Anonyme [1649], TRES-HVMBLE REMONSTRANCE DV PARLEMENT AV ROY, ET A LA REYNE REGENTE , françaisRéférence RIM : M0_3814. Cote locale : A_1_47.
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TRES-HVMBLE
REMONSTRANCE
du Parlement
Au Roy & à la Reyne Regente.

SIRE,

Vostre Parlement outré de douleur, inuesty & pressé par
des armes commandées sous vostre Nom dans la Ville capitale
du Royaume, exclus de tout accez à vostre Majesté & à
la Reyne vostre Mere, vous adresse cette Remonstrance &
Supplication tres-humble accompagnée des sentimens de
tous vos fidelles Sujets.

Sire, lors que la Prouidence diuine mit la Couronne sur
la teste de V. M. en vn âge auquel vostre Personne ne pouuoit
contribuer au bien de son Royaume que la qualité de Roy,
qui porte l’image viuante de Dieu, & les benedictions qu’il

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auoit abondamment versées en vostre naissance ; vostre Parlement
estima ne vous pouuoir rendre vn seruice plus important,
que de ioindre ses suffrages à ceux de la Nature & de toute
la France, pour commettre à la Revne vostre Mere le gouuernement
de vostre Personne & de vostre Estat Il ne douta
point, qu’elle n’eust tousiours pour vous & pour vos Sujets
des entrailles de Mere, & en toute sa conduite vn esprit
Royal suiuant son extraction.

 

Il estima sur tout, que pour maintenir la liberté legitime,
qui fait regner les Roys dans le cœur des Peuples, elle ne permettroit
iamais qu’aucun particulier s’estendist en trop grande
puissance au preiudice de la Souueraine ; pource qu’elle
sçauoit par les lumieres que Dieu donne aux Ames qu’il destine
pour regit ses Estats, combien ses establissemens sont
contraires aux vrayes regles de bonne police, en toute sorte
de gouuernements, & specialement aux Monarchiques, qui
ont pour loy fondamentale, qu’il n’y ait qu’vn Maistre en titre
& en fonction ; de sorte qu’il est tousiours honteux au
Prince & dommageable à ses Sujets, qu’vn particulier prenne
trop de part ou à son affection ou à son authorité, celle-là deuant
estre communiquée à tous, & celle-cy n’appartenant
qu’à luy seul.

D’ailleurs vostre Parlement auoit sujet de croire, que la
propre experience de la Reyne vostre Mere luy seroit vne garde
fidelle, pour la guarentir de cét accident ; ayant veu pendant
le temps de son mariage en deux notables exemples du
Mareschal d’Ancre & du Cardinal de Richelieu, combien
l’éleuation d’vn sujet en trop grande faueur & authorité
auoit esté difforme, iusques à quel point elle auoit esté redoutable
au Roy & intolerable à ses Peuples.

Elle auoit veu sous le gouuernement de ces puissances les
plus saintes Loix violées, les Compagniès les plus celebres
auilies, les personnes de toutes conditions opprimées, sans respecter
les Royales, non pas mesme la sienne & celle de la feuë
Reyne vostre Ayeulle. Bref il n’y a rien eu de si sacré qu’elle
n’ait veu profaner par leur insolence & leur ambition, ni rien
de si cher à l’Estat qu’elle n’ait veu consacrer à leurs interests.

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Toutes ces considerations, MADAME, nous estoient des
gages asseurez, que pendant vostre Regence nous ne pourrions
tomber en de semblables mal-heurs. Mais comme c’est
le defaut ordinaire des Bous (quelque illuminez qu’ils soient)
de n’auoir pas assez de défiance des Meschans, pource que leur
interieur est tousiours couuert de bonne apparence, que plus
leur poison est dangereux, plus ils le rendent agreable au
goust, & que d’ailleurs les Princes entre tous les hommes sont
les plus exposez à leurs surprises, ayans plus de bien entre les
mains ; il est arriué que le Cardinal Mazarin, esleué par le Cardinal
de Richelieu, nourry dans ses maximes ambitieuses, &
formé dans ses artifices, succedant à son ministere, a succedé
pareillement à ses desseins. Il n’a pas plûtost eu l’honneur de
vostre choix au maniment des affaires, qu’il n’en ayt abusé, &
qu’oubliant son deuoir & les obligations qu’il auoit à sa Bienfaitrice,
suiuant l’exemple de celuy qui l’auoit instruit, il
n’ayt dressé toute sa conduite à vsurper la supréme authorité,
dont vous estes la tutrice. De maniere que dés lors iusques
à present nous l’auons veu Maistre de la personne du Roy sous
le nouueau titre d’Intendant de son education, & disposer
sans reserue des Charges, des Dignitez, des Places, des Gouuernemens,
des Armes & des Finances ; conferer toutes les
graces, sans vous donner part à la gratitude ; ordonner les peines,
vous en laissant toute l’enuie ; & qu’en effet tous les Subjets
du Roy & leurs fortunes particulieres, aussi bien que la fortune
publique, sont en sa seule dependance.

De là il est arriué, MADAME, que comme les interests
de ceux qui entreprennent sur l’authorité souueraine, sont toûjours
contraires à l’interest du Souuerain, nous auons veu sous
son ministere vn vsage de Politique estrange & toute opposée
à nos mœurs ; les vrais interests de l’Estat abandonnez ou trahis,
la continuation de la Guerre, l’éloignement de la Paix, les
Peuples épuisez, les Finances dissipées ou destournées, tout ce
qu’il y a de considerable dans le Royaume, ou corrompu, ou
opprimé, pour assujettir tous les François sous la puissance d’vn
seul Estranger. Et finalement l’Estat au poinct où il est, à la
veille de sa ruine, si Dieu n’y met puissamment la main.

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Qui ne void que le Cardinal Mazarin a toûjours voulu continuer
la Guerre, & éloigner la Paix, afin de se rendre plus
necessaire & auoir plus de pretextes de leuer de grandes sommes
de deniers pour s’enrichir ? Qui n’a descouuert qu’en plusieurs
occasions il a empesché nos succez, pour faire balancer
les affaires ? Tesmoin nos armées perduës faute de subsistance
deuant Lerida, les foibles secours de Naples enuoyez à contretemps,
le siege de Cremone, la perte de Courtray & autres
actions de cette qualité.

Et quant à la negociation de la Paix, Qui est si grossier qui
ne iuge, qu’il n’a iamais voulu donner part au secret de l’affaire
qu’à son Confident, quoy que le Duc de Longueuille & les
autres Deputez de probité reconnuë, ne peussent estre suspects,
& qu’il a mieux aymé perdre nos Alliez, que de faire la
Paix coniointement auec eux ; ce qui seroit vne faute criminelle,
quand il n’y auroit point d’infidelité : & si les declarations
vniformes des Nonces font quelque foy ; si la propre
confession dudit Cardinal peut seruir à le conuaincre, apres
auoir dit tant de fois, qu’il tenoit la paix entre ses mains, outre
la voix publique qui le declare par tout, & la chose qui parle
d’elle-mesme ; Il n’est que trop éuident qu’il a trahy nos vrais
interests en cette affaire si importante : Et cette seule preuarication
en vn sujet de cette qualité, ne meriteroit-elle pas vn
supplice, qui égalast en quelque sorte les miseres & les desolations
qu’elle a causées. Mais on peut encore raisonnablement
tirer cette induction de son procedé, qu’il auoit la pensée de
partager vn iour la France auec l’Espagnol, & nous sommes
peut-estre à la veille de l’esprouuer.

Quant à l’abus & la depredation des Finances, le Cardinal
Mazarin oseroit-il dire, qu’il y ayt eu quelques limites à sa conuoitise.
SIRE, les Souuerains, legitimes tuteurs du Peuple,
regardent leur bien comme le bien d’autruy, pour en vser ; &
pour le conseruer, ils le considerent comme leur bien propre :
de maniere qu’ils n’y mettent iamais la main sans necessité, ny
sans mesure. Mais les Vsurpateurs de l’authorité souueraine
regardent le bien du Peuple comme leur proye, sont auides
de sa substance, & la derniere goutte de son sang est la seule
borne de leur cupidité.

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Telle a esté celle du Cardinal Mazarin, qui a si fort espuisé
le Royaume pour s’enrichir, qu’il y a peu de personnes à la
Campagne ausquelles il reste vn lict pour se coucher, moins à
qui il ayt laissé dequoy auoir du pain suffisamment pour se
nourrir auec son trauail ; & il n’y en a point du tout qui puisse
viure sans incommodité. De sorte que si vostre Parlement touché
des sentimens de vostre seruice & des motifs de la charité,
n’eust arresté le cours de ses insupportables exactions, le moindre
mal eust esté, que vos Peuples fussent tombez dans l’impuissance
ou dans le desespoir auant la fin de la derniere année ;
Et il seroit inutile de marquer toutes les voyes qu’il a tenuës
pour faire vne telle depredation. Les seuls fonds immenses
qu’il a consommez dans la Marine, dont il a disposé
sans en rendre compte, seroient capables d’épuiser vos Finances.
Il suffit de dire, Qu’il est le Maistre, Qu’il prend tout ce
qu’il peut toucher, comme s’il estoit sien ; Qu’il a conserué &
augmenté le nombre des Partisans & gens d’affaires, qui sont
les sangsuës qui luy facilitent le moyen pour auoir de l’argent
comptant ; Qu’il a leué plus de quatre vingts millions de liures
par an ; Qu’il nous a engagez de cent cinquante ; & Que l’on ne
trouue plus presque d’or ny de bonne monnoye en France.
Iugez de là, SIRE, où il est.

Mais le plus notable interest, le plus criminel & le plus contraire
qu’il ayt eu à celuy de V. M. ç’a esté de vouloir tirer vos
Subjets de vostre dependance, pour les mettre en la sienne,
ou de leur consentement, ou par force. Dieu sçait ceux qu’il a
corrompus ; il est assez aisé d’en descouurir quelques-vns dans
le nombre de ses Partisans ; Et l’occasion presente sera vne pierre
de touche, pour marquer ceux qui sont à vous ou à luy.

Ce qui n’est que trop public, sont les violences qu’il a faites
pour destruire les vns, & pour intimider les autres. La detention
du Duc de Beaufort trouué innocent, fut son coup d’essay,
suiuy de celle du Mareschal de la Morthe Houdancour ;
& en ces derniers temps, des Officiers de vostre Grand Conseil
& Cour des Aydes, & d’vn grand nombre de proscriptions,
d’emprisonnemens, & autres mauuais traitemens plus
ou moins inhumains, selon que la resistance à sa tyrannie luy

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estoit plus ou moins nuisible ou odieuse ; Et les exemples de
cette qualité sont en tel nombre & si notoires, qu’il seroit superflu
de les déduire.

 

Seulement vous supplierons-nous d’obseruer, SIRE, quo
comme vostre Parlement est le plus fort rempart pour defendre
vostre Authorité, & le plus redoutable Aduersaire de
ceux qui la veulent vsurper ; d’ailleurs qu’il est incapable de
reconnoistre vn autre Maistre que son Roy legitime : Et quand
il s’est trouué des conseils assez pernicieux, pour entreprendre
de changer l’ordre de la succession à la Couronne, ce Parlement
s’y est opposé auec tant de vigueur, qu’il a plûtost souffert
qu’on le declarast criminel de leze-Majesté, que de relascher
quelque chose de sa resistance, comme il est encore prest
de le souffrir pour vn mesme sujet. Le Cardinal Mazarin n’a
rien obmis d’artifices & de violences pour abattre cette grande
Compagnie.

Ses artifices n’ont pas esté des tentations pour la corrompre,
sçachant qu’il n’y eust pas reüssy : Mais les sinistres impressions
qu’il a données à vostre Majesté, MADAME,
d’vne Compagnie si exempte de soupçon, afin de vous induire
à commander de rudes executions contre les Particuliers,
& des traitemens iniurieux contre le Corps. Et en cela sa malice
& sa calomnie ont paru grandes, & ses artifices bien surprenans ;
puis qu’ils ont persuadé V. M. MADAME, contre
ses naturelles inclinations à bien faire & à sauuer les hommes,
de traiter si estrangemẽt le particulier & le general d’vne Compagnie,
qui vous a seruie auec tant de zele, & à qui vous auiez
donné tant de part en l’honneur de vostre bienveillance.

A peine le Cardinal Mazarin a-t’il esté dans les affaires, qu’il
a commencé par la proscription & l’emprisonnement d’vn
nombre de Senateurs, pour fraper vne partie du Corps, & imprimer
la terreur dans l’autre. Et certes l’emprisonnement du
President Batrillon conduit dans vne citadelle hors du Royaume,
mort peu de mois apres sa detention, laissant le soupçon
funeste d’vne cause violente de sa fin, qui a esté vne des plus
cruelles actions que nous ayons veües depuis que nous esprouuons
la tyrãnie des puissans Fauoris, estoit bien capable de faire

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craindre des courages mediocres. Mais comme il est malaisé
de soumettre par cette passion vn si grand Corps, qui ne
craint que de manquer à son deuoir, ces exemples de violences
ne l’ont pas empesché qu’auec l’auis des Compagnies
Souueraines voyant le Peuple oppressé par des impositions,
des leuées, des taxes, & autres telles vexations, qui se commettoient
par voye de fait ou par la seule authorité des Arrests
du Conseil, il n’ait pour satisfaire aux obligations de sa
charge pris connoissance des causes de ce desordre, & n’en
ait aucunement arresté le cours. Et nous pouuons dire à V.
M. sans exaggerer, que si vostre Parement n’eust interposé
vostre Authorité pour empescher ces oppressions, le Peuple
eust esté bien-tost ou dans l’impuissance ou dans le murmure :
Ce premier mal est la foiblesse des Estats, & le dernier est
la disposition aux reuoltes, que les sages Politiques doiuent
tousiours preuenir, sçachant bien que la patience des hommes
est limitée, & que Dieu ne met pas mesme la constance
des Iustes à toutes espreuues. Les seruices que nous auons
rendus à V. M. SIRE, en soulageant vos Sujets, & vous
remettant en possession de vos reuenus ont empesché ces
accidens ; mais ils ont allumé la haine du Cardinal Mazarin
contre vostre Parlement le voyant vn obstacle à sa tyrannie ;
Et c’est le sujet qui l’a fait recourir à de nouueaux moyens
pour le perdre.

 

De là est venu le traittement outrageux, qu’il receut publiquement
à la face de vos Majestez, de leur Cour, & de
toute la France, où cette Compagnie fut traittée de rebelle
& de facticuse par la bouche du Chancelier, en vn lieu où
la moindre action de dureté blesse la dignité Royalle. De là
vint en suite la proscription de plusieurs Senateurs, & l’emprisonnement
de deux des principaux en vn jour dedié à la
joye publique, & à loüer Dieu du succez qu’il luy auoit plû
donner à nos Armes ; deformité estrange pour ne pas dire
impieté sacrilegue, d’auoir meslé vn tel deüil dans vne si
sainte réjoüissance. Conseil noir & cruel, mais d’ailleurs
plein d’aueuglement, qui excita aussi-tost les imprecations
publiques contre le Cardinal Mazarin, l’ire de Dieu sur luy,

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mais sa bonté sur nous, pour les deliurer par vn jugement
secret de sa Prouidence, quoy que par vn moyen contraire
à nostre intention.

 

Mais ce premier effort, bien que sans succez & condamné
par des marques si visibles de la protection du Ciel en nostre
faueur, ne changea ni son dessein ni sa haine. Celle-cy se ralluma
plutost dans son cœur, & y demeura plus actiue qu’auparauant ;
& son dessein fut seulement couuert de dissimulation,
afin de prendre mieux son temps & ses mesures, pour
le faire reüssir. A cét effet il nous entretint par des conferences,
qui aboutirent à vne Declaration contenant la reforme
des desordres publics, qui pourtant fut aussi-tost enfreinte
que publiée ; mais cette conduite n’alloit qu’à nous esbloüir
par vne apparence de bonne intention, pour faire passer en
suite vne autre Declaration adressée à la Chambre des Comptes,
qui restablissoit l’vsage des prests & des auances, & le
credit des gens d’affaires ; afin de tirer d’eux vne grande somme
d’argent pour sa derniere main auant que partir, & executer
plus puissamment sa resolution.

Cette resolution n’estoit autre que de nous faire perir
par vn coup de foudre, & nous enuelopper auec Paris dans
vne commune ruine, abbatre du contrecoup tous les Parlemens
& toutes les autres Villes dont Paris est comme le
Chef ; ce faisant estre en estat de se rendre Maistre d’vn
Royaume desolé, ou de le partager auec ceux qui luy sont
necessaires pour executer ses entreprises, ou en faire tomber
la meilleure partie entre les mains des Estrangers, pour
y prendre sa retraite & y trouuer son establissement. Il y a
grande apparence qu’il est des-ja d’accord auec eux ; puis
qu’il retire les garnisons de nos frontieres au mesme temps
qu’ils sont puissamment armez, & qu’il met le trouble dans
le Royaume qui est tout ce que les Espagnols ont tousiours
desiré. Pour peu qu’on ait de sens ne voit-on pas sa trahison à
descouuert par cette derniere action, ses circonstances & ses
suittes. V. M. enleuée par surprise, vostre Personne en son
pouuoir, vous ayant osté les Capitaines de vos gardes, gens
de condition & de probité, la Lettre enuoyée à l’Hostel de

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Ville, qui declare que le Parlement a conjuré contre son
Prince ; vne seconde Lettre qui luy commande de nous
traitter comme criminels de Leze-Majesté, ce qui n’alloit
pas à moins que de nous faire deschirer par le Peuple, &
causer vn massacre general dans Paris, la Ville estant au
mesme temps bloquée, les passages saisis, & les deffences
faites à tous les lieux circonuoisins d’y porter des viures.
Peut-on regarder tout ce procedé qu’on ne voye quand &
quand que la conjuration est telle, que nous la representons
à vostre Majesté. Conjuration detestable, mais Conseil
funeste & barbare, qui ne peut auoir esté pris sans que
le Demon qui marche dans les tenebres y ait presidé, & que
les Anges tutelaires de la France en ayent esté bannis.

 

SIRE, nous appellons icy tout ce qu’il y a d’Ames vrayment
Françoises, pour se joindre à nos sentimens & à nostre
conduite, à l’exemple de ces personnes Illustres, qui
ont signalé desia leur zele en cette occasion ; afin de confondre
promptement l’Autheur de tous ces maux, deliurer
vostre Personne de ses mains, & retirer vostre Estat de sa
ruine. C’est là l’vnique voye de salut ; & si son party subsiste
quelque temps, la France est perduë sans resource.

Si nous estions si mal-heureux que de succomber, le Cardinal
Mazarin demeureroit Maistre d’vn Estat affoibly, qu’il
partageroit auec ceux qui l’ont assisté ; si nostre resistance
ne fait que balancer les affaires, nous verrons naistre à
nostre grand regret vne guerre ciuille, qui donnera loisir
aux Estrangers d’entrer en France & de se joindre audit
Cardinal ; les Espagnols estant bien asseurez que nous ne
pouuons auoir intelligence auec eux ; parce qu’il est impossible
que les interests que nous auons à la conseruation de
la Monarchie, à cause de nos charges qui en dependent,
puissent compatir auec leur dessein. D’où V. M. peut iuger
à quelle extremité le Cardinal Mazarin vous a reduit, vous
ayant jetté dans la necessité ou de le perdre bien-tost pour
vous sauuer & la Fortune publique, ou de perdre vos plus
fidelles Seruiteurs & vostre Estat conjointement.

SIRE, dans le mouuement perilleux où nous voyons la

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fortune penchante de vostre Royaume, nous nous trouuons
obligez de iustifier nostre conduite à V. M. & à toute
la France. Nous serions inconsolables, si nous ne croyons
auoir satisfait à tout ce que la Iustice & la Prudence desiroient
de nous, pour éuiter ou esloigner l’accident où nous
sommes tombez ; l’vn & l’autre nous ont obligez de mettre
la main au soulagement de vos Peuples, qui succomboient
sous le faix, afin d’empescher leur ruine ou leur reuolte.
Mais à l’esgard du Cardinal Mazarin, qui estoit coupable
de leurs souffrances ; si la Iustice demandoit la punition de
sa tyrannie, la Prudence nous portoit à la dissimuler, comme
nous auons fait.

 

Nous sçauons bien que le crime d’vsurpation est de la
qualité des passions violentes, qui se rendent maistresses
des ames qui les reçoiuent ; & que pour peu qu’il soit consommé,
les loix sont trop foibles pour le chastier. Ceux
qui entreprennent sur la puissance du Souuerain ne manquent
pas d’imiter ce fameux Sculpteur, qui graua si artistement
son image dans la statuë qu’il destinoit au public,
qu’il estoit impossible de l’en oster, sans mettre l’ouurage
en pieces. Les Vsurpateurs de l’Authorité du Prince
s’attachent si fort à sa personne & se rendent si necessaires
dans ses affaires par leur adresse, qu’il est presque impossible
de les en separer, sans causer vne conuulsion tres-perilleuse
à l’Estat ; & comme ces maux sont presque incurables,
quand ils ont pris racine pour peu que ce soit, les
Sages en attendent la guerison plutost de la seule Prouidence
de Dieu que de leur conduite ; Ainsi nous nous sommes
veus deliurez deux fois par sa main propice de ces maladies
mortelles ; & nous eussions attendu vn pareil secours sans
agir contre le Cardinal Mazarin, non pas mesme dans cette
occasion, si nous n’y eussions esté contraints pour nostre justification
& pour vostre seruice.

SIRE, aussi-tost que vostre Parlement eut la nouuelle
de vostre sortie, qui sembloit plutost vn enleuement que
le depart d’vn Roy de sa Ville Capitalle ; & que nous eusmes
veu la Lettre écrite aux Preuost des Marchãds & Escheuins,

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où nous lisions manifestement le nom & le dessein du Cardinal
Mazarin, nous ne voulusmes pas obmettre, bien que
vainement, de prendre toutes les voyes qui pouuoient empescher
l’esclat qui est suruenu. Pour cela nous deputasmes
vers vos Majestez les Aduocats & Procureur Generaux, personnages
d’âge, de probité & de suffisance, qui pouuoient
s’il y eust eu lieu, porter les choses à quelque moderation,
ayant charge de faire & d’offrit toutes sortes de soumissions
à vos Majestez de la part de la Compagnie. Mais leur retour
nous fist voir que le Cardinal Mazarin sçait bien pratiquer
cette maxime de Politique vitieuse, que qui offense, ne pardonne
point ; & d’aillieurs que la cruauté est le propre des ames
foibles & des animaux timides, qui ne demordent point
quand ils sont en estat de mal faire. Apres que les Deputez
nous eurent rapporté le traittement qu’ils auoient receu, refusez
durement, renuoyez au milieu de la nuict, & qu’ils
nous eurent declaré que la Ville estoit bloquée, vostre Parlement
n’auoit plus que l’vn de deux Conseils à prendre, ou
celuy de souffrir patiemment la violence preparée, ou celuy
d’armer pour nostre commune conseruation. En l’vn & en
l’autre cas il estoit necessaire pour vostre iustification ou pour
la nostre, de declarer le Cardinal Mazarin Ennemy de vostre
Majesté & du Public ; ce que la prudence nous auoit
fait differer jusques alors ; si nous auions à perir, toute la Terre
deuoit sçauoir que c’estoit par la violence de nostre Ennemy,
& non point par celle de nostre Roy, qui n’employe
iamais ses forces que pour nous proteger. Et si nous auions
à nous defendre, il deuoit estre pareillement notoire que
c’estoit contre vn Tyran & non point contre nostre Maistre,
sous le nom duquel nous nous prosternons, & pour lequel
nous n’auons que des sentimens d’obeïssance.

 

Sans cette declaration, où nostre perte deshonnoroit la
reputation de V. M. ou nostre defense nous couuroit à iamais
d’vne criminelle infamie : Mais si nous n’eussions esté
touchez que de l’interest de nos fortunes & de nos vies, nos
inclinations nous eussent aisément resolus à prendre le party

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de la souffrance ; nous les eussions volontiers immolées &
celles de nos Concitoyens, au respect que nous portons à
vostre nom & à vostre bras qui frapoit le coup, sans considerer
celuy qui faisoit l’injure. La mort quelque terrible qu’elle
soit auec ses pompes & ses appareils plus affreux, ne nous
pouuoit faire tant de peur que le moindre manquement d’obseruation
& de soumission à tout ce qui porte vostre caractere :
Et bien que la Loy naturelle plus ancienne & plus absoluë
que toutes les autres, nous rende tous moyens legitimes pour
cõseruer ce qu’elle nous a liberalement dõné ; si nous eussions
pourtant jugé que ce martyre eust esté innocent, & qu’il
n’eust point tiré vostre ruyne & celle de vostre Estat ineuitablement
à sa suite, nous eussions mieux aymé mourir que de
nous seruir du priuilege de la Nature, pour nous defendre
contre des armes commandées sous le nom de nostre Souuerain.
Vostre conseruation, SIRE, & celle du Royaume,
est la seule cause de nostre defense & le motif de nostre Arrest,
qui ordonne que Paris prendra les armes ; nostre salut
particulier n’est pas nostre principal object, en cette occasion
nous ne le regardons que comme vn moyen necessaire
au vostre.

 

C’est là, SIRE, où nous referons nos meilleurs souhaits,
c’est là où tendent nos armes, hors de là nous n’en voulons
jamais d’autres pour vous resister, que les prieres, qui sont les
seules armes legitimes, mais bien, puissantes, que Dieu a données
aux Subjects pour flechir les Roys sur la Terre & pour
le forcer luy-mesme jusques dans le Ciel.

Et il importe de faire sçauoir à vos Peuples que nous n’auons
point de mains pour nous opposer à V. M. & qu’elle
n’estend iamais les siennes sur nous, que pour nous departir
des biensfaits ; de sorte qu’on ne luy doit non plus donner de
part au dessein cruel que l’on veut executer contre nous ; que
l’on n’en peut prendre sans crime à ses actions de grace & de
clemence.

Receuez done, s’il vous plaist, nostre resolution de prendre
les armes non pas comme vn acte de rebellion, mais comme

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vn effet de nostre deuoir : Nous ne nous defendrions pas
en cette extremite, si nous le pouuions obmettre sans crime,
& sans encourir le reproche de Dieu & des hommes, d’auoir
laissé laschement perir nostre Roy par vn faux zele plein d’ignorance ;
parce que celuy qui nous opprime pour vous perdre
en suite, est reuestu de son nom & de son authorité.

 

SIRE, apres auoir rendu ce compte à V. M. des motifs de
la resolution que nous auons prise, & de l’Arrest que nous
auons donné, qui n’a point d’autre fin que vostre salut, il ne
nous reste qu’à supplier tres-humblement vos Majestez qu’il
leur plaise de les fortifier par leur approbation, & ce faisant
condamner le sinistre conseil du Cardinal Mazarin ; Et puis
qu’il ne s’est pas retiré de vostre Cour le mettre entre les
mains de la Iustice, afin d’en faire vn exemple notable qui
demeure à la Posterité, pour guarentir à iamais nos Roys d’vne
vsurpation pareille à celle dont il est coupable.

Vos Majestez mettront le calme dans l’Estat, leurs Personnes
& la Fortune publique en seureté, la France hors du peril
éminent d’estre enuahye & partagée entre cét Ennemy domestique
& les Estrangers ; & tous les François d’vn esprit
vnanime se rallieront pour forcer l’Espagne de consentir à la
Paix tant desirée de toute la Chrestienté, & si necessaire au
bon heur de vos Peuples.

MADAME, apres cette Remonstrance & cette Supplication
tres humble assistée des suffrages de tous les bons François,
si vous reteniez dauantage le Cardinal Mazarin, permettez-nous
de dire à V. M. que vous seriez responsable deuant
Dieu & deuant les hommes, du depost sacré de la Personne
du Roy & de l’Estat que la France a mis entre vos
mains. Et nous ne pouuons douter sans faire tort à Monsieur
le Duc d’Orleans, & à Monsieur le Prince de Condé, qu’ils ne
vous portent à cette resolution, ny iuger qu’ils ayent eu vn autre
esprit en l’occasion presente, que de prester vne obeyssance
aueugle à vos Commandemens sans s’informer de l’Autheur,
ny des raisons du Conseil qui a esté donné, non plus
que des auis supposez pour fabriquer l’atroce calomnie contre

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les Officiers du Parlement. Mesme nous ne iugerions pas
sainement d’eux, si nous n’estimions qu’il ont suiuy vos Majestez,
plustost pour les guarentir des entreprises du Cardinal
Mazarin, que pour ayder ou consentir à ses desseins pernicieux,
ce qui seroit vne action aussi indigne de leur naissance,
que nous la croyons contraire à leurs inclinations.

 

Mais comme nous ne doutons point, que vos Majestez ne
donnent à la Iustice, à vos vrays interests, à ceux de l’Estat, &
à tant de larmes qui sont les voix des miserables, ce que nous
leur demandons instamment par nos tres-humbles supplications ;
nous les asseurons au nom de tous les gens de bien, que
cette action sera suiuie d’applaudissements, d’acclamations
publiques, & des benedictions de Dieu ; Et nous protestons,
SIRE, qu’aussi-tost vostre Parlement, toutes les Compagnies
Souueraines & vostre bonne Ville de Paris, se prosterneront
à vos pieds, pour vous renouueller les vœux de leur
parfaite obeïssance.

Ainsi puissiez vous, MADAME, consommer dignement le
grand Ouurage de la conseruation de ce puissant Empire, que
Dieu a deposé entre vos mains : Ainsi puissiez-vous donner à
la France le repos & tous les effets de la Paix bien-heureuse,
& que la Posterité regardant vostre Administration loüe à jamais
la Regence des bonnes & vertueuses Meres. Ce sont là,
SIRE, les vœux de tout ce qui vous est fidelle en France, & les
supplications des Officiers de vostre Parlement, qui ne sçauroient
estre autres que vos tres-humbles, tres-obeïssans &
tres-fidelles Subjets & Seruiteurs. A Paris en Parlement le
21. Ianvier 1649. Signé. DV TILLET, Greffier en
chef de ladite Cour.

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Anonyme [1649], TRES-HVMBLE REMONSTRANCE DV PARLEMENT AV ROY, ET A LA REYNE REGENTE , françaisRéférence RIM : M0_3814. Cote locale : A_1_47.