B. P. D., H. de [1652], LES VERITABLES SENTIMENS D’ESTAT POVR LA PAIX, ET SVR LE SACRE DV ROY LOVYS XIV. LES MARQVES DE SA CONDVITE pour le repos de son Royaume. Par Mre H. De B. P. D. Paris. , français, latinRéférence RIM : M0_3979. Cote locale : B_16_28.
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LES VERITABLES
SENTIMENS
D’ESTAT
POVR LA PAIX,
ET SVR LE SACRE
DV ROY
LOVYS XIV.

LES MARQVES DE SA CONDVITE
pour le repos de son Royaume.

Par Mre H. De B. P. D. Paris.

A. PARIS,

M. DC. LII.

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LES IVSTES SENTIMENS
d’Estat pour la Paix, & sur le Sacre du Roy
Louys XIV. Les marques de sa conduite pour
le repos de son Royaume.

SIRE,

Encore que vostre Majesté
puisse dire du feu Roy Louïs le
Iuste, d’immortelle memoire,
ce que l’Empereur Tibere disoit d’Auguste,
qu’il n’y auoit que son seul esprit qui fust capable
d’vn faix si pesant, qu’est celuy du gouuernement
de la Republique : Si est-ce, que la
France vous voyant auiourd’huy le Sceptre en
main, ose esperer que vous ne serez pas moins
heritier des rares Vertus d’vn si bon Pere, que
vous estes legitime successeur de ses Couronnes :
Et que si les Payens adoroient le Soleil dés
l’aube du iour, comme vne Deïté imaginaire
de laquelle ils attendoient tout leur bon-heur ;
nous pouuons à plus iuste sujet, & sans soupçon
d’idolatrie jetter nos yeux sur vostre Majesté
comme vn Astre naissant, duquel nous

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auons à receuoir l’influence d’vne continuelle
paix & prosperité.

 

Car puis que les Peuples tiennent du Prince,
comme d’vn moule public la forme de toutes
leurs actions, changeans & rechangeans leurs
moeurs auec les siennes, vous serez à la
FRANCE, & à toutes les Nations vn exemple
si parfait, que semblable à vn Henry le
Grand & Louïs le Iuste, apres eux vous porterez
les Tiltres de Dieu Donné, de Sage, de
Grand, de Vertueux, d’Incomparable, de
Debonnaire, de Genereux Conquerant, & de
PERE DES PEVPLES.

Tiltres vrayment heroïques, & qui immortalisent
le Nom de ceux qui ont esté honnorez,
mais le vray carractere qui fait discerner vostre
Majesté d’entre tous les Roys de la Terre, &
qui fait que vous les surpassez en Grandeur,
c’est le Tiltre tres-sacré de Roy TRES-CHRESTIEN,
acquis à vos Ayeuls par leur
zele incomparable enuers la Religion.

C’est pourquoy (SIRE) marchant sur
leurs pas, nous verrons en nos iours fleurir si
heureusement la Pieté sous la douceur de vostre
Empire, que la France sera comme vn
Temple sacré, où le seruice de Dieu se maintiendra
en son ancienne pureté.

A cét effet (par vostre Prudence) vous ferez

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tousiours vne telle eslection des PRELATS
de l’Eglise, qui se rendront autant venerables
par l’innocence de leur vie, que par l’eminence
de leur extraction, & sçauoir, sans souffrir que
les ignares non plus que les vicieux, s’approchent
de l’Autel & polluent les choses Saintes ;
Car ne doutez point (SIRE) que les Roys
n’ayent à respondre au Iugement de Dieu, du
mauuais exemple & des scandales que les mauuais
Pasteurs donnent à leurs Troupeaux.

 

Apres les auoir donc choisis à la marque de
leur vie & de leur merite, vous leur rendrez la
reuerence qui est deub à leur Onction, ce respect
n’appartenant pas seulement à leurs personnes,
mais au Roy des Roys, duquel ils ont
l’honneur d’estre Ministres. Ainsi vos predecesseurs,
dont l’Histoire celebre la pieté, ont beaucoup
deferé à cét ordre, iusques à l’honorer du
gouuernement de leurs Personnes, pour le bien
de leur Estat, sans se figurer qu’en cela leur Majesté
fut diminuée, mais ils estimoient que les
graces du ciel en decouloient sur leur chef, auec
la benediction & bienveillance vniuerselle des
Peuples, lesquels croyoient aussi ne pouuoir iamais
receuoir rien d’iniuste, ny d’insuportable
d’vn Prince Religieux.

Partant (SIRE) vous n’estimerez pas pecher
en l’excez du respect que vous desirez à des

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personnes de cette qualité, puis qu’il n’y a aucun
establissement temporel, parce qu’ils ne se
reuestent que de ce qu’il plaist au Prince de leur
attribuer par sa pieté, sans qu’ils le puissent iamais
vsurper par aucune ambition ; joint que
tout le lustre externe s’estend en leurs personnes,
& n’est suiuy d’aucune maison qui le releue
apres eux.

 

L’Histoire fait mention, qu’anciennement
en toutes Chartres & Tiltres des Roys, l’adresse
estoit aux Prelats, aux Ducs, Comtes & autres
grands Seigneurs, & que la suscription premiere
estoit aux Prelats. Au Sacre & Couronnement
du Roy Philippes premier, les Prelats
approuuerent le Roy les premiers, qui estoit
l’ordre de ce temps, & estoient nommez auant
les laics. En celuy de Louys vnziesme, les Pairs
de l’Eglise & autres Prelats, precederent les
Pairs laics & Princes, Ducs, Comtes & Seigneurs,
& furent en l’Eglise : & en cette action
au disné assis à la dextre du Roy, les Pairs & autres
laics à la senestre, & a esté ainsi obserué
à tous les autres Sacres & Couronnemens des
Roys, puis que qui bene prœsunt presbiteri duplici
honore digni habeantur, &c.

L’histoire parlant de la Seãce des Prelats aux
Estats generaux du Royaume remarque qu’en
ceux de Tours, par le mesme Roy Louys II.

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le Cardinal Baluë fut assis au costé droict du
Roy, sur vne chaire couuerte de drap d’or sur
velours cramoisi, & les autres Prelats du mesme
costé.

 

Et sur vne autre chaire semblable au costé
gauche, fut assis le Roy René de Cicile, Duc
d’Anjou Prince du sang, & du mesme costé les
autres Princes, Ducs, Comtes & Seigneurs laics.

On adjouste encore qu’en l’année 1377. l’Archeuesque
de Reims, vn Euesque d’Allemagne
Chancelier de l’Empereur Charles quatriesme,
& Euesque de Paris, furent à disné assis an
dessus de l’Empereur & du Roy Charles V. &
du Roy des Romains fils de l’Empereur.

A l’entrée du Roy Henry second, les Princes
plus proches de la Couronne, querellerent pour
la seance de la dextre du Roy, voulans que les
Princes du sang qui estoient d’Eglise fussent à
la gauche ; mais le Roy honnora l’Eglise de la
dextre, disant : Summa Religio imitari quod colimus.

De sorte (SIRE) que vos predecesseurs, selon
le plus ou moins de leur zele enuers l’Eglise,
ont donné le premier rang aux Ecclesiastiques :
Cette reuerence ayant tant seruy à leur reputation,
& à l’heureux gouuernement de leur
Royaume, que les Prelats demeurans ainsi en
leur rang eminent, estoient comme interposez
entre les Roys, & les Grands de l’Estat, pour les

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contenir en leur deuoir, & les y attacher par
les liens indissolubles de la conscience, liens
beaucoup plus forts que n’est la terreur de toutes
les Loix humaines.

 

Ce que i’entreprends representer à V. M. est
bien plus pour luy faire admirer la grande deuotion
de ses Peres, que pour l’induire à redresser
ces anciens degrez d’honneur en faueur des
Prelats de ce temps, estimans que leur modestie
& humilité sera telle, que pourueu que
Dieu ne soit pas mesprisé, & que les ennemis
de la saincte Eglise ne s’orgueillissent de leur
rebut, ils n’auront iamais ambition d’estre plus
honorez dans le monde qu’ils sont, Custodes per
vigiles suorum.

Vostre Majesté ayant donc esté si soigneusement
esleuée en son bas âge, qu’elle a succé la
pieté auec le laict ; elle craindra Dieu toute sa
vie & l’aymera de toute son ame, parce que
c’est ce seul grand Dieu qui allonge & accourcit
la vie des Roys, quand il luy plaist : c’est luy,
dis-je, qui tient leur cœur en ses mains, & qui
le fait incliner où bon luy semble.

Et si auec le Tiltre de Roy Tres-Chrestien,
V. M. est honorée de celuy de Fils aisné de l’Eglise,
elle tesmoignera par toute sorte de sumission,
l’obeyssance qu’elle doit au chef visible de
cette Espouse, jettant tres-humblement son

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Sceptre & sa Couronne au pied de la saincte
Croix du Fils de Dieu, que ce souuerain Pasteur
represente ç’a bas en terre. Les Constantins, les
Theodozes, vn Clouis premier Roy Chrestien,
vn Charlemagne & S. Louys. Henry le Grand
& Louys le Iuste, vos deuanciers, vous ont
laissez assez d’exemples de leur deuotion enuers
ce sainct Siege, pour vous animer à ne leur ceder
en ce loüable deuoir.

 

Partant (SIRE) si en ce siecle corrompu il
y a des Esprits contentieux, qui voyant la voix
de Iacob & les mains d’Esau, semant des discours
au desauantage de la reuerence deuë au
vray successeur du Prince des Apostres, pour le
mettre en ombrage aux Souuerains & Potentats,
il plaira à V. M. boucher l’oreille au chiflemens
de sos viperes, sans apprehender que ce
Pere commun de la Chrestienté, entreprenne
iamais chose qui preiudicie à vostre pouuoir
absolu ; car outre ce que luy & tous les Prelats
auec le Clergé de France en semble, prononcent
Anatheme & damnation eternelle à tous scelerats
ou Parricides, qui osent attenter à la personne
des Roys, sçachant que vous estes Souuerain
de toute sorte de souueraineté temporelle
en vostre Royaume, n’estant fondataire
ny du Pape ny d’aucun Prince, & qu’en l’administration
des choses temporelles, vous dependez

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immediatement de Dieu, & ne reconnoissez
aucune puissance par dessus la vostre que
celle-là.

 

Mais si du Tribunal de l’Eglise comme d’vn
Arsenac spirituel, ce grand Pontife lance des
foudres contre les Princes Heretiques & persecuteurs
de la Religion Catholique : V. M. n’a
pas à les craindre, parce que vous estes Heritier
de la Couronne, & du Nom & de la Foy de ce
glorieux sainct Louys, qui estoit l’appuy de
l’Eglise, l’abry & la retraite des Papes.

C’est pourquoy (SIRE) vous estes inseparable
& indiuisible de l’vnion & de l’amitié du
sainct Siege Apostolique, & comme par toutes
raisons, spirituelles & temporelles, vous vous
sentez obligé de la maintenir.

Aussi le Pape Innocent present seant, s’employa
par tous ses soins & offices, a procurer
enuers Dieu & les hommes, le bien & la conseruation
de vostre personne, & de vostre
Royaume.

A ce propos (SIRE) souuenez-vous, de grace,
comme l’a élegamment escrit vn des grands
flambeaux de l’Eglise, que quand l’Arche d’Alliance
residoit en la maison d’Oreb & Edon, il
n’y auoit sorte de felicité qui ne luy arriuast :
aussi depuis que la communion du sainct Siege
Apostolique a esté parmy la France, nous auons

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receu grande assistance de Iesus-Christ, chef
de l’Eglise vraye arche d’aliance. Le nom François
s’estant espandu partout l’Vniuers, & vos
Lys ont fleury aux plus lointaines partie de la
terre ; mais quand les Roys ont esté esparez de
l’vnion du siege Apostolique, les Lys ont esté
entre les espines, & toutes sortes d’angoesses
& aduersitez ont assiegé la France,

 

Les Palais appartiennnent aux Roys, les
Temples & les Autels aux Prelats, les Roys
ne tenant que lieu de la premiere oüaille dans
l’Eglise, non de Pasteurs prenant l’encensoir
à la main, & vsurpant l’authorité de la Religion
comme le Roy Ozias, qui fut frappé de lepre,
pour le sacrilege qu’il auoit commis.

Desirez donc (SIRE) que vos Peuples vous
rendent ce qui appartient à Cesar, sans vous
donner ce qu’ils doiuent à Dieu : Nous deuons
beaucoup, disoit vn genereux Athelete de la
Foy au Roy, estably sur nous de l’Ordonnance
de Dieu, mais nous ne luy deuons rien que nous
ne deuions à Dieu, duquel il est Lieutenant ; &
nous deuons beaucoup de choses à Dieu, que
nous ne deuons pas au Roy.

Nostre deuoir enuers le Roy est borné, &
enuers Dieu, nostre deuoir n’est iamais acheué,
au Roy nous deuons beaucoup, & à Dieu
nous deuons tout ; d’autant qu’apres le vray

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culte de la Religion, est la reuerence deuë à vos
Peres spirituelles ; l’honneur & le respect qu’vn
Roy Tres-Chrestien doit à ses parens, est encore
vne des marques principales d’vne parfaite
pieté.

 

La France a sujet de s’esrouyr & de vous benir,
de la tendre & cordiale amitié que vous témoignez
de iour en iour vers la Majesté de la
Reyne vostre Mere ; à laquelle, outre la naissance,
vous vous ressentez estroittement obligé du
soin particulier qu’elle a tousiours eu de vostre
Personne ; & quoy qu’indigne de tesmoigner
par ces Eloges & actions de graces à Dieu, dont
ie loüe les bontez de cette grande Reyne.

Ie ne laisseray neantmoins puis que i’ay abordé
vostre Majesté, de luy dire apres Vous, que
tels qui deueroient se connoistre & n’abuser de
la felicité de leur fortune, se seroient par vn faux
entendre, ingratement & insolemment comportez
pour vostre bien, celuy de vostre Estat
& enuers Elle, se rendans indignes des graces,
des honneurs & des bienfaits, dont il a pleu à
vos Majestez les combler.

SIRE, ie sais treve à ce discours, dans lequel
ie ne veux pas embarrasser l’esprit d’vn
gracieux & fauorable traittement, d’vn fils si
bien né d’vne Mere si vertueuse, qui procurera
à la France auec Vous, la Paix qui sera le

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baze & fondement de vostre Estat, puis que sa
candeur & sincerité est connuë de Dieu & des
hommes, vuidez de passion. Finallement
(SIRE) vsant du propre langage du Roy de
la grand’Bretagne au Prince de Galles son fils
ie diray à vostre Majesté, que puis qu’elle a l’authorité
legitime, elle ne souffrira la calomnie.

 

D’auantage (SIRE) la personne de Monsieur,
qui est comme le bras droict de vostre
Majesté, estant si dignement esleué pour se rendre
capable de la seruir vn iour, aura en vous vn
second Pere pour le proteger, & les Princes de
vostre sang ; afin qu’accomplissant les Commandemens
de Dieu, en leur premiere & seconde
Table, nous cueillent abondamment le
fruict des promesses spirituelles & temporelles.

Faites à ceux qui les obseruent religieusement,
puis qu’il est à desirer pour la gloire de
Dieu : que vos Peuples fassent profession d’vne
Religion, & que sous la voüte d’vn mesme
Temple, ils adorent tous vn mesme Dieu
parce que où la Majesté diuine est diuersement
seruie, celle des Roys qui en est l’image viuante
en est moins reuerée.

Il a pleu contre ce sentiment à vos predecesseurs,
de permettre la liberté de conscience par
leurs Edits ; & ont esté traittez par ce benefice,
pour participer aux charges & honneur du

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Royaume ; mais il y a eu entr’eux quelques
esprits turbulens, qui non contens de ses grands
aduantages qui leur ont esté concedez par les
Edits de pacification, notamment par celuy de
feu Henry le Grand ; voulans innouer & se porter
à des demandes & pretentions excessiues, &
visiblement preiudiciables à la Religion Catholique
& à l’authorité Royale ; c’est pourquoy
vostre Majesté les reformera dans leurs limites,
& leur faire sentir qu’estant apres Dieu, l’vnique
protecteur de la cause de l’Eglise, vous la
guarantirez de leur oppression comme tout le
Royaume, de toutes les semences d’vne miserable
Anarchie, lesquels n’estant estouffez en
leur naissance, ont monté quelquefois à vn
si haut degré de rebellion & de desobeyssance,
qu’elles ont desolé de puissantes Monarchies,
dont nous voyons l’Angleterre nous seruir d’exemple
& l’Allemagne.

 

Vostre Trosne ayant donc la pieté pour principal
appuy, vous regnerez vrayment en Prince
absolu ; parce que vos Commandemens ayant
la Loy de Dieu pour regle souueraine, seront
accomplis auec tant d’obeyssance, que l’enfant
debonnaire ne ploye pas plustost à la volonté
de son pere, que vous serez craint, seruy & honoré
de tous. Vous souuenant sur tout, que les
Roys doiuent tousiours estre plus religieux que

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leurs Subjets, puis qu’ils ont plus d’allechemens
pour pecher, que ceux qui viuent sous leurs
Loix ; aussi ne doiuent-ils iamais estre punis des
hommes, mais de Dieu seul ; joint qu’ils pechent
autant par le mauuais exemple qu’ils donnent,
que par le mal qui en est le chef.

 

Mais d’autant qu’auec la Pieté, la Iustice est
la seconde colomne qui soustient les Monarchies,
vostre Majesté la faira soigneusement
administrer à ses Peuples, leur donnant des
Magistrats qui soient scientifiques & de conscience ;
qui entendent les cris des orphelins, &
ayent commiseration des larmes de la vefve :
Vous les pouuez choisir tels quand vous aymerez
la Iustice, & aurez souuent en la bouche cette
sentence, qui est plus pure que l’or. Encore que
ie puisse tout, si n’y a-il que les choses iustes qui me
soient permises.

En quoy vous imiterez ce grand Monarque,
auquel vn Courtisant vouloit persuader que
tout estoit iuste aux Roys : Ouy bien (luy respondit-il)
aux Roys des Barbares, aymant l’equité
& la iustice ; elle abondera en vostre maison,
& de cette source les ruisseaux s’espandrons
iusques aux extremitez du Royaume.

Le Magistrat sera aussi plus authorisé enuers
vos Peuples, quand vous l’honnorerez & armerez
son bras pour le rendre formidable aux méchans.

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Vos Cours souueraines estant principalement
establies pour proteger les innocens &
& pour vanger les injures contre tous ceux qui
les oppriment.

Partant, SIRE, ces celebres Compagnies
là auront en Vostre Majesté vn tel soustient &
appuy, que fortifié de vostre authorité, celles
seront autant de rempards inexpugnables pour
la deffence de la Religion & de l’estat.

Et dautant que la venalité des Offices est vne
bresche par où-il a entré beaucoup de mal au
Royaume, vous en pouuez corriger l’abus, autant
que vos affaires le pourront permettre,
car qui achepte en gros peut estre tenté de vendre
en détail, c’est ce qui porte le Financier au
larcin ; l’homme de iustice à la corruption des
presens, & le guerrier à la violence & à l’exaction :
Ce seroit aussi choses bien plus loüable,
de rendre l’honneur & le prix à la vertu, aduançant
aux Charges, Offices & Dignitez, ceux
qui n’ont autre degré pour y monter que leur
seul merite. La clemence (SIRE) nous seruira
d’interprete de la Loy, & retiendra le glaiue
de la iustice.

Il a tué, dit la Loy, à son corps deffendant, &
sans y songer dira la Clemence, ou bien il a tué
celuy qui auoit mis à mort son propre pere, ou
quelqu’vn de son sang : Mais sous le manteau

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de Clemence vostre Majesté ne fera iamais aucune
iustice, ne seruira point de masque, & ne
prestera iamais sa robe pour vne mauuaise fin.
Et pensant à la douleur & au supplice d’vn particulier,
vous peserez l’interest public & la consequense
de l’inpunité ; car-il est autant abominable
deuant Dieu, d’absoudre le meschant que
de punir l’innocent : Et le Prince (disoit le sage
Emile) qui ne reprime point le mal, semble le
commander, Viuant de la sorte vostre Estat sera
merueilleusement heureux.

 

Les Romains n’ayans iamais acquis l’Empire
du monde, que parce qu’ils sacrifioient souuent
en leurs Temples, & estoient grands Zelateurs
de la iustice, selon la loüange que leur
en donnoit l’Empereur Seuere : Le premier, leur
rendant les Dieux propices : Et le second, conseruant
leurs Peuples en amitié & subjection.
Ce fut pourquoy le valeureux Clouis, qui embrassa
le premier le Christianisme par les moyẽs
de Clotilde Reyne de France fille de Chilperic,
s’enquerant de sainct Remy Archeuesque de
Reims, duquel il receut le Baptesme ; Combien
durerois cette Monarchie ? tout autant de temps
(respondit-il) que la Religion & la Iustice fleurirons ;
parce qu’en tout Estat où le crime est
pardonné & recompencé, & on ne delibere
point si l’honneur de Dieu y est conserué ou

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non, il n’en faut attendre qu’vne horrible subuersion.

 

Et dautant (SIRE) que les Roys ne regnent
par la seule force des bras, mais auec la prudence
& sagesse de l’entendement ; vostre Majesté
aura tousiours prés d’Elle de bons & fidelles,
Conseillers, qui ayment la grandeur & la iusti-
du Royaume, qui en espousent genereusement
la deffense, & qui n’estans touchez d’autre interest,
ny meus d’autre passion que du bien public :
Vos Subjets reposent sans veiller qu’à l’obeyssance
qu’ils vous doiuent, & l’Estat reçoit vne
si saincte Paix, que comme ceux qui auoient
vescu sous l’exemple d’Auguste, se reputoient
heureux ; que vostre Regne nous comble d’vne
telle felicité, qu’il puisse estre non seulement
comparé au plus tranquille siecle d’aucun de vos
predecesseurs, mais qu’il le surmonte en toute
sorte de prosperité ; & si vne Republique a esté
plus asseurée l’a où le Prince a esté mauuais, que
l’a où les Ministres le sont : Combien nous deuons
nous esiouyr de ce que le Ciel nous preserue
de ses deux inconueniens, puis qu’il donne
à la France vn Roy vertueux, qui sera pour l’auenir
assisté d’vn Conseil pareil à celuy de Henry le Grand.

Puis qu’il a donc pleu à Dieu de vous conseruer
iusques à present, ses grands & venerables

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viellards pour vous conduire maintenant
comme pilotes tres-experts à conduire le vaisseau
de cette Monarchie.

 

Nous ne douterons point que vous n’ayez
l’oreille attentiuement ouuerte aux sages conseils
qu’il vous donneront pour vous faire surgir
à bon port : Si bien que ne faisant rien d’important
sans leurs aduis vous ne vous repentirez
iamais de l’auoir fait ; ce seroit aussi chose
tres-dommageable au Prince disoit le Senateur
Pompée, demander conseil à qui ne le
sçait pas donner, & encor pis à qui n’en oze dire
ses sentimens ; c’est pourquoy il est du tout
mauuais de ne s’en pouuoir ayder apres l’auoir
receu.

Vostre Majesté ne se peut mal adresser d’eslire
vn Genie plain de justice pour vn premier
Chef, veu la grande suffisance & capacité d’vn
de ces dignes personnages vieillis au maniment
des affaires de cét-Estat, puisque vous estes
né & doüé d’vn naturel si doux & debonnaire,
que vous prendrez tousiours en bonne
part l’honneste & respectueuse liberté d’vn
bon conseil là oû il ira du salut du peuple, de la
gloire & reputation de vostre nom & du bien
de vostre Estat. Aussi les fidelles Ministres
d’vn grand Roy tel que la nature nous a fait
maistre doiuent tousiours plus parler à sa personne

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qu à sa fortune, dautant qu’il seroit trop
malheureux si par vne lasche complaisance ou
timidité seruille il ne luy osoient librement
donner aduis de ce qui regarde le bien de ses
affaires & du Royaume, dont l’ignorance luy
causeroit des pertes irreparables.

 

Et pour le troisiéme poinct qui regarde vn
bon & solide conseil apres l’auoir receu, vous
en tirerez toute sorte de fruict, mais tout ainsi
qu’on dit que les Egyptiens auoient cette coustume
que d’exposer leurs malades à la veuë du
public, afin qu’vn chacun contribuast ce qu’il
pourroit à leur guerison : De méme façon exposant
les affaites du Royaume aux yeux des
Princes de vostre Sang, & des autres grands
que vous en estimerez dignes tant Ecclesiastiques
que laïques ; les admettant en vos Conseils
vous servant de leurs aduis, afin d’authoriser
d’auantage les resolutions qui seront prises
pour le bien de l’Estat : car la reputation que
cét ordre apportera dans les Prouinces, fera
que vos peuples obeyront plus volontairement
à ce qui aura esté arresté par vne si solemnelle
deliberation ; joint qu’il y aura tousjours
moins de murmure & de jalousie entre les plus
notables, s’il se voyent honorez de la creance
que vostre Majesté aura en eux, chacun se ressentant
comme obligé à l’execution des conseils

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où il aura participé, la mauuaise coustume
de plusieurs de nostre nation estant de censurer
la resolution des choses où ils n’ont pas esté appellez.
Ce corps ainsi composé de tant de celebres
personnages, rendra vostre Majesté tant
plus auguste, embrassant les conseils de la
vraye prudence exposant ses actions au iour &
reiettant toute sorte de flaterie indigne d’vn
Roy de vostre merite, qui ne fera rien que
nuëment & à descouuert, & qui ne veille estre
connû de tous : non pas, SIRE, qu’il n’y
ayt de certains misteres au Gouuernement d’vne
si grande Monarchie qui ne desirent le secret
& le silence : car, sacramentum Regis abscondere
bonum est, & arcana celare eximia virtus viuis,
eximia est virtus præstare silentiarebus, & contra grauis
est culpa tacenda loqui. Et qui pour n’estre declaré
ne deuant pas estre proposé, ny resolu en vn
cõseil ouuert ; duquel neantmoins tout homme
sage & discret ne doit auoir la curiosité de s’enquerir
plus auant que de ce qu’on luy en doit
communiquer.

 

C’est là où la prudence de Vostre Majesté
apportera le temperamment qu’elle iugera estre
plus à propos, donnant sur tout cette impression
à ses peuples qu’Elle agit de soy-mesme :
Et que de plusieurs conseils soient publics
ou particuliers, Elle sçait tousiours eslire & suiure
le meilleur, sans les espouser par faueur ou

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par passion aueuglée, qui bien souuent fait mespris
de celuy des vieils estant à preferer à celuy
des jeunes & moins experimentez.

 

Vn grand Prince disoit autrefois qu’il aymeroit
autant faire vne œuure digne de reprehension
deuant les dieux, que de soustenir
vne mauuaise opinion en la presence de Vlpian
ce sage Iurisconsulte : De mesme Vostre
Majesté cedant au fidele conseil de ses bons Seruiteurs,
ne fera contre leur veritables sentimens
vne chose d’importance.

Ce ne fut pas aussi sans sujet que Cæsar s’estonnoit
de ce qu’Alexandre disoit qu’il ne sçauoit
plus que faire, apres auoir conquis la plus
grande partie du monde ; comme s’il y auoit
moins à faire à bien regir & gouuerner vn
Royaume qu’à l’acquerir.

C’est pourquoy, SIRE, vous seruant de
toutes sortes de pieces pour vous acquiter plus
dignement d’vne charge si pesante que celle
que vous auez.

Les bons liures vous peuuent seruir de fidelles
Conseillers, car ils vous instruiront sans
crainte & cajolerie quelconque, vous representant
au naïf quelle sera vostre gloire estant
Prince vertueux, & quel est le blasme de ceux
qui s’abandonnent au vice, prenant plaisir de
vous les faire lire & de vous en entretenir quelquefois,
cela vous inspirera insensiblement vne

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certaine pointe de generosité, qui eschauffera
vostre courage à imiter toutes les glorieuses actions
de tant de Heros que l’histoire celebre, ny
plus ny moins que Cæsar disoit qu’il estoit touché
du seul portraict d’Alexandre. Et l’Escriture
Ste dit, apprends la doctrine dés ta jeunesse &
tu trouueras la sagesse, qui te durera iusques à ce
que tu ayes les cheueux blancs, si tu ayme à ouyr
tu receuras la prudence, si tu incline l’oreille, tu
seras sage aymant les bons & saints Liures : que
ceux qui font profession des Lettres soient en
esprits prez de Vostre Majesté, laquelle se doit
voir en vos iours la vraye Restauratrice des
Vniuersitez, & principalement celle de Paris,
nommée dans l’antiquité Filia Regis, auec tant
d’autres que les Roys vos predecesseurs ont
fondées pour l’vtilité & pour l’ornement du
Royaume, parce que la ruyne & la decadence
n’en seroit pas moins honteuse â leurs successeurs,
que la fondation leur en a esté glorieuse :
auec la Religion, la Iustice, & les Lettres. Le
Prince se rend plus redoutable s’il ayme les armes,
ayant dequoy s’opposer à ses ennemys
qui perdront bien tost l’enuie de l’ataquer le
voyant si bien muni : De plus, que Vostre Majesté
estant yssuë d’vn Roy trop genereux pour
auoir besoin d’estre excitée à cette grandeur de
courage, puis que les forts engendrez des forts,
les Aigles des Aigles, & non des colombes

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craintiues. Vous serez semblable à vn grand
Mars, vous porterez comme vn autre Iupiter
le foudre en main, vous entreprendrez sur vos
ennemys, vous les rendrez au petit pied s’il
vous assaillent, vous departirez les charges de
la guerre aux vertueux & inuincibles, non tant
par le respect de la naissance qu’en consideration
de leur valeur : & comme ce mesme Empereur
ordonna des triomphes pour honorer
les victorieux, fit des Loix pour chastier honteusement
les puzilanimes ; de mesme Vostre
Majesté reconnoissant le merite & le laurier
pour freres, elle reputera l’offense & la peine
pour soeurs : c’est à dire, que vous aurez en vôtre
Royaume de la recompense pour les braues,
comme du chastiment pour les perfides &
laches.

 

Pour comble de benediction, vous ferez que
Dieu & les hommes seront tousiours tesmoins
de la Iustice de vos armes. Car pour conseruer
(disoit le grand Scipion) la paix dans vn Estat,
il ne faut rien faire d’injuste, ny rien souffrir de
honteux ; & parce que la victoire mesme des
guerres-ciuiles est dommageable aux Princes,
vous ne l’entreprendrez iamais que dans les extremitez,
& que l’honneur de Dieu & le salut
de vos Sujets opprimez ne vous y force plustost
que vostre interest particulier, ou quelque
boutee d’esprit qui ne soit prematuré.

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Les Finances & vos tresors estant encor vn
des bazes principales sur lesquelles repose vostre
Estat, le fond en doit estre si bien mesnagé
qu’il ne tarisse iamais. Veu qu’vn Prince necessiteux
est moins craint de ses subjets, & beaucoup
moins redouté de ses voisins, tant peut sur les
vns & les autres l’opinion qu’ils conçoiuent de
sa puissance, & comme vos predecesseurs ont
tousiours donné les commandemens des armes
aux plus vaillans, aussi n’y aura-il que les
plus loyaux qui puissent auoir l’administration
de vos Finances, de peur que pensans faire espargne
vous ne fussiez desrobé comme vous
auez esté trop manifestement depuis la mort
de vostre Pere.

Ie ne dis pas cecy pour vous solliciter à faire
de si grands amas d’or & d’argent, pour humer
les sang & deuorer la substance de vos
Peuples, mais dans la Iustice & l’equité du
regne de Henry le Grand, qui auoit traité si
doucement ses Peuples qu’il estoit beny de
leur voix & des graces du Ciel. C’est ce qui se
pratiquera en vosiours, vous contentant de la
toison des brebis sans les escorcher & en prendre
la chair & la peau. C’est ce qui fit dire autresfois
à vn Pere du Peuple, qu’il gouuerneroit
la Republique d’vne telle façon qu’il apprendroit
que c’est le bien du public & non
pas le sien ; Aussi ses Subjets au jugement de

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l’Empereur Pertinax, refuserent de payer les
Tributs iustes & accoustumées, apres les auoir
chargez d’imposts excessifs, contenti estote stipendiis
vestris & neminem concusseritis. Vous espargnerez
donc, SIRE, non par vsurpation, n’empeschant
le cours de vos Finances, ne les employãt
qu’en vn bon & S. vsage, que les dons immenses
en soient bãnis, sinon pour la gloire de Dieu,
le luxe, les despences superfluës : car estant contraint
de prendre aux nuds pour donner aux autres
ne seroit liberalité, mais cette vertu changeant
de nom s’apelleroit iniustice.

 

Et d’autant, SIRE, qu’on estime les Roys estre
tels que ceux qui ont l’hõneur de les approcher ;
V. M. ne donnera accez ny credy auprez
d’Elle qu’à ceux qui sont gens d’honneur, aymant
mieux le parler libre d’vn homme sage &
discret, que le discours affecté & emmiellé des
flateurs, lesquels ne disent iamais aux Princes ce
qui est, mais tout auec déguisement.

Si bien que se voulant rendre complaisans à
l’oreille d’vn Prince, ils ne s’entretiennent iamais
que de ce qui luy agrée, ne touchant ses
imperfections que pour le chatouiller, par des
déguisemens estranges & politiques maudits,
luy faisant passer les vices pour vertus, la lacheté
en clemence, l’impudicité en gallanterie, que
les paroles mal digerées sont des oracles, esleuant
souuent vne Majesté qui n’a pour limites

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que la mort & ses bien-faits, au respect d’vne Majesté infinie
qui luy font passer pour compagne. Fuyez, fuyez,
SIRE, la rencontre de ses flateurs, comme celle du bazilic
qui tuë de son seul regard ; parce que, princeps qui libenter audit
verbamendacij, omnes ministros habet impios : Que ce soit donc
au tesmoignage de vostre conscience, que vous sçachiez au
vray ce que vous estes ou ce que vous n’estes pas, imitant
cette Vierge que dit Pline, laquelle se regardant dans vn
miroir voulut tirer son portraict de sa propre main, pour
fuir la flaterie du Peintre.

 

La Cour du Prince ayant à seruir d’exemple de pudicité
à tout le Royaume, V. M. se commandera soy-méme, ny
plus ny moins qu’Elle commande à ses Peuples, & estimera
chose digne d’vn Prince vertueux de ne s’asseruir aux voluptez
des sens, les domptant mieux que ses Subjets, ne
presumant pas que tous doiuent viure reglément, & qu’il
soit licite à elle seule de s’abandonner aux plaisirs illicites,
lesquels on ne sçauroit mieux vaincre qu’en les fuyant.

Comme on dit des Scites qui combattent leurs ennemis
en se reculant.

La faueur du Prince estant desirée de tous, vous la departirez
auec tant de discretion que faisant de bien & de l’hõneur
aux vns, vous ostiez aux autres toute occasion de jalousie
& de mescontentement ; si bien que viuant en Pere
commun de vos Subjets, vous distribuerez les charges du
Royaume, non tant par la recõmendation & au gre d’autruy
que par la propre connoissance que V. M. desirera
auoir du merite de chacun en son particulier.

Car vostre authorité Royale sera d’autant plus absoluë,
personne ne receuant de bien que de la seule main de son

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Roy ; Authorité, SIRE, dont vous deuez surtout estre jaloux
comme estant le lict des Vestales & la cruche sans
macule qui ne souffre iamais de compagnon, n’estant pas
d’Elle comme du partage de Pollux qui se cõtenta de n’estre
que demy Dieu pour admettre son frere à la jouyssance
de son immortalité.

 

Aussi la France est vn corps qui ne respire & n’a vigueur
que par vn seul esprit, ny plus ny moins que tout l’Vniuers
n’est illuminé que d’vn seul Soleil : & comme Lizander
se plaignoit au Roy Agezilaus qui sçauoit fort bien
abaisser ses amis (ouy dit-il) ceux qui veulent estre plus
grands que moy, de mesme V. M. sçaura humilier ceux
qui s’en orguilliront & qui voudront estre plus qu’ils ne
doiuent, comme au contraire elle exaltera ceux qui humbles
& debonnaires se contiendront dans leur deuoir.

Temperant aussi vos faueurs vous ne tomberez iamais
en l’inconuenient que la sœur de l’Empereur Commodus
luy reprocha, disant que de simples esclaues il auoit faict
Cleander seigneur : mais que de Seigneur il estoit deuenu
luy-mesme esclaue pour l’exceds de la grandeur où il l’auoit
esleué, & laquelle enfin luy fut si suspecte qu’il ne la
peut abattre qu’en luy ostant la vie.

Il plaira aussi à V. M. considerer, comme le serenissime
Roy de la Grand’Bretagne representoit à son fils que la
vertu accompagne le plus souuent la Noblesse du sang, &
que la dignité des ancestres nous oblige de respecter ceux
qui en sont yssus.

Partant honorez les Gentils hommes & Seigneurs qui
reuerent vostre Personne, qui obeyssent à vos iustes Loix,
parce qu’ils sont comme les Peres de la patrie.

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Plus vostre Cour sera remplie de telles gens, plus y aurez
vous d’hõneur, les employant en vos affaires importãtes.

Ils sont aussi les bras & les mains auec lesquelles vous executez
vos Loix & iustes volontez ; soyez donc gracieux à
qui vous obeyra, rigoureux qui contre le deuoir & l’obeyssance
fera le contraire, afin que les plus esleuez dans
la fortune, croyent que leur plus haut poinct d’honneur
est de respecter Vostre Personne, & d’obeyr à vos
commandemens, faisant sonner par toute la France que
le premier seruice que vous desirez d’eux est de vous rendre
l’obeyssance inuiolable, mais la faire rendre par les
moindres, & que sans cela leur seruice ne vous peut estre
agreable.

Les Roys vos predecesseurs desireux de conseruer les
armes de la Noblesse, & de leur Royaume, ont deffendu
sur des peines portées par de tels Arrests autentiques,
que personne de quelque qualité & condition qu’il fust
ne fut si ozé de faire des apels ou duels, espandant le sang
dans des querelles particulieres, ne se deuant immoler
que pour le salut de vostre Estat, ce que Vostre Majesté
fera accomplir heureusement ; Ne cessez ie vous coniure
par les entrailles de la misericorde d’vn Dieu qui
nous est si propice, que vous n’ayez osté ces mal-heureux
duels & deffits desquels nous en auons veu depuis peu
des actions toutes recentes en des personnes, desquelles le
nom & les familles se sont trouuez si offensées par la cause
d’vne telle temerité & demesurée passion, de laquelle la
fin a esté si deplorable, puis qu’elle ne se termine que par
la mort, abrogez, abrogez, SIRE, cette mal-heureuse
sentence.

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Armaque in armatos sumere jura sinunt.

Que l’effect en soit aboly & le nom oublié.

Auec le support que le Prince tire de la force & bienveillance
de ses Subjets, encore a-il besoin de s’appuyer
au dehors, les alliances que fera Vostre Majesté seront
fortes & puissantes, parce que de s’vnir & confederer auec
les foibles, ce seroit seulement chercher auec qui perdre,
& pour conseruer l’amitié des Princes & Princesses que
vous iugerez dignes de vostre alliance, procedez tousjours
ingenuëment auec eux : car comme on disoit du
bon Trajan, qu’vn Prince peut bien estre hay encor
qu’il ne vueille mal à personne, mais que d’estre aymé il ne
le peut estre, s’il n’ayme luy-mesme ; Ainsi n’attendez rien
d’eux, & d’affranchir vos alliances ; sinon qu’autant
qu’ils se ressentiront obligez de vous rendre le change de
l’amitié que vous leur tesmoignerez en l’accomplissement
des promesses & traitez où vous aurez engagé vostre foy,
puisque :

Verbum regis obligat.

Foy dis-je qui fait honnorer ou mespriser le Prince ; car
l’obseruant religieusement, fust-ce mesme en son dommage
il en est en perpetuelle odeur, comme au contraire
l’infraction luy est grandement honteuse.

Et pource que vos Peuples benissent Dieu d’esperer
voir cette Couronne alliée d’vne double & haute alliance,
il est autant à esperer que des gages si precieux que vous
donnerez de part & d’autre, seront autant de liens sacrez
pour maintenir vne amitié si inuiolable, & pour conseruer
ses Monarchies alliées en perpetuelle concorde, afin
que comme les des-vnions ont causé tant de pertes irreparables

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à la Religion & à l’Estat, leur bonne intelligence
soit desormais au support & à l’appuy de toutes. Non
pour cela que Vostre Majesté doiue s’entretenir moins
auec ses alliez, mais les ayant pour fidels amis, & procurant
tousiours par voyes iustes, que le fort n’opprime le foible,
la France se glorifie du mesme bon-heur que Themistocles
donnoit à la Terre qu’il vouloit véndre, disant pour
la bien louër qu’elle auoit bon voisin.

 

SIRE, encor que vous soyez par dessus les Loix humaines,
& que ce ne soit à vos Subjets de controller vos actions,
si n’estes vous pas dispensé des Loix diuines qui vous
feront regner iustement.

C’est pourquoy, si vous embrassez les vertus que i’ay ozé
vous répresenter en ce discours, & que vous preniez la sincerité
de mon affection en bonne part, vos Peuples se
transformeront selon l’innocence de vostre vie, de la mesme
façon qu’on voit qu’il y a certaines plantes qui se
tournent au mouuement du Soleil, & encor que vous ayez
tant plus de peine à bien regir, que vous estes successeur
d’vn bon & iuste Pere, si est-ce que viuant ainsi i’espere
que vous ne cederez à tous vos predecesseurs, que vous ferez
beny de Dieu.

Que sa main puissante sera le soustien de vostre Sceptre
ses Anges seront autour de Vostre Majesté, comme vne
forte legion destinée à la garde de V. M. mais parce qu’il
est impossible de bien regner sans la vraye sapience vous la
demanderez à Dieu, & luy direz auec le plus sage Roy qui
ait iamais esté au monde.

Enuoye là des Cieux & du siege de ta gloire, afin qu’estant
auec moy elle s’employe à trauailler, & que ie sçache

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ce qui est agreable deuant toy. Car elle sçait & entend toutes
choses, & me conduira sagement en mes actions, me
gardera par sa puissance. De sorte, SIRE, que parlant à
Dieu de cette façon, ie prieray comme vn Prestre se sent
obligé de faire, & d’offrir en tous ses sacrifices tout ce qu’il
vous a prescrit ; de sorte que l’accomplissant, toutes vos
Loix & commandemens seront bien receus, vous gouuernerez
iustement vos Peuples, & vous vous rendrez
digne du Trône de vostre Pere qui vous a deposé entre vos
mains la Couronne des Lys.

 

 


Interea, pax arua colat, pax candida primum,
Ducit, araturos sub iuga curua boues :
Pax aluit vites, & succos condidit vuæ,
Funderet vt gnato testa paterna merum :
Pace bidens, vomerque vigent, at tristia duri,
Militis, in tenebris occupat arma situs.

 

FIN.

Section précédent(e)


B. P. D., H. de [1652], LES VERITABLES SENTIMENS D’ESTAT POVR LA PAIX, ET SVR LE SACRE DV ROY LOVYS XIV. LES MARQVES DE SA CONDVITE pour le repos de son Royaume. Par Mre H. De B. P. D. Paris. , français, latinRéférence RIM : M0_3979. Cote locale : B_16_28.