Anonyme [1649], VERITABLE CENSVRE DE LA LETTRE D’AVIS, ESCRITE PAR VN PROVINCIAL, A MESSIEVRS DV PARLEMENT. ET LA VERITABLE CENSVRE de la Réponse à la mesme Lettre, auec la Refutation de la Replique à ladite Réponse. OV La Critique des trois plus fameux Libelles que nous ayons veu paroistre, depuis le commencement de ces derniers Troubles, iusques à present. Par vn des plus Illustres Grammairiens de Samothrace. Domine libera animam meam à labiis iniquis, & à lingua dolosa. Psalm. 119. , français, latinRéférence RIM : M0_3924. Cote locale : A_7_63.
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VERITABLE
CENSVRE
DE LA LETTRE
D’AVIS,
ESCRITE PAR VN PROVINCIAL,
A MESSIEVRS DV PARLEMENT.

ET LA VERITABLE CENSVRE
de la Réponse à la mesme Lettre, auec la Refutation
de la Replique à ladite Réponse.

OV
La Critique des trois plus fameux Libelles que nous ayons
veu paroistre, depuis le commencement de ces
derniers Troubles, iusques à present.

Par vn des plus Illustres Grammairiens
de Samothrace.

Domine libera animam meam à labiis iniquis, & à lingua
dolosa. Psalm. 119.

A PARIS.

M. DC. XLIX.

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AV LECTEVR.

SI ie n’eusse esté diuerty par des affaires plus pressantes, la
Censure que ie te donne, n’auroit pas manqué de paroistre
en public, le mesme iour qu’on commença de vendre la Lettre.
Du depuis i’ay esté tousiours détourné du desir que i’en auois par
des sentimens qui me paroissoient assez raisonnables. Mais
voyant qu’on s’est mis en peine de luy répondre, & de la refuter
d’assez mauuaise grace ; & qu’outre cela on a fait encore vne Replique
tres-sotte à ce captieux Censeur : Ie croirois estre indigne
de viure, si ie laissois perdre vne si belle occasion que celle de les
desabuser tous trois ensemble ; & de leur apprendre par mesme
moyen, qu’vn quatriéme les peut détruire. Ie me prepare à mieux
faire, si l’on m’y oblige, & si l’on n’obserue pas le silence.
Adieu.

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VERITABLE CENSVRE
de la Lettre d’Auis, escrite par vn Prouincial,
à Messieurs du Parlement.

Et la veritable Censure de la Réponse à la mesme Lettre,
auec la refutation de la Replique à ladite Réponse.

Ou la Critique des trois plus fameux Libelles que nous
ayons veu paroistre, depuis le commencement de ces
derniers Troubles, iusques à present.

LA Prudence m’obligeoit à n’auoir que des yeux
& des oreilles pour toutes les choses qui se sont
passées en ces derniers Troubles : mais voyant
qu’il se trouue encore auiourd’huy des esprits si
malheureux, qui ne se plaisent qu’à troubler le
repos public, qu’à tascher de mettre l’Estat en compromis, &
qu’à ternir l’honneur de ceux qui peuuent disposer de leurs
biens & de leurs vies ; ie croirois que cette vertu de l’entendement
en ce rencontre seroit iniurieuse à Dieu & à la Nature, si
elle ne faisoit seulement que s’occuper à la contemplation de
ces funestes objets, & si elle ne s’exerçoit aux expediens qu’il
faut tenir pour retirer ces Demons incarnez de l’erreur où ils
sont, autant pour la gloire du Souuerain, que pour la iustice
de la cause commune. Il semble que nostre Illustre Prouincial
(comme il le dit fort bien luy mesme au commencement
de sa Lettre) veüille donner de la lumiere au Soleil, & que son
insigne Critiqueur en aytencore beaucoup plus que luy ; puis
qu’il tasche par sa refutation, d’esclairer l’esprit d’vn homme
qui pretend illuminer ce grand Flambeau, qui donne le iour à
toute la terre habitable. Ie m’estonne qu’il ayt songé à donner

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vn tiltre si specieux à la censure qu’il fait de son aduis, sans le
reprendre dans vn ouurage de si longue estenduë, qu’en vn seul
point, & si c’est encore auec des raisons si delicates, qu’à peine
ont-elles la force de se soustenir d’elles mesmes. Il ne veut pas
qu’vn Roy abusant du pouuoir que Dieu luy a donné, cesse
d’estre Roy, & ses Sujets Sujets, lors qu’il n’exerce plus que
l’office d’vn Tyran, & qu’il va contre le serment qu’il a fait
à son Peuple : ce que ie ne veux pas non plus que luy. Mais
pour appuyer sa proposition il nous dit, qu’on ne void en tout
l’Vniuers qu’vne souueraine & vniuerselle Puissance, de laquelle
toutes les autres dependent, qui n’est qu’vn exemple :
Or les exemples ne sont pas des preuues ; parce que s’il se falloit
arrester aux exemples, on en tireroit bien souuent de mauuaises
consequences.

 

Il dit encore, pour donner toute sa vigueur à la Souueraineté,
qu’il la faut poser en vn sujet, & la rendre indiuisible de la
personne. C’est, s’il me semble, passer de l’vne extremité à
l’autre ; puis que ces raisonnemens Physiques, n’ont que des
notions trop sublimes & trop speculatiues, pour vn peuple qui
ne iuge des choses que par les sens, & selon la portée de son
intelligence. Outre que, ie les trouue bien foibles pour vne si
digne matiere, s’il m’est permis de le traiter en amy, & de luy
parler auec franchise. Aristote, Prince des plus celebres Academies
du Monde, nous asseure, qu’on ne sçauroit excellemment
bien connoistre les causes que par leurs effets : de sorte
que s’il s’en faut rapporter à ce diuin Interprete de toute la
plus profonde sagesse Scholastique, il me semble qu’il faut
combattre vn sentiment si pernicieux, que celuy de son aduersaire,
par des raisons plus solides & mieux concertées que les
siennes. Le Syllogisme semblable à l’Enthymeme, au Dilemme,
& à l’Induction, purifié de toutes ses immondices Pedentesques,
est vne excellente maniere de prouuer sa proposition,
lors qu’elle est fondée sur vn veritable principe. En l’Enthymeme
on cache l’vne des propositions, ou pour abreger, ou
pour surprendre : au Dilemme ou donne à son Riual le choix
de deux propositions, pour le conuaincre, aussi bien en l’vne
qu’en l’autre : & à l’Induction on fait seruir de moyen à plusieurs
singuliers, pour prouuer vne conclusion vniuerselle, &
ainsi du reste.

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Voila s’il me semble la vraye methode qu’il faut tenir pour
battre en ruine celuy qu’on veut entieremẽt destruire, ou qu’on
veut parfaitement confondre. Ie ne dis pas cecy pour vous instruire,
Monsieur le Refutateur : mais seulement pour vous faire
ressouuenir de ce que vous aurez à faire vne autre fois en de pareils
rencontres. Vous dires de trop belles & de trop bonnes
choses, pour ne nous pas monstrer euidemment que les sciences
sainctes, curieuses, & profanes, vous sont familieres, & que
vous estes aussi bien fondé, que qui que ce puisse estre en Theologie
aussi bien qu’en Philosophie, qu’en Morale & en Politique.
Toutefois pour ne pas abuser dauantage de vostre patience,
ie passeray de vostre entretien à celuy d’vn Prouincial, qui a
fait plus de bruit que trente, auec sa lettre.

Apres auoir voulu donner de la lumiere au Soleil, & des eaux
à toutes les campagnes flotantes, il dit ; Mon excuse vous paroistra
peut-estre legitime, si ie vous dis que les grands esprits,
pour estre trop attachez aux reflections qu’ils font sur des hautes
affaires, chopent bien souuent en celles qui sont fondamentales ;
parce qu’ils les negligent, comme leur paroissant trop petites.
Comme si les affaires les plus hautes, & les affaires fondamentales
de ces mesmes affaires, estoient deux choses si differentes
& si detachées, qu’on peust cõsiderer les vnes sans les autres :
& comme si ce grand nombre de clairs voyans qui sont
dans vn si Auguste Senat que celuy de Paris, n’estoient pas
en estat de mieux iuger des choses dont ils font vne si solemnelle
profession depuis longues années, qu’vn homme seul, qui n’a
iamais peut estre en sa vie, estudié en des matieres si épineuses
& delicates que celles qu’il veut dire.

L’exemple qu’il rapporte du Philosophe Thales est tres mal
aproprié en ce rencontre. Car si ce sçauant homme chopa, ce ne
fut pas en la contemplation des choses, où son esprit estoit occupé,
& où il se deuoit occuper en ce rencontre. Il estoit trop
bien fondé pour manquer en des sciences qui le firent mettre au
nombre des sept Sages de Grece. Ie croy que si nostre nouueau
Politique eut marché, & qu’il eut eu les yeux tournez vers le
Ciel lors qu’il dictoit sa lettre, comme faisoit ce Philosophe
Thales, lors qu’il contemploit les Astres, qu’il n’auroit pas
chopé seulement, mais qu’il auroit donné tout à fait du nez

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à terre ; & si auec tout cela il pretendroit encore se voir en estat
de donner de la lumiere au Soleil, & des eaux à toutes les mers
du monde.

 

Messieurs du Parlement sont bien esloignez de tomber en de
pareilles fautes. Ces grands hommes ne marchent pas dans les
ruës, & ne s’occupent pas à la contemplation de ces flambeaux
Celestes, lors qu’ils donnent des Arrests sur des matieres si importantes.
Leur personne est assise dans vn lieu où la plus hardie
des femmes n’oseroit faire vne pareille action à celle de la Milesienne,
quand mesmes ils ne feroient que se promener dans la
chambre, & où ils ont tousiours l’esprit porté sur le suiet pour
lequel ils sont assemblez, & sur lequel ils doiuent resoudre. Et
quand par malheur il y en auroit quelqu’vn qui se trouueroit
auoir l’esprit diuerty par d’autres pensées, le grand nombre de
ses Confreres qui sont dans vne si celebre Assemblée, le feroit
reuenir à soy, & l’empescheroit de choir dans vne semblable
disgrace.

C’est en vain, dit-il, qu’on coupe les branches de ces mauuaises
plantes qui s’attachent aux bonnes, si l’on n’en arrache la
racine. Le premier Printemps leur redonne la naissance, & les
fait bien souuent repousser auec plus d’estenduë. Il vous en
peut arriuer de mesme, dans la conioncture des affaires presentes ;
car si vous ne déracinez les desordres qui s’attachent maintenant
au Ministere, vous y pourriez bien en effect apporter
quelque amandement : mais le principe y demeurant, ce sera
tousiours a recommencer, & vous vous exposerez au hazard de
les reuoir dans peu de temps regner, & peut-estre auec beaucoup
de violence.

Sçauroit-on trouuer vn simple garçon de Iardinier qui ne soit
aussi bien congru que luy en des pensées si sublimes. Il vous
donne aduis Messieurs, d’vne chose que le plus ignorant de tous
les hommes peut sçauoir, & que les animaux qui paissent l’herbe
tous les iours sçauent aussi bien que cét illustre Politique. La
comparaison de ces plantes n’est pas moins ridicule que l’exemple
qu’il vient de rapporter du Philosophe Thales ; veu que les
plantes ne repoussent leurs branches, apres qu’on les leur a
coupées, que par vn principe vegetatif, interieur, & naturel de
mouuement, qui sont des operations fixes, stables, & limitées

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dans le suiet corporel, sans qu’elles se puissent corriger en façon
quelconque, & sans qu’elles se puissent produire au dehors de
l’estre qui les contient, pour nuire à ses semblables, ne demandant
à la terre que la nourriture, & leur subsistance, suiuant en
cela l’intention de la nature qui les a produites.

 

Mais il n’en est pas de mesme de l’homme, son ame a des facultez
intellectuelles, electiues, & raisõnables, en vertu desquelles
il peut moderer ses passions & donner des loix à ses saillies, sans
qu’il soit besoin de l’ébrancher, ny d’en arracher la tige pour se
le rendre plus fauorable. Les passions bien mesnagées peuuent
faire son salut & le rendre semblable aux Anges.

La premiere cause des desordres, dit-il, vient de ce que Messieurs
du Parlement ne font pas assez de reflection sur ce qu’ils
sont ; que s’ils auoient consideré ce qu’ils peuuent, ils n’auroient
pas supporté toutes les indignitez qu’il leur a fallu miserablement
souffrir durant le regne passé & pendant la Regence. Ils se
seroient fortement opposez à tant de concussions qui se sont
commises à l’oppression des peuples, dont ils doiuent estre les
Peres & les Protecteurs.

Mais pour ne pas faire vne response, dix fois plus longue que
sa lettre, ie diray succintement qu’il n’offense pas moins le Parlement
en l’accusant d’ignorãce, qu’il offense l’authorité Royale,
en voulant qu’on s’oppose selon sa caprice, aux volontez du
Prince ; asseurant ces illustres Senateurs François, que le Roy ne
peut rien faire ny d’important ny de iuste dans le gouuernement
de ses Peuples, sans leur consentement ; ne considerant pas
qu’il y a des cas reseruez à l’Euesque, & que la tutelle n’est pas
pour les Souuerains ny l’esclauage pour les Maistres. Il me semble
que cette doctrine n’est pas moins pernicieuse que criminelle,
& selon Dieu & selon le monde.

La seconde cause des malheurs, est la venalité des charges de
ces Peres de la Patrie, à son conte. Ils sont contrains de les acheter,
& quelque fois aussi de les racheter par la Paulette. Outre
qu’on les force bien souuent à passer des Edits que la tyrannie
des Ministres leur enuoye. Sans conter qu’ils ont à cõbatre entre
eux l’ambitiõ des vns qui les trahissent, sur l’esperance qu’ils
ont d’estre esleuez à quelque chose de plus eminent, & la lascheté
des autres qui les abandonnent pour les pensions qu’ils

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prennent, & pour la crainte qu’ils ont, ou d’vne interdiction ou
d’vn bannissement.

 

N’est ce pas là parler à leur reuerence comme il faut, & de
bonne grace ? N’est-ce pas là les egratigner en les caressant de
la sorte ? N’est-ce pas là leur dresser de beaux Eloges, que de leur
attribuer aux deux tiers toutes les plus mauuaises qualitez
qu’on puisse donner à des ambitieux, à des laches, & à des traistres ?
De grace, quelles consequences ne peut-on pas tirer au
desauantage de ces rares Magistrats, d’vne proposition si outrageuse,
si l’on veut prendre le soin de l’examiner de bien prés, &
de la considerer en son lustre.

La troisiesme cause de nos malheurs, c’est la promotion qui
se fait des races partisanes aux charges de Conseillers & de Presidens,
pour estre les emissaires des Ministres, & la promotion
aussi de certaines personnes qui sentent la lie du peuple, & qui
font dire de tout le corps, qu’il n’est composé que des ames venales :
raison qu’il estime encore plus forte, sans comparaison,
que toute autre.

N’est-ce pas là parler encore de ces Messieurs, auec des indignitez
qui n’en eurent iamais de pareilles, de dire qu’ils reçoiuent
inconsiderément & auec iniustice, parmy vne si celebre cõpagnie
que la leur, le criminel à qui l’on deuroit faire sõ procez,
aussi bien que les ignobles & les roturiers, issus de la lie du peuple.
Il me semble que c’est dire, auec vne impudence bien extreme,
que tout ce grand corps du Parlement, à qui nous deuons
pourtant toute sorte de reuerence, n’est composé que de
certains petits Dieux, plus auant dans l’infamie que dans la
gloire, & que c’est porter son procez & sa condamnation sur soy,
que d’estre sorty d’vne maison partisane, populaire, ou ignoble :
comme si la vertu estoit ennemie mortelle de la plus part des
mortels : comme si la veritable Noblesse venoit d’ailleurs que
d’vne excellente Vertu : & comme si cette diuine qualité n’estoit
pas vn don du Ciel conferé à toute sorte de personnes, de
quelque condition qu’elles puissent estre.

Enfin tous ces grands exemples qu’il va puiser chez les morts,
pour prouuer ce qu’il veut dire contre les viuans, ne seruent
qu’à le combattre & qu’à le destruire. S’il estoit tres-sçauant en
l’Histoire, il trouueroit que nonobstant toutes les precautions

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donr il nous dit, que ces dignes Senateurs vserent en la promotion
de leurs charges ; qu’il y eut cent mille fois plus de dissention &
plus de trahisons parmy eux, qu’il n’y en a iamais eu parmy les nostres,
& que les diuisions ne viennent pas de la difference des conditions,
mais seulement de la mauuaise intelligence des hommes,
comme il dit en sa quatriesme cause de nos desordres.

 

C’est là où il fait en trois mots vn admirable portrait de l’excellente
vnion de ces Illustres Conquerans, en l’accroissement de leur
Empire, parmy vn tas d’autres choses qu’il dit bien peu considerables,
quoy que ce ne soit qu’vne pure fiction de son esprit, veu la
mauuaise intelligence qui estoit perpetuellement entre ces dignes
Souuerains, ainsi que nous venons de dire.

Mais ce ne seroit pas grand’chose, à son conte, s’il ne rapportoit
vn exemple de Brutus à nos Messieurs du Parlement, que ie n’ose
repeter, tant ie le trouue abominable.

Apres cela que fait-il encore ; vn discours bien ennuyeux, où il
montre qu’il ne faut point faire d’accommodement quelconque ;
que le Parlement ne doit point mettre les armes bas ; qu’il n’en
sçauroit abuser, quoy qu’il en puisse faire ; & finalement qu’il ne doit
point consentir à faire aucun Traicté de Paix auec la Reyne ; parce,
dit-il, premierement, qu’elle luy seroit honteuse ; secondement,
parce qu’elle ne luy peut estre que trop dangereuse ; & en troisiéme
lieu, parce qu’il ne la sçauroit faire.

Ne voila pas à ce coup là donner de la lumiere au Soleil, & des
eaux à toutes les mers de la terre ? Si le Parlement n’auoit pas mis
les armes bas, n’auroit-il pas irrité Dieu contre luy, qui veut qu’on
honore les Roys, qu’on leur soit sujet, & qu’on se garde de leur indignation ?
N’auroit-il pas esté la cause d’vn nombre infiny de malheurs
que la guerre traine auec soy, & desquels il auroit esté à iamais
responsable ? N’auroit-il pas mis le fer & le feu, le meurtre,
le vol & les violences dans sa propre Patrie ? N’auroit-il pas enuoyé
par ce moyen là vn million d’ames en Enfer ? Et n’auroit-il pas dans
cette conioncture d’affaire donné moyen aux ennemis de l’Estat,
de reprendre tout ce que nous auons pris sur eux, & leur donner
iour peut-estre d’entrer en France, & de mettre la Monarchie en
compromis à toute la tyrannie estrangere.

Quelle certitude peut-on tirer de l’esprit d’vn mauuais Prophete.
N’est-il pas de la race de ceux qui conseilloient A chab de faire la
guerre à la ville de Ramoth, qui est en Galaad, region de Galilée,

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en la bouche desquels Dieu auoit mis vn esprit de mensonge ? Si cela
est qu’il se coiffe de la coiffure que Sedecias se coiffa, lors qu’il
voulut contrefaire ceux que l’Eternel inspiroit, & qu’il combloit
de ses graces.

 

Mais si nous ne deuons pas condamner les parties sans les oüyr,
voicy les raisons qu’il allegue pour montrer que la Paix ne se peut
pas faire en façon quelconque. Premierement, parce que les Arrests
de nostre Illustre Senat doiuent estre sacrez & inuiolables, que la legereté
& l’inconstance sont blasmables en qui que ce soit, & principalement
en vne si Auguste Compagnie. Qu’il n’y a nulle apparence
de casser les Decrets qu’elle a donnez contre le Cardinal ; que ce
luy seroit vne honte de receuoir celuy qu’elle venoit de declarer
ennemy du public, & dont elle auoit loüé & recompensé les ennemis,
qu’il est pernicieux à l’Estat, perturbateur du repos public, ennemy
du Roy & du Royaume, & qu’elle a confisqué ses biens comme
ceux d’vne personne criminelle.

Il me semble, sans perdre le respect que nous deuons à vne personne
si éclairée, qu’il y a de la fausseté en sa premiere raison. Car
quelle apparence y a-t’il qu’vn homme comme luy puisse estre ennemy
d’vn Roy & d’vn Royaume, dont il reçoit tous les iours des
bien-faits incroyables. La Nature des graces n’attirera iamais la
haine de qui que ce fust, sur celuy qui nous les dispense, fussions
nous mesmes plus méconnoissans qu’vn Tygre. L’exemple d’Androde
de Dace, & de plusieurs autres, dont ie me pourrois seruir, me
fourniroient d’assez suffisantes preuues de mon dire, si cela n’estoit
trop long pour vne si petite piece que la mienne.

Outre cela ie trouue le reste de sa proposition assez mal concertée,
pour vn esprit si clair-voyant, & si fort entendu en toute sorte d’affaires.
Ce que le Roy & le Parlement font en faueur d’vn particulier,
ne le peuuent-ils pas faire en faueur d’vn premier Ministre d’Estat,
& d’vn Prince de l’Eglise, quelque criminel qu’il puisse estre ?
On interine bien souuent des graces pour des gens moins cheris des
Souuerains, & moins considerables à leurs personnes. Il n’est rien
qui fasse tant éclater la puissance des Grands, que la Clemence & la
Misericorde : Ce sont les deux attributs dont Dieu se glorifie le
plus, & dont l’excellence de leur immensité se sert incessamment
pour se manifester beaucoup mieux parmy ses creatures.

Si sa Diuine Majesté n’auoit point de clemence pour nous, & que
sa Misericorde abandonnast les hommes à sa Iustice, le monde seroit

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bien tost depeuplé ; & nostre donneur d’auis, aussi bien que le
reste des mortels, se trouueroit miserablement logé dans vne eternité
tres-malheureuse. De tel iugement que tu iugeras ton prochain, dit
la Verité permanente, tu seras iugé toy-mesmes. C’est vn Arrest inuiolable,
donné contre les grands & les grands & les petits, de quelque condition
qu’ils puissent estre.

 

La seconde raison qu’il allegue pour montrer que la Paix nous
seroit tres dangereuse, si elle se faisoit, ou pour dire comme il dit,
qu’elle ne se peut pas faire ; c’est parce, dit-il, parlant à Messieurs du
Parlement, qu’il faudra de necessité que vous relaschiez quelque
chose de vos droits, & que relaschant ce sera que vous permettiez
que le Cardinal demeure en France en quelqu’vne de ses Abbayes :
cela estant moralement impossible, sera-ce à condition qu’il sortira
de France, qui est l’vnique pierre d’achopement ? Nous n’en sommes
plus dans ces termes là, les choses ont changé de face ; & ceux
qui le protegent & qui le suiuent, ne sont pas moins criminels que
luy, pour ne pas dire plus.

Si vous vous contentez de bannir le Cardinal, tous ces gens-là
demeureront ; & si cela est, en quelle asseurance serez vous, s’ils viennent
à reprendre leur credit, comme il leur sera facile, quand vous
aurez mis les armes bas, en quel estat reduiront ils la France ? Les
Princes qui ont auec ardeur embrassé vostre party, seront-ils en seureté
de leurs testes, s’ils sont contraints d’obeyr à ceux contre qui ils
sont armez ? Seront-ils en egale puissance ? Cela ne se peut ; deux contraires,
disent les Philosophes, ne se peuuent endurer en vn mesme
sujet : & en matiere de grandeur, & de grandeur ennemie, il n’y
peut auoir de pareil. Quoy donc, donneront-ils la loy ? Il ne se peut
dans vn accommodement, & par consequent il est moralement impossible
de faire de Paix sans s’exposer en vn danger tres-euident.

Voicy bien, s’il me semble, de la matiere à resoudre en vn seul
article. Mais voyons si la chose nous sera aussi impossible, que le
Traicté de Paix l’est à son conte, & qu’il ne veut pas que Messieurs
du Parlement sçachẽt faire, pour les raisons qu’il vient de nous dire.

Ie reparts d’abord, que s’il est impossible que la Paix se fasse, qu’il
luy est impossible aussi de dõner des aduis à Messieurs du Parlement,
qui ne leurs soient inutiles ; puis que personne du monde ne sçauroit
faire l’impossible. En suitte il dit apres, qu’il faudra que vous
relaschiez quelque chose de vos droits ; la Paix est donc possible.
Voila bien de la contrarieté en vn esprit comme le sien, qui veut

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donner de la lumiere au Soleil, & qui pretend estre si entendu aux
affaires de cette Monarchie. Il faudra que le Cardinal s’en aille en
quelqu’vne de ses Abbayes, ou qu’il sorte de France. Nous auons
pourtant la Pàix, qu’il tenoit impossible, & Monsieur le Cardinal
n’a pas fait ny l’vn ny l’autre. Ceux qui le protegent & qui le suiuent,
ne sont pas moins criminels que luy, pour ne pas dire plus.
Ceux qui le protegent sont le Roy, la Reyne, Monsieur le Duc
d’Orleans, & Monsieur le Prince ; ils sont donc criminels à son conte.
Ceux qui le suiuent, c’est toute la Cour, c’est le Conseil, c’est
tous les Officiers de la Couronne, c’est tout le Regiment des Gardes,
c’est toute sa Maison, en vn mot ce sont toutes les Armées où
sa Maiesté commande. Voila vn bon nombre de criminels bien tost
faits d’vn seul trait de sa plume. Si vous vous contentez de banir
seulement le Cardinal, & que tous ces gens-là demeurent, ie vous
prie de considerer, Messieurs, où vous en serez, & où vous pourrez
trouuer vos asseurances.

 

Il ne restoit plus à dire à ce nouueau Politique, si ce n’est que
Messieurs du Parlement seroient aussi criminels que tous ceux que
nous venons de nommer, s’ils ne faisoient pas ce qu’il leur conseilloit
auec tant d’iniustice. Ie vous prie de considerer vous mesmes,
Monsieur le Politique, si vous n’estes pas bien criminel, d’auoir eu
seulement l’idée d’vn si abominable sentiment, & s’il se peut trouuer
vn supplice égal à l’offense que vous venez de faire. Le Parlement
de Paris est trop Venerable & trop Auguste, pour n’auoir pas
des pensées de cette nature en horreur, & pour ne sçauoir pas de
quelle sorte ils doiuent traiter auec leur Maistre.

Les Princes qui ont embrassé leur party auec tant d’ardeur, seront-ils
en seureté de leurs testes ? Ouy, Monsieur, ils le seront,
quoy que vous en puissiez dire. Le Roy n’est-il pas guarent de la
foy qu’on nous a iurée ; quoy que vostre premier censeur ne veuille
pas qu’ils soient obligez de tenir le serment qu’ils auront fait à
leurs Sujets, en qualité de Roys, comme si la dignité, & la foy
estoient des choses incompatibles. Ce seroit vne mauuaise consequence,
laquelle n’obligeroit pas bien fort les creatures, à croire
aux paroles d’vn Createur, qui ne fera iamais rien contre les choses
qu’vne fois il aura promises. Mais à vne autre fois cette repartie.
Voicy pourtant trois raisons sur lesquelles il se faut asseurer, & sur
lesquelles ie me fonde.

Premierement, il y va de l’honneur du Roy, des Regens, & de

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son conseil, que leur Foy soit inuiolable. Secondement, s’ils l’auoient
faussée, on ne se fieroit iamais plus en leurs sermens, & l’on aimeroit
mieux mille fois perir, que de se confier vne autre fois en leurs promesses.
Et finalement, qui est encore la raison la plus considerable & la
plus forte, c’est qu’ils doiuent vn iour rendre compte à Dieu de toutes
leurs actions, deuant qui elles se sont passées, aussi bien que le moindre
des hommes. Et puis à tout rompre, le mesme Createur & les
mesmes creatures qui nous assistoient dans les affaires passées, ne manqueroient
pas de nous proteger encore vne seconde fois en la iustice
de nostre cause, s’il le falloit faire.

 

Quoy donc, nous donneront-ils la Loy ? Non, Monsieur, ils ne
nous la donneront pas, car ils nous l’ont desia donnée, & si cela s’est
pourtant fait, sans s’exposer en aucun danger, qui soit euident ny aux
hommes, ny aux Anges.

Mais voyons si sa trosiéme raison qu’il tire par vne consequence
necessaire, sera plus raisonnable que les deux precedentes. De quel
front vous pourront regarder ces gens-là, qui se sont vantez de lauer
leurs mains en vostre sang ? qui ne demandoient pas moins que huict
Conseillers, & quatre Presidens à leur choix, pour les immoler à
leur fureur comme des victimes. Et vous, comment pourrez-vous
les regarder de bon œil ? Serez vous tousiours dans la défiance,
ou tousiours en armes, cela ne se peut faire. Et le peuple qui n’aura
peut-estre pas tant de retenuë que vous, pourra-t’il voir de ses
yeux, des gens qui ont exercé tous les actes d’hostilité imaginable
sur tout ce qui luy appartenoit ? qui deuoient brusler Paris, mettre la
corde au col de tous les Bourgeois, & qui authorisent le viol, les larcins,
& les sacrileges. Eux pourront ils voir des Bourgeois qui les ont
morguez, & qui par tant de Libelles diffamatoires, ont publié l’infamie
& l’enormité de leurs crimes ? Enfin, que diront les autres Parlemens
auec qui vous auez fait alliance ? Que diront les gens de guerre
que vous auez fait venir ? & les Seigneurs que vous auez engagez à
vostre party, qui ne sçauroient faire de paix s’ils ne la donnent. Cela
estant, i’y consens, autrement, mourons plustost, que de rentrer dans
la seruitude.

Voila plaisamment tirer vne troisiéme raison des deux premieres,
par vne necessité de consequence bien friuole. Il faudroit n’auoit
pas iamais esté instruit en la Loy Chrestienne, si l’on vouloit ignoret
les moyens qu’il faut tenir, pour arriuer à des fins qui ne sont pas fort
difficiles. Sa souueraine Bonté pardonne bien souuent à des villes

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toutes entieres, à cause de bien peu de iustes ; & ceux qui ne l’imiteront
pas, n’heriteront iamais de la vie bien heureuse. Où trouuerez
vous vne ame, quelque reprouuée qu’elle puisse estre, qu’elle ne
tremble pas, en priant sa diuine Majesté de luy pardonner ses pechez,
ainsi qu’elle les pardonne à ceux qui l’ont offensée ? Si son intention
n’estoit pas bien portée, en disant son Oraison Dominicale, à faire ce
qu’elle promet à cette adorable puissance, elle verroit comme vn autre
Baltasar Roy de Babylone, escrite sa condamnation sur tous les
obiets où elle tourneroit sa veuë, par la mesme main qui escriuoit la
sienne, pour auoir profané les Vaisseaux du Temple, en vn banquet
qu’il faisoit auec ses concubines. Aimer Dieu de tout son cœur & de
toute son ame, c’est faire le premier commandement de la Loy : mais
aimer son prochain comme soy mesme, c’est faire l’accomplissement
de la Loy toute entiere : & qui ne le fait pas, est hors de la grace, &
celuy qui est hors de la grace, est hors de salut sans remission quelconque.
Outre que, Monsieur le nouueau Politique auance bien là des
paroles qui n’ont iamais este seulement pensées de leurs Majestez, si
cela se peut dire, sans offenser sa Reuerence. Mais que diront les autres
Parlemens ? Que diront les gens de guerre que vous auez fait venir ?
Et que diront les Seigneurs que vous auez engagez à vostre party,
qui ne sçauroient faire de Paix s’ils ne l’a donnent ? Ils diront, s’ils
se mettent en la place de ces Illustres Senateurs, pour bien iuger de la
chose, qu’ils ont fait ce qu’ils doiuent faire, que l’interest public, nonobstant
toutes oppositions & appellations quelconques, est tousiours
preferable à l’interest de quelques particuliers. Et qu’vne Paix, quelque
malheureuse qu’elle puisse estre, vaut cent fois mieux que toutes
les meilleures guerres du monde. Ainsi la Paix s’est faite, sans que ces
Seigneurs nous l’ayent donnée, sans que Monsieur le Prouincial y
ait consenty, & sans qu’il luy en ait cousté la vie.

 

De grace, escoutons le reste ; il nous veut apprendre qu’il y a bien
à distinguer, entre la puissance d’vn Roy maieur, & celle de ses Ministres
dans sa minorité. C’est icy où ie puis dire sans faillir, qu’il se
debat contre son ombre, puis que personne du monde ne luy a pas encore
contesté vne proposition si vetitable : car où est celuy qui voudroit
soustenir le contraire ? N’est-ce pas aussi qu’il veut encore de
nouueau esclairer le Soleil, & donner des lumieres à celuy qui en dõne
à tout le reste ? Les Nations les plus denuées d’intelligence, sçauent
fort bien demesler ces matieres, & le plus ignorant d’entre eux,
n’a iamais pris le valet pour le maistre, quelque mauuaise impression

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qu’il puisse auoir de ses semblables. Ne sçait-il pas luy-mesme, que
Dieu ne donne de ieunes Roys à ses Peuples, que pour les rendre malheureux,
& que pour les punir de leurs crimes ? Ce sont des Decrets,
contre qui les Requestes Ciuiles n’ont point de vertu, & qu’il nous
faut subir malgré que nous en ayons auec patience. Mais le Roy, ditil,
n’estant pas en estat d’agir de sa personne, il faut donc que ceux
qui ont le plus d’interest en la conseruation de son Royaume, refrenent
l’insolence de ces zelez Ministres, qui sous ce masque de l’authorité
Royale, tranchent des Souuerains, & rauagent le Domaine
du Roy, comme vne terre ennemie.

 

Mais de grace, Monsieur le Docteur, qui entreprendra d’aller contre
la volonté de Dieu, du Roy, & des Regens, sans choquer des Souuerainetez,
qui ne peuuent pas souffrir qu’on les choque ? Ne sçauez
vous pas bien que les Peuples ont receu les Roys de la main d’vne
Puissance infinie, à condition qu’ils prendront leurs enfans, qu’ils disposeront
de leurs biens & de leurs vies, qu’ils crieront à sa diuine
Majesté pour estre deliurez, sans qu’il les veüille exaucer en façon
quelconque ? Ne sçauez vous pas bien que les Ministres Fauoris sont
à la personne du Souuerain, ce que les facultez de l’ame sont à cette
admirable viuifiante ? Ne sçauez vous pas bien, que le Prince & le Cõseiller
d’Estat, sont tellement attachez d’interest par vne consequence
de necessité, qu’on ne sçauroit les desunir sans crime : Qui choque
le Ministre necessaire au Souuerain, ne choque pas seulement l’obiet
de la plus legitime de ses passions ; mais il choque encore vne personne
qui luy doit estre sacrée : C’est vne confusion d’interests si grande,
que la Nature de l’vn, se trouue toute confonduë en la nature de
l’autre. Que faut-il donc faire à cela ? Il faut tascher d’obliger Dieu,
le Prince, & les Regens, par de tres-humbles supplications, à nous
regarder d’vn œil de pitié, & d’auoir quelque compassion de nos miseres.
Et quand toutes nos puissances terrestres auroient le cœur aussi
endurcy, que ceux qui resistoient aux souhaits des Israëlites, ce Souuerain
Seigneur de l’Vniuers, ne manquera iamais d’exaucer les cris
de ceux qui le seruiront, & qui l’inuoqueront dans leurs necessitez
contre la mesme tyrannie. Ce sera alors que vous verrez ces zelez
Ministres d’Estat, qui sous ce masque de l’authorité Royale, comme
vous venez de dire, contrefont les Potentats, & rauagent le Domaine
du Roy, comme si c’estoit vne terre ennemie, susmis à la raison,
par vne puissance si funeste à ceux qui ne se veulent pas reconnoistre,
qu’il n’est rien au monde de si surprenant, ny de si terrible.

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Ils auront beau s’armer de l’Empire du monde,
Et d’vne vanité, qui n’a point de seconde,
Trancher des Souuerains, & brauer nostre sort :
Dieu leur fera sçauoir, par vne guerre ouuerte,
Qu’il n’est rien icy bas, qui ne tente à leur perte,
Ou bien qui ne conspire à leur donner la mort.

 

Que n’a t’il pas fait en faueur de ceux qui l’ont prié d’vn grand
zele ? Les miracles en sont si frequens, & si connus de toutes les Nations
de la terre, qu’il n’est pas besoin d’amplifier ce petit discours de
leurs exemples. Il faudroit estre tout à fait stupide, ou meschant iusqu’à
la rage, pour ne vouloir pas adiouster quelque espece de foy aux
Decrets d’vne parole inuiolable.

Mais, Monsieur le nouueau Politique, vous passez insensiblement
de certaines questions où ie ne faisois que me diuertir en des questions
de conscience. Vous ne voulez pas que le Roy soit Maistre de
nos biens & de nos vies : & vous voulez qu’il y ait vne grande difference
entre deux propositions que vous faites, qui sont, sçauoir si le
Prince peut prendre l’vn & l’autre, pour en disposer à sa fantaisie, ou
si nous deuons employer tous les deux pour son seruice. La premiere,
dites vous, suppose vne puissance despotique & seigneuriale, & la
seconde vne suiettion dans le sujet, qui l’oblige à seruir son Prince
au despens de son sang, & de ses biens, quand la necessité est grande.
Iamais la France n’a esté en gouuernement despotique, si ce n’est depuis
trente ans, que nous auons esté sousmis à la misericorde des Ministres,
& exposez à leur tyrannie, & que la France est vne pure Monarchie
Royale, où le Prince est obligé de se conformer aux Loix de
Dieu, & où son Peuple obeïssant aux siennes, demeure dans la liberté
naturelle, & dans la proprieté de ses biens. En suite, vous rapportez
vne grande partie de l’Histoire, pour monstrer que la France n’est
pas vne terre de conqueste, ainsi que l’Empire du grand Turc, dont
le Seigneur s’est fait Maistre par la voye des armes, & qui peut pour
cela mander à ses Bassas de luy apporter leurs testes sans leur faire iniustice,
ayant tousiours retenu le pouuoir de Conquerant, qui donne,
suiuant le droit des gens, la puissance de traitter ses Subjets comme
des Esclaues.

Et moy, ie réponds à tout cela, Monsieur, que bien que la France
ne soit pas vn pays de conqueste, ny vne Monarchie despotique, &
que nos anciens Gaulois se soient librement sousmis à la domination
de Meroüée, sans coup ferir, & qu’ils ayent eu la temerité de chasser

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son fils Chilperic, tout Roy qu’il estoit, pour mettre Gillon en sa place :
& qu’eslire & destituer, ne soient pas des marques d’vn peuple subiugué,
mais d’vn peuple libre, ie ne laisseray pourtant pas de vous
presser iusques au point de vous faire dire, que vous estes aussi mauuais
Chrestien, que mauuais Politique. Car si vous auez droit de tirer
vos consequences d’vn Meroüée, que des Subjets esleuerent à
cette dignité Royale, il me semble que i’en auray bien plus de tirer
les miennes d’vn Saül, que Dieu prit le soin de couronner luy mesme
de sa propre main, quelque meschant qu’il fust, sur vn Peuple qu’il
cherissoit par dessus tous les autres. Ce que ce Souuerain Seigneur
fait, doit auoir plus de credit dans l’esprit des hommes, que tout ce
que ses creatures sçauroient faire ; & ses promotions sont d’vne nature
bien plus stable, & plus importante que les nostres, sans contredit
quelconque.

 

Les Israëlites, comme nous auons desia dit, demanderent vn Roy
pour les gouuerner & pour les conduire, à ce Souuerain Legislateur
du Ciel & de la Terre : & ce diuin Seigneur les reprit aigrement, de
voir qu’ils luy demandoiẽt vn homme mortel pour leur Prince. Mais
ces remonstrances ne seruirent de rien sur des esprits preoccupez de
passion, & qui persistoient tousiours en leurs demandes. Nonobstant
tout cela, ils ne laissent pas de perseuerer en leurs volontez & de continuer
leur instance. Apres cela, Dieu leur fait voir encore derechef,
qu’il ne sçauroit consentir à leurs importunitez, que sous des conditions
tres-seruiles & tres-outrageuses. Tout cela ne sert de rien sur vn
Peuple si opiniastre. Leur desir s’augmente dans le refus, & les remonstrances
les mieux concertées leurs sont inutiles.

Ils veulent vn Roy, à quel prix que ce puisse estre. Si bien que le
Createur fut obligé de ceder quelque chose aux importunitez de ses
creatures : mais ce ne fust pourtant qu’à condition, qu’il pourroit
prendre leurs biens & leurs enfans, qu’il disposeroit des vns & des autres
comme bon luy sembleroit, & qu’il les traitteroit auec des cruautez
si grandes, qu’ils seroient contraints de l’appeller à leur secours
pour les deliurer, qu’il ne les exauceroit iamais, & qu’il n’escouteroit
pas mesme leurs plaintes. Ce que Dieu voulut absolument ainsi pour
les punir, de ce qu’ils auoient esté si temeraires, que d’oser preferer
vn homme mortel à sa saincte & sacrée Personne. Iugez ie vous prie
apres cela, de grace, si les Subjets ont droit de s’opposer à l’authorité
de leurs Souuerains, puis qu’ils ne les ont receus de la main de ce
Tout-Puissant, que sous les conditions que nous venons de dire.

Les traitez que cét adorable Seigneur a faits auec ses bien-aimez,

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ne doiuent pas estre moins inuiolables, que ceux que Meroüée faisoit
auec ses idolatres : & les Decrets de l’Escriture saincte ne nous
sont pas en moindre veneration, que les authoritez de l’Histoire profane.
Vous voila desia vaincu par des Arrests que vous ne sçauriez casser,
sans vous combler l’esprit d’vne reprobation eternelle. Cela vous
fait bien voir, Monsieur, que les Roys ont vne puissance tellement
souueraine sur leurs Sujets, qu’ils n’ont qu’à choisir auec vne extreme
resolution, ou la mort, ou l’obeïssance. L’Escriture saincte est
assez fertile en des exemples de cette nature : & vostre premier Censeur
ne manque pas de vous en fournir d’vne assez bon nombre sur cét
article. La Sapience infinie nous apprend au huictiéme chapitre de
son Ecclesiaste, que le Roy peut faire de nous tout ce qu’il luy plaira,
sans exception quelconque. Ce mot de tout, est vn terme si vniuersel,
que l’entendement humain ne se sçauroit rien figurer, qui ne soit
compris de celuy qui comprend toutes choses. Quoy, oserez vous
bien apres cela, criminel Politique, donner des bornes à vne puissance
si absoluë & si approuuée, que celle des Monarques. Ce n’est pas
moy qui parle, c’est vn Dieu qui veut estre creu & obey sur peine
de la vie eternelle. Quiconque mesprisera ma parole, dit-il en sainct
Matthieu chapitre 10. sera plus griefuement puny que tous les Sodomites.
N’est-ce pas là nous donner la liberté de contrarier leurs volontez,
& de poser des bornes à leur puissance ? Est-ce là, de grace, nous
donner les moyens d’armer contre eux, & de les deposseder de leurs
Throsnes ? Israël demeurant tousiours souple, & tousiours obeïssant
sous la tytannie de Saül, nous apprend assez bien ce que nous deuons
faire, comme ie l’ay dit cy-deuant, en cas de pareille rencontre. La
puissance absoluë est si necessaire à la Royauté, que le Prince ne sçauroit
estre iamais bien Souuerain, si elle se trouuoit tant soit peu lezée.
Ouy, la Royauté est vne dignité si esleuée au dessus de toutes les autres
dignitez, qu’il n’est que Dieu seul qui luy puisse prescrire des
Loix, & borner vne authorité si legitime. La puissance Royale n’est
pas moins inseparable de la personne des Souuerains, que la puissance
Ecclesiastique l’est du Chef de l’Eglise militante. Toutes deux
viennent immediatement de la part de Dieu, & la derniere n’a pas
plus de direction sur l’estre spirituel, que la precedente sur l’estat des
choses terrestres.

 

Les Roys sont des personnes si sacrées, que Dieu ne veut pas en
aucune sorte, qu’on soüille le respect qu’on leur doit de la moindre
de nos pensées. Songeons seulement à souffrir toutes les iniures
qu’ils nous feront patiemment souffrir pour l’amour de Iesus-Christ,

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si nous voulons faire des merueilles pour nostre salut & pour nostre
gloire. Ces petits Dieux terrestres sont des Souuerains ordonnez de
l’Esprit infiny, pour rendre la Iustice à leurs Sujets, & non pas pour
la receuoir de qui que ce puisse estre. Le cœur de ces Arbitres de
l’Vniuers est en la main de ce Tout-puissant, & nous deuons les honorer,
& nous garder de les auoir pour ennemis en façon quelconque.
Ne perseuere point en des choses mauuaises, dit cet Adorable Legislateur,
car ils feront tout ce qu’il leur plaira, & de ce qui t’appartient,
& de ta personne mesme. La puissance ne les abandonne iamais, &
leur parole nous doit estre continuellement redoutable. Le Sacrement
dont sa Prouidence eternelle les a voulu gratifier, les doit rendre
venerables à tous les peuples de l’Vniuers, & fussent-ils mesmes
tachez de quelque espece de tyrannie. Cet illustre charactere de
grandeur ne leur a esté enuoyée du Ciel, que pour marquer l’admirable
puissance qu’ils en ont receuë. Enfin ce signe visible d’vne chose
inuisible, leur est vne authorité si mysterieuse, qu’à peine peut-elle
estre parfaitement bien comprise des esprits plus doüez d’intelligence :
& nostre nouueau Politique apres cela, n’aura pas de la veneration
pour des personnes si sacrées. Quiconque méprise la puissance
souueraine, méprise le Souuerain qui l’a ordonnée : & qui méprise
le Souuerain qui l’a ordonnée, se rend abominable à Dieu &
aux hommes. Sainct Paul dit qu’il faut estre sujet aux Puissances
superieures, & qu’il n’en est pas vne qui ne soit ordonnée de Dieu.
Il faut inferer de ce Decret inuiolable, que ceux qui resistent à la
Puissance ordonnée de Dieu, resistent par consequent à l’ordonnance
de Dieu mesme, & se mettent au nombre des ames reprouuées.

 

Mais de grace, que fist Iesus-Christ, ce veritable Exemple de la
vie Chrestienne, tout innocent qu’il estoit, en la persecution d’Herode,
luy qui pouuoit armer le Ciel & la terre pour la defense de sa
cause ? Il ne s’amusa pas à disputer contre ce malheureux Prince, ny
de son pouuoir, ny ne ses droits : mais il s’enfuit en Egypte, pour ne
pas choquer vne Puissance qu’il auoit luy mesme establie. Quand les
mouches à miel sont en la disgrace de leur Princesse, elles se percent
le cœur de leur propre aiguillon, pour ne pas viure dans ce desordre.
Les Perses se reduisent en cendre, touchez d’vne mesme aduenture.
Xenophon veut qu’il n’y ayt point d’animal au monde plus ingrat à
son Superieur que l’homme. Et nonobstant tout cela vous douterez
encore de la nature du tribut qu’on doit rendre à son Prince, puis qu’il
peut prendre tout ce que nous auons quand bon luy semble. De sorte
qui si nous sommes obligez de rendre au Roy ce que nous luy deuõs,

-- 20 --

ie ne croy pas que l’homme se puisse vanter d’auoir quelque chose à
soy qui ne luy appartienne, & moins qu’il luy puisse payer le tribut
que vous voulez qu’il luy paye, que de son propre Domaine, puis que
nos biens & nos vies sont du nombre. Et c’est là veritablement la seule
raison par laquelle il se trouue inalienable, comme vous dites, veu
que Dieu veut qu’il soit vniuersellement affecté sur tout ce que le
Sujet possede ; si bien qu’on ne luy sçauroit dénier ce qui luy est deu,
sans se mettre au hazard d’estre puny selon l’enormité du crime. Enfin
si les imposts ont causé de grands troubles, c’est parce que le Souuerain
n’a trouué sous sa domination que des esprits de rebellion, &
des ames bien peu Chrestiennes.

 

Ce que nous venons de dire suffira pour répondre à cette grande
trainée de discours, qui sont dans les trois derniers cahiers d’vn si digne
& si Royal Ouurage que le vostre, & ausquels il a esté suffisamment
répondu par le premier Refutateur de vostre Lettre. Neantmoins
ie ne laisseray pas en chemin faisant devous demãder, par quelle
raison d’Estat est-ce qu’vn Roy, qui abuse du pouuoir que Dieu
luy a donné, cesse d’estre Roy, & ses Sujets Sujets ; & que l’vn se dispẽsant
de son deuoir, l’autre se peut bien tirer de son obeïssance. Voila
s’il me semble vne maxime tres odieuse à vne Puissance qu’vn absolu
Legislateur a renduë si souueraine. Et voicy à peu prés le nœud de l’affaire,
si ie ne me trompe. Vous dites que quand les Roys viennent à
la Couronne ils iurent sur les sainctes Euangiles, qu’ils maintiendront
l’Eglise de Dieu à leur pouuoir, qu’ils obserueront les loix fondamentales
de l’Estat, & qu’ils protegeront leurs Sujets selon Dieu
& raison, ainsi que de bons Roys doiuent faire. Ie veux que cela soit
ainsi : mais voyons si vous entendez bien vostre Obiection, & si cela
fait quelque chose en faueur de vostre consequence. Vous voulez
donc que si le Roy manque au serment qu’il a fait à ses Sujets, que
ses Sujets manquent à l’obeyssannce qu’ils luy ont promise.

Premierement, mon deuancier vous a dit, que le Monarque &
la puissance estoient deux choses indiuisibles : mais cela ne fait rien
contre vous, attendu que vous ne vous amusez pas tant à faire leur
diuision, qu’à les chasser & qu’à les destruire tous deux ensembles.
Il vous dit encore, que les Roys ne sont pas obligez de tenir
les serments qu’ils ont faits à leurs Sujets ; ce qui fait contre Dieu,
contre l’honneur du Souuerain, & contre la Iustice qu’ils doiuent
rendre à leurs peuples. Dieu leur defend pourtant de iurer
en vain, & sa saincte & sacrée Majesté donne sa malediction à
tous ceux qui ne rendront pas leurs promesses d’vne nature inuiolable.

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Dieu confirme bien sa promesse par serment, afin qu’elle soit
accomplie : & ce grand Censeur François ne voudroit pas que les
Roys, qui ne sont pas de meilleure maison, ny d’vne condition plus
releuée, s’en peussent dispenser à leur mode. Si les Roys ne veulent
pas tenir leurs serments pour l’amour de leur Sujets, du moins
les doiuent-ils tenir pour le respect du Seigneur de l’Vniuers, deuant
qui, & au nom de qui ils sont faits, & pour l’honneur qu’ils se
doiuent rendre.

 

Mais ce n’est pas encore là, s’il me semble, bien toucher au texte
que nostre nouueau Politique a posé pour son fondement, ny bien
viser à ce qu’il vient de dire. Le Roy a iuré qu’il maintiendroit l’Eglise
de Dieu, qu’il obserueroit les loix fondamentales de l’Estat,
& qu’il protegeroit ses peuples. Ouy, ie le veux comme vous, &
c’est vne chose que ie ne veux pas contrarier en façon quelconque.
Mais le Prince & le peuple n’ont pas iuré ensemble, que si le Monarque
ne faisoit rien de tout ce qu’il promettoit, qu’il cesseroit d’estre
Roy, & ses Sujets Sujets, & que par ainsi le Souuerain se dispensant
de son deuoir, les peuples se dispenseroient aussi de leur
obeyssance. Si cela n’est pas, la condition auec laquelle il est monté
sur son Throsne, vous auez grand tort de vous en seruir pour l’en
vouloir deposseder, si vous ne voulez faire voir que vous l’en voulez
descendre auec iniustice. Le prouerbe dit, qu’il n’y a au marché
que ce que l’on y met, & l’on ne se sçauroit obliger que selon
les clauses. Si par les raisons du serment qu’il a fait à ses Subjects,
il ne s’est pas esleué au faiste des grandeurs où il se void, par les mesmes
raisons du serment violé, il n’est pas juste qu’il en descende.
Ce sont des sermens auec lesquels, mais non pas par le moyen desquels
il s’est acquis l’Empire. Les sermẽs hors de la fin pour laquelle
nous les faisons, sont de nulle efficace. Que si le Prince ne tient pas
la promesse qu’il nous aura faite, il n’en faut blasmer que sa mauuaise
foy, & non pas s’en prendre à vne puissance qui ne releue en aucune
façon des hommes. Pour donner vn office, vne charge, vne dignité,
ou bien vn Empire, il faut auoir quelqu’vne de ces choses là à sa deuotion,
où pour mieux dire à son propre ; puis que selon le Prince de
l’Academie Scholastique, nous ne sçaurions dõner ce que nous n’auõs
pas, & moins encore ce qui n’est pas nostre. Mais quãd cela se pourroit
faire, dites moy de grace où est l’vnique en son espece qui se voudroit
despoüiller d’vn si friand morceau en faueur de son riual, s’il
l’auoit à sa deuotion, pour en disposer à sa mode ? Primo mihi, secundo
tibi, sont maintenant les fins où visent toutes les intentions des hommes

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du siecle. La Royauté est vn accident concret, & inseparable
de sa substance, Monsieur le nouueau Politique. Ouy, ce sont deux
estres indiuisibles, en quel sens que vous le puissiez prendre. Les abstractions
ne sont que des especes imaginaires & phantastiques, qui
ne sçauroient aucunement subsister que par la force de nos réueries,
Les Royaumes ne s’acquierent que par eslection, ou par succession,
ou par force : mais les moyẽs d’y arriuer par quelqu’vne de ces voyes
là, ne sçauroit venir que de Dieu, ainsi que nous l’auons suffisamment
prouué par plusieurs raisons, qui est le veritable chemin qu’il
faut tenir pour bien verifier les choses ; & par plusieurs authoritez
de l’Escriture Saincte, qui sont des oracles sacrez, ausquels vn bon
Chrestien comme vous, n’oseroit contredire, si sa reprobation ne
veut estre manifestée. Les essections, les successions, & les forces,
sont des dons de Dieu conferez à qui bon luy semble. Nous n’auons
rien que nous ne l’ayons receu de cet estre infiny, dit le diuin
Apostre Sainct Paul en sa premiere Epistre aux Corinthiens, & toutes
choses procedent de ce Pere des lumieres, selon sainct Pierre.

 

N’est-ce pas vne grande insolence à vn homme de sa sorte, de
dire hautement, que Messieurs du Parlement peuuent dispenser les
Subjets de l’obeïssance qu’ils doiuent à leur Prince ? De publier par
tout que la lascheté de ces Messieurs, est la cause de tous les desordres
qui se sont faits depuis les guerres ? Qu’ils sont les complices
de tous les malheurs ? Qu’ils ont toleré le traffic du sang des Subjets
du Roy ? Que sa Majesté & les peuples n’ont que faire d’eux, s’ils ne
s’opposent absolument aux volontez du Prince ? Qu’ils le doiuent
faire genereusement, ou abandonner leurs charges ? Qu’ils quittent
l’Office de Iuges, pour faire celuy de fourbes ? Qu’ils viuent sans
honneur ? & que tout ce qu’il vient de dire est vn discours qui se fait
ordinairement dans les Prouinces ? N’est ce pas là instruire le procez
de ces enfans de ces Peres de la Iustice.

Apres cela il allegue l’exemple d’vn fou, & se met en parallele auec
luy, pour montrer à ces Messieurs, qu’ils ont fait eux mesmes tous
les vols, tous les viols, toutes les incendies, & tous les sacrileges
qui se sont faits dans toutes les guerres, pour n’auoir pas mis ordre
aux affaires. Finalement il conclud, en accusant le Conseil du Roy
d’extorsions, de peculat, de volerie, de donner de faux Arrests, &
de faire beaucoup d’injustices. Que peut-on dire dauantage contre
le Roy, contre son Conseil, & contre vn Parlement si Auguste que
le nostre ? Plusieurs personnes ont esté seuerement chastiez pour des
fautes moins criminelles que les siennes. Ie ne dis pas cecy pour

-- 23 --

vouloir qu’on intente vn procez contre luy, à Dieu ne plaise, la
Declaration du Roy pour faire cesser les mouuemens, & restablir le
repos & la tranquilité du Royaume, verifiée en Parlement, veut que
tout ce qui s’est fait durant les troubles demeure nul, & comme non
aduenu, sans que personne en puisse estre cy-apres recherché ny inquieté
en façon quelconque : & moy comme obligé de m’humilier
à ces Decrets, ie ne dois pas auoir vne volonté contraire à celle de
nos Maistres.

 

Mais ie ne voy pas dans la chaleur du discours où ie suis, que ie
m’engage insensiblement dans des hazards bien estranges. Le titre
qui est sur le frontispice de la Replique de son second, me doit faire
trembler de peur, & me doit faire songer à ma conscience. Ces mots
de suffisant & captieux Censeur de la lettre d’auis, tõnent beaucoup.
Dieu vueille pourtant qu’ils fassent beaucoup de bruit, sans foudroyer
sur qui que ce puisse estre. Pourquoy vous meslez vous,
dit-il, de fueilleter l’Escriture pour en tirer la satisfaction de vostre
sens corrompu, & mespriser le reste, pour vous mettre au nombre
des ennemis de la verité ? Et vous Monsieur le Iupiter, pourquoy
vous meslez vous de luy faire cette demande ? Est-ce à vous à qui il
doit tendre conte de ses actions ? Et croyez vous estre le seul qui
sçache bien iuger des sens de l’Escriture ? Desabusez vous de cela,
ie vous en supplie, à l’eschantillon on connoist le reste de la piece.
Vous dites que les Rois sont establis sur les peuples du choix, ou de
la tolerance de leurs Subjects : Et ie vous nie que cela soit, puis que
selon Sainct Paul, escriuant aux Romains, Nostre eslection procede
de la grace de Dieu, & non pas des hommes.

Comme il faut fermement croire, sur peine de passer pour heretique,
qu’il ne se fait point d’eslection en la creation des souuerains
Pontifes de l’Eglise Catholique, Apostolique & Romaine, où le
Sainct Esprit ne soit pour y presider, afin que cette diuine authorité
ne soit occupée par vne personne indigne de ses graces ;
Il faut fermement croire aussi, pour n’estre pas mis au rang des libertins
& des impies, qu’il ne se fait pas non plus vne eslection en la
creation des Rois Chrestiens, où cét adorable Autheur de toutes les
constitutions les plus sainctes & les plus sacrées, ne se trouue pareillement
en qualité de souuerain Electeur, afin qu’vne puissance si
sublime que celle là, ne tombe iamais qu’entre les mains de ceux
qu’elle iugera estre les plus propres à receuoir ses ordres. De sorte
que si nous ne sommes esleus que de son eternelle volonté, comme
dit fort bien S. Pierre en sa I. Epist. les peuples ne contribuẽt donc

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rien on l’eslection des Roys ; puis qu’ils ne font que suiure les inspirations
de celuy qui eslit & reprouue comme bon luy semble.

 

Celuy que vous arguez, dites vous, n’y contredit pas : & moy ie
vous respons que c’est bien y contredire, que de soustenir que les
subjets cessent d’estre subjets quand le Monarque abuse du pouuoir
que Dieu luy donne. N’est ce pas là le deposseder de sa Royauté,
que de se retirer de sa subiection & de son obeïssance ? Et n’est-ce
pas là en suite oster auec iniustice à son Souuerain, vne qualité qu’il
ne tient pas des peuples en façon quelconque ? Et vous voulez qu’apres
cela que vostre fausse obiectiõ, soit aussi veritable que la mesme
saincte Escriture, & que la remarque que vous auez faite d’Helie :
Car il est vray que ce fut Samuel, premier Prophete apres Moyse,
qui oignit Dauid pour estre Roy d’Israël, ainsi que nous l’apprend
ce digne fils d’Hel cana luy mesme, en son premier Liure, Chap. 16.

En fin s’il n’est question que de l’obeïssance que nous deuons à nos
Princes, lisez ce que i’en ay escrit cy-deuant, & si vous ne me voulez
pas croire, prenez la peine de consulter l’oracle de la Verité permanente,
& vous apprendrez de luy que les Rois ont pouuoir sur nos
biens, sur nos vies, & sur nos enfans, & qu’ils nous traiteront si
cruellement, que nous serons contraints d’auoir recours à luy : mais
le malheur sera si grand pour nous, qu’il ne voudra pas escouter nos
plaintes. L’exemple que vous rapportez de Roboam, ne fait rien
contre ce que ie dis ; puis que Dieu voulut qu’il fut demis de sa
Royauté, pour le punir du crime qu’il auoit commis, d’auoir donné
ses sentimens au conseil des ieunes, & pour auoir dit des paroles
trop rigoureuses au peuple, ainsi que vous pouuez voir dans le premier
Liure des Rois, chapitre 12.

Vous n’apprehendez pas qu’il vous arriue la mesme chose, n’ayant
point de Royaume à perdre, de traiter vn honneste homme de coquin,
& de le vouloir faire mourir pour si peu de chose. Ie croy que
s’il vous eut fallu mettre vostre nom dans vostre innocẽte Replique,
comme il faut qu’il fasse dans les Gazettes qu’il publie, ie croy que
vous n’auriez pas osé parler si hautement de luy, ny si bassement de
son Eminence. Si vous vous fussiez rendu plus intelligible que vous
n’auez pas fait dans la suite de vostre bel ouurage, i’aurois continué
de vous respondre iusques à la fin : mais tous vos discours sont si
ambigus, que ie ny trouue ny sens ny suitte.

Voila tous les complimens & toutes les ciuilitez que ie vous puis
faire presentement, & tous les biens que ie vous puis donner pour
vostre partage, & attendant mieux, s’il plaist à Dieu nous en faire la
grace.

FIN.

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Anonyme [1649], VERITABLE CENSVRE DE LA LETTRE D’AVIS, ESCRITE PAR VN PROVINCIAL, A MESSIEVRS DV PARLEMENT. ET LA VERITABLE CENSVRE de la Réponse à la mesme Lettre, auec la Refutation de la Replique à ladite Réponse. OV La Critique des trois plus fameux Libelles que nous ayons veu paroistre, depuis le commencement de ces derniers Troubles, iusques à present. Par vn des plus Illustres Grammairiens de Samothrace. Domine libera animam meam à labiis iniquis, & à lingua dolosa. Psalm. 119. , français, latinRéférence RIM : M0_3924. Cote locale : A_7_63.