Barberini, Antonio [?] [1649], LETTRE DV CARDINAL ANTONIO BARBERIN. ENVOYEE DE ROME AV CARDINAL MAZARIN. A sainct Germain en Laye. Touchant les troubles de France. , françaisRéférence RIM : M0_2086. Cote locale : A_5_59.
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LETTRE
DV CARDINAL
ANTONIO BARBERIN.
ENVOYEE DE ROME AV
CARDINAL MAZARIN.

A sainct Germain en Laye.

Touchant les troubles de France.

A PARIS,
Chez la vefue ANDRÉ MVSNIER, au Mont
sainct Hilaire, en la Court d’Albret.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

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Lettre du Cardinal Antonio Barberin,
enuoyée de Rome au
Cardinal Mazarin.

MONSIEVR,

L’estroite amitié que i’ay contractée
auec vostre Eminence au
poinct que vous commençastes à
ietter les fondements de la fortune ou vous a
esleué la Reyne Regente de France, m’oblige
maintenant plus que iamais à m’enquerir de
l’estat des affaires de ce puissant Royaume dont
vous estes l’administrateur & le Genie. Les nouuelles
ordinaires & continuelles que ie reçois
de iour en iour par le moyen d’vn de mes amis,
Gouuerneur de Prouinces, & des plus aduancez
dans les bonnes graces du Roy, ont ietté
mon esprit dans vne inquietude que ie ne sçaurois
vous exprimer qu’auec douleur pour l’apprehension
que i’ay conceuë de quelque funeste
accident, dont sans doute l’enuie de quelques

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courtisans mal contens menace vostre
Eminence, si i’adiouste foy aux bruits qui en
courent icy par tout à Rome. La crainte que
i’ay que cela ne soit veritable, & que vous ne
soyez exposé à quelque euident & prochain
danger ma fait resoudre, quoy qu’embarassé
dans plusieurs affaires de grande consequence
& tres-pressantes, de vous addresser la presente
pour vous aduertir de mettre ordre à vos affaires
& de songer à la seuretè de vostre personne.
Ie sçay bien que vostre esprit qui vous a dõné
le moyen de preuenir iusques à ce poinct
d’honneur & d’authorité ou vous estes à present,
vous fournira assez de voyes pour vous
déueloper des intrigues & éuiter les pieges qui
vous pourroient tendre quelques mal-veillans,
qui font gloire de se declarer ennemis de toute
vertu, en s’opposant de tout leur pouuoir aux
bons aduis & salutaires conseils de vostre Eminence
pour le gouuernement & administration
de l’Estat où vous commandez. Mais cõme
personne auec toutes les perfections &
bonnes qualités imaginables n’est assez clairvoyant
dans ses propres affaires, i’ay creu estre
de mon deuoir de vous donner cét aduertissement,

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afin que si les trahisons secrettes & les
sourdes menées de vos ennemis ne vous sont
notoires & manifestes, vous puissiez à l’aduenir
vous tenir sur vos gardes & vous preparer
aux euenemens qui pourront arriuer dans la
reuolution des affaires. Au reste ie veux bien
que vous sçachiez que i’ay souuente fois conferé
auec vos amis pour trouuer quelque expedient
qui vous peut retirer des mains de vos
aduersaires, sans vous exposer au hazard d’vne
cheute irreparable. Les accidens sinistres qu’ont
encouru plusieurs grands personnages, que le
bon heur & leur addresse ioints à la bonne cõduitte
& à la prudence dont ils estoient parfaitement
douez, auoit esleués au maniement des
plus grandes affaires d’Estats tant au Royaume
de France qu’és estrangers, font croire à la
pluspart de ceux qui desirent vostre auancement
que vous ne deuez pas d’auantage, sans
estre tres-mal aduisé, demeurer dans vn Royaume,
ou vray semblablement vous ne manquerez
iamais d’estre le ioüet de la fortune &
le rebut des hommes, en effet les affaires, à ce
que i’entends, en sont desia arriuées iusques à
ce poinct que l’on ne croit pas en cette ville

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qu’il vous reste encor deux mois de vie, ou trois
tout au plus. La part que nous auons en vos
interests, & l’amour qui nous attache si fortement
à vostre personne ne nous permet aucun
repos, le moindre bruict nous donne l’alarme
& nous fait soupçonner ce que chacun de
nous voudroit empescher au peril mesme de
sa vie, si vous sçauiez les symptomes que nous
endurons toutesfois que nous faisons reflexion
sur la mort tragique & funeste du Marquis
d’Ancre, dont la memoire est encore auiourd’huy
abominable au peuple que vous gouuernez,
en verité ie pense que vous changeriez
les maximes d’agir desquelles vous vous estes
servi iusques à present en d’autres plus conuenables
& plus tolerables, c’est le moyen, ce
me semble, le plus propre que l’on puisse trouuer
pour gaigner l’affection des hommes, il
vaut mieux faire vn petit gain qu’vne grande
perte, & amasser petit à petit que de perdre
tout d’vn coup ce que l’on a recueilly que par
l’espace de plusieurs années Vous comprenez
bien ce que ie veux dire, & ma pensée n’est pas
si attachée que vous ne la puissiez entendre.
I’aduoüe que pendant les troubles & les confusions

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de la guerre, il est d’autant plus aisé
de s’enrichir aux despens du Prince que l’on
sert, qu’il se trouue plus de personnes lesquels
s’ingerent dans le maniment des deniers & des
finances, mais que cela soit tousiours propre
ie ne l’oserois dire, aussi ne le puis-je sans mensonge,
& vous mesme le sçauez assez & le connoissez
maintenant par experience, estant recherché
& poursuiui comme vn voleur, quoy
qu’innocent pour tel, recogneu de tous les
gens de bien neantmoins pour sauuer vostre
honneur & la mettre à couuert des médisances
pour oster la cause de l’animosité que la plus
grande & la plus saine partie de cette nation
tesmoigne auoir à lencontre de vous, bref pour
vous conseruer au bien de vostre partie, vous
deuez tascher de donner la paix & le repos tant
desiré de tout le monde, en vn temps ou sans
cela vous estes le but d’vne haine generale &
immortelle, qui vous rongera quelque iour
iusques aux entrailles, ne vous imaginez pas
de pouuoir surmonter tous les obstacles &
tous les empeschemens qui suruiendront, les
histoires nous fournissent vne infinité d’exemples
de cette sorte. Ce seroit chose inutile de

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vous en faire icy vn grand recit, d’autant que ie
sçay que vous n’en estes que trop informé. I’espere
que vous y penserez serieusement, cette
confiance croyez-moy, mettroit tout à fait
mon esprit en repos si ie ne craignois que l’exẽple
du Cardinal de Riehelieu, dont vous estes
digne successeur, ne vous fit reculer en arriere,
en esperance de n’auoir iamais vn pire traittement
que luy, c’est la seule consideration qui
m’a principalement meu à vous escrire ce mot
à la haste suiuant l’occasion qui s’est offerte, qui
fait que reïterant les prieres que i’ay faites à vostre
Eminence dés le commencement de la presente,
ie vous coniure par ce qu’il y a de plus pretieux
sous la voute des Cieux, & par l’estroite
amitié qui est entre nous, de mettre bas toutes
les fausses asseurãces qui vous induise à persister
en l’estat où vous estes à present, considerez que
si le Cardinal de Richelieu n’est iamais descheu
de sa fortune & des bones graces de son maistre,
que son procedé n’estoit pas si estrange qu’est
le vostre, autrement qu’estant François de nation
& non pas estranger comme vous, ses
actions estoient moins descriées, & ses deportemens
plus tolerables : vous estes dans vn pays

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de delices ou les hommes n’ayment les sangsuës
qui les succent iusques à la mouelle des os,
& qui transportent leurs richesses en des contrées
estrangeres ; Ie ne dis pas que vostre Eminence
soit notée de cette tache, mais seulement
que ces pensées peuuent entrer dans l’esprit
du peuple, & que par consequent vous y
deuez aduiser. Voila ce que i’ay à vous mander
touchant vos affaires de delà, vous asseurant
de plus de la bonne disposition de vos parens
& amis de cette ville, qui tous ensemble auec
moy souhaittent auec passion vostre retour
s’il estoit possible, songez y & croyez que ie
suis,

 

De Vostre Eminence,

Tres-humble & tres-affectionné
& Confrere......

De Rome ce 9. Feurier 1649.

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