Anonyme [1652 [?]], INSTRVCTION ROYALE, OV PARADOXE SVR LE GOVVERNEMENT de l’Estat. , français, latinRéférence RIM : M0_1710. Cote locale : B_2_29.
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L’INSTRVCTION ROYALE,
ou Paradoxe sur le gouuernement
de l’Estat.

SIRE,

Puis que la dignité Royale est la premiere & la principale
de toutes les dignitez des hommes : & que les
Roys ne doiuent point auoir de plus grande passion que
celle de Regir leurs sujets auec toute sorte de iustice ;
ie croy que vostre Maiesté ne trouuera pas mauuais que
ie luy face voir les diuines instructions que i’ay nouuellement
recüeillies de diuers Auteurs pour la parfaite
éducation des Souuerains, afin que par leur merueilleuse
inspiration, ie suscite vostre Maiesté à conçeuoir vne
eternelle horreur de celles dont le Cardinal Mazarin
tasche de peruertir l’esprit que Dieu vous a donné, par
le soufle de ses abominables maximes. Ce qui est veritablement
cause de tous les malheurs & de tous les desordres
qui sont arriuez à cét Estat, depuis le commancement
de vostre regne iusques à present, & que le Ciel
nous fera la grace de deliurer bien tost, comme ie croy,

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de l’estrange confusion où ce prodigieux monstre la
mis ; puis que sa diuine bonté a tousiours fait voir qu’elle
auoit beaucoup plus d’inclination pour le salut des
François, que pour toutes les autres nations de la terre.

 

La plus part des Potentats ne mettent leur felicité
qu’en la conqueste de quelque nouueau pays, & qu’en
l’exercice des armes : mais s’ils consideroient les choses
comme elles doiuent estre considerées, ils trouueroient
qu’il n’y a rien au monde qui leur soit si vtile & si necessaire
que de regir leurs sujets selon les loix : que de les
deliurer de l’extreme calamité où ils sont : que de les
maintenir dans les conditions & dans les priuileges ou
ils les ont trouuez : que de les deffendre enuers tous &
contre tous : & que de les gouuerner ainsi qu’vn bon
pere doit gouuerner sa famille.

Ce n’est pas pour dresser des puissantes armées, pour
couurir la mer de vaisseaux, pour liurer des grandes
batailles, pour gagner des prodigieuses victoires, pour
prendre des villes, pour conquerir de nouueaux Estats,
& pour porter la terreur sur toute la surface de la terre,
qu’ils furent esleuez à cette Royale dignité : mais pour
trauailler incessamment au bien de leurs suiets, pour
remedier aux malheurs dont ils sont accablez, pour les
releuer de leurs oppressions, & pour distribuer le droit
à toutes sorte de personnes.

Mais le malheur du siecle est si grand, que ce sont des
leçons qui ne vont pas iusques aux oreilles des Princes.
Chose estrange que ceux qui deuroient estre les mieux
instruits, afin de sçauoir plus dignement exercer la
charge où Dieu les a appellez, sont ceux qu’on laisse
plus malheureusement croupir dans vne ignorance aussi
criminelle enuers Dieu, qu’elle est outrageuse enuers
les hommes. Et d’où vient cela ? c’est parce qu’ils ne
sont iamais enuironnez que de tyrans, que de flateurs,
que de complaisans, & que de sangsuës publiques.

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Ce qui porte ordinairement les Souuerains à la haine
de leurs sujets, & qui cause apres cela vn nombre
infiny de ruines publiques, & quelquefois vn changement
vniuersel de la plus grande partie de tous les Estats
de la terre. C’est pourquoy, vostre Maiesté, ne deuroit
iamais auoir prés de sa personne que des hommes
francs, libres, incorruptibles, exemps de toute sorte
de partialitez, & qui fissent vn pareil examen de leur
conscience en vous conseillent, que s’ils se confessoient
à Dieu de tous leurs crimes.

Ou bien Sire, à l’imitation de Titus fils de Vespasien,
prenez moy vn Disciple d’Apolonius, c’est à dire
vn homme enten du, des-interessé, fidelle, & qui ayant
esgard au temps, à la saison, & aux personnes, vse de
l’Authorité que vous luy donnerez auec prudence, &
qui vous dise hardiment & auec respect, les choses comme
elles vous doiuent estre dittes. Ou bien à l’imitation
de Philippe de Macedoine, prenez moy vn Antipater,
sur la vigilence de qui vous puissiez reposer
à vostre aise. Ou bien à l’imitation d’Alexandre, vn
Ephestion, qui soit plus attaché à la vertu & à la generosité
de son Souuerain qu’à ses richesses. Ou finalement
à l’imitation de Darius Roy de Perse, vn Zopire,
qui soit tousiours prest à exposer ses biens, son honneur,
& sa vie pour vostre seruice, au lieu de tous ces Mazarins
qui enuironnent vostre Majesté, & qui comme des
poux affamez, ne sçauroient subsister sans deuorer
ceux qui leur donnent la vie.

Et pour acheuer ce que vostre Maiesté auroit si bien
commencé, elle deuroit pareillement aussi deffendre,
non seulement l’abord de son Palais Royal, mais aussi
l’estenduë de tous ses Estats à ces personnes qui comme
des lasches Cameleons, prenent toute sorte de formes :
qui comme des furies infernales ne cherchent qu’à reduire
toute cette pauure Monarchie en cendre : & qui

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comme des Antropophages, des Canibales & des Taupinambons,
ne se repaissent que de sang humain, &
que la mesme Sagesse met au rang des reprouuez, en
plusieurs endroits des sacrez Cahiers de l’Escriture
Sainte.

 

Combien de meurtres finis, combien d’incendies
cessées, & combien de sacrileges empeschez, si vostre
Maiesté prend le soin de regir ses sujets, selon les diuines
instructions que ie luy presente. Et au contraire combien
de malheurs ne causerez vous pas dans tout vostre
pays, si vous continuez à regner selon les pernicieuses
maximes d’vn Ministre qui ne fait le bon valet deuant
vostre Maiesté que pour mieux tyranniser vos peuples.

Ouy Sire, si vous voulez regner heureusement &
selen Dieu, chassez moy ce malheureux Ministre de
tous vos Estats & prenez au lieu de cette sang-suë, publique
vn Ministre qui soit franc d’ambition, de cupidité,
de haine & de colere : car quand les passions seruent
d’obstacle aux bonnes operations de l’entendement,
il est bien difficile à l’homme de pouuoir iamais
fidellement agir, selon qu’il y est obligé par des loix
qui doiuent estre inuiolables à toute la nature crée. L’interest
public ne peut pas iamais estre dignement distribué
par celuy qui n’a que son interest particulier dans sa
pensée ; parce que la passion qui preocupe nostre esprit,
ne nous permet pas iamais d’agir qu’à sa fantaisie.

Plusieurs republiques aussi florissantes ou plus que la
vostre ont bien pery par la conduite de gens de sa sorte.
La Sicile ne fut elle pas sur le panchant de sa ruine du
temps de Denys & du temps de Phalaris ? l’Egypte
ne fut elle pas dans vne estrange reuolution du temps
de Ptolomée ? Et l’Empire Romain ne fallit-il pas d’estre
enseuely dans ses cendres du temps d’Antoine ?

Mais puis que i’ay entrepris auec toute sorte de respect,
d’instruire vostre Maieste de l’art de regner selon

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Dieu en veritable Souuerain, au lieu de regner selon
les pernicieuses maximes dont le Cardinal Mazarin tasche
de peruertir les dons que ce Souuerain Seigneur
vous à faits, en vous donnant par vne extreme necessité
à cette Monarchie, il faut auant de passer plus outre
que ie luy face voir auec le mesme respect, comme
quoy vous estes obligé par toute sorte de loix, en qualité
de Seigneur terrien, politique & deffenseur de la
loix Diuine, naturelle & canonique, de maintenir l’Eglise
dans ses droits, & de la deffendre contre tous ceux
qui la persecutent, afin qu’apres vous auoir declaré ce
que tous les Potentats de la terre doiuent à cette Diuine
Espouse du Sauueur de nos ames, ie vous puisse faire
mieux comprendre les raisons pour lesquelles les peuples,
esleuerent les Roys à cette dignité, puisque c’est
le veritable fondement sur lequel ie dois appuyer toutes
les instructions que ie vous veux donner, pour la parfaite
éducation des Princes.

 

1. Si vostre Maiesté veut satisfaire au commandement
que Dieu luy fait. Si vostre Maiesté veut retenir ses sujets
dans la parfaite obeyssance qu’on luy doit : Si vostre
Maiesté ne se veut pas rendre indigne de la grace qu’elle
reçoit de son Createur : & si vostre Maiesté ne veut
pas que sa Diuine bonté transfere cette grace en d’autres
familles, il faut qu’elle ait la Religion Catholique, Apostolique
& Romaine, en tres grande veneration, & en
qualité de Seigneur terrien, politique, & deffenseur de
la loix Diuine, naturelle, & Canonique, qu’elle maintienne
l’Eglise dans ses droits, & quelle la deffende à
quel prix que ce soit, contre tous ceux qui la persecutent,
puis que sans cette adorable Congregation des fidelles,
il ny à point de salut, ny pour les Roys ny pour
leurs peuples.

Mais pour donner vne plus parfaite intelligence à
vostre Maiesté d’vn Paradoxe de cette nature, il est tres

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necessaire que ie luy face comprendre auant toute chose
que la loy Euangelique n’a iamais eu que la vie eternelle
pour cause finale de toutes ses entreprises, & l’ame
humaine pour son propre sujet, & pour sa matiere :
C’est pourquoy il est necessaire qu’elle soit toute dediée
à la direction des mouuemens internes de la conscience,
& non pas à retenir ny à empescher la force & la
violence externe de l’homme, & partant elle ne sçauroit
estre destinée que pour iuger des moyens necessaires
à la beatitude, conformement aux causes essentielles
& spirituelles de la Religion Chrestienne, par persuasion
seulement : par la Predication de la parole de
Dieu : par la dispensation des Sacremens : par l’exclusion
de la Communion : par le moyen des censures : &
finallement par les armes spirituelles de l’Eglise, dont
anciennement on ne pouuoit pas vser sans le Conseil
Aristocratique du Presbytere.

 

Iesus Christ ne respondit il pas à Pilate, que son regne
n’estoit pas de ce monde, & que le fils de l’homme
n’auoit pas où reposer sa teste ? pour faire voir par là que
l’Eglise ne sçauroit auoir de droit diuin, aucun territoire,
ny droit de punir par aucune peine corporelle :
car l’ame qui est le propre sujet de la loy Euangelique,
a son mouuement d’vn principe interne seulement :
C’est pourquoy le droit du glaiue materiel suit necessairement
le territoire ainsi que l’effet suit la cause : Et
voicy de quelle sorte est ce que le diuin Apostre Saint
Paul esclaircit cette pensée : Car bien dit-il que nous cheminions
en la chair, nous ne combatons pas selon la chair,
car les armes de nostre guerre ne sont pas charnelles, mais
puissance de Dieu, à la destruction des forteresses, destruisant
les Conseils & toute hautesse qui s’esleue contre la connoissance
de Dieu, & amenant prisonniere toute pensée à
l’obeyssance de Iesus-Christ.

Si faut il pourtant que l’Eglise soit maintenuë dans

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ses droits, & qu’elle soit deffenduë par la force des armes
à quel prix que ce soit, contre tous ceux qui la voudroient
perdre : car autrement elle ne pourroit pas subsister
aux moindres attaques d’vne puissance terrestre.
Dieu dit qu’elle sera eternelle, que les portes d’Enfer
n’auront point de puissance sur elle, & qu’elle ne doit ny
debatre ny combatre, & neantmoins il faut qu’elle subsiste
iusques à la fin des siecles. C’est pourquoy il faut
dont necessairement que le Prince du monde, en qualité
de Seigneur terrien, politique, & deffenseur de la
loy Diuine, naturelle, & canonique, ait le soin de la
maintenir dans ses droits, & de la deffendre à quel prix
que ce soit, contre tous ceux qui ne visent qu’a la destruire,
comme le seul puissant pour cela, sur peine d’eu
respondre en son propre & priué nom, deuant le tribunal
de son adorable iustice.

 

C’est pourquoy il porte le glaiue, comme le dit fort
bien le diuin Apostre Saint Paul : C’est pourquoy il a
luy seul le pouuoir de contraindre & de corriger tous
les delinquans, par vn nombre infiny de pemes corporelles :
Et c’est pourquoy il peut pour le bien de l’Eglise,
& pour l’execution des canons Ecclesiastiques, faire
des loix, des Edits & des Ordonnances, & les inserer
au corps de celles qu’il fait pour maintenir ses Estats,
ainsi que Constantin, Theodose, Iustin, Charlemagne,
Saint Louys, Charles sept, François premier, &
plusieurs autres grands Princes ont fait, en faueur d’vne
espouse pour qui son espoux a fait tant de miracles incomprehensibles
à toute la nature crée.

Saint Augustin dit que les Roys de la terre doiuent
seruir à Iesus-Christ en faisant des loix, & Dauid dit
qu’ils doiuent seruir au Seigneur en crainte. Eusebe raconte
que le bon Prince est constitué Euesque pour le
dehors de l’Eglise, & l’Eclesiastique pour le dedans.
Ce que bien consideré, il est aisé de iuger en quel sens

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Optatus Mileuitanus à soutenu que l’Eglise estoit en là
Republique comme vn fonds, ou comme vn Domaine
estranger, comme s’ils vouloient dire & les
vns & les autres, que les Princes Chrestiens, dont
vous estes le premier, Sire, sont obligez de mettre
en execution les droits Diuins, Naturels & Canoniques,
& si la chose le requiert, vser du glaiue, pour
maintenir l’Eglise dans ses droits, & pour la defendre
contre tous ceux qui la persecutent.

 

Ma hatias vn peu de temps auant de mourir, commenda
aux Machabées ses enfans, de combatre tousiours
pour la defence de l’Eglise, ainsi que tous ses
predecesseurs auoieut fait, s’ils desiroient de s’aquerir
vne gloire immortelle. Et Charlemagne n’escriuoit
iamais à pas vne de ses Prouinces, où il ne mit
tousiours au commencement de ses Edits, de ses Ordonnances,
ou de ses Lettres patentes, ces mots, Ego
Carolus, gratia Dei, eiusque misericordia donante Rex &
Rector Regni Francorum, & deuotus sanctæ Dei Ecclesiæ
defensor, humilisque adiutor, omnibus Ecclesiasticæ potestatis
ordinibus, seu secularis potentiæ dignitatibus, salutem.

Considerez donc de grace, Sire, qu’il ne se qualifie
pas seulement Roy de France : mais encore de plus,
tres-deuot Defenseur de l’Eglise Catholique, Apostolique
& Romaine. C’est pourquoy, Sire, vous ne pouuez
pas, non plus que tous vos predecesseurs, en qualité
de Seigneur souuerain, vous exempter en façon
quelconque de maintenir l’Eglise dans ses droicts, &
de la defendre hautement contre tous ceux qui la persecutent,
si vous n’en voulez pas estre vn iour comptable
deuant Dieu, comme du plus enorme de tous les
crimes.

2. Il y a quelque trois ans, Sire, que ie vis vne certaine
refutation d’vn discours intitulé Lettre d’Aduis,

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où son Autheur mettoit en auant que c’estoit vne mocquerie
à des sujets de pretendre quelque droict sur vn
Roy, par les promesses qu’en l’élisant ils en auoient
tirées, qui est vne proposition tres-pernicieuse aux Rois
& aux peuples. Mais puisque c’est vne fausseté qui va
contre le salut de toutes les creatures de l’Vniuers, &
qui offense cette adorable verité, à qui tous les sentimens
des mortels doiuent estre soûmis, sur peine d’en
estre chastiez par des supplices d’vne eternelle durée :
Vostre Maiesté me fera bien l’honneur d’agréer que ie
responde mot à mot à vne si pernicieuse proposition,
puisque nostre sujet le requiert, afin de redonner vne
parfaite santé aux esprits qu’elle pourroit auoir infectez,
par le moyen d’vne si abominable sophystiquerie
que la sienne.

 

Quelle condition, dit-il, pouuez-vous donner à celuy
qui est absolu ? La qualité de Roy n’en souffre point
de la part de ses sujets. Il entre dans le thrône ; il monte
sur vn degré qui est plus haut que luy ; il ne peut obliger
la Souueraineté, qui sans luy, & auec luy, subsiste
tousiours independante, & le reste.

N’est il pas vray, Monsieur le nouueau Politique,
que quand les Roys viennent à la Couronne, ils iurent
sur les Sainctes Euangiles qu’ils maintiendront l’Eglise
enuers tous & contre tous, qu’ils obserueront les Loix
fondamentales de l’Estat, qu’ils protegeront leurs sujets
contre toutes les injustices des hommes, & le reste,
& que moyennant ce serment, les peuples iurent
pareillement aussi de leur obeïr, pourueu que leurs
commandemens n’aillent pas contre des conditions
que les sermens des vns & des autres viennent de rendre
reciproques ? N’est-ce pas là faire voir assez clairement
que ce qui doit faire valoir & tenir le serment
des subiets, doit faire valoir & tenir le serment
des Princes ? N’est-ce pas là faire voit assez clairement
que ce sont deux sermens d’vn rapport tellement mutuel

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& tellement relatif, que l’vn ne peut pas estre sans
l’autre ? Quand la cause pour qui ils sont faits vient à cesser,
ne faut il pas de necessité necessitante que l’effect
cesse, selon les preceptes du Maistre de l’Escole, & selon
les documens du Prince de la secte peripathetique ? La
qualité de parjure est-elle si essentielle à la Royauté,
qu’on ne puisse pas auoir aucune inclination pour
celle-cy, sans abandonner toutes ses passions à l’autre ?
Est-ce vn axiome que le vostre, d’vne verité si permanente,
que toute la philosophie des hommes ensemble
ne puisse pas iamais conuaincre de faux, sans se conuaincre
elle-mesme ?

 

Ie sçay bien qu’on ne sçauroit donner aucune condition
à vn homme qui est absolu, que celle qu’il se donne
luy-mesme : mais aussi dés qu’il s’est obligé à quelque
chose, quand ce ne seroit qu’vn pur effect de sa
grace, ie vous soustiens qu’il l’a doit effectuer, s’il ne
veut passer pour vn imposteur, & s’il ne veut faire vne
action d’iniustice aussi grande que sa Maiesté le sçauroit
estre, principalement lors qu’elle est faite auec
une condition où il ne sçauroit auoir esté porté que du
bon plaisir de sa Toute-puissance, ainsi que celle que
Dieu fit à Abraham, à Isaac, à Iacob, à Gedeon, aux
Iuifs, à Dauid, & à tous ses sideles. Et quoy que sa qualité
de Createur & de souuerain Seigneur de tout l’Estre
creé, l’exemptast de pouuoit souffrir quelque condition
de la part de ses creatures, sa diuine Maiesté n’a pourtant
iamais voulu violer celle qu’elle leur auoit faire en
façon quelconque. A plus forte raison que ne doiuent
pas faire ceux que cét adorable Capita ne a choisis pour
estre ses Lieutenans icy bas parmy nous, puis qu’ils sont
obligez de l’imiter en toutes ses actions du mieux qu’il
leur sera possible.

Et quand vn homme n’est pas absolu, & qu’il reçoit
la puissance absoluë, qu’on luy donne à la condition

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qu’elle luy est donnée, ie tiens qu’il ne sçauroit destruire
ce pourquoy il est, sans destruire ce qui le fait estre
vous auez beau dire qu’il est monté sur vn degré qui
est plus haut que luy, & qu’il ne peut obliger la souueraineté
qui sans luy & auec luy subsiste tousiours independante.
Ce sont des sentimens qui ne sçauroient
venir que d’vne intelligence mal conçeuë & mal estudiée.
Il n’y a point de souueraineté parmy les hommes
qui ne depende de ceux qui luy ont donné l’estre.
Et cette espece de puissance souueraine, que vostre
imagination deprauée se figure estre independante,
n’est autre chose que la condition que font ceux qui se
veulent assubiettir, à celuy qu’ils veulent auoir pour
leur Prince. Voyez apres cela, de grace, si vne chose
qui depend purement & simplement de la volonté
de ceux qui s’assuietissent ; peut estre independante
de ces mesmes personnes qui s’assuietissent, sans qui
elle n’auroit iamais esté qu’au nombre de quelques notions
imparfaits, & qui pouuoient ne se pas assuietir
s’ils l’eussent voulu, ou bien qui pouuoient s’assuietir
quelqu’autre qui leur auroit paru plus raisonnable.

 

Quand vn homme deuient souuerain il le deuient
par l’eslection qu’on en fait, & par les seruices qu’il fait
au peuple de maintenir l’Eglise en son pouuoir, d’obseruer
les loix fondamentales de l’Estat, & de proteger
ses sujets ainsi qu’vn bon Roy doit faire. C’est
pourquoy le serment des Roys, ne sçauroit passer
pour des vaines ceremonies : car où ils iurent non
seulement aux peuples, mais à Dieu des choses iustes
ou iniustes, s’ils iurent des choses iustes, ils sont
obligez de tenir leur serment, puis qu’il n’est pas permis
à qui que ce puisse estre de iurer en vain, & s’ils iurent
des choses iniustes, les subiets ne sont non plus
obligez de tenir leur serment, que le Souuerain ; puis
qu’il n’y a point d’iniustice qui ne soit tres abominable

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deuant Dieu & que ce souuerain Seigneur ne punisse
d’vne malediction eternelle. Et partant ce ne sçauroir
estre vne vaine obseruation de faire iurer les Roys,
puis qu’en iurant leur sa ut ne se trouue pas moins engagé
que celuy de leurs sujets, s’ils vont contre le serment
reciproque qu’ils viennent de se faire & les vns
& les autres.

 

Ne vous imaginez donc pas qu’il y ait vn souuerain
sur toute la surface de la terre qui soit hors de l’Empire
des loix & diuines & naturelles : car quand les Roys
iurent, ils prennent le nom de Dieu pour caution de
toutes leurs promesses. Nous voyons dans Zacharie
les horribles menaces que Dieu fait à ceux qui iurent
en vain pour deceuoir les autres. Saül fut bien puny
apres sa mort en la personne de ses enfans, pour auoit
violé par vn zele indiscret, la promesse qu’il auoit
faite aux Gabaonites. C’est pourquoy vn Roy ne
sçauroit iamais s’exempter en façon quelconque des
sermens qu’il a faits à ses sujets, s’il n’en veut respondre
en son propre & priué nom deuant le Tribunal de
son adorable Iustice.

De quels malheurs est ce que la plus part des souuerains
de la terre n’ont pas esté persecutez, lors qu’ils
ont fausse les sermens qu’ils auoient faits à Dieu de
bien gouuerner leurs peuples ? les exemples n’en sont
que trop frequens, dans toutes les histoites Saintes,
& curieuses. Les sujets trouuent tost ou tard, le moyen
de fleschir le Ciel pour se deliurer de l’estrange tyrannie
qui les oppresse. Et Dieu de qui la bonté ne sçauroit
iamais auoir des limitez, ne manque pas d’exaucer
ceux qui l’inuoquent en leurs tribulations, & à qui
l’on fait des violences si criminelles. Si cet adorable
Seigneur exauça Iacob au iour de ses afflections, que
ne fera t’il donc pas pour vn nombre infiny de pauures
innocens, qui n’ont peut estre iamais presté l’oreille

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à pas vne mauuaise pensée ? Plus les Roys sont esleuez
& plus ils doiuent estre raisonnables, & ce n’est pas
l’estre en façon quelconque, que de ne vouloir pas
tenir le serment qu’ils ont fait à leurs sujets, en se mettant
la couronne sur la teste.

 

3. En effect il n’est point de souuerain dans toute l’estenduë
de l’vniuers qui ne soit obligé d’obseruer & de
faire obseruer les loix fondamentales de l’Estat, s’il
ne veut pas estre dans vne eternelle reprobation de
Dieu & des hommes. C’est pourquoy Iosias l’vn des
meilleurs Roys qui ait iamais esté au monde, apres
auoir ouy lire le liure de la Loy, fit assembler tous les
plus anciens de son Royaume, & accompagné de tous
les Prophetes & de tous les Sacrificateurs de ses Estats,
monta au temple où il fit alliance deuant Dieu d’obeyr
à ses commandemens & à ses ordonnances : Et non
content de s’y estre obligé luy mesmes, il fit promettre
encore à tous ses sujets d’accomplir toutes les paroles
de l’alliance qui auoit esté faite selon la paction du
Dieu de leurs peres, ce qu’ils obseruerent tres exactement
le reste de leur vie.

Vous Princes & vous Roys, dit la parole eternelle,
qui estes assis sur le throsne de vos regnes, receuez la loy,
ayez là auec vous, & la lisez tous les iours de vostre vie,
afin que vous apprenniez a craindre le Seigneur vostre
Dieu, & que vous faciez tout ce à quoy elle vous oblige.
Prestez les oreilles, vous qui iugez les fins de la terre : car la
puissance vous est donnée du Seigneur, lequel change le
temps & les termes : oste les Roys & les establit, & constituẽ
sur eux le plus humble des hommes. Receuez discipine
& sorez instruits vous qui iugez le reste des hommes
afin que le Seigneur ne se courrouce pas contre vous : car il
examinera toutes vos actions, & vous fera rendre compte
de la moindre de vos pensées. Et par malheur si vous n’aués
pas gardé la loy & si vous n’aués pas cheminé selon sa iustice,

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il vous iugera selon la rigueur de sa seuerité, & vous serés
puissamment tourmentés en punition de vostre d’esobeyssance.
Entrez donc en vous mesmes Princes de la terre
fuyeés ces humaines affections qui vous tiennent les yeux
bandez & reconnoissez les graces que le Seigneur vous fait,
& qui sont mesmes comprises aux mysteres sacrez de cette
Philosophie Celeste.

 

Non, il n’est point de Roy ny de Prince, quoy qu’ils
se qualifient indépendans, qui ne soient subjets aux loix
diuines & aux loix humaines : c’est pourquoy ils doiuent
commẽcer eux-mesmes à donner des bons exemples
à leurs subjets, & à sçauoir moderer leurs passions
auant que d’entreprendre à gouuerner les autres. Cyrus
Roy des Perses dit que celuy qui n’a pas les loix en plus
grande veneration que ses subjets, est indigne de l’Empire
qu’il possede.

Demostene dit en ses Philippiques que la loy est vn
don de Dieu & vne inuention de l’Ordonnance des Sages,
pour reprimer les mauuaises actions des meschans,
& pour maintenir la Republique dans vne tranquilité
inuiolable ; à la regle de laquelle tous les Souuerains de
la terre doiuent former le plus beau de leur vie. Et Ciceron
en la harangue qu’il a faite pour Cluence, dit que
la loy est l’appuy de la Republique, & qu’il faut necessairement
que le Prince y soit assujetty, d’autant que son
authorité tire sa source de là, & qu’elle ne se sçauroit
maintenir que par l’inuiolable obseruance de la iustice.
Et Dieu qui est le Roy des Roys ne se voulut il pas soumettre
luy-mesme aux loix qu’il donna à ses peuples,
quand il leur promit de demeurer auec eux, de les proteger,
de les instruire, de les benir, de les conduire, &
de les nourrir, pourueu qu’ils voulussent obseruer les cõmandemens
qu’il venoit de leur faire ? Et lors qu’il a fait
alliance auec eux, ne s’est-il pas engagé par serment de
la tenir pour inuiolable ? C’est pourquoy quand les

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Roys, par le déreglement de leurs passions, ou par
le mauuais conseil de leurs fauoris se sont portez à
imepriser les loix, Dieu leur a donné mille sorte de
maledictions, & les a liurez plusieurs fois entre les
mains de leurs ennemis, de qui ils ont esté punis d’vne
captiuité tres-insupportable.

 

Ouy certes, SIRE, si Vostre Maiesté veut que son
Royaume soit bien conduit, il faut qu’elle s’assujettisse
tant à ses loix particulieres, qu’aux Ordonnances
de ses ancestres ; specialement a celles qui ne dérogent
en rien à sa dignité, & qui seruent grandement
à former les mœurs de ses peuples : car il n’y a
chose quelconque qui les induise si fort à l’obeïssance
qu’ils doiuent à leur Souuerain, que de le voir s’employer
luy mesme le premier à l’obseruation des loix
qui leur a prescrites. Il est vray qu’il n’y a rien dans
le monde qui authorise plus puissamment la Maiesté
d’vn Souuerain, que de la luy voir soûmettre à la raison
écrite.

Selencus Roy des Locresiens ay ma mieux s’exposer
luy & son fils a la seuerité des loix qu’il auoit faites,
que de les enfraindre. Cesar les eut en si grande
veneration, qu’il faillit à mourir de déplaisir de les
auoir trangressées seulement vne fois en sa vie. Agesilaus
disoit qu’il valloit beaucoup mieux que la Republique
fut regie par des bonnes loix, que par des bons
Princes. Tel est le Souuerain, tel est son peuple.

Toy qui te glorifies en la loy, tu fais deshonneur à Dieu
par la transgression de la Loy, dit ce diuin Apostre sainct
Paul, parlant aux preuaricateurs des loix qu’ils ont establies.

Aristote dit qu’il n’y a point d’autre difference entre

-- 18 --

le Roy & le tiran, si ce n’est que le Roy obeït à la loy,
& le tyran n’en veut point receuoir pas vne. Enfin, si
nous considerons le Souuerain dans l’obseruation des
loix, ie trouue que c’est le plus noble & le plus excellent
de tous les estres raisonnables : mais si nous le
considerons sans l’vsage de la loy, & sans quelque espece
de iustice, c’est le plus monstrueux & le plus abominable
de tous les hommes. Cleobule l’vn des sept
Sages de Grece, disoit que celuy qui auoit plus de liberté
en deuoit moins vser que les autres. Cambises
Roy de Perse dit que les Princes ne doiuent iamais
rien faire qui ne soit honneste, vertueux, & tres-équitable,
& qu’il n’appartient qu’aux Barbares de transgresser
les loix qu’ils ont vne fois establies.

 

Solon ce grand Legislateur des Atheniens, estant
enquis des moyens qu’on deuoit tenir pour bien gouuerner
les peuples, dit qu’il falloit que le Prince fust
tres-obeïssant aux loix, afin de donner bon exemple
à tous ceux qui deuoient viure sous les siennes. Iesus-Christ
voyant que les Scribes & les Pharisiens accabloient
le pauure peuple d’vn nombre infiny de loix
tres-rigoureuses, sans qu’ils en voulussent obseruer pas
vne, leur dit qu’ils estoient bien aises d’accabler les
autres d’vn insupportable fardeau, sous lequel ils n’auoient
nulle inclination de se vouloir soûmettre.

Ciceron en son liure des loix, commande expressement
aux Princes & aux Magistrats de viure selon
les loix, afin de seruir d’exemple au reste des hommes :
car tout ainsi dit-il que les subjets sont adonnez
au mal par le mauuais exemple de leurs Souuerains,
tout ainsi ils sont adonnez au bien par l’exemple de
leur bõne vie ; c’est pourquoy tels sont les Superieurs,

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tels sont leurs peuples. Les exemples des maistres de
hommes sont si persuasifs, que personne du monde
n’y oseroit iamais contredire, à cause de l’authorité
& de la dignité de ceux qui nous les donnent. Et les
Souuerains n’ont point d’action qui n’ait beaucoup
plus d’ascendant sur nos esprits que toute la plus éloquente
Rethorique de la nature. Si cela n’estoit pas
bien fait de transgresser les loix, nos Princes ne le feroient
pas, à ce que disent les adorateurs des actions
de ces illustres politiques, & par consequent il n’y a
point de mal de les imiter & de former toutes nos volontez
à leur exemple. Voila de quelle façon est-ce
que les peuples argumentent, pour se porter à faire
comme ceux qui leur [1 mot ill.] seruir d’exemple. Et
voila la raison pour laquelle les Souuerains sont obligez
d’obseruer & de faire obseruer les loix fondamentales
de l’Estat, s’ils ne veulent estre dans la reprobation
de Dieu & des hommes. Le Roy est vn
astre sous l’ascendant duquel toutes les inclinations
de ses sujets forment ce qu’elles ont de plus considerable.
C’est vn soufle qui entraisne tous les esprits
de ses peuples à ses volontez. Et finalement c’est vne
intelligence qui donne le mouuement à tout le corps
de son sphere Monarchique. C’est pourquoy la mesme
Sagesse dit que tels sont les Souuerains d’vn Estat,
tels sont les peuples qui leur obeïssent.

 

Toutes ces excellentes raisons appuyées de textes
formels de l’Escrite Sainte (qui ne peuuent estre reiettez
que par des impies) font assez bien voir que les
Roys sont obligez d’obseruer les loix fondamentales
de l’Estat, s’ils veulent que leurs peuples les obseruent,
& que leur Conseil ne sçauroit aller contre cela,

-- 20 --

sans contrarier formellement les loix de Dieu, à
qui toutes les plus superbes puissances de la terre doiuent
estre soûmises.

 

4. Il n’est point de veritable politique en tout l’vniuers,
qui-ne tienne pour certain que la premiere & la
plus importante loy de l’Estat, est l’vnique salut du
peuple. Et le Prince qui ne sacrifie pas à cela le plus
beau de sa vie, va contre le principe en vertu duquel
il fut esleué à cette dignité, & se rend indigne de la
Souueraineté qu’il possede. Le Monarque ; dit le plus
auguste de tous les Empereurs, (parlant à ceux qui le
reprenoient des grands soings qu’il se donnoit) doit
mourir en trauaillant pour le bien de ses subjets, &
non pas dans vn lict en [1 lettre ill.]vnerant à son aise. Il est vray
que si les Roys ne protegent pas leurs subjets contre
toute sorte d’oppressions & de tyrannies, tant domestiques
que estrangeres, selon qu’ils y sont obligez par
le serment qu’ils ont fait à Dieu, & par le serment
qu’ils ont fait à leurs peuples, il semble que les sujets
soient obligez eux mesmes de prendre les armes pour
se proteger, & pour suppléer à l’obligation de celuy
qui neglige de faire sa charge. Ce qui est pourtant reprendre
en vne façon indirecte sa premiere liberté, &
s’exempter par la mesme indirection, d’vne partie de
la reuerence qu’on doit à son Prince.

Ouy certes, SIRE ; il est tout à fait impossible qu’il
y puisse auoir quelque forme d’abandonnement en la
condition qui s’est faite entre le Souuerain & ses sujets,
sans que la mesme raison de laquelle on voudra appuyer
l’abandonnement de l’vn, n’appuye pareillement
aussi l’abandonnement des autres. Et quoy que
les politiques interessez en veullent dire, V. M. ne

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sçauroit en aucune façon s’exempter du serment
qu’elle a fait à ses subjets, & en vertu duquel vous
estes Souuerain, sans exempter ces mesmes subjets
de l’obeïssance qu’ils vous ont promise, puis qu’ils
ne se sont obligez que pour en estre protegez contre
toute sorte de personnes.

 

Il faut que Vostre Maiesté sçache que la premiere
cause qui incita les peuples à créer des Roys, ne
fut autre chose que leur interest particulier, & le desir
qu’ils auoient d’auoir vn Souuerain qui les protegeast
cõtre les tyrans de la liberté publique, ainsi
que les Romains firent à Scipion l’Affricain, qui
apres auoir pris & demoly la nouuelle Carthage, &
vaincu Asdrubal leur mortel ennemy fust éleu Roy
des Romains, au dire de Plutarque : cõbien que par
vne merueilleuse modestie il refusast cét honneur,
sçachant bien que cette qualité de Roy estoit tres-odieuse
à ces peuples. Ce qui n’a pas esté seulement
pratiqué entre les payens : mais encore entre le peuple
de Dieu, qui à mesme temps qu’il eut veu ce diuin
miracle de la multiplication des cinq pains, voulut
créer Iesus-Christ Roy des Iuifs, ce qu’il refusa,
veu que son regne n’estoit pas de ce monde.

Il est vray que les peuples ne desirerent iamais vn
Roy, que pour corriger la furie, l’oppression, & la
violence des meschans, parce que tous les hommes
sont naturellement enclins à mal faire : Et il s’en
trouue tousiours quelques vns d’vne si mauuaise
humeur, qui par leur pernicieux esprit troublent
trouue la police des Estats, & rauissent contre toute
équité le bien de leurs propres freres. C’est pourquoy
pour refrener l’insolence de ces perturbateurs

-- 22 --

du repos public, les peuples furent contraints de
créer vn chef, qui protegeast les bons, & chastiast
l’insolence de ceux qui ne se plaisoient qu’à malfaire.

 

C’est ce qui nous oblige à croire que les Roys
furent esleuez à cette dignité dés le commencement
du monde, & presque incontinent apres que
nostre premier pere fut chassé du Paradis terrestre ;
parce que ces venerables protecteurs de la cause
commune, estoient aussi necessaires en ce temps là
qu’en pas vne autre saison, attendu que la violence
& la cupidité commencerent leur regne auec les
hommes. C’est pourquoy S. Paul dit que le Prince
ne porte pas le glaiue sans cause, & qu’il est Ministre
de Dieu pour punir celuy qui se porte à malfaire.

Voicy de quelle sorte est ce que Ciceron parle
de ces matieres en son second liure des Offices. Il
n’est pas vray-semblable, dit-il, que les Roys ayent
seulement esté instituez des Medes, ainsi qu’il est
rapporté par Herodote, mais ie croy fermement
qu’ils ont esté créez par nos anciens peres : car le
menu peuple estant vexé par les riches & par les
opulens, fut contraint de se former vn superieur,
afin qu’il empeschast qu’on ne fit iniure aux infirmes,
& qu’il protegeast ses subjets contre toute sorte
de tyrannies ce qui n’est que trop confirmé par
le témoignage de l’Escriture sainte.

Caleb au liure de Iosué fit publier dans le camp
des peuples de Dieu que celuy qui les deliureroit
des tyrans & des assassins qui habitoient dans la ville
de Cariath-sepher auroit sa fille Axa en mariage :

-- 23 --

de sorte que Othoniel ayant forcé la place, mis au
fil de l’épée toute cette maudite engeance, & remis
tous les peuples de Dieu en leur premiere liberté,
il fut Roy d’Israël, pour les auoir non seulement
protegez mais deliurez de la tyrannie de ces enfans
de la terre. Nous auons encore vn semblable témoignage
au liure des Roys, lors que Dauid protegea
ces mesmes Hebrieux contre l’inuasion des Philistins,
qui ne s’estoient mis sous les armes que pour
les perdre c’est pourquoy il fut fait Roy de cette
race Abramide.

 

Enfin c’est tout dire quand on dit que les Roys se
sont obligez par le serment qu’ils ont fait à Dieu &
aux hommes en se mettant la Couronne sur la teste,
de proteger leurs subjets contre toute sorte de tyrannies
tant domestiques que estrangeres. S’ils ne
le font pas, il faut qu’ils s’asseurent d’auoir Dieu &
les hommes pour ennemis, ce qui n’est pas vne petite
disgrace d’estre dans la reprobation de l’vn, &
dans la haine des autres.

5. Le plus grand mal-heur qui puisse arriuer aux
Souuerains, c’est de ne vouloir pas rendre la iustice
à leurs peuples. Ne soyez donc pas Roy, dit Marie
Risante à Philippes de Macedoine, si vous ne voulez
pas écouter mes plaintes. Le pere d’Alexandre
fut tué par vn nommé Pausanias pour auoir demeuré
trop long-temps à luy faire raison de l’iniure
qu’il auoit receuë de son aduerse partie. Demetrius
Roy de Macedoine fut chassé de tous ses
Estats, pour auoir refusé de donner audience à ses
subjets, & pour auoir méprisé les Requestes qu’on
luy auoit faites. Et certes tous les plus grands Monarques

-- 24 --

de l’Vniuers ne sçauroient passer que pour
des tyrans, s’ils ne rendent pas la iustice à toute sorte
de personnes.

 

Saint Augustin dit que les Royaumes ne sçauroient
estre que des veritables repaires de Larrons,
s’ils n’ont quelque espece de iustice. Il est vray que
c’est l’vnique ciment de toutes les societez des
hommes, & il n’est point de Principauté qui puisse
subsister sans le Ministere de cette adorable protectrice.

Platon dit, que le plus excellent & le plus suprême
don que Dieu ait iamais sceu faire aux hommes,
veu les miseres où ils sont continuellement
sujets, est de leur auoir dõné vn esprit de iustice, en
vertu duquel ils puissent refrener l’audace des furieux :
conseruer & maintenir les innocens : rendre
à chacun également ce qui luy appartient, & porter
la terreur dans les ames les plus reprouuées.

L’Empereur Seuere fut si équitable en toutes ses
actions, qu’il n’ordonna iamais aucune Loy, ny ne
prononça iamais aucune Sentence, que vingt hommes
des plus sçauans & des mieux versez au droict
ne l’eussent confirmée. Mais parce que les Souuerains
d’auiourd huy n’exercent pas eux mesmes l’Estat
de iudicature, comme faisoient autrefois ceux
des siecles passez, durant que le iuge & le Prince
n’estoient qu’vne mesme chose : ils se doiuent grandement
estudier à connoistre les mœurs, la vertu,
l’integrité, & la suffisance de ceux qu’ils esleuent à
des dignitez si necessaires & si dangereuses ; parce
qu’ils seront vn iour comptables de toutes les iniustices
que leurs Ministres sçauroient auoir commises,

-- 25 --

sur toute sorte de personnes.

 

Les Egyptiens auoient les luges mercenaires en
si grande horreur, qu’ils faisoient iurer ceux qu’ils
élisoient en l’estat de iudicature de ne faire iamais
aucune iniustice, & les contraignoient sur peine de
mort de ne iamais violer ce serment, quand bien
mesme le Roy leur commanderoit de faire le contraire.
Et afin qu’ils eussent le serment qu’ils venoient
de faire continuellement imprimé dans la
memoire, ils leur faisoient mettre au dessus du siege
où ils estoient assis, la statuë d’vn Iuge qui auoit
les yeux bandez, & les mains coupées, à dessein de
leur faire voir par des obiets si mysterieux, qu’ils ne
deuoient pas vser d’aucune faueur à l’endroit de
qui que ce fust, ny receuoir aucunes gratifications
pour alterer la iustice qu’ils deuoient rendre, aux
grands & aux petits, aux foibles & aux puissans,
auec vne pureté inuiolable.

C’est pourquoy Alexandre Seuere Empereur
des Romains fit empaler son Secretaire, pour auoir
grandement vexé les pauures, & maintenu les riches
dans leurs iniquitez & dans leurs iniustices.
Cambises Roy de Perses fit bien escorcher Sisana
tout vif, pour auoir prononcé vn faux iugement
contre l’vne de ses parties. Et ce prodigieux Monarque,
non content de cette seuerité, commanda
que la peau de ce miserable corps iutattachée au
lieu où les autres Iuges auoient accoustumé de s’asseoir
pour prononcer leurs iugemens, & voulut
qu’elle demeurast là perpetuellement, afin que ceux
qui viendroient apres luy à dessein d’occuper sa
place, instruits par cét horrible spectacle, se gardassent

-- 26 --

à l’aduenir de choir dans de semblables precipices.
Et passant encore plus outre, il voulut que
le fils du deffunct à qui il auoit donné la charge du
pere, occupast le premier le siege, afin que par la
crainte d’estre puny de mesme, il se portast dignement
à l’administration de la iustice.

 

Mais voyons de grace les menaces que Dieu fait
aux Roys, & à tous ceux qui se meslent d’administrer
la Iustice, s’ils ne prennent pas le soin de la
rendre iustement à toute sorte de personnes. Escoutez,
dit-il, & entendez vous Roys qui iugez les fins de
la terre : Apprenez & prestez les oreilles, vous qui gouuernez
les peuples, & qui estes superbes en la multitude
des nations : car la puissance vous est donnée du Seigneur,
lequel interrogera diligemment vos œuures & vos pensées,
parce que quand vous estiez les Ministres de ses
Royaumes, vous n’auez pas iugé equitablement, vous
n’auez pas cheminé selon sa sainte volonté, & vous
n’auez pas gardé la loy de sa Iustice : & pour cela il ne
paroistra iamais deuant vous qu’en sa fureur, & comme
vn iuge espouuentable. Ainsi vn tres horrible iugement
sera fait sur ceux qui president sans rendre vne equitable
iustice à toute sorte de personnes : car le plus petit est digne
de misericorde : mais les puissans souffriront des puissans
tourmens, & le Seigneur qui est le dominateur sur
tous, n’aura point égard à leurs grandeurs, parce qu’il a
fait le petit aussi bien que le grand, & parce qu’il veut
rendre vne équitable iustice à toute sorte de personnes.

C’est donc à vous Roys, à qui i’addresse mes parolles (dit cette redoutable Maiesté, deuant qui tous les
Souuerains de la terre doiuent trembler de crainte)
afin que vous appreniez à rendre la Iustice à vos sujets,

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sans aucune consideration ny de grandeur ny de puissance :
car ceux qui auront rendu vne équitable Iustice a
toute sorte de personnes, seront iustement recompensez,
selon la grandeur du zele auec lequel ils se seront employez
à la rendre.

 

Voila vne merueilleuse instruction pour les Souuerains
qui n’ont leur esprit qu’à la terre, & qui
s’endorment quelquefois au chant de ces Sirenes,
qui ne leur font que des concerts d’ambition & de
gloire pour les perdre, & pour les susciter à mettre
toute leur felicité à se rendre puissans & admirables
aux peuples.

Apprenez donc desormais, puissances fragiles &
perissables, à l’échole du Sage à reformer vostre
vie, & à rendre la iustice à toute sorte de personnes
sans aucune consideration, ny de grandeur ny de
puissance, puis que vous y estes obligez selon Dieu
& selon la charge qu’il vous a donnée, si vous ne
voulez estre iugez de la mesme sorte que vous iugerez
les autres, d’vn iugement sans appel, & d’vn
Iuge irreuocable, & qui vous examinera iusques à
la moindre de vos pensées, auec vne seuerité sans
pareille.

6. Dieu n’esleua iamais les Roys à la dignité,
qu’ils possedent que pour obliger à seruir d’exemple
à tous leurs subjets, aussi bien que de veritable
pere à tous leurs peuples. Et certes, il seroit tresnecessaire
qu’ils eussent toutes les vertus des hommes,
afin de se pouuoir dignement acquiter de la
charge qu’ils ont ; puis que la puissance ne leur a
esté donnée de Dieu, que pour édifier, & non pas
pour destruire, ainsi que le diuin Apostre S. Paul

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nous l’apprend, écriuant à ceux de Corinthe : &
ainsi que Iustin tres excellent Historien l’a fort
bien expliqué, lors qu’il dit, que la premiere instition
des Roys, ne vient que de la reconnoissance
que certains peuples ont voulu faire à la merueilleuse
vertu dont quelques grands hommes se sont
trouuez reuestus pour le bien commun de toute
leur patrie.

 

Cyrus Roy de Perse, conferant auec quelques
Philosophes des vertus requises au Souuerain, leur
dit que celuy qui n’estoit pas meilleur que ses sujets,
estoit indigne de l’Empire. Leony Roy des Spartains
répondit à ceux qui luy reprochoient qu’il
estoit de pareille masse que les autres, que s’il n’eut
eu des qualitez bien plus excellentes que tous ses
subjets, qu’ils ne luy auroient pas mis la Couronne
sur la teste. Solon l’vn des plus Sages de tous les
Grecs, dit qu’il faut que le Souuerain se sçache
premierement gouuerner luy mesmes, auant d’entreprendre
de gouuerner les autres. Celuy qui n’est
pas capable de donner vn bon exemple à ses sujets,
& de seruir de veritable pere à la patrie, en vn mot
qui n’est pas bon à luy-mesmes, comment est ce
qu’il se pourra parfaitement bien démesler de la
conduite d’vne Monarchie, & mesme auoir quelque
espece de bonté pour les autres, dit la Sagesse
éternelle ?

Philippe Roy de Macedoine fit bien connoistre
à son fils, qu’il deuoit donner vn bon exemple à ses
subjets, & seruir de veritable pere à tous ses peuples,
quand il luy commanda de faire en sorte par
sa vertu & par sa conduite, que les Macedoniens

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n’eussent iamais enuie de donner l’Empire à d’autre
qu’à luy, apres que les Dieux se lasseroient de le voir
regner parmy les hommes. Et Alexandre son fils,
ne dit-il pas estant à l’agonie de la mort, qu’il vouloit
que celuy qui se rendroit digne de l’Empire en
heritast dés qu’il ne seroit plus au monde.

 

Numa Pompilius natif de Cures, deuxiesme Roy
des Romains, donna vn si bon exemple à tous ses
sujets, qu’il n’y eut iamais aucune marque de desordre
en tout son regne. Au contraire le temple de
ce Dieu à deux visages, demeura ferme l’espace de
quarante-trois ans entiers, afin de pouuoir mieux
seruir de veritable pere à tous ses peuples. On ne
voyoit par toute l’Italie que festes, que ieux, que
sacrifices, & que banquets, ainsi que Plutarque
l’écrit en sa vie. Tout le monde trafiquoit sans danger
& sans crainte, comme si la conduite & la bonne
vie de Numa eut esté vne viue source de bons
exemples, de laquelle plusieurs ruisseaux fussent
deriuez pour aroser toute l’Italie, & que sa merueilleuse
façon d’agir se fut communiquée de main en
main, dans le cœur de tous les hommes.

Tous ceux qui desirent de regner en veritables
Souuerains, doiuent auoir cette doctrine deuant
les yeux, afin de voir par là comme quoy ils sont
obligez de donner vn bon exemple à tous leurs sujets,
& de seruir de veritable pere à tous leurs peuples,
ainsi que tous ces grands hommes ont fait,
pour s’acquiter du commandement qu’ils en auoient
receu des Dieux, & pour pouuoir mieux éterniser
leur memoire ; veu que le plus digne trophée du
regne des Souuerains, & la premiere bataille qu’ils

-- 30 --

doiuent donner pour le bien public (qui est ce
pourquoy ils se doiuent sacrifier, suiuant le deub de
leur charge) se doit liurer à leurs propres concupiscences :
car s’ils leur laschent tant soit peu la bride,
elles les precipitent dans vn prodigieux gouffre de
mal-heurs, & dans vn nombre infiny d’éternelles
disgraces.

 

Melior est patiens viro forti : & qui dominabitur animo
suo, expugnatore vrbium, dit le Sage des Sages en
ses Prouerbes, parlant à tous les Roys de la terre
Agesilaus Roy des Lacedemoniens disoit que celuy
qui sçauoit commander à ses affections, & qui
les sçauoit captiuer sous l’vsage de la raison, estoit
mille fois plus digne d’honneur, que si par la force
des armes il eut redigé sous sa puissance les plus fameuses
& les plus superbes citez du monde. Et puis
il adioustoit qu’il valoit bien mieux donner vn bon
exemple à tous ses subjets, & seruir de veritable pere
à tous ses peuples, que de faire le tyran, ny l’expugnateur
de ses Prouinces : car celuy qui pille ses
peuples, & qui démolit ses citez, ne fait autre chose
qu’irriter Dieu & les peuples contre luy, & que
oster la liberté qui est acquise de toute antiquité à
ses subjets, par le commun droit de la nature.

Qui est celuy qui estant parfaitement bien instruit
de la vie de ce cruel Neron, sous l’Empire duquel
les Romains furent si inhumainement traitez,
ne l’a en vne prodigieuse horreur, & ne le iuge indigne
de l’Empire ? Qui osera auec raison donner
quelque espece de loüange à ce grand Alexandre,
qui par vn desir affamé, & vne ardeur insatiable
d’assuietir toute la terre, ne sceut iamais dompter

-- 31 --

ny sa cruauté, ny son yurognerie ; Que dirons nous
de Hercules, qui apres auoir vaincu les plus furieux
& les plus epouuentables monstres de la terre, fut
enfin vaincu luy-mesme par sa coler, & par sa paillardise ;
Sont-ce là des glorieuses octions, dont le
reste des Potentats de l’Vniuers se doiuent seruit
pour donner des bons exemples à leurs subjets, &
pour seruir de veritables peres à tous leurs peuples.

 

Ce sont les ennemis dont parle Michée le Prophete
que nous deuons combatre, & que nous deuons
destruire, auant que de sortir en campagne,
pour assaillir les estrangers & les domestiques.

Si les hommes d’vne mediocre condition se portent
dans les occasions les plus dangereuses, pour
seruir d’exemble à leur posterité, & pour deffendre
leur patrie, à plus forte raison que ne doiuent pas
faire les Souuerains de l’Vniuers, afin qu’auec plus
de gloire & auec plus d’honneur ils se portent plus
genereusement que ces gens-là, à seruir de vray
modelle à leurs sujets, & de veritable protecteur à
tous les habitans de son Empire.

Souuenez vous, SIRE, que vous estes vn des
Lieutenans de Dieu en terre, & que vous deuez
imiter celuy de qui vous representez la Maiesté,
afin que formant toutes vos actions sur vn si adorable
prototype vous puissiez donner vn bon exemble
à tous vos subjets, & seruir de veritable pere à
tous vos peuples, ainsi qu’il vous y oblige luy-mesme
en plusieurs endroits des sacrez Cayers de son
Escriture : parce que les Roys sont souuent changez
à cause des pechez des peuples, selon l’Oracle

-- 32 --

de cette verité qui ne peut estre iamais que veritable.

 

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], INSTRVCTION ROYALE, OV PARADOXE SVR LE GOVVERNEMENT de l’Estat. , français, latinRéférence RIM : M0_1710. Cote locale : B_2_29.