Anonyme [1651], TRES-HVMBLES REMONSTRANCES FAITES AV ROY, DANS SON AVENEMENT EN SA MAIORITÉ. Sur les desordres de l’Estat & restablissement d’vn premier Ministre. , françaisRéférence RIM : M0_3836. Cote locale : B_1_4.
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TRES-HVMBLES
REMONSTRANCES
FAITES AV ROY
DANS SON AVENEMENT
EN SA MAIORITÉ.

SIRE,

Vostre Majesté est à la France dans son entrée
en sa Majorité, la quelle vos peuples ont attenduë
depuis plusieurs années auec de si grandes
impatiences & desiré auec tant de vœus, ce
que le soleil est à vn peuple qui a demeuré longtemps
dans l’obscurité par son absence, & lequel
souspiroit sans cesse apres sa venuë, & sollicitoit
son retour par de continuelles prieres & sacrifices ;
& comme le soleil qui s’estoit caché aux
yeux de ce peuple, luy paroist auec plus de splendeur
& d’agrément, & luy donne vne ioye de sa

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veuë plus sensible qu’il n’auoit pas eü : tout de
mesme vostre Majesté montant au-iourd’huy
dans son Trosne de gloire, se fait voir à ses Peuples
auec vn éclat extraordinaire, lequel leur
semble si beau qu’il rauit leur cœur, & dans ce
rauissement ils se persuadent que vostre Maiesté
leur est vn nouueau present plus precieux
qu’auparauant, que le Ciel leur fait.

 

Le premier effect du Soleil est de dissiper par
sa lumiere les tenebres qui couuroient la face de
la terre pendant son esloignement, & les ayans
dissipés, faire vn beau iour qui donne de la ioye
à toute la nature.

SIRE, le premier soin de vostre Maiesté dans
sa Maiorité, doit estre de pacifier les troubles que
la mauuaise conduite du Cardinal Mazarin a fait
naistre dans vostre Estat pendant vostre minorité.
Lesquels comme des tenebres, ont ietté vos
peuples dans la confusion & les desordres, & de
donner le calme à vostre Royaume, le quel semblable
à vn beau iour, fera l’allegresse & le contentement
de vos subjets ; ce sont les esperances
de vostre peuple, qui dans l’attente de ce
bien, dit depuis vn long temps post tenebras spero
lucem ; dans ce dessein glorieux, la premiere chose
qui se presente à faire à vostre Maiesté, est de
terminer par les Conseils de Monsieur le Duc
d’Orleans vostre oncle, ce Prince si affectionné

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à vostre seruice & bien de vostre Royaume,
les diuisions que les Ennemis de la France &
les vostres, ont semées dans vostre famille
Royalle, & de restablir l’vnion & la confiance
necessaire entre les personnes de vostre sang pour
viure ensemble dans vne parfaite cõcorde, SIRE,
cette action est la plus illustre & la plus importante
pour le bien de la France, & sa reputation
que vostre Maiesté puisse entreprendre,
mais c’est vn prealable, & ce doit estre le premier
coup de vostre Maiorité : car ce mal heureux
diuorce diuise le cœur de vos subiets &
leur affection, & forme diuers partis en France,
qui ne font pas seulement la ruine de vostre
peuple, mais arrachent de vos mains tous les
lauriers que vos victoires & conquestes sur les
Ennemis ont donné à vostre Maiesté ; Tout au
contraire l’vnion dans vostre famille oste les pretextes
des troubles & les esperances aux Ennemis
d’en profiter, & donne le moyen à vostre
Maiesté de gouuerner ses peuples dans la tranquilité
auec douceur & iustice.

 

SIRE, ie ne dissimuleray point le seul moyen
qu’a vostre Majesté pour mettre la paix parmy
vos proches, est de se rendre aux iustes sentimens
que le Parlement (qui vous a declaré Maieur)
a eu sur les plaintes de Monsieur le Duc
d’Orleans & de tous les Notables du Royaume,

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mais sur celles de tous vos subiets en general, cõtre
le Cardinal Mazarin, & non seulement d’approuuer,
mais de confirmer par vne Declaration
verifiée en Parlement, la deliberation qu’il a prise
pour son esloignement & celuy de ses parens &
domestiques Estrangers hors du Royaume, sans
esperance de retour, en consequence de la
Declaration de la volonté de la Reyne vostre
Mere, lors Regente, qu’elle leur a faite sur ses Remonstrances ;
laquelle deliberation a esté suiuie
des suffrages de vos autres Parlemens & applaudissemens
de tous vos peuples qui ont receu
l’Arrest de son bannissement pour vne loy perpetuelle
& irreuocable dans vostre Estat, & laquelle
ils se persuadent deuoir estre religieusement
obseruée : cette mesme consideration oblige
vostre Maiesté d’agréer l’esloignement d’aupres
de vostre personne & de vos Conseils, qui
a este fait de ceux qui n’ayans pas encor quitté
l’attachement honteux qu’ils auoient auec ce
Ministre, ont trauaillé pour leurs interests à son
retour, parce qu’elle les doit considerer comme
des perturbateurs du repos public & ennemis
de son Estat. Elle est encor obligée par cette
raison de chasser de sa Cour ceux qui serõt si osez
que de luy proposer le restablissement de ce
proscript, & de luy dire que le premier employ,
le premier esclat de son authorité dans sa Maiorité

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doit estre celuy de son rappel, SIRE, cette
resolution que doit prendre vostre Maiesté &
faire connoistre au public pour le bien de ses affaires,
leuera toutes les deffiances lesquelles sont
cause de cette mes-intelligence, & produira la
seureté, sans laquelle il ne faut point esperer
d’accommodement : Cette resolution ne seruira
pas seulement à vostre Majesté pour restablir l’vnion
dans vostre maison, mais encore pour remettre
l’ordre & la dependance qui doit estre
entre elle & ses subiets comme entre le chef &
les membres, & luy regagner cette forte passion
qu’ils ont naturellement pour leur Roy, laquelle,
l’administration facheuse & insupportable
de cét Estranger, auoit diminuée ; Car i’oseray
luy dire qu’il n’y a rien qui puisse rompre
cette harmonie, que le conseil qu’on luy donneroit
d’entreprendre son retour, par la crainte
qu’ils ont de ses vengeances & de son oppression,
laquelle est si grande, que le premier pas de
contremarche de ce Ministre vers ce Royaume,
excitera sans doute le murmure de vos subiets, &
son entrée en France est capable de les separer
d’auec vostre Maiesté, bien dauantage de leur
mettre les armes à la main, estimans qu’il leur
sera permis dans cette occasion pour empescher
l’effect de si pernicieux desseins, soustenir la
Iustice de l’Arrest de tous vos Parlemens, & la

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cause du bien public. Enfin pour deffendre leur
vie, biens & fortunes contre les violences qu’ils
croiront leur estre preparées. Le dessein de ce retour
ne fera pas seulement vne esmotion generale
parmy vos Peuples, mais rompra derechef
la liaison de vostre famille, & renouuelera des diuisions
plus funestes & cruelles que iamais.

 

Cette reunion faite, ce qui reste à executer pour
acheuer d’appaiser les dissentiõs de vostre Royaume,
est d’oüir les plaintes de vos Parlemens &
de vos Prouinces, receuoir les Cahiers de leurs
griefs, & leur rendre iustice suiuant les loix establies
en vostre Royaume, prendre cognoissance
des differends qui ont entre le Parlement de
Thoulouze & les Estats de Languedoc, & assouppir
par vostre prudence & iustice cette facheuse
querelle, laquelle est capable de faire naistre
des mouuemens dans cette Prouince : Enfin
c’est de faire cesser presentement toutes les leuées
que le monopole pretend establir dans vos Prouinces
contre les formes accoustumées & ordinaires.
C’est par cette raison que la Prouince de
Poictou attend de la bonté de vostre Maiesté la
descharge des nouueaux droicts qu’on s’efforce
de leuer sur le seel, elle se promet que vostre Majesté
enuoyera incessamment ses ordres pour arrester
cette leuée qu’on a establie au preiudice
de leur Priuileges, & sans Declaration verifiée en
vostre

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vostre Parlement, laquelle si elle continuë, peut
exciter des mouuements dangereux dans ce Gouuertement,
sous pretexte de prendre la deffence
de leurs exemptions. SIRE, cette conduite si
vostre Maiesté la prend) produira vn profond
calme dans son Estat, & par ses moyens elle fera
succeder la lumiere aux tenebres, la bonnace à
la tempeste, la confiance à la crainte, la ioye à la
tristesse, la serenité au trouble, & lors, vos peuples
benissans le iour de vostre Majorité, pousseront
mille vœux au Ciel pour vostre santé &
prosperité, & le Ciel respandra en abondance
les graces & benedictions sur la teste de vostre
Majesté.

 

Le second effect du Soleil, est que non seulement
il dissipe les tenebres, & les dissipant il nous
fait vn beau iour, mais en mesme temps qu’il esclaire
la terre, pour luy donner des marques de
son amour dans les besoins qu’elle a de luy pour
ses operations, cét Astre debonnaire pour secourir
son indigence, tire continuellement & sans
s’espuiser de la fecondité de son sein de riches &
benignes influences qu’il verse en abondance
dans ses entrailles, & auec cette effusion elle forme
non seulement le necessaire à la vie de
l’homme, mais ses delices.

SIRE, vos subiets se promettent que vostre
Maiesté égalant dans son amour pour les peuples

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celuy du Soleil pour la terre, & se rendant aussi
liberal pour eux que luy pour elle, mais le surpassant
en affection pour ses peuples, comme en
largesses, ayant pacifié les troubles & les desordres
de son Estat, & rendu au Royaume son premier
calme, compatissant à leurs souffrances &
calamitez, & considerant la necessité qu’ils ont
de son assistance, voulant leur faire sentir les effects
de sa bonté & iustice, elle prendra dans sa
Puissance comme dans vne source fœcunde & laquelle
ne tarit point ses biens faits, ses graces &
faueurs, semblables aux influences de cét Astre,
qu’elle respandra sur la France auec profusion.
SIRE, ces biens-faits, graces & faueurs sont les
Loix, Ordonnances, Edicts, & Declarations qu’ils
esperent que vostre Maiesté fera en leur faueur,
ce sont les canaux par lesquels les Roys ont coustume
de verser leurs biens, c’est par ses instrumens
qu’ils expliquent leurs bonnes intentions & les
font obseruer, & c’est par ces moyens que vos subjets
pretendent non seulement sortir des miseres
dans lesquelles la violence des Ministres & cupidité
des Partisans les ont plongez, mais rentrer
dans la possession de leurs anciens biens &
ancienne felicité, & y estans rentrez, deuenir
capable de manger leur pain, & faire leurs
fonctions dans la joye & le repos, & produire
des actions non seulement vtiles à vostre

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Maiesté & à l’Estat, mais encore glorieuses &
auantageuses, ils se persuadent que vostre Majesté
ioindra à ses graces pour acheuer leur bonheur,
vn bon gouuernement, lequel depend du
Conseil qui sera aupres de vostre Majesté. C’est
sur ce suiet qu’elle est tres-humblement suppliée
de faire deuant toutes choses, ayant fait cesser les
troubles de son Estat : Choix pour son Conseil
de gens d’vne integrité connuë & vie sans
reproche, d’vne suffisance esprouuée, d’vne iustice
desinteressée, d’vne rare prudence, d’vne foy sans
manquement, & qui ayent donné l’exemple
d’vne grande douceur & moderation dans leurs
mœurs, pour faire regner V. M. par amour &
Iustice, cõme aussi fermer de l’entrée de ses Conseils
à ces Ministres violens & ambitieux, qui
n’ont point d’autre intelligence qu’vn malheureux
& dangereux intrigue de Cabinet.

 

SIRE, l’establissement de ce Conseil est vne
des importantes affaires de vostre Maiesté, car il
establira la tranquillité dans vostre Estat, &
vous rendra les peuples soumis à toutes vos volontez,
ce bien doit estre suivy d’vn autre, qui
est de remplir les premieres charges vacantes de
vostre Royaume, tant de la Iustice que des Finances,
de personnes d’vne grande vertu & capacité,
& desquels on puisse esperer vne bonne
& prompte iustice : Ce Conseil estably la premiere

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grace qu’ils attendent de vostre Maiorité,
est qu’elle confirmera cette celebre Declaration
du mois d’Octobre mil six cens quarante-huict,
cét ouurage de vostre amour & Iustice tout
ensemble, ce gage de vostre reconciliation,
cette saincte paction entre vostre Majesté &
vos subiets par l’entremise du Parlement, laquelle
ne peut estre rompuë sans causer de grands
maux, puisque c’est vne autre loy receuë dans
vostre Estat, auec vne ioye & satisfaction generale
de vos peuples, & de laquelle ils desirent auec
passion vne obseruation inuiolable. L’autre
grace qu’ils esperent de vostre Maiesté, est que
continuant de leur donner des preuues de son
amour, pour leur faire vn present le plus cher &
agreable qu’ils puissent receuoir de vos mains
Royalles dans le commencement de vostre Maiorité,
sa principale pensée & plus serieuse occupation
sera de chercher les moyens de leur donner
la paix apres vne si longue & facheuse guerre :
Cette action estoit reseruée à vostre Majesté,
se deuoit estre la premiere gloire & le principal
honneur de vostre Maiorité, & les peuples
en deuoient auoir l’obligation à vostre seule
bonté, il faut croire que la conclusion n’en a esté
retardée que pour vn plus grand bien, que nous
ne pouuons maintenant comprendre, & que le
temps nous reuelera, cependant nous pouuons
dire

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dire que la cause de ce retardement a esté afin
qu’elle eut plus de stabilité & de durée, qu’elle
n’eut pas eü, si elle eust esté arrestée auparauant :
mais comme cette affaire est vn contract qui ne
se peut faire sans le consentement des Ennemis,
& qu’il faut du temps pour demeurer d’accord
de ses clauses & conditions, vos subiets se promettent
qu’en mesme temps qu’elle trauaillera
à nous procurer ce grand bien, continuant à
nous distribuer ses graces, elle soulagera leur
maux autant qu’il leur sera possible, non seulement
en leur accordant la reuocation des impositions
& droicts, qu’il est de vostre iustice de
leur octroyer, mais en leur faisant tous les biens
que la conioncture du temps luy peut permettre ;
pour cela il est de sa bonté de reduire toutes
les leuées au point auquel elles doiuent estre
pour supporter les despences necessaires de l’Estat
& de la guerre, reuoquer tous les Edicts par
lesquels on a tellement augmenté les droicts de
toutes les expeditions de Iustice, & ce qui depend
de son execution, que les pauures sont
opprimez par les riches, par l’impuissance dans
laquelle ils sont, de demander iustice & le bien
des debiteurs tombé entre ses mains, se consomme
en frais & droicts, comme si s’estoit vn
crime de deuoir, & n’estre pas dans le pouuoir
de payer, il est aussi de sa bonté de supprimer le
commerce honteux du monopole, & ces mots

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insolens De Traictans, & d’establir des Loix les
plus seueres & rigoureuses que la Iustice puisse
inuenter pour abolir la puissance des tenebres,
c’est à dire, le monopole, ses infames negotiations
dans lesquelles on met à prix le sang de vos
subiets, leurs sueurs, le bien de la veufue & de
l’orphelin, ce traffic d’aduis & propositions pour
l’oppression des peuples, cette maniere de mettre
en party la Finãce des nouueaux Edicts, & les
deniers prouenãs des tailles & autres impositions,
& de les exiger à main armée, comme aussi de ne
plus souffrir qu’on voye dãs vostre Conseil autres
Articles de Traitez que ceux que V. M. voudra
donner à ses ennemis vaincus, ou qui seront pour
le bien & soulagement de vos peuples, & non
pour leur ruyne & vexation, il est encor de la
bonté de vostre Maiesté de restablir le Commerce
sur les deux mers, qui fait l’estime & les richesses
de vostre Estat, & sans lequel il deuiendroit
pauure dans l’abondance. Ce qu’elle ne
peut faire sans remettre la liberté de la Nauigation,
& si elle ne fait cesser les pirateries lesquelles
ont interrompu le cours du trafficq, & nous ont
rendus tous nos voisins ennemis. Finallement
elle doit faire rendre la iustice à ses subjets, & la
restablir dans l’estat auquel nos peres l’ont veuë,
dans lequel la reigle des iugemens sur les contestations
des parties, & leur decision estoit la Loy,

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l’Ordonnance & la Coustume, & non pas la faueur,
la passion ou l’interest.

 

Le troisiéme effect du Soleil, est qu’apres auoir
respandu ses biens sur la terre, elle l’eschauffe, &
luy communique sa chaleur, c’est cette chaleur
laquelle luy donne la force de pousser au dehors
ses productions & ses ouurages, c’est elle qui
donne la maturité à ses fruicts, c’est auec elle
qu’elle iaunit les bleds, & noircit les raisins, &
cette chaleur dans vn degré temperé, luy est si necessaire
pour ses operations, que sans elle, elle seroit
impuissante dans sa fecondité, & demeureroit
au milieu de son trauail. Enfin, elle n’auroit
que de la bonne volonté pour nous sans effect, ie
dis dans vn legitime degré, car foible elle seroit
inutile, & violente, elle retarderoit, & mesme
feroit mourir les fruicts.

SIRE, cette chaleur du Soleil est vostre authorité,
laquelle comme la chaleur de cet Astre
dans vne iuste dispensation est necessaire à tous
vos subjets pour jouir du benefice de vos biens,
graces & faueurs ; Auec elle vos peuples sentiront
les effects de vos Declarations & Ordonnances,
& par ce moyen possederont leurs biens
dans le repos & la fœlicité en toute seureté. Et
sans elle tous vos biens, graces & faueurs, Declarations
& Ordonnances, ne seront que de veines
promesses, que des volontez impuissantes,
qu’vne simple meditation sur du parchemin, &
en charme deceuant, & vos subiets retombans

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dans leurs premiers malheurs, verront derechef
leur vie biens & fortunes exposées aux violences
& brigandages, & leur vie demeurera à
la discretion des Ministres violens & des plus
puissans. SIRE, l’employ de vostre Auguste
authorité est generalement necessaire à tous vos
subiets, pour l’obseruation de l’Article de la seureté
publique. Dans le particulier, le Clergé & la
Noblesse en ont besoin pour la conseruation de
leurs exẽptiõs & immunitez, mais principalemẽt
le tiers Estat pour se maintenir dans ses droicts,
car à son esgard vostre authorité est la protection
que vostre Majesté luy doit contre le monopole,
& ceux qui abusans de leur grandeur ou
de vostre nom, ou se preualans de leurs charges &
employs, voudront les opprimer : SIRE, cette
protection oblige V. M. de luy dõner la liberté de
porter à V. M ses plaintes & doleances, & prendre
sa cause en main contre ceux qui s’en voudront
ressentir ; Pour ce qui est de vos Parlemens,
vostre Majesté ne doit pas seulement
leur laisser cette ancienne authorité auec laquelle
ils ont esté institués, mais les appuyer de vostre
puissance, & principalement vostre Parlement
de Paris, la Cour des Pairs & la garde des Loix fondamẽtales
de vostre Estat, afin que chacun d’eux
dãs son ressort, puisse donner la force & vigueur
aux Loix, & les faire entretenir inuiolablement :
mais sur tout afin qu’il soit capable de faire obseruer

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la derniere Declaration du mois d’Octobre mil
six cens quarante-huict ; car non seulement cette Declaration
sera enfrainte, mais encore toutes les Declarations
que fera vostre Majesté en faueur de ses peuples,
portans decharges & remises d’impositions & droicts
nouueaux & autres benefices seront violées, & n’aurõt
pas leur effect, & les plus saintes Ordõnances contre
le monopole, leur seront inutilles, si vous ostez à vos
Cours Souueraines qui les doiuent verifier, le pouuoir
de les mettre dans leur entiere execution, s’opposer aux
entreprises faictes pour les destruire, casser & annuller
tout ce qui sera fait au contraire, reparer les contrauentions
& proceder contre les infracteurs, suiuant la rigueur
des Loix : enfin si vous ne leur laissés la liberté de
leurs suffrages pour refuser tous les Edicts qui seront
contraires, donneront atteinte à vos precedentes Declarations,
ou feront quelque preiudice à vostre bonté,
iustice & bien de vos subiects, i’oseray dire à vostre Majesté
que le meilleur vsage qu’elle puisse faire de son authorité
est de l’employer pour faire executer ponctuellement
vos Declarations verifiées en vos Parlemens, &
chastier auec seuerite ceux qui oseront faire violẽce aux
Ministres de vostre Iustice, comme vn attentat à vostre
personne ; les Iuges en vos Prouinces doiuent aussi entrer
en la participation de vostre authorité pour soustenir
le foible contre le puissant, le pauure contre le riche,
& arrester toutes les factions & caballes qui se pourroient
former contre vostre seruice & le bien de vos

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subiets mesmes : pour empescher la leuée des deniers &
droicts qui se feroient contre les anciens ordres establis
dans vostre Royaume.

 

Mais cette chaleur du Soleil laquelle est necessaire
à la terre pour produire & mettre ses productions dans
sa perfection, luy est quelquefois incommode & son
exces si grand, qu’il n’arreste pas seulement la maturité
des fruicts, mais les destruit & fait mourir sans espargner
ses plus beaux ouurages, il brusle nos moissons &
consomme nos vendanges, mais cét inconuenient ne
nous doit pas faire murmurer contre ce bel Astre, car
outre que ce mal ne doibt pas entrer en comparaison
auec les biens qu’il nous apporte, & n’est iamais general,
ne regardant que quelque contrée de pays, nous en
sommes la seule cause, c’est vn iuste ressentiment de sa
colére contre l’ingratitude des hommes, qui ne sçauent
pas recognoistre ses biẽs-faits ; d’ailleurs cette vengeance,
quoy que iuste, n’a pas coustume de durer, il s’appaise
facilement par quelque tesmoignage de repentance,
& pour monstrer que son indignation est passée, il tire
vn rideru deuant sa face, de laquelle les rayons embrasoient
la terre ; ce rideau est vne nuée qu’il esleue deuant
luy afin que la terre ne sente plus sa rigueur, & pour reparer
le dommage qu’il a fait, il presse cette nuée, & la
fait escouler en pluie, cette pluie tempere l’ardeur qu’elle
souffroit, la rafraichit, & luy donne vne nouuelle
seue, auec laquelle elle acheue ses productions.

SIRE, cét excés de chaleur est le pernicieux vsage

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que font les premiers Ministres & les traictans de vostre
authorité, cét ardeur vehemente du Soleil sont les
violences que nous auons veu s’exercer sur vos subiets
soub le nom du feu Roy pendant son regne, & soubs
le vostre pendant vostre Minorité par deux mauuais Ministres
également violans, & portés d’vne pareille conuoitise
& ambition, les rayons bruslans de cét Astre,
sont les leuées & impositions excessiues desquel ces Ministres
ont fait charger vos peuples soub pretexte des
despẽces de la guerre en laquelle ils engagent nos Roys,
pour ietter les fondemens de leur grandeur sur la ruine
de vos subiets : Enfin les flammes consommantes du
Soleil, sont le credit & pouuoir du monopole, & ces
exactions cruelles de deniers & droicts imposez contre
les Loix du Royaume : Car comme la trop grande chaleur
du Soleil fait perir les fruicts en attirant à soy leur
suc & l’esprit qui les anime, tout de mesme ces Ministres
& Traictans consomment nos moissons & bruslent nos
vendanges desseichent nos campagnes, & rendent nos
champs sterilles en prenant la meilleure partie de la substance
de vos subiets, le meilleur & le plus solide de
leur bien, le plus pur sang de leur veines, la meilleure
moille de leurs os, & le comptant de leurs maisons ;
SIRE, ne permettez pas que vos subiects voyent pendant
vostre reigne le restablissement de ces premiers
Ministres & de ces Traictás, que vôtre authorité ne serue
pas pour donner des forces au monopole qui s’en va
expirant, mais plustost pour luy donner le dernier coup

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de la mort, trompés heureusement pour nous ses esperances
par son entiere defaite : mais si nous estions si
malheureux que de nous voir encor soubs le gouuernement
d’vn premier Ministre, ce que nous ne pouuons
croire, ne souffrés pas qu’ils se seruent de vostre authorité
Souueraine pour la ruine de vos peuples, ils ne
peuuent le faire sans faire tort à vostre bonté & iustice,
suiuant laquelle seulement les Roys doiuent mesurer
leur puissance, & mesmes sans blesser vostre authorité,
car tant s’en faut qu’ils la fassent valoir en la rendant
souuerainement absoluë pour leurs interests, qu’au
contraire ils la détruisent en faisant le ioug de vostre
domination insupportable, & iettans vos subiets dans
le desespoir.

 

SIRE, il est vray que vostre authorité est aussi formidable
que cet ardeur du Soleil, que vostre Maiesté
peut auec sa toute-puissance nous reduire en poudre
aussi bien que le Soleil les fruicts par sa chaleur, & que les
feux de vostre colere peuuent faire autant de mal à vos
peuples que ceux de cét Astre à la terre, mais elle me
permettra de luy dire qu’elle ne doit se seruir de son authorité
Souueraine que cõtre ceux de vos Subiets rebelles,
lesquels semblables à ses Anges de superbe & d’ambitiõ,
voudrõt esleuer vn Trosne contre le vostre, former
des partis en Frãce, & faire sousleuer vos subiets ; SIRE,
s’il vous prend enuie de faire paroistre le pouuoir de
vostre ressentiment, & de consommer comme vne victime
ceux qui vous auront offensé, consommez seulement

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ces premiers Ministres que l’ambition portera à vouloir
monter au haut de vostre Trosne, & y prendre place enfin si
vostre Maiesté veut monstrer la grandeur de sa paissance, & de
ses forces, que ce soit seulement contre les ennemis declarez de
l’Estat, & contre les Estrangers, lors qu’ils seront si hardis que de
vous faire que que iniure, soit en voulant enuahir vos terres, soit
en entreprenant sur vostre Estat & droits de vostre Couronne,
soit en troublant le commerce, soit en attaquant vos alliez ; Mais
s’il arriuoit que vostre Maiesté establissant vn premier Ministre,
ou souffrant le negoce des traitans (ce que Dieu ne veuille) vn
premier Ministre sur prenant vostre bonté, abusast de vostre authorité,
pour faire violence a vos subjets, & les opprimer, & que
des Traictans s’en fussent seruy, pour faire valoir le Monopole,
& ruiner vos peuples, Receuez leurs plaintes, faites leur Iustice,
tirés comme le Soleil vne nuée deuant vostre face, qui auroit
paru irritée à vos peuples, par l’artifice, & l’interest de ce Ministre
& de ces Traictans, & versez en des eaux de benedictions sur
vos sujets, c’est à dire, seruez vous de vostre bonté naturelle, &
faites leur sentir les iustes effets de vos graces, retirez les de la
persecution, reuoquez ces nouuelles impositions, & reparez les
torts qu’ils auront soufferts ; Mais s’il arriuoit que pour leur malheur
ils se fussent tellement oubliez, que de vous donner vn
iuste suiet de plainte, aggreez leur repentir, & leurs penitences,
Receuez les en vostre grace, interposez encores vne fois entre
le visage de vostre Maiesté, duquel ils ne pourront soustenir la
colere, & eux, Vne nuée, & la fa tes couler sur leurs testes penitentes,
c’est à dire appellez vostre clemence au secours de vostre
Iustice, laquelle tempere vostre authorité, & se coule en eaux
de misericorde sur vos peuples.

 

Enfin le Soleil ne souffre point de compagnon, sa lumiere fait
faillir ce le de tous les autres Astres, au moins elle l’obscurcit,
& le Ciel n’admet point deux Soleils : car outre que cette multiplication
n’iroit pas seulement à la diminution de la gloire de cét
Astre, mais à sa destruction, elle causeroit la ruine de la nature
vniuerselle.

Sire vostre Majesté est vn Soleil à l’Estat, l’esclat des Princes &
grands Seigneurs de la France disparoit en vostre presence,

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comme celuy des Estoilles deuant cét Astre, Elle doit moins endurer
que luy, vn autre Soleil dans son Royaume, c’est à dire vn
autre esgal à [1 lettre il.]oy : Car cette esgalité [3 lettre ill.]niroit le lustre de vostre
Trosne, & enfin il obscurciroit, affoibliroit vostre puissance, &
enfin la destruiroit. Ie prendray, SIRE, la hardiesse de dire à vostre
Majesté, que si elle establit vn premier Ministre dans ses affaires,
quelque nouueau nom qu on luy donne, soit de President,
des depesches, ou vn autre, Par cét establissement, qui n’est point
necessaire vostre Majesté se fera vn Compagnon de sa Royauté,
vn associe au gouuernement de son Estat, & vn Maistre insolent,
quoy qu’il agisse sous vostre [1mot ill.], & par vostre authorité,
bien plus elle mettra entre les mains d’vn de ses subjets le gouuernement
absolu du Royaume, & se despoüillera de l’exercice
de sa charge, pour l’en reuestir, ne se retenant que le nom de
Roy ; Elle donnera mesme la hardiesse à vn de ses suiets d’entreprendre
sur les honneurs de vostre Dignité, & de pousser encor
plus haut sa fortune, comme nous en auons l’exemple ; Enfin elle
dressera vn Idole à ses sujets, pour lequel ils auront plus de veneration,
que pour vostre Majesté : Ce prodige n’a portera pas vn
moindre preiudice à la France, qu’à vostre Maiesté ? Vne Monarchie
ne peut supporter deux Monarques, non plus que le Ciel
doux Soleils, ny estre soubsmise à deux Maistres ; Elle peut encores
moins endurer vn Monarque legitime, & vn Tyran tout
ensemble, c’est à dire vn premier Ministre : Car son authorité,
comme elle est vsurpée sur la vostre, pour s’establir, elle exerce
des rigueurs & violences insuportables, & impose vn jong Tyrannique
sur vos sujets, de quelque qualité & condition qu’ils
soient : Enfin cette diuersité de puissance ne causera pas de
moindres desordres à la France, que deux Soleils à la Nature.

 

SIRE, ce discours que i’auance à vostre Majesté, sur les inconuenients
de cét establissement, n’est pas vn discours temeraire,
il est fondé sur la raison & experience : Car qu’en-ce qu’vn
premier Ministre, sinon vn precieux Fauory, auquel le Prince a
confie l’entiere administration de son Estat, & la disposition de
ses graces ? Vn si grand pouuoir est vne violente tentation à vn
ambitieux, pour vouloir monter iusques an Trosne, & y vouloir
prendre place ; ce mal ne paroist pas tout d’vn coup, il a ses progrez ;

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le Ministeriat est vn venin doux, & lent qui corrompt auec
le temps les parties les plus saines de l’Estat, vn charme trompeur
qui semble beau au peuple dans le commancement, & à tous
les ordres du Royaume, & ne monstre sa malignité, qu’apres
plusieurs années. & vn piege tendu à la Royauté, duquel on
ne s’apperçoit que long-temps apres. L’Histoire du Ministere du
deffunct Cardinal apprendra à V. M. la verité de ces propositions,
cét homme en qualité de premier Ministre d’Estat a paru
d’abord fort desinteressé, & vtile au feu Roy, & à tous les Ordres
du Royaume ; mais ayant fait son establissement, & surmonté les
obstacles à ses ambitieux desseins ; il est venu iusques à cette insolence,
que d’auoir partagé, auec le feu Roy, la distribution de
toutes les graces Royalles, & dans ce partage, cét impudent auoit
choisi la meilleure part, & laisse la moindre au Roy, pris la disposition
de tous les Archeueschez, Eueschez, Abbayes, &
grands Benefices de France, & laissé au Roy la nomination
des Prebandes & Prieurez seulement ; & sur la fin de ces iours il
fust si outrecuidé, que d’entreprendre de regner sous le nom de
Regent.

 

SIRE, vostre Majesté est inuitée par tous vos sujets, en entrant
dans sa Majorité, de prendre effectiuement, & non de bouche,
& par ceremonie seulement le gouuernal en main ; c’est la seule
voye que peut tenir V. M. assistée du Conseil de Mr le Duc d’Orleans
pour extirper les troubles de son Estat, & y mettre le repos,
par la reünion de la famille Royalle, & de ses sujets, auec elle, &
par la Iustice qu’elle rendra à ses peuples. C’est par cette conduitte
seulement que vostre Maiesté se trouuera persuadée de se declarer
auec tous les Ordres de vostre Royaume, ennemy du C.
Mazarin, sans quoy on ne doit esperer aucune reconciliation :
Ie ne craindray point de dire à V. M. que si elle n’establit aupres
d’elle vn Conseil de personnes bien intentionées pour gouuerner
son Estat, par leurs aduis, vos suiets ne se peuuent promettre toutes
ces declarations fauorable pour leur bien, qu’ils attendent de
vostre Maiorité, cette suppression du Monopole, la conclusion de
la paix, l’vsage de vostre authorité pour l’obseruation des Loix, &
leur seureté, & nous ne pouuons perdre nos craintes de voir encore
la persecution des premiers Ministres, & l’oppression des

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traictans. Nous voulons croire, SIRE, que nos deffiances se
changeront en des sujets de joye, & nos apprehensions en des
satisfactions & contentemens : c’est par ce moyen que V. M.
regnera par amour dans le cœur de vos suiets plus auantageusesent,
qu’elle n’y reigne desia par le droict de sa naissance, que vostre
Reigne sera heureux & paisible, & que vos peuples vous surnommeront
leur Pere, leur amour, & leur delices.

 

A PARIS,
Chez André houqueux, ruë S. André des Arts,
à l’Image Nostre-Dame.

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Anonyme [1651], TRES-HVMBLES REMONSTRANCES FAITES AV ROY, DANS SON AVENEMENT EN SA MAIORITÉ. Sur les desordres de l’Estat & restablissement d’vn premier Ministre. , françaisRéférence RIM : M0_3836. Cote locale : B_1_4.