Anonyme [1649], TRES-HVMBLES REMONSTRANCES DV PARLEMENT DE NORMANDIE AV SEMESTRE DE SEPTEMBRE AV ROY, ET A LA REINE REGENTE. , françaisRéférence RIM : M0_3833. Cote locale : C_9_51.
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TRES-HVMBLES
REMONSTRANCES
DV PARLEMENT
DE NORMANDIE
AV SEMESTRE DE SEPTEMBRE
AV ROY,
ET A LA REINE REGENTE.

A PARIS,
Par ANTOINE ESTIENE, Premier Imprimeur
& Libraire ordinaire du Roy.

Ruë S. Iacques, au College Royal, deuant S. Benoise.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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TRES-HVMBLES
REMONSTRANCES
DV PARLEMENT
DE NORMANDIE
AV SEMESTRE DE SEPTEMBRE
AV ROY,
ET A LA REINE REGENTE.

SIRE,

LES Officiers de vostre Parlement de Normandie au
Semestre de Septembre, creez par le feu Roy vostre
Pere, establis dans la Prouince par l’Authorité Royale,

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& receus auec la satisfaction generale des Peuples, Presentent
auiourd’huy leurs tres-humbles Remonstrances
à Vostre Majesté, pour luy demander Iustice de la violence
qui les a fait supprimer comme des criminels, &
qui les a voulu immoler à la haine de quelques particuliers.

 

SIRE, ce n’est pas le motif de leur interest, ny le
ressentiment de leur propre mal, c’est le zele immuable
qu’ils ont tousiours eu pour le maintien de vostre Authorité
sacrée, pour l’obseruation des Loix & des Ordonnances
de l’Estat, pour le bien & soulagement de
vos Peuples, qui les ameine deuant le Thrône de Vôtre
Majesté, & qui les oblige à vous faire leurs tres-iustes supplications.
Veritablement s’ils n’estoient touchez que de
leur injure particuliere, ou si leur perte (comme on leur
veut faire croire) pouuoit affermir le repos public, ils seroient
demeurez dans vn silence perpetuel ; quelque grande
qu’eust esté leur douleur, leur patience l’auroit esté dauantage,
ils se seroient eux-mesmes deuoüez pour la tranquillité
de l’Estat, & la gloire de la victime n’eust pas esté
moindre que la ioye de ceux qui la vouloient sacrifier,
Mais à present qu’ils reconnoissent par le sentiment de toute
la France, & par les desirs de tous vos fideles seruiteurs,
qu’il n’y va pas moins de vostre authorité, & de la satisfaction
de vos bons Subjets, que de leur honneur & de leurs
fortunes, Le respect qui les eust rendu muets, les contraint
de parler, & ils croyroient auoir manqué au deuoir de leurs
charges, & violé la Religion de leur serment, s’ils ne vous
representoient les dangereuses consequences de leur suppression,
& les aduantages tres-éuidents que leur conseruation
apportera à vos affaires, & à vostre Prouince de Normandie.

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SVR la fin de l’année mil six cens trente-neuf, s’estant
éleué vne grande sedition à Roüen dont les furieux accez
eussent pû donner de l’émotion à tout l’Estat, si on n’eust
preuenu la violence du mal par la promptitude des remedes,
le Parlement fust interdit en l’année mil six cens quarente,
& receut ordre de se rendre à la suite du defunct Roy
pour sçauoir ses volontez ; Et cependant sa Majesté commit
vn President & vingt Conseillers, tirez de toutes les Chambres
de celuy de Paris pour tenir la place des Interdits. Quelque
temps apres le Roy temperant sa Iustice par sa clemence,
trouua à propos d’y establir vn nouueau Semestre : La
Creation y en fust apportée au mois de Ianuier 1641. Le Parlement
tenu par les Conseillers de Paris, fit ses Remonstrances
sur ce sujet à sa Majesté. Elle luy renuoya ses Iussions :
Enfin il y eust Arrest donné, par lequel ce Parlement verifia
nostre Creation, & en suite il nous receut dans nos Charges
selon les formes ordinaires.

NOSTRE establissemẽt n’a souffert aucune atteinte durãt
la vie de ce grand Roy ; mais si tost que les Anciens eurent
aduis de sa maladie mortelle, ils cõmencerent à faire ioüer
toutes leurs brigues & tous leurs artifices, pour nous enseuelir
auec celuy qui nous auoit crées. Nous ne renouuellõs
point icy le souuenir des menaces qu’ils firent pour nous
perdre, des violences auec lesquelles ils nous traitterent ;
Mais celle qu’ils commirent sur deux Recipiẽdaires est trop
publique, & a eu trop de témoins pour estre dissimulée.
Comme ils estoient dans la Chambre pour subir auec respect
les dernieres épreuues ausquelles leur receptiõ les obligeoit,
les Anciens prirent le premier President à la gorge,
mettans par cette insolence leur chef à leurs pieds, & n’vserent
pas de moindre animosité contre ceux qui se presentoient,

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qui en remporterent d’outrageuses marques sur leurs
habits & sur leurs visages. Le feu Roy eut cette violence en
telle horreur, qu’il commanda qu’on fist le procez à ceux
qui en estoient les Autheurs, & que cependant six des plus
Notez demeurassent interdits. Mais Dieu ayant appellé ce
bon Prince, les mesmes Interdits cabalerent si bien dans le
Parlement, qu’ils se firent deputer pour venir rendre les
respects de cette Compagnie à Vostre Majesté, & à la
Reyne Regente vostre Mere, entre les mains de qui le feu
Roy, par vn tres-sage conseil, auoit laissé le gouuernement
de l’Estat. Ces Conseillers abusant de la foy de leur
Deputation, penserent lors (comme c’est leur coustume) à
faire leur profit du malheur public, Et dans vn temps que
l’esprit de la Reine estoit encor accablé de la douleur d’vne
si grande perte, que toute la Cour estoit en deüil, & toute
la France en pleurs, ils surprirent vne Declaration qui reünissoit
auec l’ancien Semestre, les Officiers du nouueau qui
auoient esté receus, & supprimoit ceux qui ne l’estoient pas
encore, à condition toutesfois que les Anciens viuroient
fraternellement auec les vns, & qu’ils rembourseroient les
autres. Les Deputez estans de retour à Roüen, ils accepterent
tous cette Declaration auec ioye, la verifierent les
Chambres assemblées, la firent publier mesmes en nostre
absence le dixiesme Nouembre 1643. & en consequence
nous distribuerent dans les Chambres, où nous auons seruy
auec eux pendant l’espace de deux ans.

 

SI tost qu’ils furent en possession de cet aduantage, ils
apporterent aussi peu de moderation à s’en seruir, qu’ils
auoient apporte de bonne foy à l’obtenir. Ils ne cesserent
de mal traiter ceux qui auoient esté retenus, ils ne payerent
les Supprimez que d’iniures & d’iniustices sur leurs personnes

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& sur leurs familles : En vn mot, ils s’acquitterent si mal
des conditions, sous lesquelles on leur auoit accordé la reünion
des Semestres, qu’ils se rendirent indignes de la grace
de Vostre Majesté.

 

NOVS ne fusmes pas les seuls qui souffrismes les desaduantages
de cette reünion ; toute la Normandie en ressentit
aussi-tost de tres-grandes incommoditez. Le Semestre estant
reuoqué, on vid renaistre les mesmes inconueniens qui
auoient esté les motifs de son establissement. Car pour ne
rien dire de la trop grande puissance, des violentes brigues,
& de plusieurs autres abus dont la Prouince a sujet de se
plaindre, les Parentez & Alliances qui estoient dans le
Parlement rendoient les Iuges suspects, ou les Iugemens
iniques & passionnez : Les affaires y trainoient auec des longueurs,
aussi preiudiciables qu’ennuyeuses : de telle sorte
qu’il se verifie par les Registres, que les Conseillers de Paris
vuiderẽt plus d’affaires en six mois, qu’il ne s’y en estoit vuidé
par ceux de Normandie en six ans : Les parties estoient trauaillées
par de frequentes éuocations & renuois à des
Parlemens éloignez contre le Priuilege de leur chartre
Normande : Ils ne pouuoient auoir Iustice, que par de
longs voyages, & des dépenses excessiues, au lieu que
pendant nostre Seance ils auoient accoustumé d’auoir
vn prompt Iugement dans leur Ville mesme, sans beaucoup
de frais, & auec équité, par des Iuges qui estans presque
tous Estrangers, ne pouuoient estre corrompus par
la faueur des Alliances, & qui semblables à ce symbole
de la Iustice, que l’on peint les yeux bandez, ne connoissoient
que les causes sans connoistre les personnes.

OVTRE cette incommodité tres-sensible aux particuliers
qui auoient des procez, il y en auoit vne plus

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fascheuse & plus pressante, qui retomboit generalement
sur tout le monde. Les Anciens auoient obtenu & verifié
trois Edicts en mesme temps, qui imposoient de grandes
sommes de deniers sur la Prouince, afin d’auoir dequoy
rembourser les Supprimez. C’estoit vne dépense
bien inutile & bien extraordinaire, de vouloir contenter
l’ambition d’vn petit nombre de personnes, en vn temps
que les necessitez publiques estoient si grandes. C’estoit
vne fascheuse surcharge à vostre Peuple, de payer la suppression
d’vne Compagnie, dont il eust volõtiers achepté
l’Establissement : ce nous estoit vn sensible déplaisir, de
voir qu’ils abusoient ainsi des faueurs de Vostre Majesté,
de la patience des Peuples, & de nos deferences.
Ainsi nostre interest, qui a toûjours esté inseparable
de celuy de vostre seruice, & du bien de vos Subjets,
se trouuant conioint auec ces deux motifs, nous eusmes
recours à vostre Iustice, & nous portasmes au Conseil,
non seulement les plaintes de nostre Semestre, mais aussi
celles qu’eust deu faire toute la Normandie. Il vous peut
souuenir, MADAME, que Vostre Majesté commanda
lors qu’on terminast cét affaire pour n’y plus reuenir ;
Vous fistes examiner à fonds toutes les raisons de part &
d’autre ; Vous voulustes qu’on entendist plusieurs fois
les parties par leur propre bouche. Enfin par Arrest contradictoire,
& par Edict solennellement rendus l’an 1645.
le Conseil ordonna, que les Volontez du feu Roy pour
la Creation du Semestre, seroient entieremẽt executées.

 

SIRE, le restablissement en fust fait le dixiéme Octobre
ensuiuant, dans les reigles ordinaires du Palais, & la
Declaration verifiée en Parlement, en presence de vostre
Premier President, de vostre Lieutenant en la Prouince,

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de trois Maistres des Requestes, de plusieurs anciens qui
estoient du Semestre, sur le rapport du Doyen de la Compagnie,
qui auoit vne Charge ancienne, & sur les Conclusions
de vostre Procureur General. Nous recommençasmes
lors nos fonctions, & nostre Semestre fut enfin
ratifié par tous les Actes authentiques que l’on sçauroit
desirer. Les Officiers des deux Creations ont exercé par
Ouuertures Semestres, les resignataires ont esté receus
aux termes de l’Edict sans aucune distinction, ils ont
opiné, rapporté & presidé les vns deuant les autres, & les
Anciens ont poursuiuy & obtenu pour eux, ou pour leurs
paréns vne infinité d’Arrests, tant en matiere ciuile que
criminelle, qu’ils ont fait executer : Enfin nous auons
receu trente-trois Conseillers de l’ancien Semestre, qui
sont entrez en charge apres nous, & nous auons donné
le charactere à la plus grande partie de ceux qui nous le
veulent oster.

 

AV bout de quatre ans, & le neufiéme de nostre establissement,
comme nous faisions paisiblement l’exercice
de nos Charges, se formerent dans le plus beau iour de
vostre Regne, les nuages & les broüillars qu’vne singuliere
Prouidence de Dieu a dissipez, comme vn malheur
impréueu à toute la Politiqué, les auoit fait naistre.
Vostre Majesté se souuient qu’en ce temps où tous vos
seruiteurs n’estoient pas d’accord de leurs maximes
nostre Compagnie ne hesita point de venir par ses Deputez
vous offrir nos biens & nos vies. Les Anciens au contraire
fondans tousiours leurs mauuaises pretensions sur
toutes sortes de desordres, deputerent premierement
pendant les mouuemens du mois d’Aoust, vn Conseiller
à Paris, sous pretexte de quelques sollicitations, qui
presenta des Factums pour faire inserer l’article de nostre

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suppression parmy ceux qui se dressoient à la Chambre
de Sainct Louis, & mesme fit faire cette proposition aux
Chambres assemblées ; mais elle fut trouuée si peu raisonnable,
& ces Factums si peu respectueux enuers la
memoire du defunt Roy, que l’on n’y eut point d’égard.
Du depuis vos Majestez estans sorties de Paris, ils embrasserent
ardemment cette occasion de poursuiure leur
dessein, & se declarerent les premiers contre vos intentions.
La contagion auoit rendu la ville de Roüen presque
deserte, les Anciens l’auoient abandonnée, & s’en
estoient fuys dans leurs Maisons des champs. Ce danger
extréme ne nous auoit pû donner de frayeur au prejudice
de nostre deuoir, nous y estions demeurez pour rendre
la Iustice, & donner les ordres au peril de nos vies. Comme
le bruit des troubles de Paris arriua, leur ambition
plus forte que la crainte de la mort, les ramena tous en
grand’haste à Roüen, où ils apporterent vne peste bien
plus pernicieuse que l’autre, qui est la faction dont ils
enuenimerent les esprits.

 

ILS ne sont pas plûtost arriuez dans la Ville, que sans
s’arrester ny aux ordres precis de Vostre Majesté, ny à l’vsage
receu, ny à vn Arrest qui leur defendoit de s’assembler,
ils viennent tous au Palais tumultuairement, confondent
les deux Semestres, & s’estans par leur plus grand
nombre rendus Maistres des deliberations, & de la Ville,
ils firent des choses qu’il est aussi impossible d’excuser,
que necessaire de les oublier. Ce fut lors que ne pouuans
nous souffrir pour témoins de ces violents procedez,
non plus que nous ne pouuions endurer d’en estre
les complices, ils donnerent Arrest par lequel ils declarerent
nos receptions nulles, nous firent defenses d’exercer
nos Charges, & à tous vos Subjets de nous reconnoistre.

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Nostre zele opposa en vain tous ses efforts
à leur animosité, ils emportoient tout dans les assemblée
par la multitude, le Peuple qu’ils amusoient de pretextes
specieux, estoit aueuglement emporté par leurs mouuemens,
& vne Puissance armée leur estoit fauorable.
Nous cedasmes donc à la violence, & suiuant vos ordres
nous nous rendismes prés de Vostre Majesté, qui nous
commanda d’aller tenir le Parlement à Vernon, où tandis
que nous trauaillions à détromper les Peuples, & à
vous rendre des preuures considerables de nostre fidelité,
nous apprismes le Traitté que vous auiez accordé à
vos Subjets, & nous sceusmes que nostre suppression
en faisoit vn des articles.

 

APRES tant de choses estranges que ce temps de déreglement
auoit produites ; ce coup à la verité ne nous
estonna pas, quoy qu’il nous surprist, la playe nous sembla
glorieuse, parce que nous la receuions pour vostre
seruice ; & la crainte que nous auions d’apporter le moindre
obstacle à la Paix si necessaire à l’Estat, nous arrestant
la voix & le mouuement, nous differasmes d’en faire nos
plaintes, & d’y chercher les remedes. Aujourd’huy, SIRE,
que les rayons de vostre Authorité ont dissipé toutes ces
foibles vapeurs, & que les sages cõseils de vostre Regence,
MADAME, ont rendu le calme à ce Royaume, nous
croyons qu’il est temps de presenter nos tres-humbles
Requestes à vos Majestez, osans nous promettre, que
comme il vous a pleu faire grace aux coulpables, qui ne
se mettoient pas en estat de la demander, Vous ne refuserez
pas de faire Iustice aux innocents qui la demandent
auec toutes les soûmissions & les respects qu’ils
peuuent rendre à leur Souuerain.

L’EQVITÉ de nostre cause est si visible, & nostre

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droict si éloquent de luy-mesme, que nous n’auons pas
besoin d’étaler auec apparat, toutes les raisons auec lesquelles
nous les pourrions soustenir ; Nous supplierons
seulement Vos Majestez, de considerer si nostre establissement
est bon, & quelles sont les machines dont on se
veut seruir pour le ruiner ; & lors que nous aurons fait voir
les solides fondemens sur lesquels il est appuyé, nous
sommes asseurez que tous les moyens que les Anciens
ont employez pour le destruire, se trouueront trop foibles
pour luy donner aucune atteinte. Le premier fondement
de nostre creation c’est l’authorité Royale, qui
est la baze de toutes les loix, le principe de tout ce qui se
produit dans vne Monarchie, qui n’a rien du tout à costé
d’elle, qui n’a au dessus d’elle que Dieu, & qui ne peut
estre controllée que par la Toute-puissance dont elle est
la plus noble Image. L’autheur de nostre creation, SIRE,
c’est le feu Roy vostre Pere, ce grand Roy, si religieux, si
sage, si puissant, si équitable & si bon, Qui examinoit
tous ses iugements à la balance du droict, qui formoit
tous ses conseils à la lumiere de la Prudence & de la Politique ;
Ce grand Roy qui a rendu la France si florissante,
qui a forcé toute la terre de craindre ses vertus, ou de les
adorer, dont la vie enfin a esté si irreprochable & si saincte,
que le Ciel pour l’amour de luy, n’a fait de tout son
Regne qu’vn iour solennel de victoires & de triomphes.
Est-il donc possible qu’il se trouue auiourd’huy des François
qui reuoquent en doute le pouuoir de leur Roy, en
choquant vn établissement qui en procede ? L’ambition
de quelques-vns, ose-t’elle bien demander qu’on touche
aux actes d’vn si glorieux Monarque ? & ses propres Subjets
n’ont-ils point de honte, d’offenser ainsi sa memoire,
qui est en veneration mesme parmy ses ennemis ? Vouloir

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supprimer vne Compagnie qu’il a establie, c’est luy
rauir le titre de IVSTE, que tout l’Vniuers luy a donné ;
s’opposer à l’effet de ses Volontez royales, c’est empescher
en quelque façon qu’il n’ait regné. Vostre Majesté
ne permettroit pas sans doute, que l’on renuersast son
tombeau, que l’on abatist ses statuës ; Les plus solides
monuments, les plus veritables statuës des Roys, ce sont
leurs actes & leurs ordonnances ; Et cependant les anciens
entreprennent aujourd’huy, de ruiner l’vn de ses
plus celebres ouurages, & sont mesme si imprudens,
qu’ils veulent obliger le fils à profaner les cendres de son
pere.

 

SIRE, nous auoüons qu’en France les Subjets n’ont
aucun droict de demander raison à leur Roy de ce qu’il
leur commande, & que sa Volonté passe pour souueraine
Loy : Ainsi ce seroit assez pour iustifier nostre creation,
de dire que LOVIS LE IVSTE l’a ainsi voulu ; Et toutefois
si les anciens pretendoient obliger leur Souuerain
à leur rendre compte, on pourroit bien leur faire
des réponses sur ce sujet, qui seroient aussi veritables que
peu aduantageuses pour eux. Le Parlement de Normandie
peu apres sa creation par le Roy Louis XII. viola l’innocence
de son premier âge par tant de concussions,
qu’il merita d’estre interdit l’an 1540. & ce chastiment
l’ayant noté non pas corrigé, il en a encor depuis souffert
plusieurs autres pour diuers abus. Dans les mal-heureux
troubles de la Ligue, il porta hautement le flambeau de la
sedition, iusqu’à donner vn Arrest plain d’insolence contre
le Roy Henry le Grand ; Et le Conseil de Vostre Majesté
n’ignore pas, auec combien d’opiniastreté il s’est
souuent opposé aux volontez du feu Roy. La sedition
arriuée à Roüen ayant donné sujet à ce sage & iuste Monarque

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de s’informer de leurs deportemens, il apprit
qu’ils auoient vsurpé dans la Prouince vne Puissance qui
approchoit de la tyrãnie, & qu’ils employoient l’authorité
de leurs Charges, non pas à maintenir les Loix, mais
à s’emparer du bien de leurs voisins, à faire decreter les
maisons des Gentil-hommes par des moyens indeus, à
contraindre les Ecclesiastiques de leur bailler la Ferme
de leurs dixmes à vil prix sous le nom de quelque Valet,
à ne payer iamais leurs debtes, à proteger les crimes de
leurs parents & de leurs domestiques, bref à nourrir
tous les desordres qu’ils estoient obligez de reprimer.
Tellement que ce bon Roy desirant pouruoir à l’aduenir
au maintien de son authorité, au repos de la Prouince,
& à faire rendre meilleure iustice à ses Subjets, trouua
qu’il n’y auoit point d’expedient plus prompt ny plus
asseuré, que la creation d’vn nouueau Semestre.

 

APRES ces chastimens, nous ne leur enuions point
le titre d’anciens qu’ils vantent si fort ; Il seroit meilleur
pour eux de n’auoir point esté, puis que leur Antiquité
n’est remarquable que par leurs fautes. Nostre plus grande
gloire à nous, consiste à ne craindre pas de semblables
reproches, & s’il en estoit besoin nous compterions nos
seruices plustost que nos années. Mais enfin vne partie
de ceux qui nous appellent nouueaux, sont plus ieunes
d’exercice & d’âge que nous, & ne sçauroient nier que
trente-trois d’entr’eux n’ayent receu le caractere par nos
mains. Qu’ils ne tirent donc point tant de vanité de
l’antiquité de leurs Charges, & qu’ils cessent de vouloir
persuader, que les nostres ne doiuent pas subsister, parce
qu’elles sont nouuelles. Outre qu’il n’est rien de si vieux
qui n’ait esté nouueau, comme le dit l’Empereur Claude
au Senat, dans vne occasion presque pareille, & qu’on

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leur pouuoit reprocher il y a cent ans, ce qu’ils nous reprochent
aujourd’huy, Il est certain que toutes les deux
Compagnies sont émanées d’vne mesme puissance, qui
est la Royale, Qu’elle leur a communiqué à toutes deux
vne égale authorité, & partant qu’elles n’ont aucun aduantage
l’vne plus que l’autre. C’est vne maxime aduoüée
de tout le monde, que tous les Roys qui gouuernent vn
mesme Estat, ont vn mesme pouuoir ; que le temps n’y
peut apporter aucune diminution, & que selon les diuerses
occurrences, ils ont la liberté de faire diuers establissemens,
rien n’estant capable de leur prescrire des
bornes, que leur prudence & le bien de leur Estat. Deux
grands Roys tous deux portans le nom de LOVIS, & le
surnom de IVSTE, tous deux estans dans la maturité de
leur âge, & dans la fleur de leurs victoires, ont creé les
Officiers des deux Semestres du Parlement de Normandie ;
& si l’on considere bien les motifs que chacun d’eux
en a eu, sans doute il ne se trouuera aucune raison de
destruire l’ouurage de l’vn plustost que celuy de l’autre.
Neantmoins les Anciens passans par dessus toutes ces
considerations, ont emporté vne Declaration de Vostre
Majesté, pour supprimer celuy du feu Roy. Mais quand
mesme ils l’auroient euë en vne autre saison, & d’vne autre
sorte, il y a tant de raisons qui la doiuent rendre nulle,
que nous esperons qu’il ne leur sera pas moins inutile
de l’auoir obtenuë, qu’il leur a esté honteux de la demander.

 

POVR bien iuger de ce qu’elle vaut, il faudroit premierement
considerer, qui sont ceux qui l’ont demandée.
Ce sont des Deputez du Parlement de Paris, lequel
nous estoit venu establir dans l’exercice de nos Charges,
& du Parlement de Roüen, dont nous auons receu prés

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de la moitié des Cõseillers dans les leurs ; si bien que nous
pouuons dire, que sans raison nous sommes desaduoüez
de nos Peres, & persecutez de nos Enfans. Pour les premiers,
s’ils ne croyoient pas nostre Establissement équitable
& asseuré, ils n’y deuoient pas prester la main : Mais
on sçait bien que les Conseillers que ce Parlement y
auoit enuoyez, receurent à leur retour vn accueil fauorable,
& vne approbation entiere de ce qu’ils auoient
fait. Ainsi ce n’estoient point seulement des Particuliers,
mais tout le Corps, qui nous auoit établis ; & puis qu’il
en auoit esté le Promoteur, il estoit en quelque façon
obligé d’en estre le garand selon les termes de la Loy, qui
dit, Que celuy-là fait le dommage, qui est cause qu’on
le reçoit. Et pour les Deputez pretendus du Parlement
de Roüen, estans enuoyez hors de leur Semestre, & en
vn temps qu’ils ne deuoient point auoir de fonction, par
vne Compagnie dont trente-trois Officiers n’ont autre
qualité, que celle que nous leur auons conferée ; Comment
peuuent-ils infirmer nostre caractere, sans infirmer
celuy qu’ils tiennent de nous ? Ils n’auoient iamais blasmé
nos Titres & nos Receptions iusques à cét heure ; Ils
nous ont reconnu dix ans durant pour Iuges legitimes ;
& si maintenant ayans changé d’opinion, ils soustiennent
que nostre Creation est nulle, il faut qu’ils disent aussi,
que tous nos Actes le doiuent estre, & partant qu’ils renoncent
au profit de diuers Arrests qu’ils ont obtenus de
nous. Mais auec cela, n’y a t’il pas grand sujet de s’estonner,
que ceux qui maintiennent si determinément, que
Vostre Majesté ne peut exiler aucun Officier pour vn
temps, veulent que vous en supprimiez vn si grand nombre
pour iamais, comme si toutes les Loix n’estoient faites
qu’en leur faueur, qu’elles deussent s’alonger & se

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racourcir selon leur caprice, & qu’ils eussent la liberté
de les enfreindre, comme ils ont le pouuoir de les verifier ?
Apres tout, en quel endroit de l’Histoire, ou dans
quel Greffe trouueront-ils, qu’on ait supprimé des Offices
des Parlemens, tandis que les Officiers estoient en
vie ? Quand le Roy Henry II. reünit les deux Semestres
de celuy de Paris, il ne toucha point aux charges du Semestre
qu’il auoit creé : La Declaration de mil six cens
quarante trois ne supprimoit pas les trente Offices des
nostres qui auoient esté receus, mais les incorporoit auec
le reste du Parlement : Mesme le Roy Henry le Grand
conserua les Charges que l’Admiral de Villars auoit fabriquées
en assez grand nombre dans le Parlement de
Normandie, pour recõpenser ceux qui le seruoient contre
sa Majesté durant la Ligue, Elles font encore partie
de celles des Anciens, qui ne regardans plus la honteuse
origine des leurs, osent bien aujourd’huy declamer contre
l’Institution des nostres.

 

SIRE, nous ne dirons pas pour empescher l’effect
de vostre Declaration, que les Roys n’ont pas le pouuoir
de supprimer les Compagnies Souueraines, & que
la Minorité n’a pas la force de créer ny d’aneantir les
grandes Charges, Nous ne sommes pas de ceux qui limitent
la puissance des Monarques, ny qui disputent de
l’authorité de la Regence, Nous sommes prests à signer
de nostre sang, que tout nostre estre dépend absolument
de Vos Majestez ; mais nous dirons hardiment que
cette Declaration a esté extorquée sans auoir ouy la partie
qui y auoit le plus d’interest, qu’elle blesse l’authorité
Royale, & la memoire du feu Roy ; qu’elle est contraire
aux Ordonnances, contraire mesme à la Declaration
d’Octobre, onereuse à la Prouince, & ruineuse à soixante

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familles considerables.

 

Il seroit à souhaiter, que l’on enseuelist pour iamais
dans l’oubly, ce que tous les gens de bien n’ont veu qu’à
regret dans les Conferences ; aussi l’eussions-nous passé
sous silence, si les Anciens eussent souffert qu’on eust
remis les choses en mesme estat qu’elles estoient auparauant,
& qu’ils ne voulussent point tirer auantage de
nos respects & de leurs desobeïssances. Apres auoir armé
vos Peuples, emprisonné vos plus fideles seruiteurs, creé
des Intendants de Iustice, ruiné vos Domaines, pris les
deniers de vos Receptes & des Consignations, ils ont
traitté auec Vôtre Majesté par des Plenipotentiaires, sous
des conditions comme de Souuerain à Souuerain, iusqu’à
refuser à son Altesse Royale la conseruation d’vn seul
Officier, dont il pouuoit disposer auec toute sorte de
Iustice. La Posterité pourra-t’elle iamais oüir parler de
ce procedé, sans demander où estoit donc le respect &
l’obeïssance ? Quel nom plus doux sçauroit-elle donner
à cette action, que celuy d’audace & d’opiniastreté ? Et
ne doit-on pas presumer, que tout ce qu’ils ont obtenu
contre nous par cette Declaration, ils l’ont emporté par
force, puis qu’ils traittoient les armes à la main auec leur
Roy, qu’ils estoient hors de leur deuoir, & la Majesté
Royale au dessous de sa dignité ? Et veritablement c’estoit
de la sorte que ce deuoit faire vne demande si audacieuse
& si iniuste. Comme pour toutes raisons ils n’auoient
que des Villes sousleuées, & des troupes payées
de vos deniers, il falloit bien que la force arrachast ce
que vostre Iustice ne leur eust iamais accordé ; & qu’ils
prissent dans les armes, le droict qu’ils n’eussent pû trouuer
dans aucunes Loix du monde. S’ils en eussent eu quelqu’vn,
s’ils eussent pû se couurir de l’ombre, ou de la couleur

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apparente de quelque raison, ils nous eussent appellez
pour voir iuger cette affaire auec nous, puis qu’ils sçauent
bien que c’est vne cause de nullité contre vn Arrest,
que de n’auoir pas ouy les deux parties. Nous n’auons
pas agy de la sorte auec eux, quand ils ont pretendu nous
supprimer par vne Declaration qu’ils auoient obtenuë
à la dérobée, Nous les auons fait appeller au Conseil, qui
apres les auoir entendus selon les formes, les condemna
par vn Arrest contradictoire, & ordonna que nous tiendrions
nostre Seance, suiuant les termes de nostre premier
establissement. Il ne faut que comparer le procedé
des vns & des autres, pour connoistre laquelle des deux
Declarations est la mieux fondée, l’on iugera aussi-tost
que la premiere est vn effect de la prudence de vostre
Conseil, & la seconde vn effect du malheur du temps, Que
V. M. a donné la premiere de son plain pouuoir & de sa
certaine science, & que les Anciens ont eux-mesmes fait
la seconde, par vne entreprise temeraire & sans exemple.
Les choses qui sont basties sur de mauuais fondemens, ne
peuuent pas subsister long-temps, si tost que la violence
ne les soûtient plus, elles tombent d’elles-mesmes. Toutes
les Loix veulent qu’il n’y ait point d’obligation où il
y a eu de la contrainte ; & personne ne doute que les Monarques,
qui sont les Maistres des Loix, ne puissent iouyr
de ce droit naturel aussi bien que leurs Subjets. Il arriue
quelquefois dans les Estats comme dans la mer, des tempestes
si soudaines & si violentes, que ceux qui tiennent
le gouuernail, sont contraints pour éuiter les écueils, de
relascher au gré des vents, & de s’écarter bien loing de
leur route ; mais si tost que le mauuais temps a cessé, ils
sçauent bien reprendre leur course vers le port, dont la
furie de l’orage les auoit éloignez. Entre plusieurs exemples

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que l’Histoire nous en fournit, celuy de CHARLES
V. est celuy qui a le plus de rapport aux affaires presentes,
& qui peut seruir d’infaillible preiugé dans nostre
cause. Ce sage Prince, qui n’estoit encore que Dauphin,
ayant pris la Regence durant la prison du Roy Iean son
Pere, auoit esté contraint par la faction Nauarroise qui
regnoit dans les Estats, de supprimer le premier President
& plusieurs Conseillers du Parlement de Paris, que leur
fidelité inébranslable auoit rendu l’obiet de la haine des
factieux ; mais comme il sçauoit bien que leur restablissement
estoit en quelque façon celuy de son authorité, il
les remit glorieusement dans leurs Charges auant la fin
de la mesme année, sans toucher neantmoins aux autres
Articles qui auoient esté arrestez dans les Estats. Depuis
encore deux grands Roys ses Successeurs LOVIS XI.
& HENRY III. ayans meurement consideré les inconueniens
qu’il y auoit à supprimer des Offices de Iudicature,
y ont donné ordre par des reglemens tres-équitables.
L’Ordonnance du Roy LOVIS XI. porte que nul
Officier ne sera priué de son Office, s’il n’est vacant par mort
ou par resignation, ou par forfaitture qui ait esté iugée prealablement
par Iuges competens. Et le Roy HENRY III. ayant
resolu de retrancher la trop grande multitude des Offices,
sur la plainte que luy en firent les Estats de Blois,
n’ordonna pas qu’ils seroient supprimez du viuant de
ceux qui en estoient pourueus, mais seulement par mort
ou par forfaitture. Apres tout, quand il seroit besoin
d’esteindre quelques charges, ce mal-heur ne deuroit
pas tomber sur des Establissemens necessaires : Les nostres
ne sont pas de celles que la seule necessité des Finances
a fait naistre ; elles ont pour principe de grandes considerations
d’Estat, & du bien public : Et l’experience fait

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assez voir dés à cette heure, que si elles n’auoient point
[1 mot ill.] creées, elles deuroient l’estre. Il n’en faut point d’autre
preuue, que ce que la Prouince a souffert depuis nostre
depart : Si on luy donne la liberté de parler, elle se
saindra qu’elle est retombée dans les mesmes desordres
[1 mot ill.]ont nous l’auions tirée. Elle dira qu’elle a esté souuent
ensanglantée par des meurtres atroces, qu’elle a veu des
femmes assassinées par leurs maris, des prisons forcées,
les Geosliers massacrez, des condamnez au supplice denaturez,
Et ces crimes impunément commis ou authoritez,
par ceux mesmes qui ne nous veulent point pour
compagnons, de peur de nous auoir pour Iuges.

 

QVANT à la Declaration d’Octobre dernier, qui a
[1 mot ill.] si fort desirée, & demandée auec tant d’instance ; tant
[1 mot ill.] faut qu’elle fauorise en aucune façon le dessein des
anciens, qu’au contraire elle luy est directement opposée ;
car il est porté premierement, qu’il ne se fera aucun
emboursement d’Office ; & en second lieu, qu’il ne se
fera aucune taxe sur les Officiers. Or puisque nostre suppression
ne se peut faire sans remboursement, ny le remboursement
sans taxes, n’est-ce pas vne consequence necessaire,
qu’elle ne se peut faire sans contreuenir à cette
Declaration ? D’ailleurs les conditions en sont si déraisonnables,
& si desaduantageuses à la Prouince, qu’elles
en rendent l’execution impossible. Elle ne conserue que
seize Conseillers de soixante qu’il y doit auoir, Elle en
reserue le choix à la nomination des Anciens, & les taxe
pour le remboursement, chacun à trente mille liures :
Quelle apparence y a-il qu’ils se ioüent ainsi des creatures
de V. M. qu’ils ayent sur nos biens & sur nostre honneur,
vn empire qui n’appartient qu’au Souuerain ; & que
de plusieurs Officiers également receus leur bon plaisir

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en maintienne quelques-vns, & que leur auersion aneantisse
les autres ? Aussi croyons-nous que ce seroit faire
tort à l’entiere dépendance qui nous sousmet à Vostre
Majesté, de tenir cette grace d’vne autre main que de la
vostre ; & pas-vn de ceux qu’ils ont nommez, n’a voulu
accepter cette condition, faute dequoy le remboursement
ne se peut faire : Puis cette cottisation ne monteroit
en tout qu’à cinq cens mille liures, & il ne faut pas
moins de trois millions ; tellement que pour le surplus on
seroit obligé de surcharger les coffres de Vostre Majesté
ou les Peuples de la Prouince, de deux millons cinq cens
mille liures. Les Anciens qui font paroistre en leurs discours,
vne si grande affection pour l’honneur de la Robe
& pour le soulagement de la Prouince, n’ont point assez
d’adresse, pour faire croire que par ce moyen ils leur procurent
de l’aduantage. Si ces conditions estoient executées,
la Robe auroit à iamais sujet de se plaindre d’auoir
receu vne si grande playe de la Robe mesme, qui contre
les Ordonnances du Royaume, & la dignité des Parlemens,
auroit admis des taxes insupportables sur des
Presidẽs & des Conseillers. Les Peuples reconnoistront
par là, s’ils ne sont pas encore tout à fait desabusez, quel
est le zele de ces personnes, & s’il tend au bien public, ou
à leur interest particulier : Vostre Majesté iugera, s’il luy
plaist, s’il est à propos d’imposer vn si pesant fardeau, sur
vne Prouince qui est preste à succomber sous la charge ;
& si dans vn temps que vos Finances sont épuisées, & que
rien ne retarde le cours de vos Armes triomphantes que
le defaut d’argent, vous accorderez à l’appetit de quelques
particuliers, des sommes qui suffiroient pour vous
conquerir la moitié de la Flandre.

 

PERSONNE asseurément, ne conseillera Vostre Majesté

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de tant donner au contentement de ceux qui contribuent
si peu à l’execution des volõtez de leur Roy ; ny
leur acquerir aux dépens des miserables Peuples, vne authorité
dont ils n’vsent que pour les troubler ou pour les
opprimer. Quelques pretextes qu’ils prennent, ils ne
sçauroient eux-mesmes nous montrer, qu’il en reuienne
aucun aduantage aux affaires de Vostre Majesté. Et quãd
ils auront dit tout ce qui se peut dire pour leur defense,
ils seront enfin contraints d’auoüer, qu’achepter si cher
vn si grand nombre de Charges pour les esteindre, c’est
faire vne tres-grande perte sans aucun profit. SIRE,
Vostre Majesté a trop de bonté & de iustice, pour consentir
ainsi à la vexation de ses Subjets, & à la ruine de soixante
familles, que cette suppression dépoüilleroit entierement
de biens & d’honneur. Le Roy Henry le Grand,
dont les paroles estoient autant d’Oracles, auoit accoustumé
de dire, qu’vn Souuerain ne deuoit disposer du
bien de ses Subiets qu’auec iustice, & de leur honneur
que de gré à gré. Les Anciens veulent obliger Vostre
Majesté à nous rauir l’vn & l’autre sans aucun sujet, & sans
aucun besoin. Ils demandent que vous confisquiez soixante
personnes viuantes, que vous les fassiez mourir
plusieurs fois, en les faisant suruiure à leur dignité ; &
qu’apres les auoir mis tous nuds, vous les couuriez d’vne
honte perpetuelle eux & toutes leurs familles, sans qu’on
les accuse d’aucune faute, ny qu’ils soient coulpables
d’autre crime, que de s’estre fidelement attachez à vostre
seruice, & d’auoir genereusement entrepris la defense de
vostre Authorité. Mais il n’est pas croyable, que Vostre
Majesté ait eu dessein de consentir à la perte de tant d’innocens
en faueur des criminels ; leur infortune ne seruiroit
pas moins de dangereux exemple pour enhardir les

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factieux, que de tristes spectacles pour décourager vos
plus fideles creatures ; Et si quelquefois il se trouue des
raisons d’Estat, qui obligent à recompenser ceux qui meritent
chastiment, il n’y en peut auoir qui contraignent
à chastier ceux qui meritent recompense. Aussi lors que
nous examinons de plus prés les termes de la Declaration,
nous reconnoissons bien que l’intention de Vostre
Majesté, n’est pas telle que les Anciens se l’imaginent ;
mais que par vn conseil aussi prudent que necessaire,
vous auez voulu appaiser les troubles, & ne pas perdre vos
bons Seruiteurs. Vous leur auez accordé la liberté de se
pouruoir dans vne meilleure saison ; car puis qu’il vous a
pleu non seulement en reseruer seize, mais encor laisser
aux autres, les priuileges & les prerogatiues dont ioüissent
les Officiers des Cours Souueraines, il est assez visible
que vous auez voulu fauoriser leurs pretentions, &
leur laisser vne ouuerture pour rentrer dans l’exercice de
leurs Charges.

 

SIRE, c’est cette creance qui nous a donné plus de
liberté de reclamer vostre Iustice. A moins d’estre persuadez
qu’elle nous tendoit les bras, & nous monstroit le
chemin pour en approcher, nous auons vn si grand respect
pour toutes vos volontez, que nous n’eussions iamais
ouuert la bouche pour nous plaindre ; & nous fussions
morts en benissant le coup qui causoit nostre perte, si
nous eussions creu qu’il fust party de la main Toute-puissante
de Vostre Majesté. Mais nous sommes bien asseurez
que la destruction ne peut venir du principe de la vie, &
que la source des biens-faits & des graces n’est point capable
de produire vne si grande rigueur. MADAME,
le Ciel a comblé vostre Regence de trop de benedictions
pour nous faire apprehender cette disgrace : Il l’a renduë

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trop heureuse à tout cét Estat pour la rendre funeste
seulement à ceux qui la reuerent auec plus de soûmission ;
Et la glorieuse suite des Conseils, auec lesquels vous
auez heureusement gouuerné ce Royaume, nous est
vne asseurance infaillible, que nostre restablissement sera
aussi compté pour vne des preuues de vostre Sagesse &
de vostre Iustice. Vous sçauez, SIRE, auec quelle fidelité
nous auons obserué vos ordres, auec quelle obeïssance
nous auons exercé nos Charges, comme nous vous
auons conserué le cœur de vos Subjets ; & comme nous
auons fait en sorte, tandis que nous auons esté presens,
qu’ils ont senty du soulagement sans aucune indignation
de vostre part ; au lieu que depuis nostre absence, ils ont
esté en danger de sentir vostre indignation, sans auoir receu
aucun soulagement.

 

AINSI quand toutes sortes de droicts qui parlent
pour nous, quand les suffrages des Peuples qui nous
souhaittent, quand l’authorité Royale que vous deuez
conseruer aussi entiere que vous l’auez receuë de vos Predecesseurs,
quand le bien de vos affaires qui est visiblement
interessé dans nostre Suppression, ne vous demanderoient
pas nostre restablissement, Nous aurions raison
d’esperer, que nostre innocence, nostre fidelité, nostre
perseuerance, les iniures que nous auons souffertes constamment,
les hazards où nous nous sommes courageusement
exposez pour le seruice de Vos Majestez, seroient
capables de nous obtenir cette grace. En attendant,
SIRE, qu’il vous plaise nous la départir, & nous remettre
en estat de vous rendre, comme nous faisions lors,
des preuues effectiues de nostre zele & de nostre affection ;
si nous ne pouuons autre chose, nous ferons au
moins des vœux continuels pour l’heureuse prosperité de

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Vostre Majesté, & de la Reyne Regente vostre Mere ;
Et quoy que vous ordonniez de nostre qualité, nous conseruerons
tousiours au peril de nos biens & de nos vies,
celle de

 

Vos tres-humbles, tres-obeïssans, & tres-fideles
subjets & seruiteurs, LES Officiers
de vostre Parlement de Normandie au
Semestre de Septembre.

Section précédent(e)


Anonyme [1649], TRES-HVMBLES REMONSTRANCES DV PARLEMENT DE NORMANDIE AV SEMESTRE DE SEPTEMBRE AV ROY, ET A LA REINE REGENTE. , françaisRéférence RIM : M0_3833. Cote locale : C_9_51.