Anonyme [1649], SONGE DV ROY. Admirable & Prophetique pour la Consolation de la France. Arriué le 15. de Mars 1649. , françaisRéférence RIM : M0_3688. Cote locale : C_10_18.
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SONGE DV ROY
ADMIRABLE ET PROPHETIQVE
pour la consolation de la France.

Arriué le 15. de Mars 1649.

Toutes les choses du monde estant égalemẽt inferieures
à Dieu, pource que la distance qui les en éloigne
toutes est infinie : Celles qui sont les plus belles, les
plus excellentes, non plus que les autres, ne sçauroient
entrer en comparaison auec cet estre supréme de qui la nature
Diuine est infinie. Pour cette raison ie n’ose dire que la condition
des Roys ; plustost que celle des autres creatures soit approchante
de la dignité de Dieu, deuant qui tout, n’est qu’vn petit rien, tout
égal. Cette égalité qui est tres-veritable à l’esgard de Dieu, ne paroist
parmy les hommes que dans leur commencement & dans
leur fin, en quoy ils n’ont rien de dissemblable : Mais d’ailleurs
Dieu s’est plus auantageusement communiqué, pour la suitte de
la vie, à ceux qu’il auoit de tout temps destinez & choisis pour
gouuerner. Il a fait en eux vne image viuante de sa grandeur, &
a bien voulu que leurs Monarchies eussent du rapport & de l’analogie
à l’Archetype celeste. Cette majesté des Roys, rayon visible
de la Majesté inuisible, à l’esclat de laquelle, par vn mouuement
naturel les peuples fléchissent ; & se portent à l’obeïssance & à la
soûmission, en est vn témoignage tres-sensible. Ils sont au dessus
du commun, non seulement par leur dignité suréminente, mais
encore par la consideration particuliere de leur personne, de qui
Dieu semble faire estat : Il les fait Roys ; c’est par luy qu’ils regnẽt ;
il tient leurs cœurs en sa main, & les fléchit comme il luy plaist ; il
leur donne des Anges tutelaires, qu’il tire des ordres Superieurs ;
& le Ciel semble auoir pour eux des influẽces particulieres. Toutes
ces graces qui découlent sur les Monarques pour la conseruation
d’eux & de leurs Estats, ont esté largement répanduës fur nostre
Roy DIEV-DONNE : Dieu l’a donné aux prieres pressantes

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de toute la France, & luy a imprimé au moment de sa naissance le
caractere des plus benignes influences, que la meilleure conioncture
des Astres eust pû produire. Aussi il agira par des mouuemens
tous celestes : Et la reuelatiõ qu’il a euë par son Songe comme
vne grace speciale pour la consolation de ses Subiets, en vn
âge auquel il ne peut encore de luy-mesme prattiquer son authorité,
luy promet des instructions diuines à l’aduenir pour luy mesme
& pour le gouuernement & la conseruation de cette Monarchie :
Et nous asseure que si Dieu iusques icy a permis beaucoup
de maux pour nous chastier, s’il nous a affligez de verges & de
scorpions, maintenant son ite s’appaise & qu’il nous va releuer
sur le penchant de nostre ruyne.

 

C’est ce qu’il a bien voulu declarer au Roy par ce Songe prodigieux,
dont les mysteres, leur explication & les éuenements font
& feront paroistre qu’il n’est pas de ces chymeres qui viennent de
la phantaisie agitée, ou de la predominatiõ de quelques humeurs,
ou du ressouuenir de ce qui s’est passé la iournée ; mais vn pur effect
de la bonté Diuine, qui par cette grace qu’il a faite à nostre
ieune Souuerain veut r’asseurer nos esprits abbatus d’vne esperance
infaillible de la deliurance de nos maux.

Le Roy auoit passe vne partie de la nuict auec beaucoup de tranquillité,
& les heures estoient escoulées pendant lesquelles les va
peurs de la refection iointes à l’idée toute fraische des mouuemẽs
ou des actions du iour peuuent trauailler les sens interieurs pendant
l’assoupissement des autres ; Lors que sur le matin les gardes
apperceurent que son repos estoit troublé par quelques agitatiõs
extraordinaires. Si le respect n’eust esté extréme, ou plustost s’ils
n’eussent veu que ces agitatiõs cessoient presque aussi-tost qu’elles
commençoient de paroistre, sans doute ils l’eussent voulu tirer
de peine, & par leur zele indiscret nous eussent priuez de la connoissance
que nous auons du sujet de nous réioüyr. Il s’éueilla en
fin en proferant quelques paroles assez haut, & s’estant trouué en
sueur, fut obligé, apres s’estre remis, de donner à la sollicitation
de ceux qui ont l’honneur d’approcher de sa personne, le recit de
ce qu’il venoit de voir.

Au commencement de son Songe, estant assis dans vn champ
plein de delices, sur vn throsne vn peu esleué au dessus de la place
que tenoit prés de luy vne Dame vestuë à la Françoise, ancienne,
mais pleine de majesté plus que d’aage, sur les espaules de laquelle

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il auoit son bras droit appuyé ; Il estoit en posture pour prendre vn
repos parfait, s’il n’eust esté importuné par vn grand nombre de
Vautours, de chiens, de chats, de rats & autres vermines ou insectes,
qui auec vn bruit estrange s’entre déchiroirent les vns les autres.
Il s’en vouloit fascher, lors qu’il veid de loing venir vn hõme
qu’il n’a pas voulu nommer. Il le connoissoit bien, mais estant
proche de sa personne il ne le recõnut plus ; Il ny voyoit rien d’humain
que la face, encore auoit-il des difformitez monstrueuses
en ses dents ; & les autres parties de son corps sembloient estre
des parties des animaux les plus farouches & les plus dangereux.
Quoy que ce monstre les cachast auec grand soin d’vn grand manteau
qu’il portoit sur ses espaules, le Roy ne laissa pas d’en estre
effrayé. Il demandoit à sa Dame ce que cela pouuoit estre, elle
plus morte que viue ne luy pouuoit respondre : Dans ce trouble
il l’appella cent fois, tantost sa bonne mere, tantost sa pauure fille,
& enfin il tira de sa bouche cette parole, c’est Mantichora, nous
sommes perdus.

 

Cette beste farouche voulut flatter le Roy, & par quelques gesticulatiõs
ridicules vouloit diuertir sa frayeur ; lors qu’il fut obligé
par les cris lamentables de cette pauure desolée de l’embrasser
estroittement, & puis de la deffendre par toute sorte d’efforts, de
ces vermines, qui apres tant de bruit, d’vn commun accord, par
vn signe du monstre, s’estoient ruées sur elle. Ce Mantichora les
acharne & les halle de plus en plus, ces bestes donnent mesme sur
le Prince, & desia la miserable Dame auoit tous ses vestemens déchirez
& son corps outragé & ensanglanté en toutes ses parties,
& le Monstre d’vne gueule beante, sembloit la deuorer toute entiere ;
Lors qu’ils virent sur le fleuue le plus beau du monde, dont
les ondes moüilloient le pied du throsne, venir droit fil à toutes
voiles, vn Nauire qui portoit Themis & Mars. D’arriuée cette
majestueuse Princesse, fille du Ciel & de la terre, outrée de cholere,
monstre à Mars ce spectacle qui le deuoit animer à la vengeance.
Le Monstre eut l’audace de faire resistance, se sentant
frappé, il vomissoit autant de feu que de sang, & tantost tournant
sa rage mourante sur cette pauure Dame, il luy donnoit encore
de furieuses atteintes ; & tãtost voulãt fuyr, il dardoit de sa queuë,
qu’il auoit semblable à celle d’vn scorpion, des aiguillons tres dãgereux.
Pourtant il fut bien-tost escartelé, & les autres bestes
presque en mesme temps, sinon celles qui estant les moindres, se

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trouuerent au dessous de ces coups foudroyants, & qui se perdirent
à la fuite. A l’instant tout l’orage fut calmé, & Mars tout glorieux
d’auoir rendu ce seruice au Roy son cher nourrisson, aussi
bien que Themis rauie d’auoir secouruë si à propos l’illustre affligée,
les consoloient l’vn & l’autre, & r’asseuroient leurs esprits
par, l’asseurance qu’ils leur donnoient d’vne inseparable compagnie.
Le Roy plein de ioye se ietta au col de sa Dame, & elle auec
vne respectueuse soûmission luy tenoit les genoux embrassez : Le
Roy en s’éueillant sembloit la releuer ; Et comme il pensoit encore
la regarder fixement, trouuoit qu’elle auoit recouuert tout
l’embonpoint d’vne florissante ieunesse, & tout esueillé profera
ces paroles ; Qu’elle est belle, & qu’elle me semble changée depuis
vn moment !

 

Ouy, chers Compatriotes, voila nostre chere patrie raieunie :
Mars & Themis, c’est à dire Dieu qui dispense les fortunes de la
guerre & qui fait iustice aux petits & aux grands, la deliurant de
ses persecuteurs abiects & infames ; Elle va recommencer le cours
de sa vie par vn periode nouueau, & elle florira plus que iamais. Il
ne faut point de Daniel pour asseurer de cette verité : Nous voyõs
le Roy assis aupres de sa bonne France, leur posture marque
ce qu’ils se doiuent l’vn à l’autre, dont l’explication ne seroit
pas icy hors de propos, si elle n’estoit trop longue & trop ambarrassante
pour ce petit discours. Leur iouyssance mutuelle a esté
troublée par la rage de ces animaux qui s’entremangeoient. Cette
consideration se peut rapporter à la troisiesme partie de la vision
de Chilperic quatriesme Roy de France, par laquelle la Roine
Basine luy faisoit voir l’estat futur de ce Royaume. Ie la peux
escrire icy apres les bons autheurs qui l’ont remarquée. Les geãs,
les lyons & autres qui luy parurent au commencement, c’estoient
les Roys mesmes, qui souuent au commencement de cette Monarchie,
pendant les premiers siecles, estans plusieurs dans la France
heritiers d’vn mesme Royaume qu’ils auoient à diuiser en plusieurs,
se sont disputez l’estenduë ou la iouyssance de leurs domaines
aux despens de la pauure France : & c’estoient encore les
autres Princes & les Puissans, estrangers ou du dedans qui l’ont
desolée par leurs rauages. Les loups & autres approchans de cette
nature, marquoient les mouuemens seditieux & principalemẽt
les ligues causées par les heretiques, qui se doiuent nommer les
Iupi voraces de l’Escriture Sainte. Et pour cette derniere partie

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de la vision, ces vermines ne sont-ce pas ces maudits. Publicains,
Partisans, Maletostiers, Monopoleurs, Engeance de viperes, tirez
de la lie du peuple & la plus basse, & de celle encore, qui par quelque
chose d’execrable, auoit ou fraischement ou de long temps
peut-estre meritée la malediction de Dieu pour les produire. Que
n’ont-ils point fait pour la ruine de la France ? Mais le cœur me
saigne & ie n’ose m’engager dans ce discours, il faut que le Lecteur
m’en excuse & aye recours à ce qu’en ont escrit des plumes
meilleures que la mienne.

 

Pour le Mantichora, il faut que ce nom luy demeure, puis que
le Roy ne l’a pas voulu nommer autrement, on sçaura assez à qui
cette figure s’applique pensez seulement à cette description. Il a
trouué ces bestes aupres du Roy, & les a acharnez sur la pauure
France, qu’il auroit luy-mesme deuorée toute entiere. Aussi est-ce
vn monstre qui a vn appetit singulier pour la chair humaines
Sa face & ses oreilles semblent celles d’vn homme, il a trois rangs
de dents haut & bas, auec les yeux pers, la voix semblable au son
de trompe, les pieds & quelque chose du corps comme vn lyon,
auec vne queuë comme celle du scorpion de terre qui picque, &
qui darde mesme des aiguillons qu’il a d’abondant auec beaucoup
de venim, il va comme vn cerf, & est si farouche qu’il ne se
peut iamais appriuoiser.

Ce beau nauire qui est les armes & la figure de la ville de Paris,
nous ne le verrons pas eschoüer contre vn si miserable écüeil.
Cette Syreine n’a plus de voix pour enchanter ou endormir : Le
vaisseau va à pleines voiles, & Dieu en est le Pilote vigilant &
vaisseau va à pleines voiles, & Dieu en est Pilote vigilant &
l’armement mesme : Il porte Themis & Mars, que tout le monde
sçait que l’antiquité l’antiquité mesme a reuerez, Themispour la De esse de
la Iustice, & Mars pour le Dieu de la guerre, donnant le nom de
Dieu à ce qui n’estoit que diuin : Aussi est ce de Paris que sortent
ces deux puissances pour exterminer les ennemys du Roy & de la
France. La pauure France qui vieillissoit auant son temps par tãt
de malheurs & de tourments qu’elle a soufferts, s’est veuë en effet
aussi bien que dans ce songe, exposée à tous ces impitoyables
monstres, & deschirée par leur rage. Le Roy mesme a eu part à
ses maux, pource que le Roy est la teste de son Estat, & chaque
membre ayant place en ce corps, ce corps ne sçauroit souffrir en
aucunes de ses parties, que le sentiment n’en remonte à cette partie
superieure, qui dans l’Estat, comme dans le microcosme, qui

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est l’homme, se peut appeller le siege du sens commun.

 

S’en estoit fait sans ce fauorable secours : mais nous verrons nos
ennemys terrassez & l’Estat fermement restably. Et si l’on pense
à la vision de Chilperio, que ce soit seulement en ce sens, c’est que
la France va renaistre comme vn autre Phœnix, non pas de ses
propres cendres, mais de celles de ses ennemys.

Sus donc Themis, vous ne voyez que trop le peril effroyable :
puisque vous faites vn des bras du Prince, ne manquez pas à vous
bien employer pour sa protection. Mais vous braue Mars & vous
principalement genereux tutelaire de la France, à qui appartient
en propre le soin & la conseruation du Roy, puisque vous en auez
esté chargé comme d’vn sacré dépost, tirez le des griffes de
ce monstre, defendez le patrimoine de ses ayeuls contre ceux qui
en sont vsurpateurs aussi bien que de son authorité ; rendez à la
patrie sa premiere splendeur, & faites que nous ressentions en
nos iours le bon-heur passé de nos peres.

FIN.

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Anonyme [1649], SONGE DV ROY. Admirable & Prophetique pour la Consolation de la France. Arriué le 15. de Mars 1649. , françaisRéférence RIM : M0_3688. Cote locale : C_10_18.