Anonyme [[s. d.]], TRAITTÉ DE L’ANCIENNE DIGNITÉ ROYALE, ET DE L’INSTITVTION DES ROYS. , françaisRéférence RIM : M0_3796. Cote locale : B_2_25.
Section précédent(e)

TRAITTÉ
DE L’ANCIENNE DIGNITÉ
ROYALE,
ET DE
L’INSTITVTION
DES ROYS.

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TRAITTÉ
de l’ancienne dignité Royale.
ET de l’institution des Roys.

TOVS ceux que Dieu a voulu esleuer à la dignité
Royale, se peuuent sans iniustice qualifier
Lieutenans d’vne Puissance tres adorable & tres
infinie. Et ie ne sçache point de Souuerain qui
ne se puisse vanter d’estre l’Image d’vn objet à
qui tout l’estre creé doit vne reuerence eternelle. Auoir esté
choisi de ce diuin Promoteur pour disposer équitablement
d’vn nombre infiny de ses creatures, n’est pas vne petite marque
de la grandeur des Roys, & de l’estime que cét illustre
Legislateur fait de leur personne. Cét admirable principe de
nostre salut fait bien voir dans Sainct Mathieu, en quelle consideration
il a cette grandeur Royale ; puis qu’il paye aux
Roys luy mesme le tribut qu’il ne leur doit pas, de crainte de
les offencer, & de crainte de laisser vn mauuais exemple à
ceux qui doiuent viure sous la domination des Princes. Et
par la mesme bouche du mesme Oracle, ne dit il pas qu’il
faut rendre à Cesar ce qui est à Cesar, sur peine de tomber en
sa disgrace ? Que ne fait-il pas encore pour donner plus de
lustre & plus de pouuoir à cette dignité si excellente ? Il veut
que tous ceux qui le possedent fassent tout ce qu’il leur plaira,
des creatures qui viuent sous vne authorité si extraordinaire
Ce n’est pas pour cela que la Souueraineté du Prince puisse
aller du pair auec celle de Dieu, ny qu’elle puisse iamais estre
si absoluë, attendu que celle de ce diuin Seigneur ne dépend
que de sa propre volonté, celle de la creature releue de sa toute
puissance. Ce n’est pas aussi que sa diuine bonté ne vueille
absolument que ces Maistres de l’Vniuers, ne trauaillent
beaucoup plus à l’édification de leurs sujets qu’à la ruine de
leurs peuples. Les Roys perseuerant dans leur malice periront
aussi bien que le moindre des mortels, si Dieu ne retracte pas

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des Arrests qui luy doiuent estre inuiolables : Enfin ie ne sçache
pas vne dignité quelle que ce puisse estre, horsmis celle
du Sacerdoce, qui ne soit comprise de la Monarchique.
Aussi doit elle tenir le premier rang entre celle de Dieu & celle
des hommes, comme estant la plus digne & la plus illustre
de tous les autres. Dieu est le Maistre des Souuerains, & les
Souuerains sont ses Maistres des peuples. Dieu est le Seigneur
absolu de tout l’estre creé, & les Roys sont les Seigneurs
absolus de tout ce qui respire l’air dans l’estenduë de
leur Empire. Dieu est vn Monarque indépendant, & les
Roys sont des Monarques qui ne releuent de cette authorité
inaependante. En vn mot la dignité Royale est vne grace
de Dieu si éminente & si glorieuse, qu’à peine peut elle estre
comprise des hommes. Grace aux Roys de les auoir faits ce
qu’il sont, & graces aux sujets de leur auoir donné des Princes :
Gedeon trouua grace deuant le Souuerain Seigneur de
l’Vniuers lors qu’il le crea Prince d’Israël, & les Israelites receurent
vne grande grace de ce Souuerain Seigneur, de leur
auoir donné vn Protecteur si iuste & si magnanime : Mais :
pour puiser les eaux de cette grace dans vne source bien plus
esloignée, nous dirons que les peuples guidez par la Nature,
instruits par la raison, & suscitez par vne inspiration toute
diuine, receurent de la main de sa préuoyance infinie, des
Souuerains peu de temps apres la creation de l’Vniuers, afin
de viure sous leur protection dans vne tranquilité parfaite.
Caïn apres la mort de son frere Abel, édifia vne ville qu’il fit
appeller Enoch du nom de son fils, ou il y eut vn chef qui
auoit l’entiere administration de ce petit Royaume : Mais
parce que nous n’auons pas vn certain tesmoignage qu’on
luy eust donné la qualité de Roy, nous tascherons a’examiner
ce qui se passa en suitte de cela, afin de montrer par ce
moyen l’antiquité des Souuerains, & l’origine des Royaumes.
Quelque peu de temps apres que le Deluge eut purifié
la terre des abominables pechez des hommes, Belus dit [1 mot ill.],
fils de Saturne, Nimbr[illisible], selon quelques vns, & fils
d’Assur Autheur des Assyriens, selon l’opinion la mieux reçeuẽ,
premier inuenteur de l’idolatrie & du Sacerdoce des

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Chaldéẽns, & premier Roy d’Assyrie, deuint si grand & si
puissant qu’il commandoit à toute la terre : Durant cét âge
les armes & les Royaumes desquels les Historiens font tant de
mention, commencerent à paroistre : L’Empire des Sicyoniens,
des Egyptiens & des Braëtiens, s’érigerent en suitte
par l’extréme ambition qui n’abandonne iamais les hommes ;
apres cela la ruine des vns fust le principe de quelque autres ;
& mesmes auiourd’huy nous en voyons de si puissans qu’il
semble que la fortune qui les a mis au plus haut faiste de la
grandeur où il sont, ne soit pas en estat de les deffaire sans se
d’estruire elle mesme : Les Histoires curieuses nous instruisent
assez des estranges reuolutions que cette Imperatrice à
faites dans le monde : Et les Histoires Sainctes nous font
voir qu’il y auoit vn Roy de Salem, nommé Melchisedech,
Sacrificateur du Dieu Souuerain, Prestre à l’eternité, sans
commencement de iours & sans fin de vie, pour nous montrer
que la dignité Royale est tres ancienne. La Genese parle
de quatre Roys glorieux & triomphans, & de cinq autres
qui furent despoüillez de leurs Estats, & finalement priuez
de la vie Voila qui nous apprend bien que l’institution des
Roys n’est pas d’auiourd’huy, & qu’elle est depuis longues
années.

 

Reste maintenant a verifier par qui ils furent creé, tels qui
est vne question où la pluspart du monde s’abuse : Ie dis pour
commencer, que personne ne sçauroit nier que ce ne soit de
Dieu de qui les Roys tiennent leur Sceptre & leur Couronne,
puis qu’il est l’Autheur de toutes choses. Et tout le monde
doit sçauoir que les sujets des Monarques ne contribuent
aucunement à leur eslection, & que ce sont des Souuerains
ordonnez de ce Préuoyant infiny, pour rendre la Iustice aux
peuples quand ils le reconnoissent pour leur Prince ; ils ne
font que ce qu’ils sont obligez de faire, leur vocation n’est
qu’vn effet de la grace de celuy qui sçait bien ce qui nous fait,
& qui void clairement dans les choses futures ; Sa Prouidence
eternelle nous a choisis deuant la constitution des Siecles,
pour faire de nous selon sa volonté. Sainct Paul, à l’exemple
de Iacob & d’Esaü, montre que toute eslection procede

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de la grace de Dieu, & non point des hõmes. Moyse reçeut de
Dieu les signes de sa vocation au gouuernemẽt des Israëlite :
C’est pourquoy ce diuin Legislateur leur fut enuoyé pour
les deliurer de la tyrannie dont Pharaon les opprimoit ; Aussi
fut-il tres fidele seruiteur en la conduite du peuple, n’vsant
que d’vne rondeur & integrité de conscience en leur endroit,
& ne leur proposant que la pure parole eternelle, & pour ne
pas faillir aux Loix qu’il leur deuoit prescrire, il fut quarante
iours & quarante nuicts en la nuée, où il reçeut deux Tables
les ordres qu’il leur deuoit donner de la part de ce Souuerain
Seigneur, au nom de qui toutes choses sont faites. Mais que
ne fait pas Dieu pareillement en faueur de ceux qu’il ayme ?
Ne fit-il pas mourir Coré fils d’Isàr, de la Tribu de Leui, ses
compagnons, & quatorze mil sept cens Israëlites, pour auoir
murmuré contre ce Prince ? Iosué apres la mort de ce sacré
fils d’Amram, ne fut il pas appellé dans le mesme honneur &
dans la mesme charge, par la mesme Voix qui se fait obeir
aux Anges ? Ne commenda-t’elle pas encore à Samuel d’oindre
Saül, & de luy mettre la Couronne sur la teste ; quoy
qu’elle eust préueu de toute eternité, que ce mal-heureux
Benjamite luy desobeïroit, & qu’il seroit tout à fait reprouué
de sa Ste. misericorde ? Dauid ne fust-il pas esleué dans le thrône
de cét abominable Hebrieu, par vne puissance infinie ? Et
Salomon apres cela dans celuy de son pere ; Ioas, Ezechiel,
Iasapha, Asa, Iosias, Manassés & plusieurs autres dont l’Escriture
Saincte fait mention, & dont le dénombrement seroit
trop long à deduire : Nont-il pas esté constituez en la place
de leurs predecesseurs, par vn Souuerain qui constituë les viuans
& les morts comme bon luy semble ? Quand tu viendras
en la terre que le Seigneur ton Dieu te donne, dit la Verité
permanente ; ie mettray vn Roy sur toy que i’esleueray du
milieu de tes freres, & tu ne pourras mettre sur toy aucun
homme estrange ; Et quand le temps fut expiré, & que le
peuple d’Israël demandoit à Dieu vn Roy, auec vne ostination
sans pareille ; il esleut & ordonna luy mesme le Roy Saül,
qu’il trouua pour lors selon son cœur : ce qu’il n’auroit pas
voulu faire si la puissance Royale luy eust esté desplaisante,

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Mais pourquoy mettons nous tant de choses en auant pour
authoriser vne eslection si saincte & si sacrée ; veu que Iesus
Christ mesmes fut constitué Roy par son Pere en la montagne
de Sion, comme nous auons des-ia dit ce que sainct Iean
confirme dans son Apocalipse, ce qui fut montré pareillement
au Prophete Daniel en ses visions celestes ; Enfin tous
ceux qui sont constituez en cette dignité Royale, son Lieutenans
de Dieu en terre. Et ce fut la raison pour laquelle Iesus
Christ voulut naistre lors que la computation vniuerselle du
monde fut faite par Auguste, afin que ses parens luy payassent
le tribut qui luy estoit deu, & qu’ils reconneussent le
Prince terrien, comme celuy qui representoit sa personne.
Sainct Mathieu escrit en faueur de la mesme chose estant arriué
en Capharnaum, ville scituée sur le Lac de Genezarets, au
pays de Galilée. Ceux qui receurent les Dragmes vindrent
à Pierre, & luy demanderent ; Vostre Maistre ne paye-t’il
point les didrag[illisible]es, & il leur respondit qu’ouy, & quand
il fut en la maison, Iesus-Christ luy vint au deuant ; disant,
Simon que te semble ; Les Roys de la terre de qui prennent-ils
les tributs ou les censiues, est-ce de leurs enfans ou des
estrangers, & sainct Pierre luy dit, des estrangers ? Les enfans
sont donc francs respondit Iesus-Christ : Mais afin que
nous ne les offensions pas, va-t’en en la mer, & iette l’hameçon,
& le premier poisson qui montra pren-le, & quand tu
luy auras ouuert la gueulle, tu y trouueras vn statere, pren-le,
& le leur donne pour toy & pour moy : En vn autre endroit,
il commenda qu’on rendit à Cesar ce qui estoit à Cesar, &
à Dieu ce qui estoit à Dieu. Sainct Paul écriuant aux Romains
nous apprend, que toute personne est sujette aux Puissances
superieures : car il n’est point de Puissance qui ne soit
establie de la main de ce diuin Sauueur de nos ames ; Et puis
en concluant il nous commande de luy payer le tribut comme
à des Souuerains establis de cét adorable principe des
choses : Enfin passant plus outre, il dit, qu’il leur faut rendre
à tous ce qu’il leur appartient, à qui le tribut, le tribut, à qui
le peage, le peage, à qui l’honneur, l’honneur, & a qui la
crainte la crainte ; & ne suffit pas à ce rare Apostre de l’auoir

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redit en plusieurs endroicts de l’Escriture : mais pour l’imprimer
beaucoup mieux dans leur memoire, & pour empescher
aussi qu’on ne les fraudast des choses qui leur sont deuës, il
les recommenda tres-particulierement à Timothée, lors qu’il
dit, i’admoneste deuant toutes choses qu’on face requestes,
oraisons, supplications & actions de graces pour tous ceux
qui sont constituez en dignité, afin qu’ils meinent vne vie
tres-paisible, qu’ils ayent vne pieté fort tranquille, & qu’ils
regnent dans vne parfaite honnesteté ; ce qui est agreable à
la supréme grandeur qui nous a donné l’estre. Et qui plus est,
les Iuifs qui estoient sous la captiuité de Babylone, escriuirent
à leurs Confreres qui estoient en Ierusalem, qu’ils eussent
à prier pour Nabuchodonosor, & pour la vie de son fils encore
qu’ils fussent tous Idolatres. Sainct Paul connoissant que
Festus, Preuost de Iudée, fauorisoit les Iuifs en la de duction
de sa cause en appella deuant Cesar : Ainsi estant conduit
deuant Neron Empereur des Romains, il deffendit si bien
ses interests qu’il fust absous de toutes choses quelconques ;
Que si les Iuifs ont prié pour vn Roy idolatre, & que Sainct
Paul ait deferé à ce mal heureux ennemy d’vne Religion si
saincte que la nostre, seulement pour le respect de sa Principauté,
que ne deuons nous pas faire pour vn Prince donné
de Dieu, comme le nostre ? Et qui doutera que le Seigneur
n’en soit l’Autheur, & qu’il ne l’ait institué luy mesme pour
le soulagement de son peuple : Si vous prenez la peine de
consulter les sacrez cayers de l’Escriture Saincte, vous trouuerez
vn nombre infiny d’authoritez, tant des Prophetes
que des Apostres, qui tesmoignent apparemment que les
Roys sont instituez, establis & creé par la propre bouche du
Seigneur, approuuez, confirmez & authorisez par luy méme.

 

Il nous reste maintenant à dire à quelle fin ils furent creé,
& mesme esleus à cette dignité Royale : Combien que les
Historiens nous assignent grandissime quantité de causes, il
nous suffira d’en raconter seulement les principales. La premiere
raison de leur primitiue creation, fut vne admirable
conduite en l’ordonnance & en la dispensation des choses,
laquelle commença à reluire & à paroistre en quelque Citoyens,

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de l’exellence desquelles se trouuans tous émerueillez,
ils les iugerent dignes de l’administration & du gouuerment
de leur petit Empire : Voila vne des principales causes
de l’institution des Roys, d’autant que ces grands esprits
par vne prudence ciuile, & par vne integrité de mœurs commencerent
à exhorter les peuples, encore fort rudes & fort
barbares à l’obseruation de certaines loix & de certaines polices
humaines, par la force desquelles ils pussent songer &
ordonner plus heureusement de l’estat de leur vie. Ce que
Iustin, graue Historien a tres-bien entendu, quand il’a escrit
que la premiere institution des Royaumes & des Empires,
ne sçauroit auoir pris son origine d’vne ambition glorieuse &
populaire, comme quelques-vns ont mal pensé : mais d’vne
excellente probité, & d’vne vertu tres-genereuse. La seconde
cause qui suscita le peuple à la creation des Roys, fut vne
liberale & loüable affection qu’ils auoient à reconnoistre les
biens & les seruices qu’on auoit faits à leur Republique, comme
si quelqu’vn par vne action tres-genereuse les auoit deliurez
de la seruitude de quelque Tyran, ou bien qu’il eust
amplifié les limites de leurs Souueraineté, & rendu par ce
moyen là quelques autres Prouinces tributaires à leur puissance,
ou finalement que par l’institution de quelques bonnes
loix, il eust rendu l’estat de leur vie beaucoup plus noble
& beaucoup plus illustre : Ainsi le peuple pour gratifier leur
merite, les esleuoient à cette dignité Royale, & par vn commun
suffrage le constituoient Chef & Administrateur de leur
Prouince : Comme il aduint à Scipion l’Affricain, lequel
apres auoir pris & démoly la nouuelle Carthage, & vaincu
Asdrubal leur Chef en Espagne, fut appellé Roy : ainsi que
Plutarque le recite, combien que par vne merueilleuse modestie
il le refusast, sçachant bien que ce tiltre estoit odieux
au peuple de Rome : Pareillement Ciceron ayant deliuré les
Romains de la coniuration de Catilina, fut appellé pere de
la patrie : ce qui n’a pas esté seulement pratiqué entre les
Payens & les Ethniques, mais aussi entre le peuple de Dieu,
lequel ayant apperçeu ce diuin Miracle de la multiplication
des cinq pains & des deux poissons, le voulurent créer Roy :

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mais n’estant pas venu pour cela parmy les hommes, il refusa
l’honneur qu’on luy voloit faire.

 

La troisiesme raison pour laquelle les Roys furent creé, ce
fut vne necessité de se conseruer, qui porta le peuple à rechercher
vn moyen par lequel il pust corriger la furie & l’oppression
des méchans, d’autant que nous sommes naturellement
enclins à mal faire, & qu’il s’en trouue tousiours quelques
vns si vicieux, qui par leur malice troublent & ruinent toute
la police humaine, ainsi que nous voyons dans le siecle où
nous sommes, & qui rauissent contre toute équité tout le
bien du peuple ; Si bien que pour empescher ces desordres
il fut contraint de créer vn Chef qui pust commander à
tous, & qui pust pareillement aussi maintenir les bons dedans
leur propre bien, & chastier les meschans pour en exterminer
la race : Cette leule raison nous oblige à croire que les
Roys furent establis dés le commencement du monde, &
presque incontinent apres que nos premiers Peres furent
bannis du Paradis terrestres : Car la préeminence & l’authorité
estoient plus necessaires en ce temps là qu’en tout autre,
veu que les violences, les cupiditez & les oppressions commencerent
des lors à regner parmy les hommes. Sainct Paul
fidele Ministre de la gloire de Iesus-Christ, en son Epistre
aux Romains, nous instruict de l’obeïssance que nous deuons
rendre aux Princes, à cause qu’ils peuuent chastier ceux qui
perseuerent dans leurs malice : Les Princes ne sont pas à
craindre en bien faisant, mais bien pour mener vne mauuaise
vie : Si tu fais bien tu dois esperer quelque recompense, &
si tu fais mal, tu dois sçauoir qu’il ne porte pas le glaiue sans
cause : Voila vne merueilleuse Philosophie de Sainct Paul en
faueur des Princes : Sainct Pierre n’en dit gueres moins que
luy sur vne mesme matiere. Ciceron Ethnique en son second
Liure des Offices, nous instruict aussi de la mesme cause de
l’institution des Roys, lors qu’il dit : Il n’est pas vray semblables
que les Roys ayent esté seulement instituez des Medes,
ainsi que nous apprend Herodote, mais aussi de nos Peres
les plus anciens, afin d’exercer la Iustice au peuple, &
afin qu’il les protegeassent par leur vertu contre la tyrannie

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estrangere & domestique.

 

La quatriesme cause qui obligea les peuples à s’eslire des
Roys, fut vne grande magnanimité de cœur, & vne excellente
adresse à conduire des armées qu’ils voyoient reluire en
ceux qu’ils prenoient le soin d’esleuer sur vn thrône de gloire :
ce qui conuioit ces grands hommes qui se nourrissoient de
l’esperance d’vn si glorieux tiltre à se mettre en peine de l’acquerir
par des actions de vertu, & par des exploits d’honneur
& de gloire. L’Escriture Saincte nous fournit assez bon nombre
de ces exemples. Caleb Iuge d’Israël, au rapport de
Iosué, fit proclamer par toute l’estenduë de sa Iurisdiction,
que celuy qui pourroit prendre la ville de Cariath Sepher, au
domaine de Iuda, auroit sa fille Axa en mariage : Ce qui
obligea Othoniel à l’assieger & à la prendre, pour auoir ce
beau loyer qu’on luy promettoit, & pour s’acquerir par mesme
moyen la dignité de son beau pere. Nous auons encore
vn pareil exemple au Liure des Roys en la personne du Prophete
Royale Dauid. Ce petit Bergerot ayant ouy dire que
Saul vouloit donner sa fille Michol à celuy qui defferoit Goliath ;
Geant d’vne grandeur prodigieuse, prend Dieu pour
son second, arme sa fronde, combat Coliath & le deffait,
pour auoir la fille & le Sceptre. Cét illustre Monarque proposa
vn prix de grande importance a celuy qui luy porteroit la
teste d’Hiebusée. Ioab Colonel de l’armée de ce mesme
Prince, ne fut-il pas glorieusement recompensé, pour auoir
chassé les ennemis qui occupoient leur entrée.

La cinquiesme raison qui obligea les peuples à créer des
Roys, fut parce qu’ils ne se trouue pas qu’il y ait vne forme
de gouuerner, ny plus vtile, ny plus noble que celle du Prince.
La Democratie qui est le gouuernement du peuple, &
ce luy que le tiers Estat affecte le plus, à cause de l’honneur
& du profit qu’il y trouue, est abominable à Dieu, & aux
hommes bien raisonnables, veu que leur insuffisance & leur
mauuaise conduite ne sçauroit porter les affaires qu’à l’entiere
ruine de l’Estat, & de tous ceux qui le composent. L’Aristocratie
qui n’est autre chose que l’administration des plus
nobles & des plus riches de la Republique, est encore peu

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considerable au respect de la Monarchie : Et quoy que Solon,
Licurgue, Demosthenes & Ciceron l’authorisent, ie ne laisseray
pas de vous en dire mon sentiment, & de vous faire voir
que leurs raisons le doiuent ceder à l’experience ; Les émulations
& les enuies secrettes que les Seigneurs qui la gouuernent
ont les vns contre les autres, sont les motifs qui la trainent
bien-tost à sa perte. Rome, Rhodes, Athenes qui ont
esté les plus florissantes du monde, ont-elles laissé chose quelconque
de ce qu’elles estoient, que la memoire qui nous en
reste ? Lucque, Venise, Genéue & Ragouse, ne sont-elles
pas tous les iours dans l’apprehension d’estre la proye de ceux
qui ne les sçauroient enuisager sans enuie. Combien est-ce
que les siecles passez en ont veu ruiner, au rapport des Histoires
Grecques & Latines ? Et combien l’Italie en a t’elle veu
enseuelir sous leurs propres ruines, depuis qu’elle est au nombre
des estres ? Apolinus a tousiours porté Vespasian dans
les sentimens que nous venons de dire : Ciceron en dissuadoit
le vulgaire, l’accusant de n’auoir ny raison, ny conseil,
ny diligence. Le conseil du peuple se precipite par tout, ainsi
qu’vn torrent besbordé par quelque espece de deluge. Demosthenes
disoit que le peuple estoit vne beste bien cruelle &
bien dangereuse, quand il se laissoit surprendre à ses passions
déreglées : Platon en fait vn monstre tout composé de testes ;
Phalaris escriuant à Egesippus en disoit des choses estranges ?
Aristote en ses Ethiques l’accuse d’erreur & de mensonge ?
Plutaque dit qu’il n’escoute pas les raisons, & qu’il est
indisciplinable : De sorte qu’il ne se laisse toucher ny aux documens
d’especes, ny à l’authorité des Magistrats, ny mesme
à la doctrine des Sages ? Combien s’est-il veu de grands hommes
bannis, pour auoir voulu trop seurement embrassé l’interest
de leur patrie. Demosthenes Prince des Orateurs Grecs,
fut banny par ceux d’Athenes, pour auoir voulu deffendre
leur liberté contre Phillippes de Maccedoine. Socrates, le
plus sage de tous les Philosophes, fut condamner à mort apres
auoir consommé la meilleure partie de son âge au seruice de
la Republique d’Athenes. Metellus le Numidique fut chassé
de Rome apres qu’il eust gagné la victoire contre Iugurthe,

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pour n’auoir pas voulu consentir à l’establissement d’vne loy
tres iniuste. Hannibal tout percé de coups pour la conseruation
de sa patrie, fut à la fin contraint de sortir de son pays,
& d’errer miserablement par le monde. Camillus pour auoir
fait ce qu’vn grand Capitaine comme luy deuoit faire, ne
fust-il pas contraint de se refugier dans la ville d’Ardea. Licurgue
tres-renommé Legislateur, apres auoir rendu tous les
seruices imaginaires à la Republique de Lacedemone, fust
contrainct de se retirer en la ville de Cyrihe, ou il mourut.
Solon, l’vn de ses Sages de Grece, n’eust-il pas mesme sort
que les precedens, pour auoir mis l’Estat dans la plus haute
splendeur où il pouuoit estre : Mais sans nous seruir de ces
témoignages prophanes ; Eustache Pamphilie, Pielat d’Antioche,
ne fust il pas banny pour n’auoir pas voulu consentir
à l’erreur qu’Arrius auoit introduit ? Le Pape Benoist cinquiesme,
ne fust il pas chassé de Rome par l’Empereur Othou
pour de semblables causes Combien de fois est ce que Moyse
a failly d’estre lapidé, pour destourner le peuple de son
idolatrie ? Enfin le nombre des exemples n’est que trop grand
pour nous apprendre combien la fureur d’vn peuple débordé
est perilleuse : Cela fait bien voir qu’il se faut mettre du party
des grands esprits, & dire auec Platon, Aristote, Appollonius,
Sainct Hierosme, Sainct Cyprien & plusieurs autres,
que la Monarchie est la plus excellente & la mieux approuuée
de toutes les dominations de la terre. Homere nous apprend
en sa Rapsodie, que rien n’est iamais bien fait quand
plusieurs personnes commandent ensemble. Aristore en ses
Politiques, a iugé le gouuernement d’vn seul, beaucoup
plus noble que les autres : Ce que nous voyons en Dieu, qui
est le veritable object, sur lequel tous les raisonnables doiuent
former leurs exemples.

 

L’vnité a la vertu de conjoindre toutes les choses ensemble,
aussi bien que de les conseruer contre la tyrannie des siecles.
Tout l’Vniuers n’a pris son origine que d’vn seul principe, &
tout l’Vniuers est conduit & maintenu par vne mesme puissance :
Tout commence & finit par vn dans tous les estres du
monde : Ainsi vn Prince anime & gouuerne toute la Cité,

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toute la Republique, tout le Royaume & tout l’Empire ; Aristore
au douxiesme de sa Metaphysique reprouue la pluralité
des Puissance dans la Monarchie ; il veut qu’elle soit seulement
gouuernée par l’authorité d’vn Prince : Enfin si nous
voulons former nos raisonnemens sur tout l’ordre de la nature,
nous pouuons aduantageusement conclure, que ce qui
est fait par vn Roy, est plus digne & plus loüable que ce qui
se fait par les Republiques : Mais parmy cette dignité si esclatante,
son Sceptre ne laisse pas de se trouuer enuironné de
beaucoup d’espines.

 

L’affluence des honneurs & des delices dont il se void ioüissant,
luy seruent d’amorce pour l’induire au mal, ou pour le
precipiter dans vn abysme de vices.

La Royauté est semblable à vne lampe qui éclaire à tout
le monde : mais depuis que sa lumiere est esteinte par les vices
du Prince, ce n’est pas vn moindre mal heur pour luy que
pour son peuple, il en est responsable deuant Dieu, & grandement
mesprisé des hommes : d’autant qu’il a plus d’occasion
& plus de liberté de se porter à toutes sortes de vices,
d’autant est il plus obligé de prendre garde à luy, & de les
fuir comme la peste, veu qu’ils ne visent qu’à la perte de son
falut, qu’à la ruine de l’Estat, & qu’à l’abomination de sa personne.
Plus vn homme est esleué & plus sa cheute est dangereuse :
Combien a t’on veu de Roys heureux dans leurs commencemens,
se precipiter dans vne fin tres-mal-heureuse. La
bonté de Saul que Dieu auoit esleu Roy sur les Israëlites, fust
si [1 mot ill.] par les sainctes lettres de l’aduenement de sa
Couronne : mais peu de temps apres il commença si fort à decliner
que sa souueraine bonté fut contrainct de le reprouuer
sans aucune espece de misericorde. Salomon se faisoit admirer
de tous les peuples bien-tost apres qu’il fust reçeu à la place
de son pere : mais depuis qu’il eust donné son cœur aux
femmes, la grace du Ciel luy fust deniée. Ioab Roy de Iuda,
fust homme de bien pour quelque temps, mais à la fin seduit
par ses gens, il s’adonna à l’idolatrie : Caligule, Neron, &
Mithridates donnerent au commencement de leur regne vne
merueilleuse esperance de leur prud’hommie, mais l’issuë en

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fust telle que toute la terre fust infectée de leur tyrannie. Mais
afin que nous n’empruntions pas les tesmoignages des prophanes,
venons aux nostres. De vingt-deux Roys de Iuda il
ne se trouua que Dauid, Asa, Iosapha, Iotan, Ezechias, &
Iosias, qui ayent persiste dans vne vertu tres-excellente : Ceux
d’Israël qui estoient dixneuf en nombre, ont tous en general
mal-heureusement administre la charge que Dieu leur auoir
donnée. Les Romains qui ont commandé à l’vne des plus
florissantes Monarchies du monde estoient en grand nombre,
mais il y en a eu bien peu qui puissent prendre la qualité de
bons & de peres de la patrie ; Auguste, Vespasien, Tite, Antonius
Pius, Antonius Verus & Alexandre Scuerus, se sont
assez bien comportez en faueur de la chose publique. Dans
le Royaume des Assiriens, il s’en est trouué plus de mauuais
que de raisonnables. Ie croy qu’on me fera la grace de se persuader
par ces exemples, que ie ne pretens pas diminuer en
façon quelconque la Maiesté du Prince, & moins encore la
dignité Royale, ausquels ie deffereray tout ma vie, à cause
de leur instituteur & de l’excellence de leur personne : Ie desire
seulement exhorter les Princes à considerer qu’ils ont vn
Dieu de qui leur puissance releue, & à qui ils doiuent rendre
conte de leurs actions aussi bien que le moindre des hommes ;
Le pis est encore qu’ils doiuent respondre des actions
de tous ceux que sa Diuine bonté leur a mis en charge lors
qu’il l’offensent, à cause de leur mauuaise conduite. Les
Roys & les Princes sont souuent changez à cause des pechez
du peuple, selon les Decrets de la mesme Sagesse ? C’est ce
qui les oblige de veiller autant à l’obseruation des Loix diuines,
qu’à l’obseruation des Loix humaines, & s’ils n’ont leur
salut en plus haute consideration que toutes les maximes de
leur Politique, ils courent grand risque de tomber en la disgrace
du Seigneur, & d’irriter sa misericorde : Il faut qu’ils
se gardent bien d’imiter ceux qui font leur reprobation par
des actions d’impieté & de sacrilege, comme fit Ieroboam,
lequel en vint à telle extremité qu’il se porta à sacrifier aux
Idoles. La bonne renomée est plus à priser que toutes les
choses les plus precieuses, au rapport du plus sage des hommes,

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& le salut encore plus s’il me semble, puis que c’est luy
d’où dépend nostre beatitude eternelle. Salomon dit que la
memoire des bons est immortelle deuant Dieu, & deuant
les hommes : mais les meschans desseicheront sans honneur,
& seront tousiours en opprobres entre les esprits bien-heureux,
& entre ceux qui seront morts en la grace : Leur memoire
& leur semence periront à iamais, sans aucun espoir
de misericorde : mais les vertueux viuront de generation en
generation dans l’eternité des siecles. Voyons maintenant
iusques où se peut estendre le legitime pouuoir qu’ils ont sur
tous ceux qui respirent l’air dans l’estenduë de leur Empire.
Tu constitueras sur toy vn Roy que le Seigneur ton Dieu
t’eslira du milieu de tes freres, sans que tu puisses pour cela
establir sur toy vn homme estrange, lequel fera tout ce qu’il
luy plaira, ainsi qu’il à pleu à la mesme Sagesse infinie de l’ordonner
par vn Decret inuiolable : Car il prendra tes biens,
tes enfans, & ta propre personne, pour en vser selon sa volonté,
& pour en faire comme si vous estiez des esclaues ; Enfin
il vous traittera si cruellement que vous serez contraincts
d’implorer le secours du Souuerain Seigneur de l’Vniuers :
Mais vostre mal heur sera si grand qu’il ne voudra pas vous
exaucer, & moins encor prester l’oreille à vos plaintes : Et si
ie ne veux pas qu’il vous soit permis d’en murmurer, ny mesmes
de parler mal de luy en façon quelconque ; au contraire,
i’entens que vous vous humuliez à tout ce qu’ils voudront,
que vous leur soyez obeïssans en tout, & que vous ayez continuellement
soin de prier pour la conseruation de leur Estat,
& pour la prosperité de leur personne : Si bien que ceux qui
ne se porteront pas à faire d’vn franc cœur ce que ie leur commande,
seront punis d’vne mort eternelle, sans remission
quelconque : Ce que i’ordonne aussi bien en faueur des Tyrans
qu’en faueur des meilleurs Prince de la terre : Parce
qu’ils sont également ordonnez de moy & parce qu’estant
mes Lieutenans ; ils me doiuent conseruer ma Souueraineté
en l’estat qu’il l’ont reçeuë de ma propre main, & maintenir
enuers tous, & contre tous l’authorité que ie leur ay donnée,
& pour mon honneur & pour ma gloire : Ie suis vn Dieu si

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ialoux de mẽs droicts, que ie ne puis pas souffrir qu’on me
les diminnë, ny qu’on me les altere en quoy que ce puisse
estre : Mais Seigneur, n’est ce pas là authoriser la mauuaise
foy du Prince peruers, & donner des Arrests contre l’innocent,
en faueur de la mesme tyrannie : Non, car s’ils
manquent à vous aymer comme ie faits, s’ils manquent à
vous estre bons & misericordieux comme moy, s’ils manquent
à vous traitter comme ie vous traitte, & s’ils abusent
de la puissance que ie leur ay donnée ; non plus que des graces
que ie leur ay faites, ie vous permets de les induire à la
raison par vn nombre infiny de supplications & de requestes ;
& si par vn effet de leur reprobation ils ne veulent pas escouter
les prieres que vous leur ferez en mon nom, ie ne manqueray
pas moy-mesmes de vous venger apres ce refus, ou
bien de les en chastier au iour de la vengeance mesme ; parce
que c’est vn priuilege special que ie me suis reserué depuis
le commencement des siecles : Ie vous les ay donnez pour
vous édifier, & non pas pour vous destruire. Le Prince meschant
aura des seruiteurs & des Officiers de mesme nature ;
ils receuront leur salaire selon leur propre merite. Amos leur
apprendra de quelle façon ie traitte les Princes qui oppressent
mes peuples : Et mes Prophetes leur enseigneront combien
ie deteste la tyrannie ; qu’ils ne s’abusent pas en cela, car
s’ils negligent de suiure le chemin que ie leur ay monstré, &
s’ils ne songent à m’imiter en tout ce qu’il leur sera possible,
ie ne leur pardonneray non plus que s’ils estoient issus
de la lie du peule : N’en fis-je pas consommer deux de ceux
qu’Ochosias huictiesme Roy d’Israël enuoyoit à mon Prophete
Helie, par le feu du Ciel que ie fis descendre sur ces impies ?
N’en fis-je pas massacrer & puis perdre cinq qui s’estoient
cachez dans la cauerne, par mes Israëlites ? Ne fis-je pas
estrangler le Roy de Haï, & bruslé sa ville apres que mon
bien-aymé Iosue l’eust prise ? Ne fis-je pas massacrer le Roy
d’Israël par son seruiteur Zamri, pour s’estre enyvré, & pour
n’auoir pas voulu suiure mes ordres ? N’ay je pas reprouué
Saül pour m’auoir esté des-obeïssant ? N’ay-je pas dissipé le
Royaume des Israëlites, à cause de leurs pechez ? N’ay-je pas

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destruict celuy de Iuda, pour auoir commis vn mesme crime ?
Et finalement Ieroboam ne fust-il pas menassé d’vne
mort horrible, pour n’auoir pas voulu obeïr à ma saincte parole ;
Puis que ie les change souuent à cause des pechez du
peuple, que ne dois-je pas faire pour les leurs propres : Mais
pour vous rafraischir encore vne fois la memoire des sousmissions
que vous leurs deuez rendre, vous n’auez qu’à lire le
Liure de Iesus, fils de Syrrache, que i’ay pris le soin de dicter
moy-mesme, & vous apprendrez de luy les moyens qu’il faut
tenir pour conuerser dignement auec mes viuantes Images.
Ie ne leur ay donné le glaiue que pour se faire respecter,
& que pour estre en estat de pouuoir mieux rendre la Iustice
aux peuples : Le bon Magistrat est vn don de Dieu, & le Roy
iuste est l’establissement du Royaume. Ceux qui murmurent
contre leurs Souuerains, murmurent contre moy-mesme :
Le cœur des Princes est en ma main ; & il se faut bien garder
de leur indignation, sur peine d’encourre ma disgrace :
Ie leur ay cedé le pouuoir que i’auois dans le temps, & ie
n’entens pas qu’il diminuë entre les mains de qui que ce
puisse estre ; puis que ie me suis voulu donner autrefois la qualité
de Roy, il faut bien que la condition en soit fort glorieuse
& tres-venerable : Vous ne deuez en ce que ie vous ordonne,
auoir qu’vn peu d’humilité & beaucoup de patience ? Par
l’humilité vous vous esleuerez au dessus des Souuerains, &
par la patience vous vous surmonterez vous-mesme, & vous
viendrez à bout de toutes choses : Car en quel lieu que la parole
du Roy puisse estre, la puissance y sera pareillement, &
ie n’entens pas que personne y trouue à redire ; Cherchez
mon Royaume auant toutes choses, & vous obtiendrez facilement
tout le reste. (Le Roy est vn milieu entre vous & moy)
& comme il n’est pas permis aux Roys d’entreprendre sur ma
personne ; il n’est pas permis aussi aux sujets d’entreprendre
sur le Prince : Mais sçahez que mon Royaume ne s’acquiert
que par les tribulations, & qu’il ne consiste qu’en paix, qu’en
ioye & qu’en Iustice.

 

Apres des leçons si diuines & si celestes, nous sera-t’il permis
de iuger de leurs actions, & d’y trouuer à redire. Dieu nous

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apprend bien que les Roys ont tousiours iugé les actions de
leurs sujets : mais ie suis encore à sçauoir que personne ait eu
droict de iuger des actions de leur Prince : Moyse iugeoit bien
les differens du peuple, selon les Loix de Dieu, depuis le matin
iusqu’au Vespres. Samuel fit bien entourer ses villes, pour
iuger des affaires des Israëlites. Salomon voulut bien iuger
des enfans des deux femmes paillardes. Dauid faict Iustice à
tous ses sujets, & Othoniel aux Israëlites. L’Escriture Saincte
nous fait bien voir aussi que Dieu iuge des actions des Souuerains,
& qu’il n’en est pas vn qui s’en puisse exempter en façon
quelconque : mais que les peuples puissent équitablement
iuger des actions de leur Roy, cela ne fust iamais, ny
ne sçauroit iamais estre. Si le Souuerain Seigneur de l’Vniuers
nous commande & nous deffend de leur dire que fais-tu,
apres cela qui sont ceux qui auront droict de iuger des
choses qu’il leur plaira de faire : Et si la mesme puissance leur
donné la liberté d’agir comme bon leur semblera, sans qu’il
nous soit permis d’y trouuer à redire, qui est ce qui aura droit
de iuger de leurs actions, & de leur en faire rendre conte : S’ils
peuuent, par vn bon transport que le Souuerain Eternel leur
a fait, disposer absolument de nos biens, de nos enfans, & de
nous mesmes, comme nous venons de dire, & qu’ils ayent
droict de nous traitter selon leur volonté,sans que Dieu vueille
esouter nos plaintes, qui sont ceux apres cela qui peuuent
auoir raison de iuger de leurs actions, & de trouuer à redire
en leurs procedures ? S’il ne nous est pas permis d’en dire du
mal, ny d’en parler qu’auec beaucoup de reuerence, comment
pourrions nous assoir nostre iugement sur ce qu’ils font sans
iniustice ? Si sa diuine bonté veut absolument que nous obeïssions
aux plus mauuais Magistrats, sur peine de peché mortel,
& que ces mauuais Magistrats nous deffendent de trouuer
a redire à la moindre de leurs actions ; comment est ce
que nous pourrions aller contre leurs decrets, sans crime ?
Ceux qui ne leur veulent pas obeyr selon la Loy, doiuent
estre punis de mort selon les decrets de la méme Prouidence ;
Le Roy iuste est l’establissement du Royaume. Dans le iugement
on ne doit pas suiure l’opinion de la plus grande partie

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des hommes pour se fouruoyer de la verité Celeste. Les iugemens
douteux & les causes d’importance se rapportoient anciennement
aux Sacrificateurs de celuy qui doit iuger de toutes
choses : L’on ne doit point debatre du Iugement, mais
plustost quitter l’iniure à celuy de qui nous l’auons reçeuë. Si
tout ce que nous faisons est sujet au iugement de Dieu, &
non pas aux iugemens des hommes, il me semble que les
actions des Princes doiuent estre preferées à toutes celles du
reste des creatures. Iugement sans misericorde sera fait à
ceux qui n’en font pas aux autres. Iob montre qu’au iugement
de Dieu, nul ne peut estre iustifié que par sa clemence.
Iesus-Christ ne fut pas enuoyé de son Pere pour iuger le
monde, mais bien pour les sauuer de la damnation eternelle.
La Loy deffend de iuger d’vne personne sans en auoir vne
parfaite connoissance ; & nous voudrions apres cela iuger
des actions de ceux de qui nous despendons absolument, &
qui nous ont esté donnez pour iuger des nostres.

 

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [[s. d.]], TRAITTÉ DE L’ANCIENNE DIGNITÉ ROYALE, ET DE L’INSTITVTION DES ROYS. , françaisRéférence RIM : M0_3796. Cote locale : B_2_25.