Camaldoli, Michel de (père) [signé] [1649], LETTRE DV PERE MICHEL RELIGIEVX HERMITE DE L’ORDRE DE CAMALDOLI, prés Grosbois, A MONSEIGNEVR LE DVC DENGOVLESME SVR LES CRVAVTEZ DES Mazarinistes en Brie. , français, latinRéférence RIM : M0_2128. Cote locale : A_5_35.
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LETTRE DV
PERE MICHEL
RELIGIEVX
HERMITE
DE L’ORDRE DE CAMALDOLI,
prés Grosbois,
A MONSEIGNEVR
LE DVC
DENGOVLESME
SVR LES CRVAVTEZ DES
Mazarinistes en Brie.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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MONSEIGNEVR,

DIEV a quelquefois menacé son peuple d’animer
des pierres, & de leur donner la voix pour parler.
Le silence presque perpetuel que nostre regle nous enjoint,
nous rend semblables à ces pierres, & nous ne devons
parler que par vne inspiration pressante, & par vn
commandement exprés du Ciel. Tous mes Confreres
m’ont chargé de vous écrire, puisque vostre absence de
Grosbois nous empesche d’aller tous en corps pour implorer
la charité de V. A. envers vn peuple qui ne reconnoist
de puissance & de grandeur que la vostre, apres
celle du Roy, & qui a toujours esperé sa protection de
vostre bonté naturelle.

Les desordres de la guerre civile que vous avez veuë
en France, & où vous avez tant acquis de gloire, n’ont
esté en rien comparables aux mal-heurs que nous avons
veus, que nous voyons tous les iours, & que Dieu n’a
pas voulu que vous ayez pû veoir, parce que l’horreur
de la plus detestable rage, & du plus grãd embrasement,
dont nous ayons des exemples, eut rendu V. A. immobile,
comme la femme de Loth, & par consequent incapable
de soulager vn pauvre pays que vous avez adopté
pour patrie, & où vous avez esleu vostre sepulture.

Les ruines d’vne petite Province mise à sac, mise en
cendres, vous convient & vous obligent par le rang que
vous tenez dans l’Estat, ou plutost par le rang que vous

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allez perdre bien tost par vne mort naturelle, & par celuy
que vous devez esperer de la misericorde de Dieu
dans la region des bien-heureux, de ne pas negliger de
faire vne action de Prince veritablement Chrétien, &
de laquelle peut dépendre vostre gloire dans l’Eternité.
Ie croy que Dieu a prolongé vos iours pour cette occasion,
seule capable par son importance d’expier toutes
vos fautes ; & nous le supplions iour & nuit qu’il vous
fasse la grace d’en bien vser pour vostre salut, & pour le
bien de la France, de laquelle vous pourrez aussi legitimement
estre appellé le veritable fils qu’aucun de nos
Princes, & reparer par vostre vertu la tare de vostre
naissance. La branche veritablement Royale des Valois,
dont vous avez esté le dernier surgeon, a toujours
esté genereuse, bien faisante & affectionnée au Royaume.
C’est elle qui la conservé, & qui l’a augmenté : c’est
d’elle que nous auons eu tant de Roys qui ont joint à
leurs qualitez celle de Peres du Peuple. C’est dans cette
mesme source ou celle de Dunois a puisé cette generosité,
& cet amour du public, qui l’õt mise en paralelle auec
les principaux Princes du Sang, & qui feroit dire auiourd’huy
que M. le Duc de Longueville les auroit surpassez,
si Dieu ne s’estoit seruy de la ieunesse d’vn Prince
du nom des Bourbons, d’vn Prince iuste, non corrompu,
& non destiné aux armes, qu’il a choisy dans la
vocation Ecclesiastique pour chef d’vn party qu’il veut
rendre triomphant de la valeur furieuse des autres.

 

Si l’incommodité qu’ameine avec soy vne vieillesse
chenuë ne vous excusoit des fatigues & des soins assidus
de la guerre : Ie ne vous conseillerois pas seulement ; mais
ie vous commanderois de la part de Dieu de prendre les

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armes, & d’exposer vostre vie pour vn Royaume & pour
vne Couronne, dont vous tirez vostre auguste extraction.
Vostre experience & vostre âge dans lequel Dieu
choisissoit autresfois ses Prophetes, ne vous dispensent
pas de travailler : Il faut que vous alliez trouver la Reyne,
& que vous paroissiez devant sa Majesté, avec celle
qui decore naturellement vostre caducité : Il faut que
vous luy parliez avec l’authorité qu’vne inspiration divine
donne à des sages Vieillars, & comme celuy qui
ne doit plus rien desirer de la Cour terrienne, dont les
fausses faveurs empoisonnent le cœur des jeunes Princes,
enfin comme celuy qui a l’ame sur les levres.

 

Representez à cette Princesse abusée, qu’elle est obligée
d’apporter vn prompt remede aux sanglans succez
d’vne prompte fureur, que l’on ne peut excuser, & que
la lasche complaisance de quelques casuites, impies &
ambitieux, rend d’autant plus condamnable qu’elle est
dans leur approbation. Ces faux Prophetes d’vn autre
Sedecias, aiment mieux perir dans la licence de la Cour,
& la suivre dans son exil, que d’écouter les oracles des
Hieremies : Ils periront comme Hananias, & i’entends
la voix de Dieu qui parle à la conscience criminelle de ce
Predicateur famelique, qui a osé dire à sa Majesté qu’elle
ne pechoit pas veniellement dans la poursuitte d’vn dessein
si pernicieux à sa religion, & à vn Estat tres-Chrétien :
Escoute miserable, le Seigneur ne t’a point envoyé, cependant
tu fais l’Apostre, & tu entretiens ceux de ton audience
dans leur aveuglement, & dans la pensée d’vne juste vengeance.
C’est pourquoy ie te dis de la part de Dieu, que tu ne iouyras pas
heureusement des dignitez que tu brigues par tes mensonges ; la
terre ne te retiendra pas long-temps, puisque tu as parle contre

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le seruice, & contre la gloire de Dieu.

 

Audi Hanania,
non
misit de de
Dominus,
& tu considere
fecisti
populum
istum
in mendacio.
Idcirco
hæc dicit
Dominus :
ecce
ego mittã
te à facie
terræ aduersum
enim Dominum
locutus es,
Ierem,
cap. 28.

Vostre Altesse doit dire à sa Majesté qu’elle rendra
compte deuant Dieu de tous les mal-heurs d’vne guerre
iniuste qu’elle a cõmandée, & que s’il prend tant de soin
de ses creatures, que de compter iusques à leurs cheveus,
il ne s’en est perie aucune, il n’y a point eu de femmes ny
de vierges violées, dont il n’ait remarqué le nom : &
comme elle est la gardienne du troupeau qu’il a fait naistre
dans la France, ce sera à elle à luy répondre de toutes
ses oüailles, iusques à la derniere, & iusques au moindre
brin de leur toison ; c’est à dire de leurs biens. Ie ne
puis tenir mes larmes quand ie considere auec quelle reputation
de pieté elle a vescu dans la condition de Reyne,
ou elle n’auoit aucune charge que de sa conduite, &
d’autre devoir que l’exemple ; parce que les Reynes ne
regnent point en France, que par le mal-heur de l’enfance
d’vn Roy leur fils, quand on les estime capables de
gouverner l’Estat.

Ie croyois que Dieu nous vouloit de livrer des calamitez
qu’il répand ordinairement sur les sujets d’vn Roy
enfant ; tout le monde estoit dans ce sentiment ; mais le
mal vient asseurément de nostre confiance. L’on ny a
point apporté les ordres necessaires, & quand sa Majesté
receut cette charge du ministere, ce de voit estre avec
des conditions de Iustice, qu’elle ne pouvoit refuser. Il
falloit punir les crimes de l’autre regne, & purger la
Cour & le Conseil de ces monstres d’ambition & d’avarice,
qui ne respiroient que le feu & le sang ; puisqu’ils
auoient violé la sainteté de la dignité Royalle par des
entreprises plus que tyranniques ; l’on devoit preveoir
qu’ils passeroient au de là du pouvoir de la Regence, &

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que ce seroit assez d’vn faux tiltre pour continuër leurs
exactions, & leurs cruautez sur les Sujets du Roy.

 

Les exemples passez nous avoient appris qu’encor
qu’vne Regence ne puisse rien introduire de nouveau,
ny abroger les Loix anciennes & fondamentales de la
Monarchie, qu’elle doit suivre : elle ne laissoit pas neantmoins
de produire & d’eslever certaines gens comme
des épines autour du Trosne Royal qu’ils offusquoient,
& dont ils déroboient la veuë. Comme nostre climat est
doux & temperé, sa terre nourrit & esleve toutes sortes
de plantes estrangeres, & nous mesmes en sommes si curieux,
que d’en decorer nos jardins, & d’y entretenir
avec plus de soin les arbres qui croissent naturellement
sur les rochers, & dans les precipices de l’Italie ; quoy que
nous n’en recevions que des fruits imparfaits & ingrats.

Charles le Chauve Roy de France & Empereur choisit
vn Medecin Iuif Italianisé, qui l’empoisonna. Blanche
de Castille Royne de France, mere de S. Louis, se servit
d’vn Cardinal Italien, qui broüilla les affaires pendant
la minorité de son fils, & dont le mauvais traittement
envers les doctes, donna sujet à quelque critique enragé
d’écrire contre cette Princesse des vers senglans, qui ont
duré plus que la memoire de ce qu’elle a pû faire de bon :
si bien que l’on pourroit dire qu’elle n’auroit esté beatifiée
qu’à la mode des Empereurs Romains, bons & mauvais,
sans le seul témoignage de la sainte education de
ce Roy saint. Le Duc de Bourgongne esleva aupres de
sa personne le Comte de Campobasso Neapolitain, qui
le tua devant Nancy. François I. mit auprés du Dauphin
son fils, le Comte de Montecuculo Ferrarois, qui
l’empoisonna. Catherine de Medicis restablit en France

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l’vsure que les Lombards y avoient exercée autresfois,
& pour laquelle ils en avoient esté chassez. Elle favorisa
les partis mieux nommez maletotes, & Marie de Medecis
nous amena le Marquis d’Ancre, dont le nom est assez
noir, & l’insolence trop recente, & la fin trop tragique
pour en dire d’avantage.

 

Le Cardinal de Richelieu, l’vn de ses Ministres & de
ses disciples, a eslevé le Cardinal Mazarin, qui a receu
son ame & son genie à son dernier souspir, à la mode
des anciens, qui expiroient dans la bouche de leurs proches.
Ce poison & cet air infecté est comme rentré dans
le centre de l’Italie, d’où il estoit party : ce bouc emissaire
chargé de toutes les maledictions de l’Europe, heritier
de l’esprit, des imprecations, & du funeste employ
de ce tyran, a continué ses violences avec les mesmes Ministres
du defunt ; apres que la Royne pour nostre malheur
l’eut choisy pour nous gouvernener sous l’authorité
de sa Regence, & que l’on l’eut permis par vne lasche
condescendance, au lieu de le renvoyer aussi viste
qu’il estoit venu, pour le mal heur de l’Estat, Il arriva
en France comme postillon, il falloit qu’il retournast en
poste ; mais ie ne sçay où, car il est criminel à Rome, il
est traistre à la Sicile sa patrie, & au Roy d’Espagne son
Maistre & son Prince naturel ; il le faloit exiler dans vne
isle deserte, comme vn autre Philochtete.

Nos sages fols, ce sont nos politiques humains, & non
Chrétiens, ont creu qu’il n’estoit pas mal à propos qu’il
se trou vast vn tiers pour balancer le party de deux Princes
à la Cour, dont l’vn estoit plus authorisé par sa naissance,
l’autre autant considerable par le credit qu’vne
valeur extraordinaire, & vne perpetuelle bonne fortune

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luy avoient acquis dans l’estime de tous les François :
mal-heur inseparable des minoritez des Roys, mal-heur
qui a ruiné cet Estat apres la mort du sage Roy Charles
V, & qui a pensé perdre la religion apres celle de Henry
II. ayeul de V. A. quel fruit se pouvoit-on promettre
d’vn si miserable choix de la personne la plus infame
qui se pût rencontrer d’vne extremité de la terre à l’autre,
& de cet autre trium-virat.

 

L’habit que ie porte & la religion que ie professe,
quoy que tous deux estrangers, ne m’ont point osté les
sentimens d’vn veritable François. La nature m’oblige
de les conserver, Dieu me le commande, & m’ordonne
encor de haïr les ennemis de ma patrie. Vostre Altesse
m’a rendu à elle par la fondation d’vne maison de nostre
Ordre dans ce Royaume. Vous nous avez donné
vn hermitage pour y vivre dans la retraite, & pour y
attendre vne mort naturelle : toutesfois nous sommes
auiourd’huy en plus grand danger dans le cœur de la
France, à cinq lieuës de Paris, & souz la protection de
V. A. qu’au milieu des Bandis d’Italie. Dieu nous a
donné des armes contre l’assaut du Diable, & ces armes
ne sont que d’vne defense invtile contre des troupes
estrangeres, choisies dans tout ce que toutes les nations
pouvoient avoir de gens detestables.

Nous sommes courus dans nos bois par ces tygres plus
cruels que ceux de la Lybie, qui n’ont jamais fait de
tort aux anciens Peres Hermites. La couleur innocente
de nos habits leur inspire vne rage forcenée contre tout
ce qu’il y a de cãdeur, & nostre pauvreté qui nous a toujours
asseurée dans les passages les plus infestez, fait que
nostre sang est desiré par ces gouffres insatiables, qui ne

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peuvent souffrir que rien échappe à leur fureur, que ce
qui peut satisfaire leur avarice. Ils font toutes sortes de
prophanations autour des Abbayes d’Yerre & de Iarcy,
& il faut que ces saintes vierges espouses de Iesus-christ,
composent tous les iours pour la seureté de vingt-quatre
heures de leur honneur. Ces vestales sacrées qui croyoient
pouuoir garder ce feu éternel qu’ils ont preferé à
vne flame legitime qui leur eut donné vn asseuré secours
dans les villes, dans les bras de leurs maris, & en la Iuste
valeur de leurs enfans & de leurs proches, sont à tous
momens dans la crainte de se voir l’opprobre de cette nation
maudite qui a fait des desbauches & des ordures qui
ne se peuuent d’écrire, dans les vaisseaux sacrés, & à qui il
ne reste plus que de commettre generalement ce sacrilege
abominable, que l’on nous dit avoir esté perpetré sur
quelques Religieuses particulieres.

 

Grand Dieu qui auez protegé Paris, voulez-vous
que les impies disent que vous ne regnez que dans les
villes fortes. Faudra il que les Athées conçoiuent ce
blasphéme, de dire que vous auez esté deffendu par les
murailles, & par la multitude des Bourgeois de cette
grande ville. Elle est innocente, il est vray, elle est plutost
tres iuste, mais elle est la cause de tous nos maux,
parce quelle est iniustement assiegée. La campagne n’est
accusée d’aucun crime, soit qu’il soit veritable, soit
mesme d’Estat : pourquoy faut-il qu’elle soit pillée, brulée,
pourquoy faut-il que ceux qui esperent en vostre
protection ne puissent pas trouver vn azile asseuré dedans
vos maisons, & en vostre presence. Les femmes
& les filles sont violées au pied de vos Autels, l’on dit
mesme sur le Sanctuaire. L’on voit, Ah ! miserables

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yeux que l’on vous foule aux pieds. Ce ne sont plus les
Normans qui ayent pris terre en France par nos rivieres,
ce n’est point le Payen Attila ; car il portoit respect aux
Evesques & aux Pasteurs, il croyoit vn Dieu, puisqu’il
se disoit luy mesme estre son fleau : ce sont des François,
des Alemans, des Italiens & des Polonois, c'est à dire,
des Scythes & des Gelons.

 

Il y a peu de François, il est vray qui soient accusez
de ces impietez, il est vray que c’est pour vn Italien qu’elles
se commettent, & pour vn Cardinal, & que la Reyne
qui le soustient contre la iuste indignation des peuples
n’est point Françoise non plus. Mais ce sont des Princes
qui les ont introduits dans le centre de l’Estat : Et c’est
vn Comte François qui les commande en Brie, qui approuve
toutes les abominations, & qui partage tous les
larcins : c’est le Comte de… MONSEIGNEVR,
c’est ce Vulcan mal-heureux, & ce miserable boiteux,
qui a l’ame encor moins droite que le corps, & que Dieu
atteindra le premier aussi-tost que sa iustice sera satisfaite
de nostre persecution. Il a volé Lezigny & Panfou, il
a coupé iusques à des Tableaux dans leur enchasseure
pour les emporter, & n’a pas emporté les chasteaux &
les maisons, que parce qu’ils estoient attachez à la terre,
mais il les a desolez.

C’est vn homme dont les crimes ont fait connoistre
son nom, & qui n’a fait que des ennemis dans son propre
pays, où la bassesse de son extraction le rend méprisable
par les Nobles, & ou le peuple deteste sa violence, & son
humeur tyrannique. Nous avons vn de nos Peres qui
connoist sa Race, & qui nous a asseuré que le nom qu’il
porte luy est commun, comme le sang & le cœur avec la

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plus cõmune populace de … & qu’il n’a point
d’alliance recommandable que par sa mere seulement,
fille d’vn Mareschal de France, qui estoit vn Athée, &
le principal de ces Ministres violens, qui depravérent les
mœurs du Duc d’Alençon & d’Anjou frere de Henry
III. qu’ils portérent à vouloir regner par force, & par
citadelles sur les Flamens & Brabançons qui l’avoient
appellé, receu & declaré leur Prince legitime. Il s’est
donné à M. le Duc d’Orleans qui l’a fait Mareschal de
camp, & Gouverneur de … & ces bien-faits
sont des marques qu’il a fort peu servy S. A. R. si ce n’est
que la jugeant capable de quelque jalousie des exploits
de M. le Prince, il traversa ses desseins au siege de Thiõville,
en donnant passage à des trouppes qui entrérent
dans la ville pour la defendre.

 

Il est venu à cette guerre contre sa patrie, avec l’esperance
d’vne proye infaillible, il a ruiné tous les lieux où
il a passé, il a assiegé Brie-Comte Robert, qui a esté defenduë
par son Gouverneur avec tous les témoignages
d’vne valeur & d’vne generosité singuliere. Mais comme
la place n’estoit point tenable, sans vn puissant &
present secours, il fallut la rendre par composition. Il
l’accorda pour éviter la perte des siens, & promit de laisser
sortir les Soldats assiegez, & de conserver les biens
de Bourgeois, & l’honneur de leurs femmes & de leurs
filles ; mais il faussa cette fidelité, que les Tures mesmes
ne rompent que rarement, & iamais sans pretexte : Les
Soldats Parisiens furent foüillez, puis batus, puis dépoüillez,
puis tuez pour la pluspart, ou retenus captifs.

Diray je le reste, & si ie le dis, ou pourray-ie prendre
des couleurs assez noires, il en fut de mesme, Monseign

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de tout ce qui fut promis pour les Bourgeois, mais il
il en fut pis, que dans vne ville prise de force & emportée
d’assaut, ou le general pour peu qu’il soit homme,
pour peu qu’il soit humain, & pour peu qu’il ne soit pas
diable, ne donne qu’vne, ou deux, ou trois heures de
temps au plus pour le pillage : mais ce pillage dure encore,
& i’apprehende de dire le reste ; mais il faut que ie
dise tout, afin que tout le monde sçache la cause du tonnerre
qui gronde, & qui va tomber sur ce chef criminel,
& sur celuy de tous ses complices : Comme il est ordinaire
quand il arrive quelque orage, ou quelque lavasse
que ceux qui se trouvent dans la campagne cherchent
l’abry de quelque arbre, & que moins il s’en rencontre,
plus il s’y trouve de gens ; il en a esté de mesme dans la
pauvre ville de Brie. Les Nobles qui n’avoient point de
maisons fortes, les Laboureurs, & enfin tout ce qu’il y
avoit de familles éparses dans la campagne s’y estoit retiré.
La ville renduë, les femmes & les filles, & parmy
eux plusieurs Damoiselles, ioignirent à la seureté de la
capitulation, & de la parole d’vn gentil homme, l’azile
des Eglises : cet azyle fut violé, comme si ce n’eut pas
esté assez pour ces trouppes enragées d’avoir violé l’article
des biens qu’ils pillerent. Ils forcérent les Pasteurs
& les Prestres de leur ouvrir la porte de cette sacrée Bergerie :
Ces pillards & ces paillards partagérent ces pauvres
brebis confusément, sans espargner mesmes les aigneaux
de laict qu’ils ont fait mourir, & expirer souz des
tourments que la Nature defend aux bestes feroces, &
qu’elles n’ont iamais pratiquez. Des Damoiselles de conditiõ
sont écheuës par sort aux plus infames, qui leur ont
esté les moyens de se défaire, & d’aller porter iusques au

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Ciel dans des mains sanglantes, cette sainte virginité,
que les Loix de Dieu & de l’honneur les obligẽt de garder
plus cherement que leur vie, qu’il ne leur est permis
de perdre volontairement, que pour la conservation de
ce thresor.

 

Vous y estiez, mon Dieu, vous qui estant homme avez
chassé du Temple les marchands. Pourquoy Dieu &
homme tout ensemble, n’avez-vous point exterminé
cette race maudite, qui n’a point eu d’horreur non plus
qu’en ont les démons, ny d’honneur pour vostre S. Sa
crement exposé sur les Autels, ils l’ont renversé du Sanctuaire
pour faire place à ces miserables victimes, ils l’õt
foulé aux pieds. Vous faisiez descendre le feu du Ciel
pour allumer les sacrifices des Iuifs, que ne l’anciez-vous
vostre foudre pour consommer ces Hosties divines &
humaines, pour brusler à mesme temps ces bourreaux,
ces corps encor purs, & le temple qui servoit de theatre
à cette profanation, & que l’on ne peut aussi bien purger
que par ses cendres. Le viol d’vne Dame Romaine,
mais Payenne, & qui n’avoit de pudicité que par vn respect
mondain, a fait briser vn throsne legitime : vous
avez authorisé l’establissement d’vne Republique par la
iuste vengeance d’vn crime commis, non par vn Roy,
mais par son fils. Vn tyran estranger, & qui porte moins
dignement la marque de Prince de l’Eglise, que ceux
qui portent le Turban, sera-il la cause impunie de la plus
horrible cruauté dont la France ait des exemples ? Ses
ancestres vous ont crucifié, n’est-ce point assez de vostre
sang & de ses crimes particuliers, & peut-il pis faire pour
meriter vne mort cruelle, puisque tous les tourments
que la Sicile ingenieuse en supplices, pourroit encor inventer

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apres Phalaris, estoient encor trop doux, sans
qu’il provoquast vostre colere par de si estranges outrages,
contre vous, contre vos creatures & contre vos
épouses : falloit-il que ce miserable Ixion ioignit ensemble
l’adultere & le meurtre dans vostre propre maison,
& dans vostre propre lict.

 

L’excez du iuste transport où ie me vois reduit m’oblige,
Monseigneur, de ne plus supplier V. A. mais de
luy commãder de la part de Dieu de Faire voir à la Reyne
vne peinture accomplie de cette estrange barbarie : exhortez
la de satisfaire à la Iustice Diuine, & à la misere
humaine, parlez luy auec authorité, vous le pouuez,
par vostre qualité, vous le devez par vostre âge, & ne
vous en excusez sur quelque peril que ce soit ? Vous ne
devez plus craindre la mort depuis le temps que vous
la sentez en vous par la force qu’elle vous oste : il ne vous
reste plus que la langue, & c’est auiourd’huy la seule partie
de vostre corps & de vostre ame ; c’est par elle que
vous pouvez auiourd’huy asseurer vostre salut Faites
connoistre à sa M. que la Iustice humaine n’est pas
moins le Ministre de Dieu, que celuy des Roys, & que
c’est vne grande honte d’employer toutes les forces, &
la puissance de son fils pour proteger vn criminel condamné :
mais non, il n’est point comdamné, ses Iuges
sont trop doux, & trop respectueux, puisqu’ils ne le
punissoient que d’vn éxil. Dites luy, disie, que c’estoit
contre le Parlement d’Angleterre qu’il falloit porter les
armes du Roy, pour arracher de la main du bourreau vn
autre Roy miserable, à qui elle à mis le cousteau dans la
gorge, & qu’elle a sacrifié à la fortune du Cardinal
Mazarin.

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Il est tout vray, que ce Prince infortuné n’a pû attendre
vne mort indigne, que de la lacheté, pour ne pas dire
de l’opiniastreté & de l’impieté des Ministres des deux
Couronnes de France & d’Espagne. Il estoit facile, il
estoit honorable à tous les deux conseils de relascher
quelque chose de l’interest particulier, pour l’interest
general des Roys & des Sceptres. Ils l’auroient fait
si l’honneur seulement eut reglé leurs intentions, & si
l’avarice seule, & l’ambition du Cardinal Mazarin n’eut
entretenu avec de l’huile & avec des ossemens humains,
ce feu qui embrase l’Europe depuis tant d’années. L’on
a souffert que des traitres Anglois se soient ioüez de leur
Roy, comme le chat de la souris : ils luy donnoient de
la griffe, & regardoient ce que l’on disoit de leur insolence
dans les autres Estats. Ils ont mesmes fait courir de
faux bruits de sa condemnation, pour voir si ce regicide
prest à commettre, n’armeroit point toutes les nations.
Tout celà n’a pas tant fait de bruit en France, qu’vn
adjournement contre Tabouret, fils d’vn Fripier des
Halles, contre Catelan, & contre la Ralliere. La presence,
les prieres, ny les larmes d’vne Reine, fille de
France, tante du Roy, moins dignement traittée dans
la maison de son pere, que des petites Bourgeoifes de
Rome, niepces de Mazarin : La misere presente & future
des cousins germain du Roy & des petits fils de Henry
le Grand n’ont eu aucun pouvoir. Enfin dés que les
Anglois ont sceu que la France refusoit la paix à l’Espagne,
& que le Cardinal Mazarin avoit entrepris la guerre
contre Paris, & contre tout le Royaume : ils ont enfin
executé sans crainte cet Arrest horible & execrable contre
leur Roy, & du mesme coup qu’ils ont abbatu vne

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teste à trois diadémes, ils ont esbranlé toutes les Couronnes
de l’Vniuers. Le malheur de ce Roy luy est venu
par ses favoris & ses Ministres : Le Grand Seigneur, ce
Prince de plus d’vne partie du monde, vient de perir encore
par la corde, pour avoir soustenu son grand Vizir
contre le ressentiment general de tous ses sujets. Voicy
à present la France exposée à tous les perils de la guerre
estrangere & ciuile, malgré ces horibles exemples pour
la querelle d’vn homme estranger, que l’on veut faire
regner sur les sujets d’vn Roy mineur, qui ne le peut
faire Ministre de son Estat, sans en oster l’administration
à la Reine, & aux Princes, & cela encor par Arrest du
Parlement de Paris, qui a donné la Regence à la Reine
& non à ce gueux reuestu des despoüilles du Royaume,
du quel il a descouvert la honte, & à la honte duquel il
veut commander en Roy, malgré les Loix saliques &
fondamentales de la Couronne, qu’vn Roy mesmes ne
peut violer. Non, non, vn Roy ne les peut ny violer ny
enfraindre : elles sont plus anciennes que la Monarchie,
elles l’ont establie, & elles l’ont entretenuë, & c’est par
elles que ces Princes mal conseillés, qui s’arment pour
les destruire, sont considerez comme Princes, qu’ils
sont honorez, & qu’ils ne sont pas des petits Gentilshommes,
aussi naturellement sujets aux Princes estrangers,
& à ce Roy mesme que les Anglois viennent d’immoler,
qui portoit le tiltre de Roy de France, qu’ils sont
seruilement soûmis aux fauoris.

 

Il m’est tantost eschapé de dire, que ce miserale Cardinal,
cet opprobre de l’Eglise, ce destructeur d’Eglises,
& cet ennemy de tous les Chrestiens, tiroit sa naissance
des ennemis & des bourreaux de IESVS CHRIST. Il

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me sera bien aisé de le prouver, quoy que ie ne puisse
pas donner tous les degrez de cette sanguinaire extraction.
Ie l’ay appris dans nos maisons Religieuses d’Italie,
où le bruit de sa fortune prodigieuse rappella presque
aussi soudainement la memoire de ses ancestres, chez
ceux qui estoient de son pays, qui m’ont asseuré qu’il
estoit né à Palerme de Pierre Mazarin, marchand de
Chappelets, qui changea de pays par banqueroute, &
par la force du destin, & de la malediction des Iuifs,
qui portent la peine de leur peché par toutes les nations
de la terre, où ils servent ; hormis en France, ou les bonnes
loix sont renversées, & les meschans eslevez en fortune,
à proportion de leurs crimes & de l’esloignement
de leur pays. Les peres de ce Pierre estoient de la Ville
de Mazarini en Sicile, où ils abjurerent la profession du
Iudaïsme, & se voyans sans surnom dans vne religion
nouuelle, ils prirent celuy de la ville de leur naissance,
souz lequel ils furent baptisez. Il y en a encor beaucoup
qui portent ce nom en Sicile, qui sont ou barqueroles,
ou taverniers, ou bandis. Ie n’en connois point
de banqueroutier que le pere des deux Eminences, ausquelles
se doit esteindre cette branche masculine, seule
Noble de leur maison : l’vn des deux Cardinaux est mort,
apres s’estre fait railler en Italie & en France, où il a
monstré que l’habit ne fait ny le Moyne, ny le Cardinal,
& nous avoir rendus ridicules en Catalogne, où
l’on n’eut pas mesmes iugé ce Vice-roy assez sage pour
n’estre pas enchaisné parmy les fols. L’autre ne vit plus
civilement, ou bien pour mieux dire, il vit encor moins
civilemẽt que iamais. Il n’est point mort naturellement,
& ne doit perir que d’vne fin tragique. L’on fait son inventaire,

-- 19 --

l’on vend ses meubles, & tout cela luy est vn
prognostic infaillible de la mesme fortune du Marquis
d’Ancre son compatriote, & l’vn de ses predecesseurs,
qui gousta plusieurs mois vne mort qui oste la douleur
aux autres en vn moment : sa fille mourante peu auparavant,
luy emporta la moitié de sa vie : & de mesme, partie
l’ambition de Mazarin, & de ses esperances, s’esteignit
dans le couchant de ce bel astre le Cardinal de Ste Cecile
son frere ; auquel il meditoit d’achepter la thyare Papale,
& de rendre le monde spirituel soumis à vn insensé, cõme
la France l’estoit à vn stupide furieux, & à vn fripon.

 

Il a remarié son pere avec vne Dame de la maison des
Vrsins pour tascher à tirer de cette aliance des heritiers
qui fussent plus considerables par leurs parens ; mais il
en est arrivé comme de l’accouplement des animaux de
diverses especes, qui n’engendrent point, ou qui n’enfantent
que des monstres. Toute cette ample succession
& cette partie de la Couronne du feu Roy, dont il s’est
veu l’vn des principaux heritiers : ces deniers transportez
par diverses flottes en Italie, & mis aux banques &
monts de Pieté, doivent passer pour la plus grande partie
apres luy à Manzini, Voyer, & l’vn des moindres Citadins
de Rome, son beau-frere ; duquel il eslevoit le fils
à Paris, dans vn éclat pareil à celuy des enfans de France.
Il avoit la chambre de M. le Prince de Conty, au college
de Clermont, sa chaire dans les classes, & rien ne
faisoit la difference de ce Prince phantastique à cet autre
effectif, sinon qu’il recevoit plus d’honneurs, & qu’il
estoit tout autrement suivy, servy & meublé. Ses Sœurs
au mesme temps estoient souz le gouvernement d’vne
Dame de condition, qui avoit esté gouvernante du Roy,

-- 20 --

comparable en fortune à Denys le Tyran de Sicile, &
plus digne que luy, d’estre mocquée de ceux qui l’ont
veuë dans des dignitez plus eminentes : S’il est vray qu’elle
ait brigué cette conduite aussi honteuse à la memoire
du Cardinal de la Rochefoucaut son oncle, qu’il y
avoit de difference entre la naissance & les mœurs de ce
grand homme, & celles du Cardinal Mazarin. L’on dit
que la Comtesse de Fleix sa fille en a esté recompensée
du tabouret chez la Reyne, honneur qui m’est inconnu,
& dont ma condition m’empesche de m’informer, pour
en sçavoir l’importance. V. A. sçait tout cela ; mais ie
vous le repete, afin de reprocher à tous les Princes en
mesme temps leur mal-heureuse lascheté envers tous les
favoris, & à ces Ptinces là particulierement, qui veulent
soustenir celuy-cy, qui veulent que leurs indignes respects
soient suivis de toute vne nation genereuse, & qui
le veulent tirer du peril où il est : comme ces esclaves criminels
des galéres, qui portent leurs Comites sur leurs
épaules pour les mettre à bord, quand ils veulent prendre
terre en quelque plage, & en quelque lieu où il n’y
a point de port pour les grands vaisseaux.

 

La modestie religieuse m’empesche de vous donner
le détail de ses crimes ; mais quelques grands & horribles
qu’ils ayent esté, c’est assez des maux qu’il a fais à la
France, pour le rendre detestable à toute la posterité :
quand mesmes il seroit iniustement poursuivy, ce que
l’on ne peut dire apres la ruine & la subversion de cet
Estat, qu’il a épuisé de biens par ses concussions publiques,
qu’il a tary de sang par vne guerre estrangere
qu’il entretient malicieusement & cruellement pour le
soustien & la durée de sa fortune, & qu’il veut consommer

-- 21 --

entierement dans vne discorde civile. L’histoire
nous apprend que l’auguste Roy de France Philippe
Dieu-donné, autrement surnommé le conquerant,
estant sur le point de donner vne bataille decisive à Bovines
contre l’Empereur Othon IV. Iean Roy d’Angleterre,
& Ferrand Comte de Flandres vnis & alliez
contre luy. Il assembla ses Barons, il leur fit veoir la Iustice
de sa cause, & l’iniustice de la haine que ces Princes
avoient conceuë contre luy : Il voulut distinguer &
discerner son interest d’avec celuy de son Estat, & pour
leur faire conoistre que c’estoit cõtre la nation que toutes
ces puissances estrangeres avoient coniuré, il leur offrit
de quitter sa Couronne à celuy d’entr’eux qu’ils estimeroient
plus digne de la defendre & de combattre sous ses
ordres, comme vn Gentil-homme privé, comme vn
simple François, & non plus comme Prince. Codrus
Roy d’Athenes ayant eu revelation que son armée ne
pouvoit vaincre que par sa mort, il resolut de donner sa
vie au salut de son pays, & ne choisit pas de la perdre à
la teste de ses Suiets par vn effort temeraire & Royal. Il
s’alla faire tuer par vne sentinelle, sous vn habit déguisé,
afin que son sang tout seul satisfist à la rigueur de cette
destinée, & c’est par cette mort qu’il vit encor, & qu’il
vivra eternellement.

 

Scipion l’Africain dist à son armée mutinée qu’il feroit
peu d’estat d’vne vie qui luy seroit enviée par ses
Citoyens ou par ses soldats, & que s’il sçavoit que ce fut
veritablement leur sentiment & leur desir le plus general,
il estoit prest de mourir devant leurs yeux.
Moyse suplioit & coniuroit Dieu qu’il dechargeast sur
luy toute la vẽgeance des crimes, & de l’infidelité de son

-- 22 --

peuple, il vouloit bien estre rayé du livre de Vie, pour y
laisser les noms des coupables : & S. Paul s’offroit courageusement
d’estre anathéme pour tous les Chrétiens.
Ce mal-heureux que sa cõdition d’Eclesiastique devroit
entretenir dans des sentimens aussi Religieux [1 lettre ill.] ce tyran
veut regner malgré tous les ordres, & tout le peuple
d’vn Royaume : il devroit offrir le sacrifice de sa vie &
son sang, pour l’expiation du scandale qu’il a causé, &
pour appaiser vn desordre capable de perdre la Couronne :
& tout au contraire, il a veu d’vn œil sec perir des
Seigneurs de condition, il a veu les Princes au mesme
danger ; mais il a veu Dieu en propre personne outragé
pour sa querelle, & il demeure encor pour attendre la
nouvelle de la defaite des Princes, ou de la ruine de la capitale
du Royaume, & de l’extirpation de nostre religion.

 

Equidem
si totum
exercitum
meũ mortem
mihi
optasse
crederem,
hic statim
ante oculos
vestros
morerer :
nec me vita
iuvaret
invisa civibus
&
militibus
meis. Titus
Livius
lib 28.

Ie vous coniure, Monseigneur, de dire librement
vos sentiments à M. le Duc d’Orleans, & à M. le Prince.
Faites voir à l’vn que son insensibilité pout la France, fera
que l’on luy attribuëra iniustement la cause de tous
les mal-heurs : Il a esté le sujet innocent de tous les maux
de l’Europe : c’est luy seul qui a allumé la guerre, puis
qu’elle s’est commencée par le flambeau de ses nopces,
& continuée iusques auiourd’huy par d’autres nouveaux
pretextes, favorisez de son consentement. Il n’a point
eu iusqu’à present les fruîts qu’il desiroit, & que tout le
monde souhaittoit à son mariage, dont i’oserois esperer
qu’il auroit vne plus heureuse suite, s’il changeoit la face
des affaires. Madame a desia merité cette grace du ciel,
qui n’atend que ce bon œuvre & ce bien-fait general de
la Paix, pour donner vne si heureuse recompense à S.
A. R. ces ames masculines sont desia crées dans le Ciel,

-- 23 --

& cette fille de Dieu les amenera avec elle en la terre.
C’est vne chose estrange qu’vn Prince si bon & si genereux,
songe moins à sa reputation, au bien public, &
au bon-heur de sa maison, qu’à la fortune d’vn ambitieux
qui le gouverne, & qui l’a enlevé de son lict, à
mesme temps que le Cardinal Mazarin son veritable
Maistre ravissoit vn Roy enfant. Qu’il songe au nom de
Dieu qu’il est vn Soleil dans l’Estat, qui doit sa lumiere
& ses bien-faits également à tous les François, & qu’il
luy sera reproché qu’il aura invtilement employé tous
ses rayons à purifier des bourbiers & des marets pleins de
venin & d’ordure. L’on le comparera à cette figure de
Iupiter, qu’Homere nous represente endormy au mont
Ida par l’artifice de Iunon, sur vne couche de lotos, de
saffran & d’hyacinthe ; afin que pendant ce sommeil les
Troyens fussent privez de son assistance contre les
Grecs. S’il ne se réveille bien-tost, il se trouvera dans vn
embrasement qu’il ne pourta plus esteindre, & dont les
cendres cacheront le feu d’vne haine vniverselle dans le
cœur de tous les François.

 

Les peuples qui ne sont point soulagez ny protegez,
perdent insensiblement le respect & l’amour qu’ils doivent
à la maison de leurs Princes. Dieu l’a permis dans
celle mesme de Salomon. Roboam son fils gouverné
par vn mauvais conseil, respondit imprudemment à la
iuste requeste de ses Sujets, qu’au lieu de les soulager,
il appesantiroit leur joug, que loin de les foüetter de
verges communes comme son pere, il y ioindroit les
chaisnes & les aiguillons. La Sainte Escriture remarque
en termes expres, qu’il ne fit cette rude & cruelle réponce,
que parce qu’il estoit dans l’adversion du Seigneur

-- 24 --

qui l’avoit endurcy, & qui permettoit son aveuglement,
& ce fut le mesme Dieu qui donna vne si funeste suitte
à cette parole épouventable des Tribus desia souslevez
en leur cœur, Que nous importe de prendre tant d’interest,
& d’avoir tant de respect pour la posterité de David ? qu’est il
besoin de nous attacher si fort à la race d’Isaye. C’est
S. A. R. c’est le fils de Henry le Grand, que regarde
à present ce lieu des Saintes Lettres ; Ce n’est point au
Roy qui est ieune, c’est à M. le Duc d’Orleans à dire
pour quoy hazarder nostre heritage, pour proteger vn
mauvais Ministre, & pour luy conserver vne authorité
inseparable de nostre sang ? est-ce l’affaire d’vn fils de
France, & du premier Prince du Sang Royal, d’exposer
la Couronne pour defendre le fils de Pierre Mazarin
homme estranger, hay des François condamné par la
Iustice du Royaume, & par la voix generale des peuples.

 

Responditq.
Rex
populo dura
derelicto
consilio
seniorum
quod
ci dederãt,
& locutus
est, eis secundũ
con
silium iuvenum,
dicens,
pater
meus aggravavit
Iugum vestrum,
ego
autem addam
Iugo
vestro pater
meus
cecidit
vos flagellis
ego autem
cædã
vos scor
pionibus,
& non ac.
quievit
Rex populo
quoniam
adversatus fuerat eum Dominus.

Vide is itaque populus quod noluisset eos audire Rex. Respondit ei dicens quæ
nobis pars in David, ? aut quæ hæreditas in filio Isay ? Lib. 3. Reg.

Seroit-il bien possible que S. A. R. n’eut pas en
horreur l’orgueil de ce nouvel A man successeur du cruel
Armand qui l’a si indignement traittée. Il vit avec vn
fast inimitable aux Roys, & il a reduit la France au point
de voir ieusner son Roy, de voir, comme l’on dit, sa table
renversée cet hyver dernier, & sa cuisine deserte,
pendant que la sienne fumoit, non pas mesmes dans sa
maison ; mais dans le Palais Royal, à la veuë des officiers
du Roy, qui ont esté contraints d’aller vivre à credit.
N’estoit-ce pas vne vision du [1 lettre ill.]iel qui nous advertissoit,
que la France épuisee, ne pouvoit plus fournir à la table,

-- 25 --

& à la maison d’vn Roy legitime & d’vn Tyran. Ie l’ay
veu monter & descendre en chaire, & sur les espaules
des François l’escalier du Roy : ie l’ay veu conduire dans
ce triomphe Papal & Pontifical, par la plus illustre & la
plus lasche Noblesse de France, qui se pressoit pour estre
veuë, & ie vous confesse, Monseigneur, que ie craignois
d’avoir la honte d’estre veu moy-mesme, quoy
que sous vn habit de Religion & d’humilité. Nous
estions deux de nostre Ordre que l’on avoit demandez
à la Cour, pour la nouveauté de nostre regle : nous venions
tous deux d’Italie, tous deux connoissions le merite
& la naissance du personnage : Enfin tous deux à
mesme temps nous rencontrasmes dans ce sentiment de
luy reprocher en nostre interieur cette humilité de David,
qui disoit en admirant sa fortune, Qui suis-ie, quel
est l’honneur de ma vie, de quelle consideration peut estre la
parenté de mon pere parmy les Tribus, pour me rendre digne
d’estre gendre du Roy ?

 

Quis ego
sum, aut
quæ est vita
mea, aut
cognatio
patris mei
in Israël,
vt fiam gener
Regis.
Reg. l. 1.

Est il possible que le Cardinal Mazarin ne soit pas
mille fois rentré dans l’admiration de sa fortune, & qu’il
ne se soit pas écrié : Que suis ie devenu, du dernier homme
que i’estois d’vne terre si esloignée & si odieuse,
quelle vie ay ie menée, quelle est la gloire de mes actiõs,
quelle est la Noblesse de mon pere, pour estre devenu
parain du Roy Regnant, à la veüe de tous les Princes ?
est-ce la suitte d’vne vie infame, & d’vne si incroyable
extraction. Il n’avoit pas vne seule bonne
qualité : le vulgaire mesme sçavoit que c’estoit le plus
ignorant, & le plus ingrat de tous les hommes : il le
méprisoit, & les Princes, quoy qu’indignement traittez
l’honoroient. Ce Prince de Condé, qui faisoit lacher

-- 26 --

pied aux plus formidables armées qui faisoit trembler les
Provinces, les Roys, & mesmes les Empereurs, venoit
fléchir le genoüil devant cette Idole de verre, & luy
faire hommage de ses triomphes ; quoy qu’il les eust
gaignez par vne valeur singuliere ; quoy qu’il sceut que
l’autre en empeschast les fruicts, & qu’il traversast sa
fortune & sa reputation par vne malice inconcevable.

 

C’est à ce Prince, Monseigneur, à qui vous devez parler
comme à vostre pupille, qu’il faut que vous appreniez
le tort qu’il s’est fait d’avoir méprisé l’adoration
d’vne nation entiere, & d’avoir fait comme à l’envy
tout ce qu’vn Roy pourroit attenter pour perdre l’affection
& l’amour de tous ses Suiets, par le feu, par le fer,
par les viols & les sacrileges. Nous n’avons rien de semblable
dans l’histoire de tous les Tyrans : Le soupçon ou
la crainte les a portez à des meurtres infinis ; mais ils
n’ont iamais voulu détruire que leurs ennemis. Demandez-luy
que luy a fait Paris, à qui Henry le Grand a pardonné
le crime de la Ligue ? que luy ont fait Saint Denys,
Charenton, Lagny, Corbeil, &c. que luy a fait
toute l’Isle de France, & la pauvre Brie. Tous les Princes
les devoient haïr par jalousie des loüanges qu’elles
luy donnoient, il y regnoit par amour avec autant d’authorité
que nostre Roy par sa puissance legitime, la mesme
Iustice qui luy aqueroit tous les hommes les esloignoir
du Cardinal Mazarin envieux de sa gloire & de
son credit, & voila vn crime qu’il falloit donc venger
sur toute la France qui se plaignoit de ce berger estranger,
comme le Menalcas de Virgile en sa troisiéme
Eclogue,

-- 27 --

 


Hic alienus oves custos bis mulget in hora,
Et succus pecori & lac subducitur agnis.

 

Ce nouveau venu, choisy mal à propos pour garder le
trouppeau de France, le trait deux fois en vne heure, il
le tarit, il luy oste le suc & le laict, il sevre nos deux
aigneaux, il s’engraisse de leur nourriture, & les met à
la paille, & à l’herbe. Ce mauvais serviteur a corrompu
l’innocence des enfans de la maison, il les exhorte à la
chasse du loup, & luy mesme est la veritable beste carnaciere
qui devore les brebis, & de cent qu’il égorge, il
n’en mange avec eux que la plus maigre.

Hé ! Monseigneur, demandez à M. le Prince qu’elle
rage le porte à détruire vne si inconcevable reputation,
gagnée en si peu de temps si iustement meritée, &
qui met à ses pieds, tout ce que l’Vnivers a eu de heros ?
valoit-il mieux qu’il ne fut invincible qu’à soy-mesme,
& que luy seul de ses propres mains, comme Penelope
défit en vne nuit l’ouvrage de tant de iournées ? & qu’il
retrogradast de Flandre & d’Allemagne dans le cœur de
sa patrie pour loger la terreur, l’effroy & la haïne à la
place de l’amour & de l’admiration. Donnez-luy le
conseil de Darius à Alexandre, faites-luy veoir qu’il
doit dautant plus craindre les disgraces qu’il a esté heureux
& victorieux devant l’âge, & qu’il est impossible
qu’il puisse plus long temps posseder la fortune. I’apprehende
qu’il ne dise vn iour comme le mesme Alexandre
le Grand, Qu’il m’eust esté plus heureux de mourir au
combat contre les ennemis du Roy, que contre ses Sujets, sous
pretexte de maintenir par mon credit vn homme de neant contre
tout vn Royaume. Il m’estoit plus glorieux de tomber entre
les mains des ennemis, & d’estre la proye des estrangers,

-- 28 --

que la victime de mes Citoyens. N’ay-je eu le bon-heur de sortir
si avantageusement des seuls dangers que i’avois à craindre,
pour tomber dans vn peril que ie devois aussi peu prevoir qu’aprehender.

 

Nihil difficilius
esse. quam
in illa ætate
tantam
capere fortunam.
qu. cur.
lib. 4.

Quam feliciter
in
acie occidissem
potius
hostis
præda quã
civis victictima ? nũc
servatus
ex periculis,
quæ
sola timui,
in hæc incidi,
quæ
timere
non debui.
Ibid.
lib. 6.

Puisque ie me suis engagé dans la citation d’Alexandre
& de son Autheur. Ie ne puis en sortir sans appliquer
a ce victorieux, ce que Philotas recite de l’orgueil
de l’autre, qui aimoit mieux posseder par vsurpation
que par heredité la Couronne de Macedoine, & se dire
fils de Iupiter, que de Philippes, Nous avons perdu LOVIS
DE BOVRBON, il n’y a plus pour nous de Prince de
Condé, nous l’avons perdu, nous sommes tombez sous le joug
d’vne superbe, insupportable à Dieu, qu’il méprise & qu’il
veut égaler, & intolerable aux François qu’il dedaigne ; qu’il
renie pour compatriotes, & qu’il traitte plus mal que les Allemans,
les Espagnols & les Flamens : Nous avons fait vn Dieu
par le sacrifice de nostre sang, qni se joüe de nos respects & de
nostre affection, qui ne veut plus regner humainement, & qui
descend avec terreur, & le foudre à la main dans la maison de
ses amis, comme Iupiter chez Semele.

Amisimus
Alexandrũ
amisimus
Regem:
incidimus
in
superbiam
nec Dus,
quibus se
ex çquat,
nec hominibus
quibus
se eximit,
tolerabilem.
Nostro ne
sanguine
Deum fecum
qui
nos fastidiat ?
Ibid.

Il est dans vn employ qui doit cesser vn iour, & ainsi
il sera desarmé lors qu’il aura plus d’ennemis, peut-estre
mesme que le Roy majeur se ressentira de l’authorité
qu’il aura prise, de se faire chef de party dans son Estat,
contre la Iustice & contre son service, & qu’il ne trouvera
pas vn seul amy pour plaider sa cause devant sa M.
Ie ne sçay comme il est possible qu’il n’y pense pas ?
puisque Nerva tout Empereur qu’il estoit, se vantoit
principalement de n’avoir fait tort à personne, & de ne
craindre aucun particulier qui se pust ressentir de luy
dans vne vie privée s’il quittoit l’Empire : Celuy-là ne peut

-- 29 --

estre que tres-mal-heureux, dit Ciceron, qui vit de la sorte,
que non seulement on ne le puisse pas tuer impunément, mais
dont la mort doit couronner de gloire celuy qui aura triomphé
de sa vie. Nous n’avons rien de plus cher que le Sang
Royal, nous n’avons rien de plus cher que ce Prince, & il
nous met dans le terme mal-heureux, & dans vne fatale
necessité de ne pouvoir recevoir de nouvelle plus heureuse,
que celle de sa défaite, que celle de sa mort, &
de donner tous les Eloges du plus vaillant homme du
monde, & du meilleur de tous les François, à celuy qui
nous apportera comme vn David, non pas vn lambeau
de ses habits, comme de Saül, mais sa teste comme d’vn
Goliath, s’il peut avoir cette advantage dans vne bataille,
si cette guerre dure.

 

Dion.
Cass.

Beatus est
nemo, qui
calege vivit
vt non
modo impune,
sed
etiam cum
summa interfectoris
gloria interfici
possit.
Quare
flecte te
quæso, &
maiores
tuos respice,
atque
ita guberna
Rempublicam,
vt natum esse, te cives tui gaudeant ? sine quo nec Datus quisquam esse potest.
Cic. Philip. 1,

Maudite revolution ! nous ne pouvions iamais reconnoistre
assez dignement ses grands services, & ses
memorables exploits. Souz le nom de couservateur, &
de pere de la Patrie, il estoit nostre Manlius François :
le Manlius Romain fut honoré de la qualité que Tite
Live appelle en latin inter-Rex, que nous ne pouvons
autrement expliquer en François, que par le nouveau
mot d’autre-Roy, nous le considerions comme tel, &
comme il ne pouvoit autrement regner en France que
par estime, nous luy desirions les couronnes electives de
l’Europe, non sans regret d’avouër nostre insolvabilité
envers vn si grand merite, & non sans vne generosité
singuliere, de nous resoudre à le perdre : mais tout à coup
le voila forcené contre nous, ce Mars que nous voulions

-- 30 --

embrasser est devenu serpent ou beste feroce comme
les Dieux de l’ancienne Egypte, que le Royaume de
Senega adore encor, & nous veut reduire à nous armer
pour nostre defense, & pour sa mort, & à dire comme
Caracallus de son frere Geta sit Diuus dum non sit viuus.
Apres avoir fait en sa faveur l’aplication de cette extase
amoureuse de l’Eglise envers IESVS-CHRIST son
époux, Dilectus meus mihi, & ego illi, qui pascitur inter
lilia.

 

Il n’y point de plus grande faute dans la politique, ny
dans la Morale, que de mépriser l’amour des peuples, &
de vouloir regner par force, quand on le peut avec douceur.
Ie vous conjure & vous exhorte, Monseigneur,
de presser la Royne, & de presser les deux Princes d’accourir
en diligence, pour étouffer vn embrasement, dont
la fumée iraiusques à eux, desabusez-les de ce foible
pretexte d’authorité Royale, qui va perdre le Royaume.
Il n’y a plus d’expedient plus present, pour restablir cette
authorité, ny pour leur soumettre les cœurs, que de les
regagner par des maximes contraires à celles que le Machiaveliste
Mazarin leur à suggerées. Opposez aux conseils
violens de ce tyran, celuy de Ciceron à Marc-Antoine,
& dites particulierement à M. le Prince que vous
apprehendez pour luy qu’il ne soit se soit égaré du veritable
chemin de la gloire par vne mal-heureuse traverse ;
qu’il n’y a, ny honneur, ny seureté, de vouloir montrer
que tout seul on peut plus que tous, & que l’on aime
mieux estre craint & hay qu’aimé & chery de ses
concitoyens. Rien ne nous doit estre plus cher que les seruices
que nous auons rẽdus à nostre patrie : il n’y a point
de gloire plus legitime, que celle d’en estre estimé, loüé

-- 31 --

& honoré : comme au contraire, c’est vne chose odieuse,
detestable, ridicule, & de peu de durée, pour quelque
puissance que ce soit, de l’appuyer sur ces deux principes
de crainte & de hayne. Nos Histoires nous apprennent
comme il en prist mal à celuy à qui cette mauvaise
parole échappa, que m’importe d’estre hay du peuple,
pourveu qu’il me craigne.

 

Illud magis
vereor
ne ignorans
verũ
iter gloriæ
gloriosum
plus tevnũ
putes, posse
quam
omneis, &
metui à
civibus
tuis, quam
diligi malis :
quod si
ita putas
totã ignoras
viam
gloriæ.
earum esse
civem bene
de Republica
mereri,
laudari,
col[1 lettre ill.], diligi,
gloriosum est ; metui vero & in odio esse, invidiosum, detestabile, imbecillum, caducum,
quod videmus etiam in fabulis ipsi illi, qui, oderint dum metuant, dixerit, perniciosum
fuisse. Vtinam Antoni, auum tuum meminisses : de quo tamen multa audisti
a me sæpissimè. Putasne illum immortalitatem mercii voluisse, vt propter armorum
habendorum licentiam metueretur : illa erat vita, illa erat secunda fortuna, libertate
esse parem cum cæteris, principem dignitate. Philip. 1.

Pleut à Dieu qu’il fist reflexion sur la conduitte du Prince de
Condé son Pere ; ie dirois mesme qu’il prist exemple sur son Cadet,
l’incomparable Prince de Conty, ou sa sœur Madame de
Longueville. Est-ce leur qualité, ou leur puissance qui force tous
les François à mettre tous leurs interests à les voir comblés des
prosperitez de la terre, & des benedictions du Ciel ? Ils ont suivy
la force & le genie du bon Prince de Condé leur pere,
comme François ils prennent part, mais vne part égale avec les
moins confiderables à la liberté publique, & par cette generosité
sans exemple, ils conservent dans sa splendeur cette dignité de
Princes du Sang preste à déchoir par la continuelle suittte des favoris,
& preste à se rendre odieuse & méprisable par le peu d’affection
de ceux qui la partagent avec eux. Imitez-les vous mesme,
Monseigneur, puisque la necessité presente de l’Estat, vous offre
vne ocasion de témoigner vostre affection au bien public, & de vostre
propre mouvement sans le consentement de l’infame estranger
qui vous en a exclus, au preiudice de vostre naissance, & de
vostre merite. Vous pouuez aller à la Cour sans soupçon, comme
vous estes hors d’âge de servir autremẽt que de vostre conseil.

Vous y estes dautant plus necessaire que l’on y parle de Paix,
& que vous en connoissez mieux l’importance que ces ieunes courages
impetueux & temeraires, qui veulent donner à la France

-- 32 --

les mesmes passions qui les dominent. Faites que les conditions
soient advantageuses à la partie offencée, qui est le peuple, &
que la Royne satisface d’elle-mesme à tant de meurtres, de vols,
de viols, de sacrileges & de prophanations, si elle veut éviter la
Iustice de Dieu, de Dieu, dis-ie, vivant, voyant & vangeur, qui se
plaist à la punition des Souverains, & qui ne monstre sa puissance
accomplie que sur les puissances parfaites. Puisque l’on a fait
certe faute, que l’on ne doit iamais pardonner à ces petits Iuges
de Police, devenus Politiques, qui l’ont osé conseiller, que de
forcer & de contraindre les Parisiens à s’armer pour defendre vne
vie que l’on leur vouloit oster par la famine, & sur laquelle Dieu
seul a le droict : Il faut aprehender que tous les mouvements qui
deriveront de cet aguerrissement forcé des Suiets du Roy ne
soient favorisez du Ciel. Il n’y a point de remede, que de faire
vne bonne, franche & avantageuse Paix, telle que les Privernates
la demandoient aux Romains, afin qu’elle soit de durée : L’on
ne la peut esperer que fausse & plastrée ; si l’on ne voit des marques
d’vne reconciliation & d’vne generosité parfaite de la part
de la Reyne, & si les conditrons ne mettent ce Peuple en plus
heureux estat qu’il n’estoit devant cette guerre, dont Dieu veut
tirper vn fruict qui égale les malheurs qui en sont provenus, & qui
extirpe les desordres qui l’ont causée. Plaise à sa Maiesté Divine
de vous donner quelque part en cette restauration d’Estat : prenez
avec passion le personnage de l’Ambassadeur des Privernates :
montrez vous digne Prince de Valois, digne descendant de
S. Louis, & de plu encors, digne d’avoir eu pour quart ayeul S.
Iean Comte d’Engoulesme ; auquel ie prie Dieu qu’il vous reioigne
à la gloire du Ciel, que nos Peres & tout nostre Ordre
vous desire avec toutes les passions imaginables, & moy particulierement
qui suis, De V. A.

 

Quid si
pænam re
mittimus
vobis, qu
lem nos
pacem vo
biscũ habituros
speremus ?
si bonam,
inquit, &
fidam &
perpetuã ;
si ma am,
haud diuturnam
tum vero
minarinec
id ambiguè
priu[1 lettre ill.]rnatẽ,
quidam, &
illis vocibus
ad Rebellandũ
incitari
pacatos
populos.
pars melior
Senatus
ad meliora
Responsa
trahere
& dicere,
viri
& liberi
vocem auditam :
an
credi posse
vllum
populum,
aut hominem
denique
in ea
conditione cuius cum pæniteat, diutius quam necesse sit mansurum ? sibi pacem
esse fidam, vbi voluntarij pacati sunt : neque eo loco vbi servitutem esse
velint fidem sperandam esse. Liu. lib. VIII.

MONSEIGNEVR,

Le tres-humble & tres-fidel Religieux
B. P. M. DE CAMALDOLI.

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Camaldoli, Michel de (père) [signé] [1649], LETTRE DV PERE MICHEL RELIGIEVX HERMITE DE L’ORDRE DE CAMALDOLI, prés Grosbois, A MONSEIGNEVR LE DVC DENGOVLESME SVR LES CRVAVTEZ DES Mazarinistes en Brie. , français, latinRéférence RIM : M0_2128. Cote locale : A_5_35.