C. [signé] (Bourbon-Condé, Louis II de) [1650 [?]], LETTRE DE MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDÉ A MESSIEVRS DE PARIS. , français, latinRéférence RIM : M0_2006. Cote locale : D_2_41.
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LETTRE
DE MONSEIGNEVR
LE
PRINCE DE CONDÉ
A MESSIEVRS
DE PARIS.

MESSIEVRS,

IE vois à la verité qu’il
ne se trouue plus d’amis dans
l’affliction & dans le malheur
& c’est auec raison qu’Ouide
nous en a si sagement aduerty
en ses deux vers :

 


Donec eris fœlix multos numerabis amicos,
Tempora si fuerint nubila ; solus cris.

 

Mais quoy qu’il en soit, Messieurs, il n’est de si malheureux
qui ne vueille tousiours tendre au but de sa iustification :

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Ce que ie voudrois entreprendre si l’on
auoit autant d’attention, & de patiance pour m’escouter,
que i’ay de passion & de volonté à vous le faire conceuoir.

 

Mon dessein n’est pas de blasmer les iugemens du
Roy ; ils sont trop iustes, pour dire que ie m’y opposerois :
mais comme l’on peut dépeindre à double face,
aussi bien que Ianus à deux visages, l’image de nos pretentions
déguiser, disie, la matiere pour blasmer la sincerité
que i’ay tousiours eu à son seruice : il se peut faire
de mesme que quelques vns de mes ennemis n’aye peut
estre plus raporté mille fois de mes entreprises que le
Ciel n’en a iamais cogneu en moy.

Ce glorieux Monarque que Dieu a mis sur la Trône
Francois pour gouuerner la plus puissante Monarchie
du monde, & pour encore reuiure la memoire de ses
Ayeulx (& ne se nomme t’il pas aussi le Dieu donné)
pour vne infaillible marque de sa grãdeur, & pour faire
voir combien il veille à sa protection & aux aduantages
de sa Couronne ? Pour dire que ce ne seroit donc par
consequent vne temerité par trop impudente de vouloir
(non entreprendre) ains seulement penser à la
moindre atteinte ny au moindre desir de luy desplaire.

Mais quoy qu’il en soit, me voila estimé criminel,
& r’enfermé dans vn lieu, enfin ou i’ay beaucoup de loisir
d’exercer ma patience, & dans vn seul moment priué
de tous les honneurs que mon bras & mon espée m’auoient
acquis, & cette fameuse renommée qui auoit
volé de moy iusques dans les quatre coins du monde
terny à moins de rien ma gloire, fletry mes palmes, effacé
la memoire de mes illustres actions, de l’eternel souuenir
de la posterité, & chassé honteusement comme
vn second Phaëton d’aupres de ce Soleil, dont la seule
veuë me faisoit entierement reviure.

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Que l’on mette toutefois dans la balance tous les
biens que i’ay fait à la France, & les hazards où ie me
suis exposé pour sa conseruation : & puis l’on iugera par
là si Condé qui auoit arboré les trophées de son Roy,
graué ses lys & planté si loing ses estandars, auroit eu
l’ame si lasche & si effeminé, pour loger chez luy vn demon
si pernicieux, que le monstre dont il est accusé d’auoir
produit au iour.

Mais encore, Messieurs, dans les cœurs les plus
exempts de la compassion, il ne se trouuera pas de si barbares
qui ne vueille accompagner de leurs regrets mes
plaintes ? Et qui considereroit l’estat de ma vie passée,
auec ma vie presente, ne déploreroit mon sort, & mes
calamitez dans ce rencontre du lieu, qu’outre mon mal
& ma douleur, de me tourmenter encore de leurs iniures ?

Meditez seulement sur cét accident, puis quelle suiet
en est si beau, considerant l’estat de vos conditions, &
puis les plus reuesches apprendront par l’inconstance
de nostre fortune, combien son instabilité se iouë des
grandeurs & des vanitez mondaines.

Puis que Condé, qui sans se vanter, auoit braué la
mort, affronté ses ennemis, & foulé au pied les plus
puissantes forces des Herauts de son temps, est à present
vaincu de peu de monde, mis aux fers ; luy seul qui
auoit fait captif les autres, mocqué de ses ennemis : luy
qui les auoit morgué & qui auoit mille fois mis en déroute
tous les plus mauuais desseins qu’ils auoient iusques
à present tramé sur sa personne.

Non, non, si i’estois digne de larmes i’en verserois
vn torrent pour déplorer vn malheur si funeste. Mais
comme ie n’ay iamais manqué de confiance n’y de valeur
dans toutes les occurrences qui le pourroient requerir,
ie ne manqueray point aussi de patiance dans vn

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lieu ou les plus hardis perdroient toute leur contenance.

 

Mais enfin ie seray tout à fait consolé en mon affliction
si vostre clemence à esgard à mon infirmité, & si
vos voix ne proclament plus pour m’accabler par les
imprecations que ie n’ose nommer, & qui n’appartiennent
qu’à des ames viles & abiectes. Ne cõdamnez-pas
Condé, qu’il n’ait esté declaré tout à fait criminel, &
s’il reçoit de vos faueurs cette courtoisie qui est inseparable
de vos bonnes mœurs & du bon naturel que l’on
vous estime, ie vous asseure qu’en reuanche de cette
grace que ie vous demande que Condé se dira encore
vne fois.

MESSIEVRS,

Vostre tres-humble
Seruiteur C.

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C. [signé] (Bourbon-Condé, Louis II de) [1650 [?]], LETTRE DE MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDÉ A MESSIEVRS DE PARIS. , français, latinRéférence RIM : M0_2006. Cote locale : D_2_41.