B. D. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LETTRE DE CONSOLATION ENVOYEE A MADAME LA DVCHESSE DE ROHAN, SVR LA MORT DE FEV MONSIEVR LE DVC DE ROHAN SON FILS, SVRNOMMÉ TANCREDE. , françaisRéférence RIM : M0_1922. Cote locale : C_3_70.
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LETTRE
DE CONSOLATION
ENVOYEE A MADAME
LA DVCHESSE
DE ROHAN,
SVR LA MORT DE FEV MONSIEVR
LE DVC DE ROHAN SON FILS, SVRNOMMÉ
TANCREDE.

A PARIS,
Chez CLAVDE HVOT, ruë saint Iacques,
proche les Iacobins, au pied de Biche.

M. DC. XLIX.

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LETTRE DE CONSOLATION
enuoyée à Madame la Duchesse de Rohan, sur la
mort de feu Monsieur de Rohan son fils,
surnommé Tancrede.

MADAME,

I’entreprens vne chose que tout le monde voudroit
faire, & que tout le monde iuge impossible, lors que
i’entreprens de consoler vne mere affligée, mais affligée
si iustement, qu’elle ne passeroit pas pour bonne
Mere si elle estoit consolable. Ie n’eus pas si tost appris
la mort de Monsieur le Duc de Rohan vostre fils
que ie resolus de vous écrire, & souhaittay des termes
qui eussent quelque proportion auec la grandeur de
vostre perte. Vn autre qui eust eu plus de zele que de
discretion, & plus de chaleur que de lumiere, vous
eust écrit dés le lendemain d’vne nouuelle si deplorable.
Mais moy qui sçauois que les maux s’aigrissent &
se rengregent par les remedes donnez à contre-temps,
& que la Rheubarbe estoit quelquefois aussi dangereuse
que la ciguë, qui sçauois mesme qu’il y auoit
cette difference entre les maux de l’esprit, & les maux

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du corps, que ceux-cy demandoient ordinairement la
promptitude du secours, & que pour ceux-là il n’y
auoit point de remede plus asseuré que le temps, Ie
crûs qu’il falloit du moins vous donner dix ou douze
iours pour ex haler vos premiers soûpirs, & pour verser
vos premieres larmes, qu’il ne se falloit pas opposer
d’abord à des choses si impetueuses, & que ce seroit
mesme entreprendre sur la philosophie des Saints, que
de condamner vn deüil si iuste, & vne tristesse si raisonnable.
Il y a long-temps que nous auons fait le
procez à ces ames dures, qui separoient la vertu de
l’humanité, qui ne vouloient pas que les sages sentissent,
qui s’imaginoient que la douleur & le plaisir
estoient des crimes, & qu’vn homme n’estoit pas
moins vicieux alors qu’il se plaignoit d’vne colique,
qu’alors qu’il se resiouyssoit d’vn meurtre. Ouy,
MADAME, vous auez deû passer des pleurs aux gemissemens,
& des gemissemens aux autres marques de
la douleur qui approchent du desespoir : quelque haute
opinion que i’aye de vostre vertu, ie croy que ce
papier mesme qui a esté destiné pour essuyer vos larmes
en sera moüillé, & que la melancholie qui est ingenieuse,
les employera pour effacer des caracteres
qui luy sont suspects. Vne Mere qui auroit plusieurs
enfans ne sçauroit apprendre la mort de celuy qu’elle
aimeroit le moins sans en estre viuement touchée, que
si elle venoit à perdre les delices de son cœur, elle en
viendroit à ce point de déplaisir, dont l’Escriture se
sert pour en exprimer le plus grand de tous. Vous n’en
auiez qu’vn, MADAME, qui a l’âge de dix-huit ans

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promettoit tout ce que l’on deuoit attendre d’vn fils
digne de vous, & de feu Monsieur le Duc de Rohan,
& certes il a bien tenu ce qu’il promettoit. C’estoit
vn enfant extraordinaire en sa naissance, & en son
education ; toute l’Europe sçait pour qu’elles raisons
vous l’auiez caché, par quelle malice on vous l’auoit
rauy, par quel bon-heur vous l’auiez recouuré, &
auec quel soin vous l’auiez nourry. Il y a des choses
contraires si differentes, qu’on ne les prend iamais
l’vne pour l’autre, personne n’a iamais pris le blanc
pour le noir, ny le froid pour le chaud : mais quoy
que la verité, & le mensonge soient directement opposez,
ils se déguisent auec tant d’artifice, & se copient
si bien l’vn l’autre, que les hommes ne sont pas assez
fins pour les distinguer : En vn mot il y a des mensonges
qui ont de la vray-semblance, & des veritez
qui n’en ont pas. L’histoire de Monsieur Tancrede
ressembloit à vne fable ; ceux-là mesmes qui ne sçauoient
pas le motif de l’imposition de ce nom le condamnoient,
parce qu’il estoit fameux dans les Romans,
& les Arrests du Parlement auoient acheué
d’oster à beaucoup d’esprits ce qu’il leur restoit de foy
pour vne verité si éloignée de l’apparence. Mais Dieu
qui n’est autre chose que la verité, ne pouuoit plus
souffrir que celle-cy fut detenuë en iniustice ; luy qui
n’est que lumiere, vouloit enfin dissiper les tenebres
de la calomnie, ceux qu’elle auoit enueloppez dans
l’erreur commençoient à se desabuser, & tous les gens
de bien esperoient que Monsieur Tancrede recouureroit
les droits de son illustre naissance, dans le recouurement

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vniuersel des droits de l’estat. Vostre
prudence, MADAME, sembloit auoir heureusement
differé sa iustification iusques à vn temps, ou l’innocence,
& la verité doiuent triompher de la calomnie,
& du mensonge. Ce ieune geros sçauoit bien qu’il
ne pouuoit pas donner des marques plus asseurées de
sa condition, qu’en imitant ses predecesseurs, & sur
tous l’incomparable feu Monsieur le Duc de Rohan
son pere. Il ne voulut point separer ses interests, d’auec
les interests publics, & crût qu’il ne pouuoit
mieux gangner sa cause, qu’en mourant pour celle de
sa patrie. Il n’attendit pas la mort, il alla au deuant :
car comme s’il eust eu peur de la manquer dans vne si
belle, & si iuste occasion, il quitta ceux qui luy eussent
voulu conseruer la vie, & se mesla parmy ceux
qui la luy vouloient oster. Il pouuoit mourir dans
son escadron, comme font beaucoup de gens de cœur ;
mais il se persuada qu’vn veritable heritier de la maison
de Rohan passeroit encore pour vn enfant supposé,
s’il ne mouroit au milieu des ennemis, & s’il ne
faisoit vn coup d’essay, & vn coup de maistre tout ensemble.

 

Iusqu’icy, MADAME, i’ay plustost aigry vos douleurs,
que ie ne les ay adoucies, & i’ay plustost rouuert
vostre playe, que ie ne l’ay fermée, ie sçay que les
loüanges de feu Monsieur vostre fils, ne seruent qu’à
vous representer combien vous auez perdu ; mais dans
le dessein que i’ay de vous apporter du soulagement,
ie tremble quand ie songe à vne operation si delicate,
ie ressemble à vn chirurgien sans experience, qui a

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presque autant de peur que le malade. Si vous ne faisiez
pas profession du Christianisme, & encore du
Christianisme purifié, ie vous consolerois par des
exemples de Meres payennes, qui ont supporté constamment
la mort de leurs enfans, qui auoient à peu
prés les qualitez, & l’âge du vostre. Il ne faudroit que
vous alleguer la force d’esprit de cette capable, & iudicieuse
Imperatrice, touchant la mort de Drusus qui
estoit l’amour, & l’esperance des Romains. Ie vous
dirois que la mort du braue Tancrede est plustost digne
d’enuie, que de compassion, & que c’est la fin ou
tendent les heros, & les conquerans. Ie vous demanderois,
MADAME, s’il n’est pas vray que lors que
vous le mistes au monde, vous le voüastes au seruice
de Dieu, du Roy, & de la patrie, & ie conclurois de
vostre confession, que vos vœux & les siens ont esté
accomplis dans vne mort si glorieuse. Ie vous dirois
aussi que la plus forte, & la plus iuste de vos passions
estoit qu’il fut reconnû pour fils & legitime heritier
de feu M. le Duc de Rohan vostre cher Espoux, &
que cette mort en auoit leué toutes les doutes des ames
les plus opiniastres : s’il eut vécu dauantage, il eust pû
faire vn plus grand nombre de belles actions ; mais il
n’en pouuoit iamais faire de plus heroïque que celle
où il s’est obligé tous les gẽs de bien qui sont en France,
puis qu’il a prodigué son sang pour leur conseruation,
& qu’il a donné la fleur de ses ans pour auancer
les fruits de leurs conseils, & de leurs armes. Ie vous
pourrois dire aussi que l’ayant autresfois crû mort
durant l’espace de sept ans, vous estiez en quelque façon

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preparée à cette seconde perte.

 

Mais, MADAME, ie n’ay que faire d’exemples ny
de raisonnemens prophanes, puis que ie m’addresse à
vne personne, qui a adiousté toutes les vertus Chrestiennes
aux vertus morales, & qui est l’honneur de
sa religion, aussi bien que de son sexe. Ie ne veux que
la faire souuenir de cette merueilleuse priere que Dieu
enseigna luy mesme aux hommes, vous ne la dites
iamais, Madame, & ie sçay que vous la dites tres-souuent,
que vous ne promettiez de renoncer à vos
propres sentimens, & de vous resigner à ses volontez.
Vous ne pouuez douter qu’il n’ait bien voulu retirer
à luy cet illustre persecuté dans l’innocence, ou
la tendreste de son âge, & les trauerses le tenoient encores,
possible ne luy eust-elle pas duré dans vn âge
plus auancé, & parmy les caresses de la fortune, &
possible qu’estant remis dans vn heritage temporel, il
eust perdu celuy qu’il possedera eternellement. Voila
des raisons bien communes, on les allegue à tout le
monde ; mais c’est vne marque de leur excellence, &
les remedes qui sont les plus en vsage, sont ceux-là
qui ont le plus d’efficace, Dieu veüille benir ceux-cy
pour vostre soulagement, & pour la satisfaction de
celuy qui est

MADAME,

Vostre tres-humble, & tres-obeyssant
seruiteur, B. D.

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B. D. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LETTRE DE CONSOLATION ENVOYEE A MADAME LA DVCHESSE DE ROHAN, SVR LA MORT DE FEV MONSIEVR LE DVC DE ROHAN SON FILS, SVRNOMMÉ TANCREDE. , françaisRéférence RIM : M0_1922. Cote locale : C_3_70.