Balzac,? de [signé] [1649], LETTRE DE MONSIEVR DE BALZAC, A MONSEIGNEVR LE DVC DE BEAVFORT. du 31. Ianuier 1649. , françaisRéférence RIM : M0_1975. Cote locale : C_3_51.
SubSect précédent(e)

LETTRE
DE MONSIEVR DE BALZAC
A MONSEIGNEVR LE DVC
DE BEAVFORT
Du 31. Ianuier 1649.

MONSEIGNEVR,

Est-il quelque climat assez esloigné de la France,
quelque terre inconnuë aux plus hazardeux pilotes,
quelque coin du monde si reculé qu’il soit, ou l’on
ne s’entretienne de vos belles actions, bien que d’vn
langage barbare ? Les sauuages en murmurent, &
dans la difference de leur parler ils disent de vous les

-- 4 --

mesmes choses que nous : l’ignorance naturelle de ces
nations se treuue auec la connoissance qu’elles ont de
vostre gloire, & leur infidelité ne reiette pas la creance
de vos merites. Le seiour que ie fais depuis quelques
années dedans ma solitude, est vne preuue susfisante
de ce que i’ay aduancé ; & quand ie dirois
qu’on entend parler de vous chez des peuples, de qui
l’on n’entend quasi pas la langue, ma demeure à Balzac
persuaderoit aisement vne verité que personne
ne conteste, & que chacun a beaucoup d’inclination
à croire. Qu’on ne s’estonne donc pas si ayant
l’honneur de vous connoistre par reputation, ie prens
la liberté de vous escrire, encore que ie vous sois peu
connu ; Les inquietudes où ie suis de la conseruation
de vostre personne si necessaire à l’Estat, la bizearrerie
du sort, la consequence de vostre perte, l’amour
que vostre renommée laisse en tous lieux, le
recit qu’elle fait de vostre naturel genereux & courtois,
m’ont inuité de vous faire sçauoir le peril ou
vostre valeur engage trop souuent auec vous ceux
qui vous aiment, pour ne point dire toute la terre.
Ie souhaitterois, MONSEIGNEVR, auoir l’eloquence
de ces anciens Empereurs Romains, dont
ils exhortoient leurs trouppes au combat, mais pour
vne fin bien differente : ces grands Capitaines encourageoient
leurs soldats à prodiguer leur vie, &
ie voudrois vous resoudre à conseruer la vostre : ils
leur disoient qu’il y alloit du salut de la patrie pour laquelle
ils deuoient se sacrifier, moy ie vous dis qu’il

-- 5 --

y va du salut de la France, & que vous estes obligé
d’en épargner le sang. Que n’ay-ie cette facilité de
bien dire qu’auoit Cesar ; ie vous persuaderois d’en
faire les actions, puisques vous prier de l’imiter seroit
vous prier de faire moins que vous ne faites tous les
iours, vous dont les premiers exploits surpasserent
infiniment en gloire les plus belles & les plus longues
vies des heros de l’antiquité. Arras pourroit
me seruir de garand, si Paris n’estoit en ce iour vn
illustre témoin de vos merueilles ; & toute la terre
dont cette Ville est l’abbregé seroit vn beau theatre
de vos triomphes, si pour la desoler impunément, le
malheur de nostre âge dont on ne peut se souuenir
sans larmes, ou plustost l’iniustice de nos ministres
n’auoit tenu vostre valeur captiue, qui seule la pouuoit
secourir. I’ose encore dire que la France ayant
esté durant vostre captiuité dans vn estat ou elle ne
pouuoit plus estre sauuée sans vn miracle ; il ne luy
manquoit pourtant que vostre liberté, aussi deuoit-elle
estre miraculeuse, Ie suis ennemy de la flaterie,
& ie sçay que vostre vertu n’en souffre point : mais ie
croy qu’il est necessaire de vous faire souuenir de
l’importance de vostre personne, pour vous obliger
de la considerer ; non pas que nous la voulions priuer
tout à fait des plaisirs qu’elle prend dans les hazards
d’vne iuste guerre, nous ne voulons que la supplier
de ne se mesler pas si auant parmy des ennemis qu’elle
peut deffaire par sa seule presence. Ne vous exposez
pas sans besoin, MONSEIGNEVR, & puisques il

-- 6 --

ne faut que vous monstrer pour les faire disparoistre,
n’allez pas vous engager dans leurs trouppes rompuës ;
laissez les fuyr auec honneur, & sous vn glorieux
pretexte, en fuyant deuant vous, donnez nous
vne victoire innocente, & gardez bien par quelque
legere blessure seulement de nous faire achepter trop
cher vn repos qui nous cousteroit des larmes : craignez
vn peu pour nous, ou si vous n’estes pas capable de la
crainte, ayez au moins vn peu d’amour, mais de cette
amour qui ne s’éloigne qu’auec regret de la personne
aimée. Vostre nom seul peut rendre nos armes
triomphantes, il est si accoustumé à vaincre tout, il
eschappe si peu de chose à ses conquestes, & à vos
liens, qu’en voulant mesmes nous rendre libres, vous
ne pouuez vous empescher de captiuer nos cœurs. Ce
Prince que la iustice des armes de nos Roys rendit
victorieux dans quatre batailles, perdra la cinquiéme
contre vous : Ce ieune guerrier que le bon heur
de la France rendit triomphant, deuiendra malheureux
s’il combat contre elle ; & ce fortuné conquerant
qui subiugua tant d’estrangers, sera vaincu, s’il
en deffend le moindre. La valeur temeraire de ses
combats, & sa prudence de Lerida luy seruiront de
peu : il seroit encore vne fois secouru d’Erlac, il feroit
ressusciter le Mareschal de Gassion, il auroit auec luy
ce braue Mareschal de Turenne, & tant d’autres genereux
guerriers, dont les plaines de Rocroy, de Norlingue,
& de Lens ont veu signaler le courage, qu’il
seroit battu en compagnie dans la plaine de S. Denis

-- 7 --

Enfin il auroit triomphé mille fois de l’Archiduc, de
Mello, de Mercy, & autres, qu’il vous espreuuera son
maistre aussi-tost que son ennemy. Le Cardinal qu’il
protege n’attend plus que vostre marche victorieuse
pour en porter le bruit au pays estrangers : Nostre
Roy qu’il nous a enleué au milieu de la paix, soûpirant
dans le sein de ses corsaires vous tend les bras, &
vous recommande son Royaume ; respondez à ses
cris, vous pouuez sans luy estre rebelle le poursuiure
les armes à la main contre ceux qui le rauissent, ou
plustost vous ne pouuez pas sans estre criminel le laisser
entre les mains de ses ennemis ; Marchez grand
Prince, marchez apres ces fameux voleurs ; mais souuenez-vous
que vous estes bien cher à la France, &
pour ne nous ietter pas dans tous les malheurs ensemble,
ne vous iettez pas dans tous les dangers que vous
rencontrerez. Ce sont les humbles prieres que vous
doiuent faire tous les bons François, & que vous
fait

 

MONSEIGNEVR,

Vostre tres-humble, tres-obeyssant,
& tres fidelle seruiteur,
BALZAC.

-- 8 --

SubSect précédent(e)


Balzac,? de [signé] [1649], LETTRE DE MONSIEVR DE BALZAC, A MONSEIGNEVR LE DVC DE BEAVFORT. du 31. Ianuier 1649. , françaisRéférence RIM : M0_1975. Cote locale : C_3_51.