Anonyme [1649], TRES-HVMBLE REMONSTRANCE D’VN GENTIL-HOMME BOVRGVIGNON A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDÉ. AVEC La Response de l’Echo de Charenton, aux plaintes de la France. , françaisRéférence RIM : M0_3812. Cote locale : B_7_55.
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TRES-HVMBLE
REMONSTRANCE
D’VN
GENTIL-HOMME BOVRGVIGNON
A MONSEIGNEVR
LE PRINCE DE CONDÉ.

MONSEIGNEVR,

Dans la vieillesse où ie suis paruenu, i’ay cent
fois le iour remercié le Ciel de la grace de m’auoir
laissé viure assés, pour estre tesmoin presque
oculaire de vos actions heroïques. Mais il faut que i’auouë,
qu’au moment que i’appris la derniere qui les ternit toutes,
ie crus auoir trop vescu. Ie fus d’abord assez ingenieux à rechercher
tout ce qui la pouuoir faire interpreter moins sinistrement ;
Et j’imputois les premiers outrages que la France
receuoit de vos troupes à leur insolence, sans imputer leur
insolence à vos ordres. Mais vos hostilitez que i’appris le
premier, & creus le dernier de tous, ont malheureusement
desabusé mon esprit, charmé d’vne illusion si douce : & ie me
vois contraint d’auoüer malgré moy, que de Protecteur de
vostre patrie, vous estes deuenu son Persecuteur. I’ay beau
resuer à la recherche des motifs qui peuuent auoir causé en

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vostre Altesse vn changement si blasmable. Ma raison & mon
iugement s’y perdent. Est-ce vn mouuement de vostre zele
à seruir le Roy ? Vous le deseruez, MONSEIGNEVR,
plus que vous ne le seruez, vous rendant Ministre des passions
d’vn mauuais Ministre d’Estat. Et vous aurez vn iour bien de
la peine à prouuer à ce ieune Monarque, qu’vn Prince voulust
sauuer vn corps dont il attaquoit la teste, & qu’outrageant
Paris, il en voulust à Madril, Est ce l’amour de la gloire
si naturel aux ames genereuses ? Croyez moy, on ne la
trouue iamais où vous la cherchez ; Et ce n’est pas dans le
sein de vostre Patrie que le Ciel fait croistre les lauriers que
vous esperez y ceuillir. C’est dans la Flandre, MONSEIGNEVR,
& dans l’Espagne, où l’on en voit renaistre d’autres de la tige
de ceux que vous auez moissonnez. Et vous ne deuez esperer
d’vne guerre ciuile ; que des victoires non moins honteuses
aux vainqueurs, que funestes aux vaincus. Si vostre naissance
estoit moins illustre, ie vous demanderois si c’est
l’esperance du gain. Mais l’ame d’vn Prince est tousiours
incapable d’vn si lasche mouuement. Et c’est vn motif
que ie ne sçaurois me figurer sans extrauagance. On en peut
conceuoir quelques autres, qui ne me semblent pas moins
chimeriques. Et l’on a sujet de croire plus raisonnablement,
que vous n’en auez aucun. Mais que ce mauuais genie, dont
la Sicile a fait present à la France, & qui voudroit nous faire
chanter Complies si long-temps apres Vespres, a tellement
charmé vostre esprit, apres auoir éblouy celuy de la Reine,
qu’il tient vostre valeur comme aux gages de sa lascheté. Si
cela est, MONSEIGNEVR, ie prie le Ciel de rendre vains
les efforis d’vne si noire Magie qu’est celle de ce déloial, & de
faire voir à vostre Altesse, & pour qui, & contre qui elle s’est
declarée. C’est contre vostre Patrie, pour vn de ses plus
lasches ennemis. C’est contre vn Frere contre vne Sœur, &
contre vn Allié pour vn Estranger. Ce n’est pas ce que nous
promettoient les ciuilitez qu’en diuerses occasions vous auez
si genereusement renduës au premier Parlement de la France.

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Et ceux qui se meslent de gloser sur vos plus belles actions,
ont apparemment sujet de croire, que vous n’auez embrassé
ces colomnes de l’Estat, que pour les ébranler, comme Samson
fit de celles du lieu où ses vainqueurs faisoient vn ioüet
de luy. Graces à Dieu, vostre force estoit moindre que la
sienne, & vous ne deuez pas moins d’encens à la Prouidence
diuine pour vostre foiblesse, que ce corps Auguste pour son
inesbranlable fermeté, puis que c’estoit vous enueloper sous
des ruines qui nous eussent accablez. Que la prosperité de
vos armes ne vous enfle point le courage ; Le Dieu des armées
à qui vous la deuez, seroit iniuste s’il ne les eust fauorisées
en vne iuste guerre : & celle-cy ne l’estant pas, quoy que
vostre esperance promette à vos desirs, vous deuez craindre
qu’elle ne les trompe, & considerer que commençant d’estre
redoutable à la France, vous cessez de l’estre à l’Espagne.

 

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