B.,? [1649], LES SENTIMENS DV VRAY CITOYEN, SVR LA PAIX & vnion de la Ville. Par le Sieur B. , françaisRéférence RIM : M0_3657. Cote locale : C_10_6.
Section précédent(e)

LES
SENTIMENS
DV VRAY
CITOYEN,
SVR LA PAIX
& vnion de la Ville.

Par le Sieur B.

A PARIS,
Chez NICOLAS PILLON, proche la Fontaine de
Sainct Benoist.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

-- 2 --

LES SENTIMENS DV VRAY CITOYEN,
sur la Paix & vnion de la Ville.

AMY Lecteur, qui que tu sois, ie suis Citoyen comme toy, & ne suis
pasmoins zelé au bien public, n’y moins interessé en la fortune particuliere
de cette auguste ville de Paris. C’est ce que ie te prie de croire,
afin que mon discours ne tesoit point suspect, & que nos volontez
puissent demeurer vnies comme nos interests.

Dans les desordres d’vn Estat ainsi que dans les maladies aiguës il y a des iours de
crise funestes ou salutaires, qui decident la cheute ou la restauration du sujet ; ces
iours quelques bons pronostics & quelque heureuse suite qu’ils puissent apporter,
ne laissent pas d’auoir de perilleux accez, & nous l’auons esprouué ces derniers
iours : Car alors que le Parlement & les Princes estoient occupez à ces importantes
deliberations, où il s’agissoit de resoudre la Paix ou la Guerre, & de diuiser le Royaume
en deux partis, qui peuuent le reduire en poudre. Il s’est veu grand nombre de seditieux
& de turbulents qui sans attendre l’issuë des Assemblées, & sans prendre
d’autre conseil que de leur aueugle fureur, ont commis mille indignitez à l’endroit
des Senateurs, sans respecter la personne des Princes, & des Generaux du Peuple ;
les vns, sans sçauoir ce qu’ils veulent, ny se qui leur est bon, demandent confusément
la Guerre, & crient aux armes ; les autres portent leurs mains insolentes sur
ces mesmes Senateurs, & tous ensemble n’ont pour but qu’vne horrible sedition ;
dont ils font vne dangereuse ouuerture ; en sorte qu’il s’en est peu fallu que cette
premiere ville du monde ne soit arriuée à son terme, & qu’elle n’ait trouué ses funerailles
dans les limites de sa propre grandeur.

Il ne seroit pas besoin de refuter les sentimens de ces mutins, ils portent leur propre
condamnation, puis qu’ils sont assez farouches & assez barbares pour resister à
la Paix, que tous les honnestes gens desirent & regardent auiourd’huy, comme le
souuerain bien de l’Estat, & le soulagement vniuersel de tous les Peuples ; Mais d’autant
que parmy les esprits, il y en a plus grand nombre de credules & de susceptibles
de toutes formes, qu’il n’y en a de veritablement sages. Il est tres à propos de preuenir
les dangers qui peuuent en arriuer, & de forcer en peu de mots ces mesmes mutins
à recognoistre & confesser leur tort.

Alors que la Guerre est estrangere, & que le Prince porte ses armes & les fait
subsister hors l’étenduë de son Empire. Que ses desseins soient iustes, ou qu’ils
soient ambitieux vne Guerre de cette nature est facile à porter les peuples par son
éloignement ne la ressentent pas. On ne leur parle que de victoires & de trophées ;
Et de mesme, que les Anciens Citoyens de Rome, ils ne voyent Bellonne cette farouche
& superbe diuinité, que sur vn Char de triomphe qui leur amene des captifs
& du butin, & qui leur promet des felicitez perdurables.

Mais quand il s’agist d’vne Guerre intestine dans vn Royaume desia consommé
par des persecutions de trente années, & dont tous les habitans aigris de leur

-- 3 --

propre misere, se trouuent pressez dedans & dehors par des ennemis cruels & sacrilèges,
qui commettent tous les crimes du monde, & ne pardonnent pas mesme à
la saincteté des Autels. Quand il faut considerer la moitié des suiets reuoltez contre
l’autre, les Princes contre les Princes, le Pere, & le Fils, les Freres & les amys
les vns contre les autres, tous les hommes prests à s’égorger, bref toutes choses dans
vne combustion effroyable, & dans vn desordre general qui menace & fait toucher
du doigt la cheute de la Monarchie. Mutins, ce n’est plus vne guerre, c’est vn fleau
de Dieu, & la marque asseurée de sa vengeance & de sa malediction. I’en dirois dauantage,
& i’exposerois les necessitez ou le siege nous à réduits, s’il y auoit quelqu’vn
qui les peust ignorer, cependant vous criez à la Guerre, & vous vous figurez
que vostre condition en deuiendroit meilleure, vous n’estes pas aussi bons orateurs
que Demosthenes pour la persuader ; mais peut-estre seriez vous aussi lasches que
luy s’il en falloit vser : car apres auoir armé toute sa Patrie contre la puissance de
Philippe, & qu’il eust luy-mesme disposé la bataille, il fut le premier qui rompit
les rangs, & qui ietta ses armes pour se sauuer plus legerement. Ce n’est pas le
nombre n’y le tumulte qui gaigne les batailles, & si vous ne pouuez souffrir que
l’on vous conduise dans la Paix, qui sera celuy qui voudra vous conduire à la
Guerre, ou l’obeïssance doit estre mille fois plus grande, & quel d’entre les Generaux
pourra se resoudre de mener tant de Capitaines sans ordre & sans discipline,
& qui peut-estre voudront marcher auec plus de bagage que n’en auoit l’armée
de Xerxes.

 

Ie veux que vos mouuemens soient iustes, ie suis d’accord auec vous qu’il faut
dégager la Ville, reconquerir le Roy, le remettre dans son Trosne, ruiner & chasser
les tyrans : qu’il faut restablir toutes choses, & remettre les Loix & le Gouuernement
dans son ancien vsage ; ie veux toutes ces choses aussi bien que vous, & toutefois
ie desire s’il se peut de les obtenir par les aduanrages de la Paix, ou par des victoires
innocentes, plustost que par la fureur d’vne guerre irreconciliable.

Nos ennemis qui se trouuent encores plus pressez, & qui craignent le iuste courroux
de Dieu contre lequel ils combattent en combattant contre nous, eux-mesmes
ont fait l’ouuerture de cette Paix, ils l’a desirent plus ardamment que nous, &
vous vous opposez à ce bien commun, & ne pouuez vous resoudre d’en attendre la
fin ny l’euenement. Citoyens si vous pouuiez enuisager les maux que cette Guerre
dans ses meilleurs succez, vous prepare aussi bien qu’à nos ennemis, & qui menacent
le vainqueur ainsi que le vaincu, vous n’auriez garde de resister à de si iustes resolutions,
& l’vn & l’autre se relacheroit bien plustost que de se porter à ces dernieres
extremitez, dont la suitte funeste peut durer plus que nous.

Chacun parmy les Chefs s’accorde à la Paix ; ces Princes genereux abandonnent
leur propres interests afin de rendre les vostres plus aduantageux, & ces zelez Senateurs
se trouuent tellement vnis auec le peuple, qu’ils exposent, & leur fortunes, &
leurs vies pour sa liberation. Chacun d’eux fait paroistre son courage aussi bien que
sa prudence en la conduite de cét ouurage de Dieu, & toutefois cette mesme conduite
demeure suspecte, & n’est point au gré des mutins : Ils se iettent dans la diffiance
de cét accommodement & ne peuuent croire qu’il puisse produire vne Paix durable
& solide ; Ie veux que leurs soubçons soient excusables & que cette Paix puisse
estre interrompuë, mais seroit-il iuste que cette crainte preualut sur vne tentatiue
de cette consequence qui n’embrasse pas moins que le salut de l’Estat, & qui doit en

-- 4 --

tout cas iustiffier nos armes & nos desseins & conuaincre nos ennemis de leur derniere
iniustice. D’ailleurs si nous sommes deceus, ou que cette Paix ne se puisse acheuer
à la gloire & l’aduantage du party, quelles vtilitez y aurons nous perduës
que nous ne puissions mieux recouurer par le secours de nos voisins ou par les armes
des Estrangers qui prennent part en nos iustes interests, & qu’elles forces pouuous
nous auoir quelles ne se trouuent alors augmentées par nos propres resolutions, &
par la protection de Dieu mesme, qui se plaist à confondre les superbes & les tyrans.

 

Voila, Citoyens, l’vn des Aduis que i’auois à vous donner sur les dispositions de
la Paix il en reste encores vn qui n’est pas moins important. C’est la concorde & l’vnion
que vous deuez auoir entre vous, du moins si vous desirez vaincre & surmonter
vos ennemis ; Ce n’est pas tout que d’entreprendre il faut preuoir aux moyens de
reüssir, & dans ce grand dessein qui vous engage auec la fortune de tous les peuples
le soin qui vous doit le plus occuper, est de conseruer vne vnion parfaite auec
tous vos Chefs : & d’auoir pour eux vne obeïssance aueugle auec vne estime raisonnable
de leur conduite & de leur courage autrement si ces choses vous manquent,
cette ardeur & cette emulation genereuse qui fait les prodiges & les miracles
se relaschera bien-tost, & les actions les plus considerables demeureront imparfaites,
& sans aucun effect.

Le second soin, que vous deuez auoir, est de secourir la chose publique de vos
aduis & de vostre argent dans les pressantes necessitez, & de preferer en toutes choses
le bien public à vostre interest particulier. C’est ce qui s’appelle vne veritable
vnion, & ce qui fait que Venise resiste au Turc depuis tant de siecles, & que Rome
& Athenes se sont veuës les maistresses du monde. Ceux qui suiuront des maximes
contraires soit au respect des sieges ou du progrés des Villes ne verrõt pas les iours
heureux, & quelque fortune qui les puisse accompagner, ils tomberont tousiours
dans l’opprobre de leurs voisins ou de leurs ennemis. La plus grande Cité du monde
qui commandoit à l’Empire de Grece par la diuision, & par l’extreme auarice
de ses habitans, a veu changer ses Loix, son Monarque, & sa Religion qu’elle entraisna
dans son mesme tombeau, & ie pourrois rapporter vne infinité de desastres
pareils s’il en estoit besoin, & si la necessité presente ne nous en faisoit assez voit le
peril. Conserués donc cette vnion, chers Citoyens, puis qu’elle fait vostre puissance
& vostre grandeur, & qu’elle est de soy si parfaite & si desirable ; seruez vous
de ces exemples, & de celuy mesme de la Nature qui n’opere ses merueilles, & ne
souffre ses accidens que par ces differends & contraires effets.

Que si comme Chrestiens, vous voulez encherir sur ce commun aduantage,
vous ferez encores plus, si dans la conioncture presente vous supportez courageusement
les trauaux & les necessitez du siege, & si vous auez assez de tendresse & de
charité pour secourir ceux qui se trouueront plus pressez & plus incommodez que
vous, chacun se doit manifester en cette grande occasion, & mettre à l’épreuue son
courage & sa vertu. Ce n’est pas tousiours dans la Paix, & dans loisiueté que s’exercent
les plus belles actions, la guerre & les calamitez ont fait plus de Saincts, & plus
d’hommes illustres, que l’abondance & le repos, & de quelques trauaux dont le siege
vous puisse menacer, vous les surmonterez sans doute, si chacun veut s’éforcer
à bien faire, & ces mesmes trauaux ne vous seront pas inutils s’ils peuuent vous
rendre vertueux.

Mais il me semble que i’entends encore le mutin ou plustost le seditieux, qui s’attroupe

-- 5 --

& qui parle hautement & publiquement, comme si desia nous estions tombez
dans les desordres d’vne republique mal regie, où chacun veut estre Maistre, &
veut introduire son opinion pour la meilleure. Dieu, que ce fatal Gouuernement
dont Paris nous fait voir vn affreux image nous represente de mal-heurs, & combien
il se trouue éloigné de la Noblesse & de la tranquilité de l’Estat monarchique,
dont le modelle & l’origine viennent du Ciel & retournent à luy, ces mutins
qui ne tendent qu’à sedition, & qui veullẽt entamer l’vnion de la Ville & de ses Citoyens
crient par tout qu’il y a des traistres & qu’il les faut punir, & leur fureur a passé
si auant que l’on s’est desia veu prest à croiser les armes, leur espoir n’est pas l’aduantage
du bien public, ils n’ont pas de si nobles desirs, ce n’est que le sac & le pillage
de vos maisons, Citoyens, que ces mal-heureux enuisagent, & si vous ny prenez
garde vous tomberez dans cét extreme accident, & verrez transferer chez vous
ces horribles seditjons de Syracuse, de Rome, de Florence, & de tant d’autres ou
le nombre des morts à souuent excedé celuy des viuans ; vous verrez vostre Ville
partagée comme celle de Naples, qui depuis peu de iours s’est veuë diuisée de quartier
en quartier, & a veu ses Habitans ruë contre ruë se batailler les vns contre les
autres : enfin vous pourrez voir vos ennemis sur vos remparts pendant que vous
vous esgorgerez, & qui viendront pesle-mesle acheuer vostre deffaite, & porter le
fer & le feu de tous les costez.

 

C’est tout ce qu’ils demandent que vous voir dechirer de vos propres mains, &
si ce desastre vous arriue, ils auront le Triomphe & la Victoire à bon marché : tout
ce qu’ils ont fait iusque icy n’a tendu qu’à ce mouuement tragique : quand ils ont
bloqué la Ville, ils ont creu qu’elle ne dureroit que trois iours ; ils ont fait semer des
billets à cette fin ; ils ont enuoyé des Herauts auec charge démouuoir le peuple ; ils
ont fait sous main achepter vn nombre infiny de pains aux premiers iours, en sorte
qu’il s’en est trouué iusques à douze cens dans le cabinet d’vn scelerat qu’on a logé
dans la Bastille : bref tous leurs desseins n’ont eu que ce funeste espoir, & cependant
ces esprits seditieux y donnent lieu, & comme s’ils estoient eux-mesmes ces
traistres : dont ils se plaignent, ils veulent faire pis & commencer le carnage de
leurs voisins & de leurs amis. Quel d’entre vous, Citoyens, seroit en seureté, & quel
mesme de ces mutins pourroit sauuer sa vie, s’il auoit vn ennemy qui peust crier,
c’est vn traistre ; ne suffiroit-il pas d’vne parole pour faire massacrer le plus homme
de bien, & ne verrions nous pas encore vn coup la fureur des Caboches, des Bandez
& des Armaignacs qui sous le regne & pendant l’égarement ou la minorité de
Charles VI. égorgerent plus de quatre mille personnes des plus notables de Paris, &
qui n’auoient point d’autre crime sinon qu’ils estoient trop gens de bien. Quel desordre
plus grãd nous pourroit arriuer, & quel fruict mesme pourrions nous esperer
d’vne diuision moins violente s’il estoit permis d’acuser tout le monde, & s’il suffisoit
d’vn seul soubçon pour condamner vn homme & non pas pour le iustifier : Quel
desordre & quel police pourroit-on retenir & quel chef (s’il estoit illustre) voudroit
assuietir son ministere à tant de reuolutions, toutes choses y seroient confuses, & la
contrainte si rude que nous aurions plus de peur de nos amis que de nos ennemis. En
fin Paris deuiendroit monstrueux, & ses habitans n’auroient pas moins de suiet de
s’en separer que les Geans en eurent de quitter Babylonne, puisque aussi bien tous
leurs desseins y seroient confundus.

I’aduouë qu’il y à des gens mal intentionez qui dans les commancemens, ont

-- 6 --

essayé de nuire & de causer des desordres : ie suis d’accord qu’ils deuroient estre punis
ou chassez, mais si l’on ne peut les conuaincre ouuertement ou s’ils se trouuent
si fortement appuyez, qu’on ne puisse les choquer sans crouler la machine & sans
ébranler le party, ne vaut-il pas mieux les laisser impunis, & conseruer des membres
inutils que de se les couper ; doit-on s’estonner qu’il y ait des hommes qui s’égarent
dans vne Ville si grande que l’on y compte mille ruës, & qu’il y ait des vertus
malignes cachées dans les estoilles & dans les plantes. Ie veux qu’ils ayent conspiré
& formé des entreprises, quels progrez ont ils fait qui n’ait esté surmonté, &
qui ne le soit encore par le nombre & par la foy des bons, ou plustost par la propre
grandeur de nostre cause qui s’est attiré toutes les puissances du Ciel & de la terre.

 

D’ailleurs, s’il faut s’aider de la Morale pouuons nous, quoy que nostre guerre
soit iuste, forcer les inclinations de tous les hommes & les obliger à suiure nostre
party, s’ils se trouuent engagez dans le party contraire, & finalement pouuons
nous pretendre plus que Dieu qui n’a point assujetty nos volontez, & qui
veut que l’on nous persuade, & non pas que l’on nous violente ; nostre guerre n’est
pas vne guerre formelle pour y pouuoir faire souscrire toute la Nation. C’est vne
guerre de liberté que chacun veut & que chacun par consequent doit auoir, & dans
laquelle nous ne pouuons reputer pour vrays ennemis que ceux qui portent l’estendart
contre nous, il faut lier les mains aux autres, & non pas les mettre en pieces ;
suffit pour nostre seureté qu’ils soient mis hors d’estat de nous nuire, les Magistrats y
ont desia pourueu, le ministere leur a esté soustrait ou limité, & leur puissance est
deuenuë si foible qu’elle est maintenant comme les ombres qui nous effrayent, &
ne nous nuisent pas : separons la raison de l’opinion & de la phantasie, & n’imitons
pas les bestes qui ne distinguent point & qui croyent que tout ce qui les approche
les veut offencer : si nostre cause est saincte elle nous deffend la violence, & ne nous
permet pas de punir les crimes d’intention que la Loy generale, ny prescripte n’ont
point encores condamnez, & que Dieu pardonne à tout le genre humain ; s’ils sont
iniustes laissons les iniustes plustost que de commettre iniustice, & s’ils sont raisonnables
persuadons les par exemple & par raison ; la clemence & la douceur ont
des charmes qui corrompent leurs ennemis & se les consilient, seruons nous de leurs
armes, & faisons comme Auguste qui n’eust plus d’ennemis, dés qu’il sceust pardonner
& bien faire, peut estre en seront-ils vaincus, & que leur hayne ne sera pas
d’vne nature si forte quelle ne se puisse transformer. Les Astres ne sont funestes que
selon leurs aspects, & la terre à des serpens qui seruent à des operations merueilleuses,
laissons donc couler le temps, il est des vertus variables aussi bien que des saisons,
& ces mesmes hommes peuuent bien changez puis que l’homme change sept fois le
iour.

Il faut mieux esperer d’eux & de la fortune de l’Estat ; ils peuuent en estre forcez,
& peut-estre qu’estant reuenus de leur égarement, ils deuiendront plus fideles &
plus ardens que nous, & briseront de leurs propres mains le simulacre qu’ils auront
adoré.

Ce qui me reste à parler & dont ie ne puis me taire, c’est vne dangereuse liberté
qui se rencontre parmy le peuple, non seulement de mal interpreter les actions &
la conduite des Chefs, mais encore de les exposer & les mettre en compromis
quand bon leur semble : les mutins sçauent se seruir de ces occasions, & ie doute
que ce mal ne vienne de l’artifice de nos ennemis, qui nous sappent de toutes parts

-- 7 --

plustost que de l’erreur populaire. Quoy qu’il en soit nous auons veu ces iours passez
que les Chefs du Parlement & les deux premieres testes de cét-Auguste Corps,
n’ont peu s’exempter des atteintes de la calomnie, & que leurs desseins sont deuenus
suspects pour vne Conference particuliere, en laquelle toutesfois s’ouurirent les
premieres notions de la Paix, & les plus seurs moyens d’y paruenir, c’est vne verité
maintenant auerée, & quoy que dans le temps & dans la cause qu’ils soustiennent
ils ne soient tenus de se iustifier qu’auec Dieu, il est neantmoins équitable de les
iustifier deuant les hommes, & de ne les point priuer de leur recognoissance & de
leur amour, parce que leurs desmarches ont tousiours esté moderées & conuenables
à la pesanteur de leur ministere, & que comme des Dieux, ils ont regardé tous
les temps & consideré toute choses, cette haute sagesse n’a pas trouué les esprits tous
fauorables ny capables de la cognoistre chacum s’est meslé de l’expliquer, peu de
gens se sont mis à leur place pour raisonner de leurs fonctions, & n’ont point apperceu
que dans la conioncture du temps, ces Princes du Senat sont aussi bien les
Protecteurs de la minorité des Roys, que les defenseurs des peuples & que l’honneur,
& la consciẽce les oblige & les restraint enuers les deux égalemẽt. Crois-tu, Lecteur,
que ces extrémes soient si faciles à balancer & si faciles à reünir, quand ils sont
vne fois separez ? qu’ont-ils fait iusques icy, qui n’ait esté à l’aduantage de l’vn & de
l’autre, & s’ils ont penché n’est-ce pas du costé le plus foible ? s’ils ont soutenu la Couronne
& la Maiesté du Prince, s’est-il veu porter plus haut & l’interest du peuple, &
l’honneur du Senat. Enfin qu’ont ils faict parroistre dans leurs cõseils ou dans leurs
discours qui n’ait embrassé en soy la gloire de Dieu, l’hõneur du Prince, le salut des
peuples & la Paix & l’vniõ qui doit leur estre inseparable : pouuõs-nous les conuaincre
d’auoir tant soit peu varié, & s’ils sont nos Iuges, les condamnerons nous sans les
oüir, nous leur deuõs au moins la grace de les examiner & de recourir aux preuues
& non pas à la presomption ; & s’il est permis de se seruir des ressemblãces & de iuger
des sentimens de l’ame par les signes exterieurs, voyons si leur conscience les a rendus
timides ou les a fait changer ; plusieurs à la derniere conspiration du peuple surpris
de l’opinion & poussez de la fureur vulgaire, ne parloient que d’attenter à leurs
vies & de briser les portes du Pallais, tout le monde les estimoit perdus chaque moment
suspendoit la reuolte, eux seuls furent les moins esmeus, & sans l’obstacle qui
leur fut fait, ces grands hommes alloient en s’exposant appaiser le desordre, & par
leur mort iustifier leur innocence. C’est vn exemplerare & non pas extraordinaire ;
Car au iour des barricades, le premier d’eux eust la mesme constance, & i’appelle à
tesmoin ce nombre infiny de mutins & d’aueugles nez qui vouloient iuger du Soleil,
& porter le poignard dans le sein de leur Pere, s’il ne leur parust & ne leur parla pas
d’vn sens & d’vn visage aussi rassis que s’il eust esté dans son Tribunal : A-on oüy parler
d’vne plus grande fermeté, & s’est-il veu des criminels qui se soient presentez
à la mort auec tant d’audace & de resolution, sa Paix & sa tranquilité faisoient cette
magnanime constance, & s’il te faut, Lecteur, quelque autre tesmoignage de ces
communes veritez, lis ou apprends les Harangues, & les discours heroïques qu’il a
proferez deuant le Prince, & deuant le Senat, & par lesquels il a si souuent terrassé
l’orgueil & la fierté de nos ennemis, & tu pourras recognoistre qu’ils ont esté ses
motifs, quel est son courage, & quel est son sçauoir. L’Arrest du huictiesme Ianuier
qui fut vn Arrest vrayement en robe rouge, & le plus hardy qui iamais fut rendu, ne
fut-il pas prononcé par la bouche de cét oracle. Et ce grand coup de foudre (malgré

-- 8 --

la calomnie) eust-il esté par luy-mesme lancé si son Genie se fust trouué capable
de frayeur ou capable d’alteration. Eust-il pas peu s’en dispenser, s’il ne l’eust point
creu iuste, & de plus mettrons-nousen oubly cette vertu diuine, & ce courage sans
pareil, qu’il a rescemment fait paroistre alors qu’à la honte des ennemis enuironné
de leur puissance, & de leurs legions, il a si genereusement repoussé l’abord & la
presence du tyran, & de l’autheur de la Guerre, qui pretendoit l’entrée aux Conferences
de la Paix. Falloit-il pas estre bien pur & bien grand pour estre si ferme & si
resolu. L’on nous parle des Anciens, l’Histoire nous apprend que Caton soustint la
dignité du Capitole contre les desseins de Cesar, & balança si longuement la fortune
de Rome auec l’ambition de cét vsurpateur, que du moins il en recula la dominatiõ
tãt qu’il vescut ; Mais qu’à fait ce fameux politique que celuy-cy ne l’ait surpassé. Caton
pour trop hazarder fit enfin succomber Rome, & celuy-cy conduit Paris & tout
le Royaume à la Paix, apres auoir effacé la puissance du commun ennemy, & croit
qu’il vaut mieux luy souffrir vn azile, que d’exposer l’Estat tout entier & la vie d’vn
million d’hommes à le poursuiure. En effet ne vaut-il pas mieux conseruer le sang de
la patrie que de le prodiguer pour vne cause si honteuse & si indigne. N’est-ce pas
assez de l’auoir mis en routte & de luy auoir osté le credit & le pouuoir de nous nuire,
sans vouloir porter nos desseins au delà de nos interests, si la Paix qui se dispose
nous peut apporter le repos & le soulagement, pourquoy desirer la guerre qui ne
nous prepare que de longues miseres & d’estranges accidens ; Ce n’est point à nous
à donner la loy n’y d’aspirer à la gloire : Laissons ces choses pour le Prince, puis qu’elles
sont de son partage, & prenons garde de ne point esbranler son Trosne sous pretexte
de l’affermir, Quittons donc ces erreurs, esperons en la conduite de ces hommes
prodigieux, & tenons pour certain qu’apres ce grand Ouurage, nous les verrons
au milieu de la Paix, & de la gloire, ioüir d’vn plain repos, & du sein de leur Patrie
qu’ils auront conseruée, respandre des lumieres & des vertus sur tous les peuples
du monde. Ce sont les sentimens, Lecteur, que tu dois en auoir, & croire si tu ne veux
point te tromper que celuy qui te les inspire, est le dernier à les loüer, & qu’il a
moins d’enuie de les obliger que de rendre hommage à leur vertu.

 

Au reste souuient toy des preceptes de ce discours d’obeïr, & de croire que tes
Chefs tous ensemble sont plus sages que toy seul, de contribuer de toute ta puissance
à l’vnion & societé de tes Concitoyens, de n’auoir point d’oreilles ny de pensées
pour les choses qui tendent à diuision, & de n’oüir les discours des seditieux que
comme ceux des corbeaux qui sont funestes & que personne n’escoute, & sur tout
garde toy de leurs mains.

FIN.

Section précédent(e)


B.,? [1649], LES SENTIMENS DV VRAY CITOYEN, SVR LA PAIX & vnion de la Ville. Par le Sieur B. , françaisRéférence RIM : M0_3657. Cote locale : C_10_6.