Anonyme [1652], SONGE SVR LA FRANCE, Presenté à vne grande Dame, des plus accomplies de France. , françaisRéférence RIM : M0_3689. Cote locale : B_14_48.
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SONGE
SVR LA FRANCE,
Presenté à vne grande Dame des plus accomplies
de France.

 


AV milieu de l’obscurité
Dont la nuict s’estoit reuestüe
Portant le dueil de la clarté
Que tout le monde auoit perdüe,
Et dedans le silence affreux
Que pour lors les plus mal-heureux
Ne troubloient pas d’aucune plainte,
Ce fût pour lors que le sommeil
Me saisit d’horreur & de crainte
Dedans vn songe nom pareil.

 

 


Ce demon qui dans ces portraits
Qu’il copie sur la nature,
Imitte si bien tous ses traicts
Qu’on y voit la mesme posture,
Me figura naïuement
Auec beaucoup d’estonnement
Comme vne Nymphe echéuelée,
Ses yeux noyez dedans les pleurs,
Sa face blesme desolée
Et son corps mourant de douleurs.

 

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Mais sur tout ie fus bien surpris
Voyant cét objet pitoyable,
N’estre pas exempt du mépris
Dedans vn sort si deplorable ;
Sa nudité me fit horreur,
Et teint tous mes sens en erreur
Comme vne chose non commune,
Il luy restoit vn peu de pain,
Et pour combler son infortune,
Ie luy vis rauir de la main.

 

 


Ce ne fut pas encore tout
Ce qui troubla ma fantaisie,
Car apres l’auoir veu debout
Elle tomba comme saisie
D’vn tremblement vniuersel
Tout ainsi que lors que le Ciel
Lance ses feux dessus la terre
Et menace ses habitans
De les punir de son tonnerre
Non plus n’y moins que les Titans.

 

 


Ainsi ie m’imaginois veoir
Cette inconsolable affligée,
Dans vn extreme desespoir
De se voir iamais soulagée,
N’ayant prés d’elle en ses mal-heurs
Que les plus infames voleurs,
Et qui ne tendoient qu’au pillage,
Qu’elle veit de ses propres yeux
Qu’ils faisoient desia le partage
De ses biens les plus pretieux.

 

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Enfin ne pouuant oublier
Ce qui fut sensible à mon ame,
Ie suis contraint de publier
Le ressentiment qui m’en flamme,
Ayant veu quantité d’enfans
Aussi-tost mourans que naissans,
Entre les bras des pauures meres,
Que la Nymphe voyoit perir,
Auec des douleurs tres-ameres,
De ne pouuoir les secourir.

 

 


En mesme temps ie fus confus
Des clameurs d’vne populace,
Qui se plaignoit de tant d’abus
Qui se commettoient en sa face ;
Incontinent de toutes parts,
I’apperceus des graues vieillards,
Faisans des humbles Remonstrances,
Afin que la Nymphe entendit,
Que mourant parmy ces souffrances
Elle perdoit tout son credit.

 

 


Aussi-tost qu’elle eust entendu
Que son honneur & son estime,
Couroit risque d’estre perdu
Dans le desordre & dans le crime,
Ie la vis changer de couleur,
Et comme oubliant sa douleur,
Elle monstra que son courage
N’estoit point encore abbatu ;
Et que pour vanger son outrage
Elle auoit assez de vertu.

 

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Ce fut lors, que leuant les yeux
Qu’elle auoit tourné vers la terre,
Qu’elle tint ces propos aux Cieux,
Qui sembloient luy faire la guerre ;
Iustes Dieux iustement touchez,
De l’excez de tant de pechez
Que ma conduite infortunée
A souffert trop impunément,
Considerez ma destinée,
Moderez vostre chastiment ?

 

 


Si de puis mes plus ieunes ans,
Il s’est glissé trop d’insolence
Par l’intrigue des Partisans,
Qui m’ont nourry dans le silence,
Maintenant i’éleue ma voix,
Protestant de garder vos Loix,
Et de vous estre plus fidele,
Car vostre respect mon vainqueur
Sera la regle & le modele,
De tous les desseins de mon cœur.

 

 


Helas ! que ne suis-je en estat
De vanger toutes mes injures,
Et de reprimer le Soldat,
De tant d’excez & de parjures ;
Vous seriez honnorez de tous,
Et la Paix qui depend de vous
Feroit respecter ma Couronne,
Ie vous la demande au besoin,
Pour me remettre dans mon Throsne,
Et qu’Archandre en prenne le soin.

 

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Que pour ma gloire vn si grand cœur,
Prenne encore vne fois les armes,
Afin de se rendre vainqueur
De tous les Autheurs de mes larmes ;
Sans luy ie serois au tombeau,
Et s’il me reste rien de beau
Qui puisse donner de l’enuie,
Ie ne le dois qu’à sa valeur,
Ayant souuent risqué sa vie
Pour me retirer du mal-heur.

 

 


Ainsi i’espere quelque iour,
Qu’on me verra dans ceste Pompe,
Qui faisoit admirer ma Cour
Si l’Oracle en vain ne me trompe :
Ainsi vous me l’auez promis,
Que vous serez tousiours amis
De ma gloire & de ma puissance,
Et i’espere encore que les Lys
Fleuriront au sein de la France,
Qui sembloient estre enseuelis.

 

 


Si-tost que la Nymphe cessa,
De leur presenter sa Requeste,
Aussi-tost le Ciel commença
De faire vn bruit dessus sa teste :
Emeu que ie fus de ce bruit,
Tout soudain le sommeil s’enfuit,
Et le iour ne tarda plus guere
De luire sur nostre Orizon,
Mais il est vray que sa lumiere
Ne peut éclairer ma raison.

 

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Ie me trouuay sans fiction
Tout interdit apres ce songe,
Consultant si ma vision
Pouuoit passer pour vn mensonge :
Comme i’estois en ce soucy,
I’en fus promptement éclaircy
Par l’entremise de mon Ange,
Qui me dit que ma vision,
Quoy qu’elle fut assez estrange,
N’estoit pas vne illusion.

 

 


Il me resta quelque frayeur,
Dont mon ame eust esté blessée,
Si continuant sa faueur
Il ne m’eust donné la pensée,
Qu’Angelique portoit ses yeux,
Capables de toucher les Dieux
Sur le sujet de nos outrages,
Et qu’ayant sa protection,
Ie serois parmy tant d’orages,
Affranchy d’apprehension.

 

 


Ainsi se dissipa ma peur,
Et cette Infidele ennemie
Que m’auoit donné ce trompeur,
Qui surprend nostre ame endormie :
Ainsi dedans vn mauuais sort,
I’eus ce bon-heur de voir le port
Fauorable à mon esperance,
Car ma Princesse estant aux Cieux,
Angelique est mon asseurance,
Et luy dois aussi tous mes vœux.

 

FIN.

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