer
à celuy d’Espagne, lors que l’armée du Roy voudroit assieger Dumkerque, & les
autres villes qu’il ne pouuoit voir en nos mains sans ialousie ; mais que Monsieur le
Cardinal auoit fait estat que le party du Roy d’Angleterre subsisteroit plus longtemps,
& que c’estoit son intention de luy prester secours ; & de le desgager de cette
oppression, lors qu’il auroit eu fait la paix auec l’Espagne, à quoy il destinoit le reste
de nos troupes, pour empescher les desordres que les soldats accoustumez en la
guerre causent en vn Estat, quand ils se trouuent oisifs.

 

Resp.

Si la paix nous ayant esté offerte par le Roy d’Espagne & ses Confederez, auec
des conditions tres-aduantageuses pour la France, ie u’en ay pas destourné l’effet,
& plutost souffert la desunion de nos Alliez, que d’y vouloir entendre, pour cette
seule consideration, que ie ne pourrois me maintenir pendant la paix, comme
ie fais en temps de guerre ? Si à cette occasion ie n’ay pas rendu Monsieur le Duc
de Longueuille malcontent, ayant veu que ie me seruois de l’industrie d’vn Plenipotentiaire
qui n’estoit de sa condition, pour empescher l’effet de ce que ce Prince
auoit arresté ? Et si ie ne sçay pas que l’Archiduc Leopold en a depuis peu rendu
tesmoignage au Parlement ?

31. Int.

Que si l’on considere la paix comme fait le commun du peuple, c’est à dire comme
le seul & vnique bien de l’Estat, que ie pourrois veritablement encourir quelque
que sorte de blasme en ce rencontre ; mais si esleuant ses pensées, on considere que
la guerre & la paix sont indifferentes au bien de l’Estat, pourueu qu’il trouue les
moyens de subsister en l’vn ou en l’autre aduantageusement, il n’y a personne pour
peu illuminé qu’il soit en l’art de regner, qui ne iuge mon procedé tres-iudicieux,
s’il sçait que deffunct monsieur le Cardinal de Richelieu n’a pas tant declaré la
guerre dans l’esperance de prendre quelques villes sur l’ennemy, qui seroit peu en
comparaison de la despense qu’il faut faire pour les conquerir, que pour auoir sujet
d’éleuer pendant ce temps l’autorité du Roy au poinct où il l’a mise, ce qu’il
n’eust pû faire en temps de paix : C’est pourquoy c’est auec beaucoup plus de raison
qu’ayant entrepris d’esleuer de la mesme façon l’autorité de la Regence, i’ay
procuré de tous mes efforts la continuation de la guerre. Ne faisant rien contre
moy ce qu’on objecte pour me blasmer, que dans cette pratique j’ay aussi bien eu
en consideration le maintien de mon autorité, que de celle du Roy & de la Reyne,
dautant que cherchant à me conseruer, c’est donner moyen à leurs Maiestez
de garder cette puissance absoluë que nous leur auons donnée sur leurs subjets :
pour laquelle maintenir, il est necessaire qu’elle soit aydée par vn Ministre absolu
& nourry dans nos maximes : ayant fait en sorte que cette dignité est maintenant
plus necessaire dans la France en l’estat que les choses sont reduites, que toutes les
autres ensemble.

Resp.

Si cette prorogation de la guerre n’a pas esté cause des progrez du Turc en la
Chrestienté, les Princes Chrestiens estans empeschez en cette guerre domestique ?
Si le Pape & les Venitiens ne m’en ont pas fart reproche ? Et si ie n’en ay pas tiré
recompense du Turc ?

32. Int.

Que ie n’ay pas crû que l’interest general de la Chrestienté deust estre preferé
au bien particulier de la France tel que ie viens de monstrer en respondant à l’article
precedent. Et si en seruant mon Maistre, le Turc s’est persuadé que ie luy rendois
seruice pour sa seule consideration il est certain que ie n’ay deu refuser ses presens,

-- 16 --

puis qu’ils ne m’obligeoient à faire chose quelconque qui ne fust pour le seruice
du Roy de France.

 

Resp.

Pourquoy i’ay enleué nuictamment le Roy hors de Paris, & mis la confusion
dans toute la France ?

33. Int.

Que la raison n’en est appuyée que sur ce fondement legitime de maintenir
l’autorité Royalle, que ses subjets vouloient auillir en se seruans de cet aduantage
qu’ils tenoient le Roy & ses Ministres en leur puissance.

Resp.

Pourquoy donc, pour trouuer pretexte à cet enleuement, & pratiquer la desunion
entre le Parlement & le Bourgeois, i’ay tasché de calomnier cette Compagnie
par la lettre que ie fis enuoyer à l’Hostel de Ville, & par les libelles que i’ay du
depuis semez dans les ruës ?

34. Int.

Que les maximes d’Estat ne veulent pas que l’on descouure tousiours au peuple
les veritables motifs des actions de ceux qui en ont la conduite ; & quoy que l’autorité
Royalle soit vn pretexte tres equitable, que neantmoins parce qu’en certains
rencontres elle choque la liberté des peuples, cela en imprime quelque
auersiõ dans les esprits des moins obeissans, qui ne considerent point que le Roy ne
s’esleue & n’establit son pouuoir que pour mieux les deffendre contre les ennemis
communs. De là vient que i’ay crû à propos de rejetter la sortie du Roy sur les entreprises
du Parlement contre sa personne, afin que le peuple en conceuant quelque
indignation contre eux, il refusast de prester assistance : dont cette Compagnie
ne me doit sçauoir mauuais gré, puis que tout mon procedé n’a esté que pour
le maintien de l’authorité Royalle, auquel elle est obligee aussi bien que moy.

Resp.

Si ie n’ay pas donné conseil à la Reine de ruiner la ville de Paris ?

35. Int.

Que ce n’a iamais esté mon dessein de faire aucun desordre en la ville, mais bien
d’en affoiblir insensiblement les forces, en ostant les Compagnies souueraines & la
Cour de sa Majesté, parce qu’ayant recogneu que la grandeur de cette ville seruoit
de contre-poids à l’authorité du Roy, i’ay creu qu’il alloit de mon ministere & de
mon deuoir de retrancher cet empeschement à la puissance absoluë de sa Majesté.

Resp.

Si ie me suis pas seruy de charmes & autres inuentions diaboliques pour me conseruer
la bonne volonté de la Reine, & pour attirer de mon party Messieurs le Duc d’Orleans
& Prince de Condé ?

36. Int.

Que i’ay tousiours horreur pour les sortileges, & neantmoins qu’il est bien vray
qu’à mon aduenement au ministere, vn de mes Confidens me congratula d’auoir
employé le sort pour le faict sur lequel ie responds ; mais que ie ne l’ay iamais aduoüé,
& lui ay refusé mesme quelque recompense qu’il croyoit obtenir de moy à cette occasion.

Resp.

Si toute ma religion n’est pas establie sur la doctrine de Machiauel, ne tesmoignant
aucun zele pour la loy Chrestienne, veu qu’il semble que ie n’approche des Sacremens,
& fasse cas des misteres de l’Eglise que pour me purger de l’infidelité dont on
me pourroit accuser ?

37. Int.

Que ma qualité de Cardinal me laue assez de cette accusation, & que cette dignité
me doit rendre tres-ardent pour la doctrine qu’enseigne l’Eglise Catholique, Apostolique
& Romaine : mais que ce qui trompe ceux qui examinent de si prés mes actions,
est que i’estime que la deuotion exterieure n’est pas celle qui doiue estre la
plus affectée.

Resp.

Si ie n’ay pas exercé la simonie la plus odieuse qui fut iamais, en baillant des millions
à ceux qui se sont employez vers le Pape pour obtenir à mon frere le Cardinal
de Sainte Cecile, le chapeau auec lequel il est mort ?

38. Int.

-- 17 --

Que cette accusation seroit bonne à proposer à vne personne qui tiendroit vn
moindre rang dans l’Eglise ; mais qu’en estant vn des Princes, i’ay pû me dispenser
(quoy que disent les Canonistes au contraire) de toute tache de simonie, ainsi
que i’ay apris d’vn tres-subtil Politique.

Resp.

Si ayant pris le soin de faire diuertir le Roy & sa Cour par les Comediens que ie
lui ay fait venir d’Italie, & les somptueux balets qui ont esté dancez deuant sa Majesté
par mon ordre, ie n’ay pas souffert qu’il y receust de tres-mauuaises instructions
par les discours scandaleux que tenoient les Acteurs, & par leurs actions qui n’estoient
le plus souuent que maquerellage de l’vn & l’autre sexe ?

39. Int.

Qu’il en va autrement de l’instruction des ieunes Princes que des autres enfans,
parce que les vns ayans à gouuerner vn Estat & viure auec les meschans aussi bien
qu’auec les bons, il est à propos qu’ils cognoissent le mal, comme le bien, dont
ceux qui ne sont de cette condition peuuent se dispenser dans leur vie particuliere.

Resp.

Quelles sont les maximes desquelles ie me suis serui pour administrer l’Estat ?

40. Int.

Que i’en ay declaré vne partie en me iustifiant des accusations qui me viennent
d’estre objectees en l’interrogatoite que ie preste. Que pour les autres elles dependent
de la Politique secrette, qu’il importe au bien de l’Estat de tenir cachee, parce
qu’elle paroist plus insuportable aux peuples qui ne sont versez en cette science, de
laquelle mesme pour cette raison ie me suis abstenu de parler en mes Responses,
quoy qu’elle eust pû me seruir extremement pour iustifier mes actions & ma conduite.

Resp.

Si affectionnant le bien de l’Estat, comme ie dis, ie n’eusse pas mieux fait de
retourner en Italie pour rendre le repos à ce Royaume que ie lui oste par ma presence ?

41. Int.

Que ie ne pourrois faire vn plus grand preiudice à l’autorité du Roy & de la
Reine, & que ce seroit mesme prolonger les troubles du Royaume : parce que
donnant cet aduantage aux peuples de m’esloigner pour leurs plaintes, ils ne manqueroient
pas lors qu’ils auroient conceu vne pareille indignation contre celuy qui
me succederoit de susciter les mesmes émotions qu’ils ont fait en ce temps contre
moy : ce qui arriueroit indubitablement, puis qu’a ce qu’ils tesmoignent, ce n’est
pas tant ma personne qu’il leur desplaist, que la façon de laquelle ie conduis l’Estat.
D’où vient que tous ceux qui sont auiourd’huy proche de leurs Majestez & qui ne
manqueront pas d’artifices pour s’y maintenir, estans nourris dans les mesmes maximes,
il est impossible que l’Estat change de conduite, & par consequent que les
sujets de plaintes pour les peuples cessent si l’on n’y apporte vne autre remede, &
qu’il ne leur soit puissamment resisté ; de sorte que pour le bien de l’Estat, i’ay iugé
mon restablissement d’vne telle consequence, que i’ai conseillé à la Reine de
plutost hazarder la Couronne de son Fils, que de ne pas tirer raison de l’injure qui
m’est faite, & de ne me restablir au rang que ie tenois dans le Royaume.

Resp.

Si i’entends prendre droict par les informations qui ont esté ou seront faites
contre moy ?

42. Int.

Que tres-volontiers, pourueu qu’elles ne contiennent autres choses que les
chefs sur lesquels on me vient d’interroger.

Resp.

-- 18 --

LA RESPONSE A LA LETTRE
DV CARDINAL MAZARIN.

MONSEIGNEVR,

I’ay crû que la consequence de l’affaire que vous me faites l’honneur de
me communiquer par celle que i’ay receuẽ de vostre Eminence, desiroit
vne plus prompte response que celle que vous demandez de moy : C’est
le sujet pour lequel ie vous enuoye ce Courier extraordinaire, pour
vous mander mon sentiment, touchant la comparution que vous auez
resolu de faire au Parlement, pour vous purger des calomnies que l’on
vous impose, & vous dire auec liberté (puisque vous me tesmoignez le souhaitter ainsi)
que vous deuez bien vous donner de garde de mettre vostre dessein à execution, sur la confiance
que vous auez de la iustice des Responses que vous auez dressees contre les Faicts
dont on vous accuse. Car combien que vostre Politique & Art de regner vous mettent à
couuert de tout reproche, vous deuez neantmoins considerer, que ceux deuant qui vous
auez à vous representer ne cognoissent pas les maximes de Machiauel ny de Monsieur le
Cardinal de Richelieu, non plus que celles que vous auez inuentees par vos artifices
(puisque c’est vn des mots de l’art) pour regles de leurs iugemens, comme vous vous les
estes proposez pour but & conduite de vos actions. De sorte que ie suis fasché de vous
dire, Monseigneur, que le Parlement qui ne recognoist autre loy en ce Royaume, à l’esgard
de telle personne que ce puisse estre, que les Ordonnances Royaux, trouueroit en vos
Responses, de la façon qu’elles sont conceuës par vostre Memoire, plus de cent chefs pour
prononcer vostre condemnation : C’est pourquoy, Monseigneur, pour ne pas flatter vostre
Eminence en vn rencontre où il importe de luy declarer la verité, ie serois d’aduis puis que
vous me faites l’honneur de participer à vos conseils, que vous cherchiez vostre salut par
tout autre moyen que celuy que vous me proposez. Ie vous prie de receuoir ce sentiment de
celuy qui ne s’est porté à vous le dire auec tant de liberté, que dans le dessein qui’ay de
vous tesmoigner que ie suis,

De Vostre Eminence,

MONSEIGNEVR,

Vostre tres-humble & obeissant seruiteur T. T.

De Paris ce 2. iour de Mars 1649.

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Anonyme [1649], SOMMAIRE DE LA DOCTRINE CVRIEVSE DV CARDINAL MAZARIN. PAR LVY DECLAREE EN VNE LETTRE qu’il escrit à vn sien Confident, pour se purger de l’Arrest du Parlement, & des Faicts dont il est accusé. Ensemble la response à icelle, par laquelle il est dissuadé de se representer au Parlement. , françaisRéférence RIM : M0_3683. Cote locale : E_1_81.