Anonyme [1649], TRES-HVMBLES REMONSTRANCES DE LA PROVINCE DE GVYENNE, AV ROY. , français, latinRéférence RIM : M0_3828. Cote locale : A_8_1.
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TRES-HVMBLES
REMONSTRANCES
DE LA PROVINCE
DE GVYENNE,
AV ROY.

A PARIS,
Chez PIERRE VARIQVET, ruë S. Iean de Latran,
deuant le College Royal.

M. DC. XLIX.

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AV ROY.

SIRE,

Ces pleurs qui coulent aux pieds de Vostre
Majesté, sont les seules armes qui me restent pour
destourner la fureur des vostres, & les voix estouffées
d’vn desespoir secret, de qui ie n’ay sçeu obtenir,
quelque violence que ie me sois faite, le cœur ny la
force de vous parler plustost ; il y a long-temps que ie
suis derriere confuse, pendant vostre festin, comme
cette pecheresse, en attendant le moment auquel
vous tournant fauorablement vers moy, vous embrassiez
dans vne seule personne vne fille & vne parricide,
vne sujette & vne ennemie, & qu’en me fassiez
part des ressentimens d’vn Pere, vous me fassiez
aussi ioüyr de toutes les douces protections d’vn
Liberateur.

Si iamais ce cœur veritablement Royal a esté déchiré
par les sentiments de la Nature, & ceux de la
raison ; c’est maintenant, SIRE, que ne pouuant pas
appaiser ce combat si puissant, il doit ceder à l’effort

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de tous les deux, puis que tous deux ne se peuuent
pas vaincre eux mesmes. Ie veux quelquefois considerer
mon erreur presente, & veux aussi me souuenir
de mon innocence passée : mais ie ne puis repasser ces
deux estats de ma vie, sans affliger mon imagination
& ma memoire, & sans vne douleur extréme de me
voir sterile au milieu de tant de vœux qui sont faits
pour vostre prosperité. I’entends de tous costez dans
cette solemnelle arriuée de V. M. dans sa Ville capitale
vn Concert general des cœurs & d’affections,
sans que i’y puisse rien contribuer. Vous auez receu
comme vne grande mer, iusques aux plus petits ruisseaux
de la mesme égalité que le Danube & le Gange ;
& lors que ie croyois d’y porter mon tribut comme
les autres, & d’y arriuer aussi claire & aussi nette
que dans ma source, i’y fais tomber seulement l’ordure
de mes crimes, & m’y rends auec toute l’écume
que iettent les plus furieux.

 

I’aduouë ma temerité le iour de vostre triomphe,
& confesse que c’est moy seule qui iette de la
bouë sur vos images, qui couure vos roses d’vn mortuaire,
qui sallis toute la splendeur de vostre Feste :
mais ie sçay bien aussi que comme V. M. abandonne
tousiours ses victoires, quand il faut qu’elle regarde
dans les miseres de ses Sujets, & ne s’attache point
scrupuleusement à sa gloire, pour trahir sa bonté ; Ce
mépris qu’elle fait si heroïque de la plus illustre partie
de soy-mesme, m’ouure vn accés si commode,
que ce n’est pas merueille si ma presomption oste
beaucoup à vn respect timide, pour laisser tout à
l’espoir d’vne benigne reception.

Les Roys, qui comme les plus instruits aux infirmitez
des hommes, sçauent qu’on ne trouue iamais
l’innocence qu’apres auoir passé par plusieurs crimes,
ne se mesurent que sur les grands employs ; ils n’influent
iamais si largement que sur les terres les plus

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steriles, ils donnent la manne aux deserts, ils font
trouuer l’eau viue au bout des grandes traictes, ils
soulagent les plus recreus : ils imitent Dieu quand
il pese les Cieux auec la palme de la main chez ce
Prophete, & mesure l’estenduë des mers auec le
poing, tant qu’ils peuuent resserrer leurs peines ils le
font, & laissent vn champ large & ouuert à leurs faueurs.
De cette sorte, SIRE, il n’est rien que ie
n’ose attendre de tous ce qui pourra moderer, sans
exclurre les satisfactions deuës à V. M. elle me soutiendra
par tout où ie me verray sur le penchant de
ma ruine, & comme dit ce beau mal-heureux de la
Philosophie à vn Empereur de son temps ; Si par malheur
ie ne puis éuiter de tomber, elle ne permettra
iamais que l’on me precipite ; mais elle me portera
plustost doucement à terre par la moderation de ses
diuines mains. Ie sçay que sa Iustice trouuera ma
cause bonne, ou que sa Clemence l’en fera.

 

Qui mensus
est pugillo aquas,
& cœios
palma ponderauit.
Isa.

Ce n’est point mon dessein de vous entretenir ce
iourd’huy du combat que rend vn grand Prince contre
la bonne fortune, mais plustost de ce qui fait la
grande fortune d’vn Prince, quand il peut vaincre &
la fortune, & soy-mesme. Toute la terre est assez instruite
du bon heur & de la gloire qui accompagnent
par tout vos armes, & quand tous les hommes deuiendroient
muëts, il est impossible de fermer la bouche
à tant de belles actions, dont le recit sera plustost
le desespoir, que l’exemple des siecles à venir :
mais il y a peu de gens, SIRE, qui sçachent ce glorieux
auantage que V. M. doit remporter sur elle-mesme,
quand touchée de mes larmes & des soumissions
d’vn Peuple, qui n’a iamais perdu les veritables
sentiments deuës à sa dignité, (bien qu’il semble
quelquefois auoir pris des moyens contraires à
son intention) elle doit faire voir à tout le monde,
que comme le métier eternel de Dieu est de veiller

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sur le salut des hommes sa premiere inclination a
esté d’appreudre à bonne heure à les sauuer, & de
faire son premier pas à la Royauté d’vne vertu par où
les autres sonnent leur retraite, & de laquelle ils font
le dernier seau qu’ils apposent à leur vie.

 

Ie sçay que c’est le deuoir des Roys d’oster promptement
le mal & les meschants, afin de mettre les
bons en seureté , & que pour marcher quelquefois
trop lentement à la vengeance, ils ouurent le chemin
à de nouuelles iniures, & donnent sujet de croire
qu’ils les ont meritées. Si l’Escriture saincte condamne
au desinteressement ceux qui apres auoir ouuert
vne cisterne, & n’ont pas le soin de la boucher,
sont cause que du bétail y tombe dedans ; à plus forte
raison est-il iuste que ceux-là payent le dommage,
qui pour auoir fait vne bréche à l’authorité Royale,
attirent par ce piege leurs freres & leurs voisins à leur
perte. On peut dire que la France auoit esté iusqu’icy
à l’espreuue des offenses & des enuieux, & comme
l’or qui est le dernier ouurage du Soleil, & ne peut
se conuertir en autre substance, ne deuoit pareillement
prendre aucune autre forme que celle qu’il a
receuë auec son origine d’vne main du Ciel. Mais,
SIRE, si c’est confesser hautement vostre grandeur,
que de peindre naïfuement ma misere, l’vne ny l’autre
ne peuuent souffrir d’autre satisfaction que la connoissance
de mon erreur : C’est en vain que les Roys
seroient ordonnez dans le monde pour les Dispensateurs
des bonnes & des mauuaises destinées, si le
principal mouuement de leur ame n’estoit la pitié, &
s’ils ne faisoient voir vn cœur aussi grand que leur
fortune dans l’vsage des Loix, dont ils doiuent estre
les Sujets, s’ils ne veulent deuenir leurs Tyrans.

Exod. 22.
23.

Dieu qui déja, par vne grace dont la force deuance
les années, a remply vostre esprit de toutes les
connoissances qui doiuent éclairer vos Peuples, &

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par ce diuin secours a soutenu tout ce qui pouuoit
tomber dans la foiblesse de vostre âge, n’y a pas donné
inutilement ces brillans, sans mettre à mesme
temps tout vostre cœur en feu, pour le soulagement
de vos Su jets. V. M. sans doute a les premiers & les
plus vifs ressentiments des maux qu’ils souffrent : elle
en fait des playes à sa bonté, d’autant plus dangereuses,
qu’outre le lieu de leur situation, qui est vne
partie extremément delicate & sensible ; cette grande
dilatation d’esprits peut causer vne foiblesse si generale
dans tous les membres, que tout le corps
tomberoit en vne espece de paralysie. Ie voy qu’elle
commence d’examiner serieusement ces lettres
publiques, qui tombent tous les iours à ses pieds :
elle interprete d’vne intelligence merueilleuse, &
auec beaucoup de force d’esprit ce langage des simples,
qui n’est autre chose que celuy de Dieu, & où
il y a si peu de fard & si peu d’affectation, qu’il ne faut
pas estre extraordinairement lumineux pour iuger
d’vne patience irritée, qui a veu sans dire mot passer
depuis longues années ce triomphe de la calamité
des viuants, mais qui est tantost preste de faire vne
discussion rigoureuse de tout ce qui s’est passé, &
commence d’ordonner à ces assistans de son thrône,
de se retrousser iusques au coude pour épreindre à
force de bras ce sang qui est caché dans les plis de ces
beaux habits, qui a fait la plus viue couleur des tapisseries,
& le plus beau vermeil doré qui soit sur les
buffets.

 

In alis tuis
inuentus est
sanguis.
Isa.

Entre les derniers exemples que ce siecle a donnez
de fidelité & de patience, ie pense, SIRE, auoir
esté seule ce theatre de la Nature, où Dieu a pris
son plus grand diuertissement, & comme dit ce Sage ;
Il a quitté pour l’amour de moy ses ouurages,
pour regarder auec admiration sur vne heroïque
vertu. Tout ce qu’on a dit de cette Sidonienne,

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(quand par vne grande estime qu’elle conceut de la
vertu & de la saincteté d’vn Prophete, elle donna ce
qu’elle auoit d’asseuré dans les mains, pour s’attendre
à l’incertain, & s’arracha à elle & à ses enfans vn
pain cuit sous la cendre, qui luy restoit seul dans sa
maison) n’égale pas cét amour aueugle dont i’ay par
tout accompagné le progrés de vos victoires, sans
vouloir iamais esplucher la fin ny le sujet de tant
de guerres, me persuadant qu’il en est de ces hautes
veritez, comme de toutes celles qui reposent dans
la nuict & dans le silence, dont la profondeur est la
punition des plus clairvoyans, & profitent tousiours
mieux à ceux qui les sçauent bien ignorer, qu’à ceux
qui s’efforcent de les mal connoistre.

 

Digni nisi
sumus adeo
in quibus
experiretus
quantũ humana
natura
pati porest.
Sen. de
Prou.

Il est donc tres veritable, SIRE, que cette necesté,
qui n’a point de Loix, a tousiours trouué chez
moy de l’obeïssance. I’ay tout caché par ma modestie,
i’ay tout estouffé par mon silence : Ma langueur
a presté tout le consentement qu’a pû souhaitter la
haine de mes ennemis : Le nombre de mes maux
n’en a point diminué la violence : La varieté a rien
esté de leur excés : Tout ce qu’il y a [Illisible.] & d’amer
au monde, de laid & de beau, est entré indifferemment
dans mon esprit, comme dans vne mer de
douleurs, sans changer ny sa couleur, ny son goust,
iusques à ces derniers temps, SIRE, que par vne
secrette necessité, autant inconnuë aux plus éclairez,
qu’ineuitable aux plus heureux (& qui me fait
penser quelquefois qu’il en est des changements des
Estats, comme des maladies populaires & siderées,
qui malgré les remedes & les soins, veulent auoir
leurs cours, & n’abattent rien de leurs periodes, ny
de leurs forces, que par la main inuincible du Souuerain)
i’ay veu respandre mon sang & mes entrailles
parceux mesmes, qui se deuoiẽt tous donner pour
la defense de vos Estats ; l’amour de la patrie esteint,

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l’interest de leur propre gloire oublié, le respect
qu’on doit à Dieu abandonné, l’honneur des filles
rauy, les vieillards exposez à la fureur des armes,
ceux qui sont dans vn âge plus innocent à la tyrannie
& aux fers, les villages tous en feu, les campagnes
desertes, les Autels démolis, la licence & le
meurtre auoir estouffé les Loix & les actions de la
Iustice, & reduit les choses à vn tel poinct, qu’il y
faut tolerer les impudents, de peur que par vne irreuerence
effrenée, ils ne sortent tout à fait hors de
leurs gonds.

 

Quel malheur, SIRE, que tant de mauuais
esprits alienez de la droicte regle de leurs deuoirs,
songẽt de faire leur buchet de ce mesme lieu qui leur
a fourny de berceau, & cherchẽt à s’enseuelir dans le
sein de la mere qui les a portez ? Que dans vn temps
où chacun deuoit conspirer de tout son cœur au
bien & à la felicité de vostre Royaume, les factions
& les inimitiez particulieres ayent tellement affoibly
vostre puissance, qu’il ne reste plus d’obseruation
pour vos Loix, plus de respect pour vos Edicts, plus
d’obeïssance parmy vos Peuples ?

Ie ne puis iamais songer à cette furieuse ialousie
qui regne parmy les Grands, ny à cette delicatesse de
plaisirs mal digerez, qui fait qu’ils deuiennent mesmes
impatiens dans leur repos, que ie ne me remette
deuant les yeux ce qui arriua durant la minorité de
Iacques second Roy d’Escosse, & les contestations
qui furent entre le Chancellier & le Vice-Roy, pour
voir à qui demeureroit la premiere place dans le gouuernement.
L’vn & l’autre s’aduiserent enfin, que
par leurs querelles particulieres ils auoient fait perdre
toute l’authorité du Prince : Et le Vice-Roy vn
iour, comme le plus genereux & le plus touché des
malheurs de son païs, luy tint ce beau discours, que
Bucanan rapporte en son Histoire, en plein Conseil,

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& deuant les principaux du Royaume, auec beaucoup
de chaleur.

 

Lib. 2. de
son Hist.

« IL y a long temps, Monsieur, que vous & moy
tenons les yeux de toute l’Escosse arrestez sur
nous, & que nous donnons occasion aux enuieux
de nostre fortune de nous imputer tout ce qui luy
est arriué aussi bien ce qui est ordonné par des fleaux
du Ciel, que ce qui ne se peut euiter par le cours ordinaire
de la Nature : Ils ont de leur costé tout le sujet
de raualer nos meilleurs succez, & de se réjoüyr
des plus mauuais : & bien que l’vn & l’autre en cette
occurrence n’ayons iamais senty aucun mouuement
d’auarice ny d’ambition, mais seulement cherché la
gloire d’agir seuls & sans compagnon, ils n’ont pas
laissé de noircir nos plus sinceres procedez, & de
donner vn faux visage à nos plus sainctes intentions ;
tellement que le seul moyen qui s’offre à mon esprit
pour arrester leurs mauuais desseins, c’est de mettre
fin à tous nos demélez, & d’étouffer toute sorte de
ressentimẽt que nous pouuons auoir ensemble, nous
ressouuenans tous deux que la vie du ieune Roy
nous a esté laissée en dépost, & le soin de son Royaume
commis dans nos mains ; & comme nous auons
iusques icy fort mal à propos, & contre toute sorte
de deuoir contesté entre nous à qui seroit l’authorité
de la Regence, nous n’ayons autre debat à l’aduenir,
si ce n’est à qui plustost reussira en generosité, & en
modestie. Pour lors le peuple, Monsieur, qui auec
quelque raison nous a tenus pour les sources de ses
malheurs, nous benira : la Noblesse, qui mesure son
pouuoir par l’impunité de ses crimes, redoutera la
force de nostre exemple : tous generalement viuront
dans la crainte des Loix, & nostre vnion sera le nœud
indissoluble qui les maintiendra. De ma part ie vous
laisse franchement la garde du Prince, ayez-en toute

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la gloire, le pere aussi bien de son viuant a témoigné
en beaucoup de rencontres par des iugemens honorables
l’estime qu’il faisoit de vous ; & ie vous diray
aussi qu’autant de fois que ie regarde le poids & l’importance
d’vne telle charge, ie considere que ie n’ay
pas grand sujet de regretter la perte de mes épines,
& que ie seray plutost soulagé que marqué de quelque
infamie, quand ie la resigneray toute entre vos
bras. Si en vostre particulier, Monsieur, vous m’auez
fait quelque tort, Dieu sçait comment ie quitte
pour ce regard toute animosité, & comme quoy il
ne me restera iamais rien en toute ma vie qu’vne inuiolable
fermeté au seruice de l’Estat : mais si vous
en auez receu de moy, permettez que des gens
d’honneur & de lumiere prononcent là-dessus. En
cas que vous soyez de ce sentiment, il ne tiendra pas
à moy que nous ne commencions dés ce moment à
nous mettre en repos, & à dõner à toute l’Escosse celuy
qui luy est necessaire pour fermer les playes que
nous luy auons ouuertes par nos dissensions : que si
vous auez encor quelque pensée contraire, ie prens à
témoin tout ce qu’il y a d’ames vrayement sousmises
en ce Royaume, comme ie suis tout prest à luy rendre
non seulement le bien que ie suis obligé de luy
procurer par le deuoir de ma naissance, mais encore
à éloigner par ma charge le mal qu’il souffre, ou celuy
dont il est menacé. »

 

LA Réponse du Chancellier ne fut pas moins
animée : « Il protesta du fond de son cœur, Que
comme son salut propre ne luy auoit iamais esté cher
qu’entant qu’il pouuoit deuenir vn moyen necessaire
à celuy de l’Estat, & qu’il n’auoit armé que pour vne
commune conseruation il deposoit aussi sans aucune
repugnance, toute sorte d’aigreur aux pieds de
cette consideration publique ; qu’il estoit fort vray,

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qu’il auoit reconnu depuis long temps que tant
de brigues & de partialitez estoient les pestes d’vn
Royaume bien affermy ; que par là les gens de bien
auoient esté exposez à la violence des meschans ; que
tout ce qu’il y a de vicieux aux nouueautez y auoit
pris racine ; que l’Ecosse en estoit en proye, la dignité
Royale dans le rabais, la vie du Prince mal asseurée,
toutes les bonnes choses ou dans la negligence,
ou dans la corruption : mais afin de ne reprendre pas
plus haut les causes de leurs inimitiez, il en faisoit
vn sacrifice à Dieu, à sa Patrie, au bien de l’Estat, &
n’auroit rien tant en recommandation pendant sa vie,
que d’entretenir vne paix inuariable parmy ces Peuples,
leur donner vn calme fort profond, & acquerir
pour soy vn amour vniuersel. »

 

Ce consentement, SIRE, fust vne source feconde
en toute sorte de biens, & l’on les vist tous
deux bien tost apres trauailler à force de bras, seruir
sans relasche, & regner sans plainte. Bien qu’ils ne
fussent pas tousiours ensemble, ils ne manquoient
iamais de se rencontrer en idée quand il falloit procurer
quelque bien à la Couronne ; c’estoient deux
Cadrans qui marquoient des grands espaces sous vne
mesme ligne : ou à mieux dire c’estoient ces deux Associez
qui furent autrefois dans l’Empire, à qui le Panegyriste
disoit ces belles paroles, Ita vt Consilium
pectoris vnius habeatis & vterque vires duorum, vn mesme
esprit vous fait remuer, vn mesme cœur vous fait
viure : mais quand il faut que vostre action se separe,
quoy que tous deux ne soient qu’vn, vn seul paroist
neantmoins auoir la force de tous les deux.

Pacat.

Ie ne veux pas éclaircir dauantage, SIRE, cette
comparaison, & à l’exemple de Dieu, qui agit egalement
dans sa conduite, & n’est iamais acceptateur de
personnes ; ie veux que tout le monde sçache, que

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ce qui se dit du general sans mensonge, peut tomber
dans le particulier sans flatterie. Il est vray que pour
estre dans vn temps où l’on fait estat de tout dire, l’on
y doit par mesme moyen faire estat de tout croire : la
mollesse des esprits a mis la médisance au plus haut
point de son débordement : elle déchire tous les iours
à la pudeur iusques à sa derniere chemise ; elle la va
attaquer sur la derniere table de son naufrage : c’est
pourquoy i’aime bien mieux m’exposer au reproche
de ceux qui blasmeront ma retenuë dans vn siecle licentieux,
que de contenter leur curiosité au preiudice
bien souuent de la verité & de l’honneur de quelques
vns, où Dieu laisse du respect & du caractere
mesmes quand ils sont affligez : ie me ressouuiendray
tousiours de ce que l’Ange dit au Diable, contre lequel
il dispute du corps de Moyse : Honorez les Puissances,
& reuerez le doigt du Souuerain qui s’imprime sur
leur front.

 

Non est ausus
iudiciũ
inferre blasphemiæ.
Iua. Apost. 8.

Ce n’est pas, SIRE, que ie ne doiue asseurer
Vostre Maiesté, du déplaisir qui reste aux vns & aux
autres, d’auoir trahy vos plus chers interests. Cette
pensée de vostre amour, resoudra doresnauant les
plus endurcis. Le moindre manquement de soubmission
& de reuerence à tout ce qui porte vostre marque,
leur parestra comme vn monstre. Ils apprendront
à ne iuger pas de ces especes qui ont l’honneur
de vous representer si temerairement ; & si quelque
fois elles manquent de la bonté qu’elles doiuent auoir
au dedans, (comme bien souuent il y peut auoir
du plus bas alliage des creatures en ce qui les forme)
il leur suffira de sçauoir que c’est auoir par tout du
cours, que d’estre graué de vostre coin. Ils sont desia
persuadez qu’il n’y peut iamais auoir en matiere d’Estat
de petites fautes ; que le moindre faux pas ouure
vn precipice ; que le doubte le plus leger y fait naistre
vn schisme.

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Ie souhaitterois pouuoir faire vn Tableau de la
contusion qui les enuironne, à vostre imagination, &
ie m’asseure que Vostre Maiesté ne seroit pas longtemps
sans voir dans la leur, l’horreur de tout ce qu’ils
ont iamais pensé : si cette vagabonde iusques icy n’a
sçeu donner aucun frein, ny aucun terme a ses sallies,
la vengeance qu’elle prend, SIRE, de soy mesme,
par l’abus de tout ce qu’elle a iamais dit ny imaginé,
surpasse de beaucoup les peines de vostre iustice, & les
souhaits que vous pourriez faire à son desauantage :
vous la verrez tousiours dans vne forte créance du
bien de vostre seruice, & la haine qu’elle porte à toutes
ces vaines illusions qu’elle a iamais enfantées ; n’est
pas moindre que celle de cette maistresse d’vn de nos
Princes, à qui apres qu’elle luy eut fait ce monstre,
dont parle l’Historien, elle en conçeut tant d’horreur,
qu’il ne luy fut iamais possible d’oster de son souuenir
cette image, d’vne malheureuse secondité.

Histoire de
France,
dans la vie
de Robert.

Ouy, SIRE, vostre vertu & leur crime sont auiourd’huy
au plus haut point où ils se peuuent faire
voir tous deux, l’vne en pesant sa gloire, & l’autre en
pesant son dommage. La premiere à fait voir par le
peu de soin que vous auez pris à retirer vos satisfactions,
ce qu’elle peut elle seule, sans secours contre
l’iniustice : elle a tousiours fait la plus grande consolation
des malheureux iusqu’icy par la pensée de leur
innocence, & c’est elle aussi qui iette le respect & la
crainte dans l’ame des assassins, qui de la seule froideur
de son maintien, a desarmé les rebelles de ce Royaume,
& auec vne Auguste presence, a ruiné tout ce qui
s’opposoit au cours de vos fleurissantes prosperitez.

Vostre Majesté pouuoit en me priuant de ses bonnes
graces, m’oster par iustice vne chose qu’elle m’a
seulement accordée par grace ; les moyens pour y
reussir ne luy ont iamais mãqué, quoy qu’en puisse iuger
vne saison pleine de blasphemateurs, qui ne m’a iamais

-- 15 --

mieux fait ressouuenir que dãs Paris, de ce temps
où ces sales animaux déborderent par vne playe du
Ciel sur toute l’Egypte, iusques à ramper sur les Licts
de soye, & sur la vaisselle d’argent de Pharaon ; il n’est
rien de si pur ny de si exempt du commerce, qu’ils
n’ayent sally de leur attouchement. Ils ont fait à leur
Roy des bras plus courts qu’à l’ordinaire, & ont donné
toute sa moderation à son impuissance ; ils n’ont pas
pris garde à ce qui combattoit plus fortement ses meilleurs
inclinations, quand par vne guerre intestine conduite
pourtant par de puissantes raisons de pieté &
de iustice, elle voyoit bien qu’elle ne pouuoit arriuer
dans son Thrône, qu’en se faisant des marches des
corps de ses suiets.

 

Et ascenderunt
ranæ,
operuervn[1 lettre ill.]
quæ terra[illisible]
Ægypti.
Exod. 8.

Ie songe quelque fois, SIRE, mais en transsissant
d’horreur & d’estonnement, aux rauages qu’eust fait
cette colere du Ciel, si par l’abaissement & la penitence
de tout ce qu’il y a d’Ames Chrestiennes en vostre
Royaume, elle n’eust tout a coup disparu auec tout cét
épouuentable appareil, qui va fondre sur l’Vniuers,
quand le comble de ses pechez est rempli. Ie voyois
que des enfans estoient reseruez pour estre la proye &
les dépoüilles de leur pere, & ne pouuoient manquer
d’estre amenez chargez de chaisnes, deuant celuy qui
leur fait porter par honneur le collier d’or ; que leur
vie alloit estre le bien & l’vtilité d’vne victoire bien funeste,
puisque celuy qui en deuoit ramasser tout le
fruict, en deuoit aussi courir toutes les risques, & commencer
sa deffaite par soy mesme, par sa douleur & par
son chagrin. Ie voyois que la France, qui est ce beau
rameau d’or de la Siby le inuincible, par les âges & les
hyuers, qui n’a iamais esté arraché de son arbre par la
force, & quand il a esté pris ç’a esté tousiours par
vne main qui auoit le bonheur de son party, s’alloit
consommant dans le feu d’vne querelle ciuille, & ne
laissoit que de tristes cendres, pour preuue de l’eternité

-- 16 --

d’vn nom aussi ancien que celuy de la liberté. Ie
voyois que tant de lauriers alloient tomber dans la
bouë, tant d’auantages perissoient à la rade & à la veille
de surgir à vne bonne Paix ; qu’enfin tout ce qui
vous apartient par amour, n’y retournoit que par seruitude,
& qu’il n’y auoit plus d’esperance pour tous
ces Peuples qui estoient nez libres, de mourir comils
auoient vescu.

 

C’est le déplorable estat qui se faisoit voir à mon
esprit, d’vn regne acablé par son propre poids, qui iusqu’icy
auoit tousiours senty l’ancienneté de son extraction,
n’auoit eu que la iustice pour rempart, que le
bonheur & l’abondance pour limites : & ne doit craindre
aussi sa déroute, que dans vn embrasement general.
Mais voycy ce qui la bien tost fortifié, SIRE, c’est
vne vision agreable des plaisirs de vostre ieunesse ;
c’est de voir que vous auez nourry vos plus tendres
inclinations dans la mansuetude, & la douceur enuers
les ennemis, qui est cõme la moisson des vertus Royales,
les autres n’en estant que les semences & les dispositions ;
de voir que Vostre Maiesté s’est consacrée
par l’experience des plus acheuez ; que comme cette
vigne de l’Isle de Naxe, elle a donné les fruicts aussi
tost que les fleurs ; qu’elle s’est épanduë par tout dans
sa source ; & a paru dans son point du iour d’vne grandeur
aussi droicte & aussi eleuée, comme dans son midy.

Il me semble que ie serois trop criminelle, si ie n’auois
tousiours resisté à l’opinion, qu’elle fust capable
d’acceprer l’employ d’aucune vengeance, & ie n’ay
pas manqué de me donner toute à cette pensée, qu’vn
cœur qui sembloit estre nay pour porter la gloire du
monde, ne la soüilleroit iamais dans la mauuaise fortune
de ses suiets. Ie me suis tousiours persuadée que
vous choisiriez plutost de demeurer vn Roy pour
pour iamais offensé, que de deuenir vn vengeur irrité ;

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qu’il seroit plus digne de vostre Grandeur de garder
des Rebelles impunis, que regner sur des Esclaues
obeïssans. Il est vray qu’en choquant vostre dignité,
i’ay fait tous mes plus grands efforts, puisque cela ne
se pouuoit faire, sans rompre toutes les attaches qui
me retenoient à mon deuoir : mais Vostre Maiesté
en a-t’elle fait de moindres, lors que pour arrester
ces tributs que sa Iustice exigeoit d’elle, elle
s’est faite la plus grande violence qui sera iamais ? Ie
m’estois dérobée à vne Puissance legitime, par le crime,
lors qu’elle s’est arrachée à elle mesme par la compassion.
Elle m’a offert la grace que ie deuois rechercher,
& m’a mis en estat de deuoir à ses bontez, plutost
qu’à mes soins mon rétablissement : ç’a esté pour
moy vn Soleil qui s’est leué sans estre reclamé, qui s’est
excité de luy mesme, & à qui il a fallu plutost faire des
remercimens que des prieres : ses tendresses l’ont portée
au point de prendre mes raisons plutost que mes
soumissions, & de souffrir que mon droict luy fut representé
auant que mon hommage ne luy fur rendu :
de telles extraordinaire generositez n’ont pas de nom
qui les puisse exprimer ; mais pour moy ie dis que c’est
ietter son bien dans la mer, pour le recueillir sur le riuage ;
c’est se faire des meurtrissures pour s’exciter à la
pitié, c’est s’embellir dans ses defauts, c’est estre tranquille
dans sa guerre, & riche dans sa sterilité.

 

I’auois merité de perir par les Armes, si Vostre
Maiesté n’eust moins aymé me frapper de leur éclat
que de celuy de sa veuë, & me soumettre à la force
qu’à l’Amour. Elle s’est ressouuenuë qu’entre tant de
Monarques, il n’y a qu’elle seule qui ait fait son Char
de Triomphe de son berceau, & ses langes de ces rubans
qui artachent les lauriers. Il n’y a qu’elle de qui
on puisse dire que le premier iour de sa vie n’a pas fait
celuy de sa naissance, & que le dernier aussi ne fera pas
sa vieillesse. Ce n’est pas sans raison qu’elle veut conferuer

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soigneusement ce tiltre glorieux de Pere de la
Patrie, puis qu’en effet elle l’est en vn temps où les
autres sont à peine connus pour estre les fils de
leurs propres Peres, & qu’elle peut dire ne se souuenir
pas si elle a commencé de viure, plutost que de
triompher, apres qu’au premier pas qu’elle a iamais
fait, elle a porté ses bornes plus loin que les autres
n’ont porté leurs desirs.

 

Il ne reste plus à Vostre Maiesté, qu’à gagner sur
elle, ce que persõne n’y peut remporter, & en donnant
la Paix à la France, de remettre tant d’affaires que la
fureur à esbranlées, & d’en soutenir d’autres, que la negligence
laisse choir. La faim a mis tant de Peuples
à l’extremité, qu’il est à craindre qu’ils ne cherchent
leur dernier salut dans le desespoir ; ie dis mesme,
SIRE, en ce qui regarde le repos de leurs ames, qui
en contractant quelque dureté dans les guerres, peuuent
tomber dans vn mépris des choses sacrées. Mal-aisément
peut-on songer à bien viure, quand on a de
la peine à viure seulement, & les Preceptes de la Sagesse
sont d’ordinaire courts, & insuffisans à des necessiteux.
Faites, grand Roy, qu’ils puissent dõner autant
de benedictions sur la felicité de vostre temps, que de
celuy de l’Empereur Auguste, quand il disoit, qu’il
aymoit mieux escouter vn Artisan qui loüoit sa prouidence,
& sa douceur en vne mauuaise saison, que la
voix d’vn Panegyriste, qui recitoit à la posterité les
merueilles de ses actions. Encore faut il que le lierre
embrasse quelque iour le fer du Tyrse, & que cette
pitoyable Déesse, qui par quelque malheur s’est arrestée
au fonds de la boëtte de Pandore, en sorte auec
ses plus fauorables regards, & fasse voir au monde ce
qu’il y a de richesses & de plaisirs : si nos ennemis s’opiniatrent
dauantage, ils apprendront que le sang des
Frãçois ne se donne pas, mais qu’il se vend bien cherement,
& que là où la fortune leur manque, le cœur ne

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leur mãquera iamais. L’heureux retour de Vostre Maiesté
dans sa ville capitale, suiuy des acclamations de
tant d’Ames (qui comme des fleurs fermées durant la
nuit de vostre absẽce, se sont ouuertes au leuer de leur
Soleil,) ne leur cause pas moins de douleur que d’admiration :
ils n’ont que trop épreuué que pour tenter
souuent le bõheur, ils l’ont rebuté ; desormais ils n’auront
plus tant de foy sur ce temps qu’ils disent estre
leur instrument aux grandes choses, & leur fidelle second
pour venir aux fortes executions. Ces fausses
promesses les amusent par l’Esperance de quelque reuolution,
comme les femmes qui s’entretiennent en
idée du plaisir des secondes nopces auant la mort de
leurs maris : mais quelque mõtre éclatante qui les flatte,
il ne leur sera iamais honteux en demãdant la Paix,
de demander vn bien egalement vtile à tous : & d’autant
plus honorable, que quand bien auec la victoire
en main, il seroient en quelque droict de le distribuer
seuls, ils ne feront iamais vne si grande grace qu’ils
n’en retiennent la meilleure partie pour eux.

 

Cogitare
de secundis
nuptiis marito
superstire.
Sacrũ.

Cette estroite vnion arriuant, il se doit faire à mesme
temps vne heureuse conionction dans le Ciel de
ces deux astres qui par leur opposition ont tenu iusqu’icy
les affaires de l’Europe diuisées, & deux Princes
dans la mauuaise humeur. De ce mariage eternel dépend
tout le renouuellement des saisons, le calme des
Mers, la fertilité de la Terre, le salut des Nations,
l’eternité des choses, les douceurs & les richesses du
genre humain. Les grandes Puissances seront à l’aduenir
iustes, & les petites seront modestes. Ceux qui
auoient marqué par le Nil & par l’Eufrate, les bornes
de leur Empire, arresteront cette ambition déreglée,
qui fait qu’ils se fuyent tousiours eux mesmes fans se
pouuoir attrapper, ennemie de la liberté naturelle,
source d’autant de seruitudes que de pretentions, &
ouuriere d’autant de chaisnes qu’il y a de desirs.

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Dans cette face nouuelle que vous donnerez au
monde, par vne profonde Paix, i’auray vn bonheur
tout particulier de vous auoir offensé, puisque vous
n’estes iamais si fauorable, que lors que vous estes plus
irrité, & que lors que vous auez plus de pouuoir à nuire,
c’est lors que vous en auez moins de volonté. Vôtre
plus grande ioye, SIRE, c’est de ce qu’il n’y a que
les enuieux de vostre gloire, qui peuuent deuenir les
persecuteurs de vostre repos, & qu’ainsi vous ne sçauriez
receuoir de l’outrage, sans receuoir beaucoup
d’honneur. Vostre Majesté en épargnant ma vie, n’a
pas voulu deuoir sa satisfaction à sa vengeance, ny deuenir
inhumaine, parce que ie deuenois ingrate. Elle
ne croit pas, comme il est vray, que ce soit à vne persõne
publique, de vanger ses propres iniures, & d’estre
mon fleau, lors qu’elle s’est reseruée pour mon dernier
azile : estant comme elle est au plus haut point de sa
grandeur, il ne luy reste plus qu’à se communiquer
largemẽt à ses sujets & de s’interesser toute à leur protection,
lors qu’il semble qu’elle deuroit fondre sur
eux de toute sa pesanteur.

C’est le moyen d’attirer des vœux pour vostre
prosperité, autant qu’on en a formez pour vostre attente,
vostre naissance se deuant donner toute à des
desirs vniuersels, & au prieres d’vne mere qui à esté
toûiours feconde en merites, lors qu’elle estoit sterile
en enfans : delà est venu cette haute esperãce de nostre
Siecle, LOVIS Dieu-donné, le fauory de la Republique,
ce premier né de l’Egypte, en qui repose toute
la gloire de la maison Royale, qui doit vn iour par le
bon heur de sa vie recompenser les suffrages de la nature,
qui apres l’auoir demandé à la Prouidence auec
des souhaits si ardents, le doit tousiours voir & l’admirer
par la memoire de ses vertus.

FIN.

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Anonyme [1649], TRES-HVMBLES REMONSTRANCES DE LA PROVINCE DE GVYENNE, AV ROY. , français, latinRéférence RIM : M0_3828. Cote locale : A_8_1.