Anonyme [1652], TRES-HVMBLES REMONSTRANCES FAITES AV PARLEMENT PAR LES BOVRGEOIS DE PARIS, Sur l’estat present des affaires. , françaisRéférence RIM : M0_3835. Cote locale : B_17_1.
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TRES-HVMBLES
REMONSTRANCES
FAITES
AV PARLEMENT,
PAR LES BOVRGEOIS
DE PARIS.

NOSSEIGNEVRS,

Bien qu’il n’y ait rien de plus iuste que d’opposer la
force à la force, neantmoins les Bourgeois de Paris,
qui voyent leurs maisons de campagne bruslées, les
Ennemis iusques sur les Autels, le sac & le pillage que
le Cardinal Mazarin prepare pour cette grande & florissante
Ville, la Grandeur de nostre Empire & le Tymon
de l’Estat, n’ont encore voulu rien entreprendre
pour se garentir de tant de maux qu’ils ont desia soufferts,
ny de ceux par lesquels ce perfide Ministre veut
auiourd’huy couronner sa Tyrannie, qu’apres vous

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auoir demandé, Nosseigneurs, la liberté de leur defense,
& de repousser leurs Ennemis sous l’authorité du
Roy, dont vous estes tousiours les veritables dépositaires.

 

Ce n’est pas qu’ils ne sçachent bien que la defence
est naturelle, que c’est la premiere Loy du Monde, &
qui ne peut estre esteinte par aucune sorte de gouuernement,
ny par aucun ordre politique.

Mais comme cette grande Ville n’est composée que
d’Habitans, qui ont tousiours esté amoureux de l’Ordre
& de la Police, ils sçauent aussi que la defense publique
doit estre appuyée de l’authorité, & que les
meilleures causes perissent bien souuent par le tumulte
& la confusion.

Les Habitans de Paris n’auront pas grand’peine,
Nosseigneurs, de vous persuader la Iustice & la necessité
de leur defence. Il y a long-temps que par vos Arrests
vous auez declaré le Cardinal Mazarin l’Ennemy
public. Il l’a esté premierement de vostre Compagnie,
il en a fait empoisonner les plus genereux, & emprisonner
les autres, afin d’oster cette heureuse liaison, qui
a tousiours esté entre le Roy & Vous, & entre Vous &
le Peuple, que l’on peut dire estre la source feconde
des prosperitez de l’Estat.

Nous croyons la guerison de nos maux, lors que
l’année derniere le Cardinal Mazarin fut chassé du
Royaume par l’authorité de vos Arrests, & par le credit
de son Altesse Royale. La Reyne auoit donné sa parole
de ne le rappeler iamais. Mais nous creusmes toutes
nos deffiances finies, quand nous vismes le premier

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iour de la Maiorité du Roy vne Declaration verifiée
contre ce Ministre, qui le chargeoit de toutes sortes
de crimes, & de la desolation generale de l’Estat.
Ce iour attendu auec impatience de tous les bons
François, les auoit entierement r’asseurez ; c’estoit vn
iour de bon augure, & qui auoit desia effacé de la memoire,
l’enleuement des plus illustres Magistrats, les
brigandages des Financiers, la ruine de tous les Officiers,
la profanation des Temples, le pillage des Eglises,
le sac & le carnage par tout.

 

Neantmoins comme si l’on auoit voulu rendre la
Maiorité du Roy complice de tous les attentats faits
pendant la Regence à la seureté publique, on a veu
rentrer le Card. Mazarin à la teste d’vne armée, triomphant
de ses propres Iuges. Vous auez, Nosseigneurs,
fait vos remontrances au Roy, vous les auez plusieurs
fois reïterées, vous auez hazardé vos personnes dans
les Prouinces les plus esloignées, & au milieu d’vne armée
de Tygres & de Barbares, qui ne se repaissent que
de sang, pour faire entendre à Sa Majesté la iustice de
vos Arrests & toutes les plaintes des Peuples, le peril
où il mettoit sa Couronne en se seruant des conseils du
Cardinal Mazarin, & que sa parole toute Royale, &
tous les ordres publics estoient violez dans ce funeste
retour.

Mais comme le Roy n’agit auiourd’huy que par les
impressions du Cardinal Mazarin, & non point par la
bonté de ses inclinations naturelles, tous vos soins ont
esté entierement méprisez. Il a triomphé de vos respects
& de toutes vos deferences, cela n’a fait qu’augmenter

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l’insolence de cet ennemy public. Les Tyrans
comme luy sont tousiours irritez par les actes de Iustice,
ils croyent n’estre naiz que pour la destruction des
loix & de la nature.

 

Les Bourgeois de Paris s’estoient flattez aussi bien
que vous. Ils s’estoient imaginez que la grandeur des
forces de cette puissante Ville & la fermeté de vos resolutions,
donneroient l’espouuante à ce Monstre.
Nous croyons tous, qu’il n’oseroit approcher de nos
portes, qu’il ne songeoit seulement qu’à garentir sa
vie, qu’on auoit donnée en proye à tout le monde, afin
de sauuer tout l’Estat.

Neantmoins fortifié par nos fautes passées & par les
cabales de quelques pernicieux citoyens, qu’il a tousiours
pratiquées, il est venu iusques à nous. Il nous a
trouuez tous desarmez, & si on n’arrestoit les maux
dont il nous menace auec vne armée de scelerats & de
voleurs, qui ont tousiours esté les instrumens de ses
Tyrannies, il ioüiroit bien-tost du plaisir qu’il cherche
il y a si long-temps de voir l’embrazement de Paris,
apres auoir fait mourir par des cruautez inoüies ses
plus genereux habitans.

Nous auons donc creu, Nosseigneurs, apres tant de
moyens inutilement tentez, qu’il estoit temps de
prendre les armes, & de nous feruir du glaiue, qui se
trouue entre les mains de la Iustice.

Nous auons cet auantage, que nous ne nous sentons
pas seulement iustifiez dans l’interieur de nostre
cœur, nous le sommes encore à la face de tous les Peuples.
Toute l’Europe a veu nos respects, aussi bien que

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nos souffrances. Vous nous auez, Nosseigneurs, protegez
autant qu’il vous a esté possible par l’authorité
de vos Arrests. Mais contre ceux qui méprisent toutes
les loix, & qui les destruisent, il faut necessairement
opposer la force à la force. La Iustice ordinaire est le
ioüet des Tyrans, ce n’est point par là qu’on les renuerse ;
ils deuiennent bien souuent plus furieux par la
legereté des blessures qu’on leur a faites. Et vous auez,
Nosseigneurs, experimenté à vos dépens & aux nostres,
qu’il ne faut iamais flatter de semblables Ennemis.

 

Nostre dessein, Nosseigneurs, est innocent, il est
iuste. Car si pour la seule reputation des Estats, si pour
la defense des Alliez, ou pour estendre les bornes d’vn
Empire & le rendre plus puissant, on ne craint point
de faire la guerre, & de porter le feu par tout, elle est
bien plustost permise quand il s’agist de sauuer sa vie,
sa femme & ses enfans, de conseruer ses biens & sa
fortune. L’vn est simplement de Droit Ciuil & Politique,
l’autre de Droit Diuin & Naturel. Nous voyons
le pillage iusques sur les Autels, les Vierges y sont tous
les iours violées, ce ne sont que sacrileges épouuantables.
Le Cardinal Mazarin est l’ennemy public de
Dieu & des hommes, il fait tous ces maux auec la force ;
ce n’est donc aussi qu’auec la force, & à main armée
qu’on le peut perdre & l’estouffer.

Mais ce qui nous a, Nosseigneurs, encore obligez
de prendre cette genereuse resolution, est que la Ville
de Paris estant la capitale, elle renferme en soy toute
la fortune de l’Estat. Le Cardinal Mazarin la veut ruiner,

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& en la ruinant ruiner tout le Royaume. Nous serions
indignes non seulement du nom François, mais
encore d’estre habitans de cette grande & puissante
Ville, de l’abandonner ainsi en proye à son plus cruel
Ennemy, de nous perdre nous-mesmes au lieu de sauuer
toute la France, qui nous regarde auiourd’huy
comme ses Dieux Tutelaires, & qui n’attend de nous
qu’vne simple démarche pour releuer toutes ses esperances
abbatuës, & ioüir bien-tost de la Paix publique
& particuliere.

 

Nous le pouuons, Nosseigneurs, quand vous voudrez :
Paris est indomptable sous vostre authorité,
vous vnirez toutes nos forces, chaque chose trouue
son centre dans la Iustice souueraine, que les ordres
generaux du Royaume vous ont commise. Personne
n’aura ialouzie de vostre authorité, elle est legitime &
la premiere de l’Estat. On ne verra plus les esprits partagez,
ny de partis differens, qui nous perdrons sans
doute par nous-mesmes, & bien plustost que nos Ennemis,
si vous n’y pouruoyez promptement & auec
courage.

Paris a des hommes & de l’argent pour faire executer
vos resolutions. La dépense n’en sera pas grande,
elle ne doit épouuãter personne. Les armées que nous
auons depuis trois mois à nos portes ont ruiné les enuirons
de la Ville de plus de cinquante millions, il n’eust
pas fallu dépenser vn million pour perdre le Mazarin
auec tous ceux de sa cabale & de sa faction. Tel a veu sa
maison de campagne bruslée, ses rentes, ses loyers de
maison perdus, ses debteurs deuenus insoluables, &

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tous ses biens dissipez ; il n’y a personne qui ne soit
prest de tomber dans la mesme ruine & dans la derniere
extremité.

 

Cependant si nous eussions fait, & si nous voulons
faire encore auiourd’huy le moindre effort, nous pouuons
nous r’acheter de tous ces maux, & garentir tout
le reste de l’Estat du bouleuersement & de sa desolation
toute entiere. On ne trouue point de meilleur remede
pour la guerison d’vn malade, que de luy tirer vn
peu de sang. Quand cette operation est prompte, la
maladie n’est iamais de longue durée, le sang & les esprits
sont bien-tost reparez. Mais quand au commencement
du déreglement des humeurs nous fuyons le
remede & le Medecin, le mal nous gagne tousiours,
il faut apres cela épuiser tout le sang des veines ; c’est
pour lors que le remede deuient violent, qu’il tuë mesme
quelquefois le malade, au lieu de le guerir, ou bien
il luy cause tant de foiblesse, qu’il ne luy reste plus
qu’vne vie languissante & mal-heureuse, ou qui ne se
peut restablir que par vne longue suite d’années.

Nous auons, Nosseigneurs, pourueu à tout, pour
rendre le remede vtile, si vous l’approuuez. Nous sçauons
par experience que beaucoup de gens ne s’engagent
à defendre la cause publique que pour leur interest
particulier. Nous nous ressouuenons encore des
mouuemens de six cens quarante-neuf, qui eussent finy
tous nos maux, si ceux qu’on fit depositaires des deniers
publics, aussi bien que les Capitaines n’en eussent
point abusé. La trahison fut la consommation de
l’ouurage, mais elle n’eust pas eu le temps ny l’insolence

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de se produire, si on eust bien sceu mesnager ses
auantages, & le fonds qu’on fit pour la leuée de l’armée
& pour sa subsistance.

 

Pardonnez-nous, Nosseigneurs, s’il vous plaist, si
nous nous écrions icy contre ces auares & mauuais
François, qui au lieu de rechercher des lauriers & vne
gloire immortelle dans la defense des loix & de leur
patrie, ne songent qu’à s’enrichir de ses dépoüilles, &
qui apres auoir épuisé toutes nos forces & la meilleure
partie de nostre sustance, nous laissent en suite en
proye à la tyrannie des Ministres, ou nous forcent de
consentir par leurs trahisons & leurs infamies à des
traitez honteux, & qui ne produisent iamais que des
semences d’vne guerre encore plus dangereuse & plus
cruelle. Tellement que pour ne tomber plus dans le
mesme peril & agir auec succez, nous vous prions,
Nosseigneurs, de nous laisser la direction & le maniment
des deniers publics. Cette sorte d’œconomie
appartient aux gens du Peuple ; c’est là principalement
que s’est conseruée la bonne Foy. Pour guerir nos
maux, il faut premierement guerir nos soupçons &
nos deffiances, & que le peuple qui donnera le secours
en demeure auec vous le maistre absolu.

Il est iuste que le Bourgeois ait sa defense, & qu’apres
auoir veu perdre la meilleure partie de ses biens,
il ne soit pas encore si malheureux de se voir rauir le
reste, qu’il ne soit plus assiegé au dehors des troupes
ennemies, & au dedans par vne populasse ramassée,
qui ne songe qu’au pillage, & à se rendre la maistresse
de nos biens & de nostre vie.

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Il est iuste enfin, Nosseigneurs, que nos forces seruent
à nostre seureté particuliere, aussi bien qu’à celle
du public, que nous arrestions la suite de l’embrazement
de cette riche & puissante Ville, qu’on auoit si
hardiment entrepris il y a quelques iours, & qu’vne
autrefois nous ayons du moins la liberté de secourir
nos Peres, nos Parens & nos Amis, & tous nos Concitoyens
au milieu du fer, du feu & des flammes, qu’on
leur auoit preparées.

Permettez-nous, Nosseigneurs, de vous dire que
quand nous cherchons nostre seureté, nous trauaillons
aussi pour la vostre. Quels artifices n’a point employés
le Cardinal Mazarin pour diuiser le Parlement
d’auec le peuple, & le peuple d’auec le Parlement. Il
sçait il y a long temps qu’il n’y a que cette vnion qui le
puisse abbatre, par ce qu’elle est naturelle, qu’elle est
sainte, & toute desinteressée.

Quand la bonne fortune de l’Estat nous feroit assez
heureux de voir bien-tost l’éloignement du Cardinal
Mazarin sans esperance de retour, cette vnion ne deuroit
point estre negligée. Il vous reste d’autres Ennemis
qui sont encore plus puissans que luy, à qui la vengeance
n’est pas moins naturelle, & qui ne perdront
iamais l’occasion de se ressentir de l’infamie & des blessures
qu’il a receües, aussi bien que de celles qu’on leur
a faites. Il n’y a donc qu’vne correspndance du Peuple
auec vostre Compagnie, & de vostre Compagnie
auec le Peuple, qui puisse retenir ces Monstres qui ne
pensent qu’à vous deuorer, quand ils auront diuisé
toutes vos forces, & que toutes leurs puissances seront

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reünies. La crainte qu’ils auront de vous choquer en
cet estat, asseurera sans doute nostre repos pour iamais,
& vous verrez perir vos Ennemis & les nostres
dans l’impuissance auec la rage & le desespoir.

 

Les troupes mesmes que nous aurons leuées ne seront
pas inutiles, au contraire il n’y a rien de plus necessaire
à l’Estat. Apres qu’elles auront seruy à faire la
paix particuliere, le Roy les pourra prendre pour forcer
les Ennemis de faire la Paix generale. Ainsi Paris &
le Parlement auront cette gloire d’auoir chassé non
seulement les mauuais Ministres, mais d’auoir encore
finy auec honneur & auec auantage, vne guerre que
nous auons depuis seize années contre la plus puissante
Maison de l’Europe.

N’escoutez donc plus, Nosseigneurs, cette sorte de
Rheteurs, qui pour cacher le fonds de leur conscience
& se donner du credit, declament fort dans toutes les
occasions contre le Cardinal Mazarin & sa mauuaise
conduite, qui l’attaquent bien tous les iours auec des
paroles, qui ne luy font iamais de peur. Mais quand il
s’agist de le combattre auec la force, qui est le seul &
vnique moyen de le destruire, ils changent incontinent
d’émotion, ils soustiennent hautement qu’il n’appartient
point au Parlement, ny à aucune autre Puissance
de leuer les armes pour quelque pretexte que ce
soit. Ils pensent auoir bien rencontré, quand ils publient
qu on ne se peut détacher du seruice personnel
du Roy. Ce mot nouueau dans lequel ils renferment
malicieusement toute leur politique, est vn mot de
seruitude & d’esclauage. Le Parlement n’est pas seulement

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le Parlement du Roy, c’est le Parlement du
Royaume, c’est ainsi que leurs predecesseurs en ont
parlé. Il n’y a point d’Officier qui ne doiue son institution
au public, & qui ne le doiue proteger par toutes
sortes de voyes, & mesme par la force.

 

Tous ceux qui deffendent la Loy peuuent faire la
guerre, & principalement ceux qui en sont les depositaires
& les tuteurs. Le Roy luy mesme n’a ce droit là
que pour maintenir la justice & la liberté. Il ne peut
mesme l’entreprendre dans l’ordre de nostre gouuernement,
qu’apres qu’elle a esté trouuée iuste par les
Estats, ou par vostre Compagnie, & que tous les motifs
luy en ont esté expliqués.

Ce ne sera point, Nosseigneurs, contre le Roy que
vous agirez, quand vous vous mettrez en estat, aussi
bien que nous, de conseruer les ordres publics du
Royaume. Quiconque separe le seruice du Roy du seruice
que l’on doit à la Loy, degrade le Roy auec infamie.
Il n’a esté fait que pour l’authoriser & pour la defendre.
Il ne luy laisse qu’vn titre vain & inutile, vne
grandeur imaginaire, & qui approche plustost du
theatre & de la comedie, que de la realité. Tellement
que ces gens s’accordent mal auec eux mesmes, quand
dans le commencement de leurs discours & dans toutes
leurs prefaces, ils condamnent le Mazarin comme
la peste de l’Estat, incapable & indigne du gouuernement,
& celuy qui en causera infailliblement la ruine ;
& qui neantmoins apres auoir creu tenter inutilement
& auec decision tous les moyens de bien seance, de
respect & de iustice, condamnent pourtant tousiours

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la guerre qu’on luy veut faire, parce que c’est le seul
moyen de le perdre, & de rendre au Roy son authorité,
au Parlement son credit, & le repos à tous les Peuples.

 

Ce n’est pas, Nosseigneurs, que nous pretendions
que la guerre doiue dépendre du premier caprice des
Subjets, & que sous pretexte que l’on murmure souuent
contre le Gouuernement & le Ministere, il faille
aussi-tost prendre les armes, & demander la reformation
d’vn Estat. Nous sommes, Nosseigneurs, bien
esloignez de ces pensées : Mais quand on a demeuré
quarante ou cinquante ans dans la tyrannie, que l’authorité
des Compagnies Souueraines a esté opprimée,
& la liberté des peuples. Quand on a demeuré quarante
ans à faire des Remonstrances, qui n’ont fait
qu’aigrir les maux au lieu de les guerir, & augmenter
l’insolence des Ministres. Quand encore vn coup le
Parlement a condamné par ses Arrests la conduite du
Gouuernement, que le Roy mesme l’a reconnu par
des Declarations verifiées, que l’Oncle du Roy le plus
desinteressé Prince de l’Europe, & tous les Princes du
Sang y ont souscript, & qu’il ne reste plus à la Cour
que des proscripts, des Officiers necessaires, ou des
gens qui ne viuent que de la solde que leur donne le
Mazarin ; il n’y a personne apres cela que ceux de sa
cabale, des ignorans, ou de pernicieux Citoyens, qui
puissent dire que le Cardinal Mazarin n’est qu’vn pretexte,
que son esloignement qu’on demande est vn
caprice du peuple, vne faction de ses ennemis, &
qu’on ne peut faire la guerre pour le chasser sans commettre
felonie, parce qu’il est proche de la personne

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du Roy, & que pour s’y maintenir, il abuse insolemment
de toutes ses forces.

 

Il faut necessairement, Nosseigneurs, que la Iustice
regne en quelque endroit du Royaume. Nous demeurons
d’accord que le Roy en est le chef ; mais comme
il peut estre preuenu, ou par la foiblesse naturelle des
hommes, ou par vn mauuais conseil, nos Peres ont
voulu que sa volonté fust tousiours mesurée par les
Loix : C’est cela seul qui compose son serment, c’est la
Loy de son inuestiture.

Lors que cela manque, & que les Ministres abusent
de l’authorité, non seulement nos Historiens, mais
mesme ceux de nos voisins, & la possession qui explique
tousiours le tiltre dans tout ce qui regarde l’antiquité,
nous apprennent tous sans contredit que vostre
Compagnie a droict de suppleer au deffaut de la
Loy, ou d’en empescher l’vsurpation & l’entreprise.
Vous estes donc preposez pour la conseruation de
l’Empire, puis que vous auez esté establis pour la conseruation
de la Loy, l’vn & l’autre sont inseparables.

Si vous craignez aujourd’huy de toucher les playes
& les blessures de l’Estat, & que vous flattiez encore la
grandeur de nos maux, prenez garde que l’authorité
du Roy & celle de vostre Compagnie ne retombent
entre les mains du peuple. Il faut que quelqu’vn gouuerne,
& qu’il y ayt vne authorité : Mais il y aura à
craindre apres cela qu’on vous traitte en coupables, &
non point en Iuges. On vous reprochera d’auoir
abandonné le Tymon pendant la tempeste, & qu’au
lieu d’exposer vos vies pour le salut des peuples, comme

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vous y’estes obligez, vous n’auez songé qu’à vostre
seureté particuliere par vne fuite honteuse, ou par des
resolutions in dignes de la premiere Magistrature de
l’Estat.

 

Aujourd’huy que nous voyons encore les choses
dans leur premier ordre, & que vous pouuez nous
guarentir auec vous de deux puissances dangereuses
qui nous assiegent, de la violence du ministere, & de
la licence du petit peuple ; Reprenez, Nosseigneurs,
vostre premiere vigueur, & celle de vos peres, il est
encore temps : Vostre authorité est toute entiere, elle
sera du moins bien tost restablie si vous voulez. Nous
vous offrons nos forces, nos biens & nos fortunes particulieres.
Ne vous arrestez point à ces voix timides ou
corrompuës, qui doutent tousiours de vostre pouuoir.
Vous auez droict de faire la guerre aussi bien que la
paix dans les choses iustes, vous auez esté constituez
pour maintenir les Loix fondamentales du Royaume :
Elles sont blessées il y a long-temps, ou plustost elles
sont entierement aneanties : La victoire sera certaine
& facile, vous ne combattez iamais que pour la gloire
& pour le bien de l’Estat : Tout le reste de la France paroistra
bien tost les armes à la main pour seconder vos
genereux desseins, & nous n’aurons point d’autre aduantage
ny d’autre gloire sur les Prouinces que de
vous auoir offert les premiers nos vœux, nos encens, &
nos sacrifices.

FIN.

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