Anonyme [1652], TRES-HVMBLE REMONSTRANCE FAITE AV ROY DANS LA VILLE DE Compiegne, Par vn Ieanseniste, touchant la paix. , françaisRéférence RIM : M0_3818. Cote locale : B_16_47.
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TRES HVMBLE REMONSTRANCE
faicte au Roy dans la ville de Compiegne.

SIRE,

Ie n’ignore pas que nous sommes en vn temps s
où il est plus asseuré de se taire, que de parler de l’Estat
de ce Royaume, sans offencer personne, & que tout
discours qu’on puisse faire pour le present, sera toujours
suspects à ceux qui ont rendu nos pensees mesme
criminelles à Vostre Majesté. Si est-ce qu’il faut
auouër que c’est vne chose tres-difficile de garder vn
tel silence dans vne grande reuolution d’affaires, puis
que la Nature ne nous a pas fait comme les crocodiles,
qu’on dit auoir des yeux pour pleurer, & point de
langue pour se plaindre : I’aperçois que nous perdons
quasi tout ce que nous auons de François, & qu’en ce
desastre vniuersel, où tout le monde deuroit se roidir
les bras contre la violence, on se contente de faire ce
qu’on fait quand il tonne, chacun prie que la foudre
ne tombe point sur sa maison, se souciant fort peu du
danger de son voisin. Aussi voyons-nous que plusieurs
personnes à qui la dignité deuoit mettre en bouche
de bonnes & fortes paroles, pour la defence de la
Iustice, & le soulagement du peuple, se contentent
de gauchir au coup, & s’imaginent de la seureté dans
les ruines communes.

Pour moy i’auouë franchement, qu’estant né d’vn
sang qui n’a iamais appris à flatter personne, & me

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voyant en vn rang ou mon silence peut’estre iniurieux
au public, si ie ne puis retenir la liberté desia trop penchante
à son mal-heur, i’en retrãcheray pour le moins
l’image, & dans vne seruitude si generale : ie diray vne
chose, ou qui acquittera ma conscience pour le present,
ou qui consolera mes cendres pour l’auenir.

 

Helas ! SIRE, Quand ie vous contemple assis sur
ce Trône, où la main de Dieu semble vous auoir porté
par miracle, affermy par consideration, & beny par
tant de prosperitez. Ie ne puis que ie ne me ressouvienne
auec les plus tendres ressentiments de mon
cœur, de la serenité des premieres années, ausquelles
vous pristes en main le gouuernail de ce grand Royaume.
Qui vid iamais de diuers metaux si heureusement
aliez, que nous vismes pour lors des nations differentes
vn’s en vn mesme corps souz vostre authorité, quel
consentement dans les volontez, quel intelligence
dans tous les ordres, quel vigueur dans les Loix, quel
obeyssance dans les Subiets, quel approbation dans le
Senat, quel applaudissement dans le peuple, qu’elle
police dans les villes, quel bon-heur dans les armes,
quelle benediction dans le succez de vos affaires.

Ne sembloit-il pas que Dieu auoit attaché à vos
estendarts & à vos Edicts quelque vertu secrette qui
faisoit triompher les vns en guerre, & reüssir les autres
en paix, auec tant de terreur & de grace, que ces choses
mesme contraires de leur nature, se lioient fermement
ensemble pour vos auantages.

SIRE, qu’est deuenuë cette face dorée de vostre
gouuernement, qui nous la change en ce visage de

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plomb : Peut-estre vostre Conseil a estimé que c’estoit
la grandeur de Vostre Majesté, de tenir bas vn Senat,
que tous les bons Rois vos predecesseurs ont tant déferé
qu’ils l’ont estimé aussi necessaire pour leur grandeur,
que les feuilles le font à la Rose pour composer
sa beauté.

 

Ie dirois, SIRE, combien ces Conseils sont pernicieux,
n’estoit que l’experience des années de vostre
regne, vous en a plus appris que toute la malignité des
hommes ne sçauroit effacer. Croyez moy que ce peuple
est comme l’herbe du basilic, qui rend vne bonne
odeur, à ce qu’on dit, quand on la manie doucement,
& qui fait des Scorpions quand on la frotte auec rudesse.
Tenez-nous dans l’estime & dans l’estat que les
Rois vos predecesseurs nous ont tenus. Vous ne verrez
rien de plus traittable que le peuple François, mais
si vous y procedez auec les violences, par lesquelles on
s’efforce tous les iours d’alterer vostre bon naturel, il
est à craindre que cette seuerité ne produise bien du
venin à ceux mesme qui en pensent tirer de la douceur.
Nos ennemis ne cessent de vous alarmer sur le manquement
du respect deu à V. Majesté, & toutesfois
Dieu sçait que nous auons tellement respecté l’authorité
Royalle, que la voyant entre des mains tres iniustes,
où elle perdoit tout son eclat, nous n’auons pas
permis qu’elle perdit le fruit de nostre obeyssance.

Permettez SIRE, vne liberté qui a esté tousiours
le plus pernicieux gage de ce Royaume, vous auez
mis vn somme sur nos testes, qui pour trancher du
grand, ne voulut rien moins paroistre, que ce qu’il

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est, tache d’étouffer dans nos mal-heurs la bassesse de
son origine, & croit que le moyen de iustifier sa conduitte,
c’est d’oter les yeux à ceux qui en ont, & rendre
les langues muettes, de peur d’apprendre vne verité :
Naistre auiourd’huy riche, c’est naistre vne
proye, & venir au gouuernement auec quelque auantage
d’esprit, c’est se faire des ennemis, toutes les grandes
actions sont suspectes, & il semble que pour trouuer
de la seureté, il la faut chercher dans l’ignorance,
ou dans la faineantise.

 

Nous auons tant appris à obeyr, que iusques icy
nous n’auons pas seulement voulu entrer en consideration
du partage que vous faisiez de vos faueurs, vous
les laissant plus libres que ne sont au Soleil ses rayons,
& nous contentans de respecter le charactere de V. M.
aussi bien sur les rochers, que sur les tenebres, & sur
l’argent ; Mais auiourd’huy que nous voyons les plus
delica’ts interests du Royaume entre des mains moins
nettes que nous voudrions ; Que pouuons nous faire
autre chose dans vne clameur si publique, que les rusez
dissimulent, les miserables endurent, les bons deplorent,
& les pierres racontent.

Oû est le temps, SIRE, qu’on entendoit dire ces
belles paroles, qu’il falloit tondre le trouppeau, & ne
le pas écorcher, qu’vn corps trop chargé donnoit du
nez en terre, qu’il n’y auoit tribut comparable aux
precieuses commoditez qu’on tiroit de l’amour de ses
subiets, & maintenant toutes les villes & les campagnes
pleureut les rigoureuses concussions qu’elles ressentent
pour souler de leur fureur & de leur sang, l’auarice

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de quelques particuliers, qui est toutesfois aussi
deuorante que le feu, & plus insatiable que l’abisme.

 

Ie n’aigris point icy nos mal-heurs par vne ampliation
de paroles, ie vous feray voir, SIRE. lors qu’il
vous plaira m’ouyr dans vostre cabinet, les larmes des
provinces qui attendriront peut estre vostre cœur à la
compassion, & ouuriront vos mains aux liberalitez,
que si on n’alteroit point vos bonnes volontez, Vous
seriez assez capable d’acquiter le Ciel de toutes les promesses
qu’il vous a fait sur le bon-heur de vostre Regne.

Ouurez les yeux, que vos predecesseurs ont tant de
fois ouuerts au soulagement de vos pauures Subiets, &
en quelque part que vous les ouuriez, vous ne verrez
que des miseres. N’est ce pas chose estrange que les
esclaues estans vendus quelquesfois à des Maistres humains,
adoucissent l’aigreur de leur condition, par
quelque traittement raisonnable, & qu’il n’y a que le
peuple François qui achepte tous les ans sa seruitude,
que le mesme peuple qu’on rend comptable du bien
que l’on luy a rauy, & tributaire des naufrages de sa
pauureté.

On a pris de là le chemin de l’oppression des Magistrats,
& on c’est persuadé que pour bien faucher le
pré, il faut abbatre les testes des plantes les plus crestus.

Helas ! SIRE, si on crie contre les Sorciers qui
empoisonnent les fontaines, comment nous tairons
nous ; voyant qu’on tache d’enuenimer l’esprit du
Prince, qui est la source de tous les conseils, afin que

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nous trouuions desormais le poison, où nous deuons
trouuer le remede.

 

SIRE, regardez nos bons Roys vos predecesseurs,
& les jmitez, prenez cet Esprit qui lee a fait regner
dans nos cœurs, aussi bien que dans nos prouinces,
separez les flatteurs des vrais amis : Escoutez ceux
dont vous auez reconnu la fidelite dans les forces de
vos prosperitez.

Souuenez vous que vous estes fait pour regner sur
les hommes, non comme homme ; mais comme la
Loy, pour porter vos Subicts dans vostre sein, & non
pas souz les pieds, pour enseigner d’exemple, & non
pour contraindre de force pour estre pere des Citoyes,
& non Maistre des esclaues : Souuenez-vous que les
Roys sont donnez du Ciel pour l’interest des peuples,
& ne doiuent point tant auoir égard à l’estenduë de
leur puissance, qu’ils ne considerent en mesme temps
la mesure de leurs obligations, faites que la grandeur
de Vostre Majesté paroisse dans ces bien-faits, & que
ces belles paroles vous demeurent eternellement au
cœur, Qu’vn bon Prince ne doit rien tant craindre,
que d’estre trop craint.

FIN.

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