Caussin, Nicolas (R. P.) [1649], LETTRE DE CONSOLATION DV REVEREND PERE Nicolas Caussin, à Madame Dargouge, sur la mort de Mademoiselle sa fille. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : A_5_39.
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LETTRE
DE CONSOLATION
DV REVEREND PERE
Nicolas Caussin, à Madame Dargouge,
sur la mort de Mademoiselle
sa fille.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS SARADIN, Maistre Imprimeur,
sur le pont au Change.

M. DC. XLIX.

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LETTRE DE CONSOLATION
du Reuerend Pere Caussin, à Madame Dargouge,
sur la mort de Madamoiselle sa fille.

MADAME,

Ie craindrois d’offencer vostre vertu, si ie
vous celois que dans le Ciel, lequel vous contemplez
si souuent en vostre solitude, vous
auez vne chere partie de vous mesme, qui
vous a deuancé. La constance que vous tesmoignez
en tant d’accidens me fait croire
que vous auez l’oreille assez forte, pour ouyr les dispositions de
Dieu, & le cœur encore plus ferme, pour les souffrir. Se ie me
taisois plus long-temps, ie frustrerois vne bonne ame de vos deuoirs,
& i’osterois vn exercice de patience à vostre raison. Il ne
faut point vous traicter comme vne Ame nouice, & vous distiller
peu à peu vne nouuelle qui ne vous doit pas accabler de son
poids, puis que vostre cœur fortifié par la grace de IESVS-CHRIST,
peze beaucoup dauantage. Madamoiselle vostre fille ; vous comprenez
desja trop ce que ie veux dire, ne vous allarmez point ; cette
pieuse fille pour qui vous auez des soings si tendres, & vn amour
si maternel, est tombée malade la veille de Pasques d’vne fievre aiguë
& ardente, accompagnée d’vne inflammation de poulmon :
Elle a creû incontinent estre frappée d’vn traict de la mort, & s’est
disposée fort Chrestiennement à la derniere heure de sa vie, & à la
premiere de ses felicitez. Ie l’ay veuë plusieurs sois en sa maladie,
& le iour qui preceda son dernier, ie luy suggeré d’appeller le Pere
François son Confesseur ordinaire, ce qu’elle accorda tres-volontiers,
& se confessa auec grand iugement, comme i’ay appris,
quoy qu’elle se fut desja acquittée de ce deuoir pour la Feste de
Pasques, en suitte elle receut le Viatique & l’Extreme onction, qui
est vn sujet de Salut pour elle, & de consolation pour vous. Il est
vray que certaines Ames ont vne inclination naturelle pour leurs

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corps vierges, & ne s’en destachent qu’auec quelque sorte de regret :
Sur les approches de la mort elle conceut des esperances de
sa vie, & m’entretint auec vn esprit gay & contant, me demandant
si ie m’estois souuenu d’vne affaire qu’elle m’auoit recommandé,
& qu’elle ne manqueroit pas de me venir voir pour en sçauoir le
resultat, elle adjousta à ces paroles vn petit sousris ; & comme Madame
d’Ablege, qui la continuellement assistée, luy demanda si elle
ne parloit point trop pour son mal, elle repliqua qu’elle ne s’ennuyoit
iamais de m’entretenir ; ie la vis alors en vn si bon estat,
que ie ne pouuois m’imaginer qu’elle fut proche de sa fin, tant elle
auoit l’esprit present, la parole ferme, & le iugement asseuré.
Cependant sur le soir le mal redoubla ses furies, & apres le combat
d’vne nuict, l’emporta sur le poinct du iour. Qu’ay-ie fait ? i’ay
trop dit : ie sens le contre coup du glaiue de douleur qui entre en
vostre cœur. Ie sçais que vous estes vertueuse, mais aussi ie n’ignore
pas que vous estes mere : donnez des larmes à la meilleure des
filles ; ie ne suis pas vn rocher pour empescher vn sacrifice que la
Nature doit à la douleur. Si vous quittez icy ma lettre pour pleurer,
reprenez-la vne autrefois pour vous consoler. Si vous auez des
raisons pour iustifier vos larmes, vous en auez d’autres qui authorisent
vostre consolation. Vous me direz d’abord que vous auez
perdu vne tres-excellente fille, & j’auouë qu’elle estoit accomplie
en toutes façons ; l’esprit en estoit rauissant, & le corps bien auantagé
de la Nature ; elle estoit deuote sans fard & sans humeur ; sa
pieté n’auoit rien de trop libre, ny de trop bas ; elle n’estoit ny foible,
ny affectée ; mais soigneuse de rendre ses deuoirs à Dieu, sans
oublier ce qu’elle deuoit au prochain : sa charité estoit vn feu qui
brusloit tousiours en son cœur, & ne le consumoit iamais : elle
estoit naturellement bienfaisante, misericordieuse enuers les pauures,
seruiable à ses proches, & officieuse enuers tout le monde. Sa
pudicité estoit erigée en exemple, sa prudence pleine de lumieres,
sa discretion de retenuë, & son accortise d’agrément Elle estoit secrette
par dessus l’infirmité de son sexe, douce & serieuse, adroite,
persuasiue, & capable de bonnes affaires. Elle estoit humble parmy
tous les dons du Ciel, & retenoit les estoiles soubs la clef, pour
parler auec Iob, quand elle couuroit par sa modestie tant de perfections.
Son visage estoit vn Ciel tousiours riant ; la prosperitẽ n’enfloit
point son cœur, & l’aduersité n’auoit point assez de force pour
l’abbatre. Dans l’inegalité des choses humaines, elle estoit toujours

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egalle à soy-mesme. Ses inclinations estoient pour la vie
Angelique, & pour le celibat ; mais peut estre estoit elle trop formée
pour entrer en vne communauté Religieuse, & pour ce me disoit
souuent, que quand elle vous auroit terme les yeux, & qu’elle
ne seroit plus vtile à la famille où elle viuoit auec grande [1 mot ill.]
son dessein estoit de viure auec vne compagnie de vierges & de
veufues, qui seroient dans le monde, sans tenir rien de luy & que
là elle offriroit à Dieu le sacrifice de son obeïssance.

 

Hé Dieu, direz vous, que de choses regretables, & qui ne seront
iamais assez regrettées ! falloit-il donc esteindre vne si aymable
personne en la fleur de son aage, & de ses esperances ? falloit-il enseuelir
tant de beautez dans vn tombeau ? O doux objet de nos desirs,
ô cher sujet de nos satisfactions, ne nous reste-il donc plus de
vous que la memoire & le nom ? Pourquoy rompez vous compagnie
à vostre pauure mere, qui ne viuoit plus que de vous & pour
vous ? pourquoy luy dérobez vous vn tel appuy à la caducité de son
aage ? pourquoy forcez vous les loix de la nature, en préuenant sa
mort que vous deuiez attendre. Mais, Madame, c’est parler le langage
de la nature, & non celuy de la grace, qui nous deffend par
la bouche de l’Apostre de pleurer les morts à la façon de ceux qui
n’ont point d’esperance de leur immortalité. Ignorez vous qu’il y
a des arrests de Dieu sur nostre vie & sur nostre mort, qu’il nous faut
plustost accepter auec sousmission, que plaindre auec chagrain ?
quel tort Dieu vous a il fait, s’il a repris ce qu’il a donné, & fait remonter
tant de belles vertus à leur source ? Vous vous plaignez de
ce qu’elle estoit parfaite ; mais vous auriez bien plus de sujet de
vous plaindre, si elle estoit morte imparfaite : elle vous osteroit les
esperances de sa beatitude, & vous augmenteroit les regrets de sa
mort : vous douteriez de son bon-heur, sans douter de son deceds, &
vous seriez affligée de la perte du corps, sans asseurance du bien de
l’ame. Mais cette genereuse fille ayant marqué la route du Ciel par
les pas de ses vertus, vous apprend qu’elle est en vn lieu qui estant le
sejour des ioyes, ne veut point estre souïllé par nos larmes.

Les affaires, direz vous, auoient encore besoin de sa presence,
& ie vous auouë que c’estoit vn merueilleux support à vostre famille
affligée, tant elle auoit de sens & de cœur pour la conduite d’vne
maison. Elle estoit fille & tenoit le rang d’vne vraye mere par sa
prudence & par ses soings, elle démelloit les affaires embrouillées,
elle donnoit de la certitude aux douteuses, & l’éclaircissement aux

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obscures ; ses sollicitations estoient pressentes, & ses negociations
fort heureuses. Mais si l’iniquité des temps, & la malice des hommes
ne font point de fin aux procés, faut-il pour cela qu’elle ne
donnast point de commencement à sa beatitude ? Ne sçauez vous
pas bien que nos Anges gardiens ne sont pas sans fin occupez autour
de nous, mais qu’ils nous quittent auec la vie : C’estoit le bon
Ange de vostre maison, elle vous a rendu tous les deuoirs, elle vous
a sacrifié tous ses soings, elle a parfait la course que l’ordre de Dieu
auoit estably sur ses années : vous fasche-t’il qu’elle soit entrée en
vn doux repos, qui estoit si legitimement deu à son trauail ? Ne
croyez pas, Madame, que pour cela vous soyez destituée : Pour vne
fille enleuée il vous reste quatre fils, tous braues hommes en leur
profession, à l’Eglise, aux armes, aux affaires, & sur tout bons enfans
enuers vne si digne mere. Si vous desirez des filles, vous auez
encore vn Ange du desert, vne Carmelite, tres-grande Religieuse,
qui prie incessamment pour vous. Si la deffuncte a diminué le
nombre de vos enfans, elle n’en a pas retranché le secours. Vous
adjousterez encore que cela est fort surprenant, de la voir mourir
en cette florissante ieunesse, elle qui estoit d’vne parfaite santé, &
qui sembloit deuoir enseuelir tous ceux de la maison. Ne voyez
vous pas que si elle fut morte plus tard, & si elle eust vescu l’aage
qu’elle pouuoit attendre de la nature, vous eussiez esté separée d’elle
par l’espace de fort longues années, mais à cette heure vostre aage
& vos merites vous approchent de plus prés du Ciel, dont elle a
pris possession. La voudriez vous rappeller en ce mõde en vn temps
auquel les morts iamais ne furent moins à plaindre, en vn temps
auquel les yeux pleurent, & les cœurs saignent, auquel la campagne
est en desolation, les villes en frayeur, les vices en regne, & les
desastres en spectacle. Nous deuons tous souhaitter de partir de ce
monde, comme d’vne maison, où les fondemens s’affaissent sous
nos pieds, & le toict croule sous nos testes. Ne tenez point vne fille
perduë, qui est hors des dangers de tant de pertes. Elle sera plus vostre
que iamas ; vous la verrez à toute heure, à tout moment, non
plus dans ces fragiles elemens d’vn corps mortel ; mais dans ces
beaux atours de gloire qui enuironnent les ames du Paradis. Vous
la verrez à l’Eglise, à l’Oratoire, aux allées de vostre solitude des
greues, au repas, au repos, tousiours cét esprit bien-heureux se representera
à vos pensées, & vostre sommeil mesme sera remply de
ses agreables idées. Elle vous dira, ma tres-chere mere, si vous m’aimez,

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n’enuiez point ma felicité, ie suis passée des miseres de cette
vie en vn sejour bien heureux où ie vous attends, & où ie prie continuellement
pour vous ; le Ciel est mon partage, & Iesus-Christ
mon Espoux ; il n’y a rien à plaindre pour moy qui ay changé tout
en mieux, & il n’y aura rien à plaindre pour vous, si vous ne refusez
de prendre part à mon bonheur.

 

Dans ces considerations, Madame, vous deuez accepter les ordres
du Ciel, & vous conformer totalement aux volontez de Dieu ;
les accidens du monde vous ont essayé tant de fois & n’ont iamais
esbranlé vostre constance. Apres la perte d’vn mary & les rigueurs
d’vn siecle de fer, & le renuersement des affaires, que peut-on encore
pleurer ? Vous estes regardée par tout comme vne femme d’exemple,
& comme l’ornement d’vne grande & illustre parenté qui
vous couronne. Ne gastez rien sur la fin, & n’obscurcissez point
les lumieres de vostre patience, par des larmes moins seantes à vostre
aage & à vostre condition. Apres auoir rendu mes deuoirs à
l’Autel pour la deffuncte, ie priray pour les viuants, & sur tout pour
vous que i’estime beaucoup, à ce que Dieu vous fortifie, & vous
inspire des pensées, des paroles, & des actions qui donnent du soulagement
à vostre cœur, & de l’edification au prochain. C’est ce
que ie desire pour vous, & i’espere que Dieu fera vos couronnes de
mes propres souhaits, & que vous aggrerez cette consolation de
ma plume, qui vous renouuelle les asseurances de la resolution que
i’ay faite d’estre à iamais,

MADAME,

Vostre tres-humble & obeïssant
seruiteur en nostre Seigneur.
NICOLAS CAVSSIN.

De Paris, ce 13. Avril 1649.

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Caussin, Nicolas (R. P.) [1649], LETTRE DE CONSOLATION DV REVEREND PERE Nicolas Caussin, à Madame Dargouge, sur la mort de Mademoiselle sa fille. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : A_5_39.