D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LA SYBILLE MODERNE, OV L’ORACLE DV TEMPS. , françaisRéférence RIM : M0_3738. Cote locale : E_1_83.
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LA SYBILLE MODERNE, OV
l’Oracle du Temps.

IE puis dire aux François ce que sainct Paul
escriuoit à ceux de l’Eglise de Corinthe ;
Vous auez assez de gens qui vous loüent,
mais vous n’en auez point qui vous reprennent.
Le François est si amoureux de ce
qu’il ayme, qu’il a du respect pour ses deffauts & pour
ses foiblesses, quand il rencontre quelqu’vn qui les esleue
ou qui les appreuue ; & comme il ne veut point estre
contredit, il ne cherche & n’estime que ceux qui les flattent,
& ne manque iamais d’en trouuer de cette nature
qui l’endorment & qui le perdent, comme les Psylles
de qui les loüanges estoient si funestes, à ce qu’on dit,
que c’estoit par elles qu’ils auoient accoustumé d’empoisonner
& de desseicher iusques aux trouppeaux & iusques
aux arbres. Quoy que ie sois de la Nation a qui ie
parle, l’estat ou i’ay esté appellée par vne inspiration particuliere,
ne me permet point de flatter ny de mentir,
& si vous me refusez vostre audiance, ou si ce que i’ay à
vous dire vous des oblige, ie vous seray le mesme reproche
que IESVS-CHRIST faisoit aux Pharisiens & aux
Iuifs : Que qui se scandalise de la verité est aueugle, &
que qui ne l’écoute point n’est point de Dieu.

Nous pouuons dire des premiers François ce qu’on a dit
des premieres femmes des Hebreux, qui pour accoucher
n’auoient point besoin de Sages Femmes. Pour conduire

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& pour acheuer leurs desseins, ils n’auoient besoin
ny de l’opiniastreté furieuse des Anglois, ny de la vaillance
brutale des Allemans, ny de la patience orgueilleuse
des Espagnols, ny de l’adresse criminelle de ceux d’Italie,
ny de la malice enuieillie de ceux de Sicile. Leurs
victoires pouuoient estre appellées les ouurages de leurs
mains & de leur esprit, & leur ialousie estoit si belle &
si noble, qu’ils se croyoient assez forts & assez puissantes
pour asseurer leur Estat, & pour en estendre les bornes.
Les trouppes Stipendiaires ne leur estoient pas mesme
connuës, & ce n’est pas la moindre faute de l’vn de nos
Roys, à ce que remarque Machiauel, que d’en auoir introduit
qui ont tousiours partagé depuis auec eux la gloire
de leurs conquestes, & que l’alliance a presque naturalisées
dans ce Royaume. Mais puis qu’il faut faire quelquefois
des alliez de peur de faire des mutins, & qu’on
se sert de la fidelité des vns pour s’opposer à l’insolence
& à la tyrannie des autres, ie n’examineray point l’opinion
de ce Politique, & ie passeray de nostre premier
bon-heur à nostre derniere disgrace. Cependant comme
il y auoit autrefois chez les Romains vne ordonnance
qui deffendoit à ceux qui se mesloient de predire l’auenir
par la remarque du vol des oyseaux, d’exercer leur charge
quand ils auoient sur eux quelque vlcere, auparauant
que de faire entendre ce que i’ay predit par le vol d’vne
infinité d’Harpies, ie suis obligée de des-abuser les personnes
qui pourroient me soupçonner de quelque maladie
cachée, & de protester d’abord que ie n’ay rien en
moy qui m’empesche d’estre croyable.

 

Si Lysippe qui se contenta de donner vne Lance au
grand Alexandre, reprit iustement Apelle qui l’auoit
peint auec vn foudre dans la main : ceux qui ont parlé
du Cardinal qui regne auiourd’huy, peuuent estre plus

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iustement accusez d’auoir representé auec des vertus Morales
& Chrestiennes, vn homme souille de meurtres,
d’empoisonnemens, & de sacrileges, & d’auoir donné
à vne Furie des Eloges que les Poëtes eussent refusez à
leurs Graces & aux demy-Dieux de l’antiquité. Les François
qui l’ont vanté si hautement dans leurs escrits, ont
este aussi galants que cet Orateur qui escriuoit les louanges
de la fiévre, à mesure que ses accez le faisoient trembler ;
ils ont eu des Panegyriques pour vn monstre à mesure
qu’ils en estoient persecutez, & n’ont pas moins fait
par flatterie, que les Martyrs faisoient autrefois par vn sentiment
de Religion, lors qu’ils benissoient les bourreaux
qui les deschiroient en pieces. Mais on ne doit presque
plus trouuer estrange que le Cardinal Mazarin ait eu des
hommes pour faire valoir ses crimes, puis que les Busires &
les Nerons ont trouué des Apologistes, & que des peuples
entiers ont Deifié des crapauts & des Crocodiles. Il n’est
point de siecle qui n’ait porté des aueugles & des ladres, &
tant qu’il y aura des pauures & des mercenaires, il y aura
tousiours & des flatteurs & des lasches. Cette bassesse n’a
pas eu de grands succez ; ces illusions pompeuses n’ont
pas mesme gaigné les plus foibles & les plus credules,
& ceux qui ont eu quelque espece de creance pour les
fables, n’en ont pas eu pour ces impostures.

 

Certes il n’estoit pas vray semblable qu’on deut faire
passer pour vn Ministre fidele, celuy qui vsurpoit l’authorité
souueraine, & qui desoloit tout l’Estat, qu’on d’eut
nommer Politique, celuy qui n’est adroit qu’aux dez &
aux cartes, qu’on eut de l’amour pour vn Agent qui doit
toute sa reputation a ses crimes, & qu’on eut de l’estime
pour vn Gouuerneur qui souffroit que la Chambre du Roy
retentit dans le ieu de mille blasphemes, pour luy apprendre
à estre deuot, apres auoir peut-estre oüy dire que ceux

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de Lacedemone rendoient leurs enfans sobres à force de
leur montrer leurs esclaues yures. Il eut esté plus aisé de
souscrire à l’opinion des Sceptiques & d’Anaxagore qui
ont soustenu que le feu ne brusloit point, & que la neige
estoit noire.

 

Il y auoit quelque chose de Religieux & de sainct dans
la coustume de ces anciens, qui ne vouloient point que
les gens de mauuaise vie fussent reçeus à donner mesme
vn bon Conseil, dans la creance qu’ils auoient que ce qui
sortoit de la bouche d’vn meschant homme, deuoit tousjours
estre suspect ; & ie m’estonne qu’vne loy si iuste n’ait
passé dans tous les Estats, ou qu’vne si belle morte qu’il
estoit facile de faire reuiure, n’ait point esté resuscitée depuis
tant de siecles. Il n’eut iamais esté permis au Cardinal
Mazarin d’ouurir la bouche dans les Conseils ny dans
les assemblées publiques, il n’eut iamais esté receu dans
le Cabinet ny dans les maisons de Ville, & tous ses arrests
n’eussent eu credit que dans les brelans & dans les Academies.
Mais on l’a bien fait passer plus auant, quoy qu’on
fut instruict des abominations de sa ieunesse, & de ses trahisons
ordinaires, on ne luy a pas seulement ouuert la porte
dans le Conseil, on a voulu qu’il y fit esclatter ses sentimens,
& que les Sages les reuerassent comme des loys &
des Oracles. C’est ainsi qu’il a persuadé aux vns & aux autres,
qu’il falloit entretenir la guerre pour leur interest ou
pour leur gloire, qu’on ne pouuoit mieux purger la France
de seditieux, qu’en luy tirant ce qui luy restoit de sang
dans les veines, & qu’il n’estoit point de remede ny plus
prompt ny plus asseuré pour en espouuanter les ennemis,
que de l’escorcher. Comme on dit que les loix de Dracon
estoient plustost escrittes auec du sang qu’auec de l’ancre,
celle-cy ne fut enregistrée que sur des tombeaux & sur des
ruines elle trouua des acclamateurs publics, & pour la

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faire passer, on n’espargna ny la liberté des Princes, ny
les conquestes des Grands, ny l’authorité des Iuges, ny le
Ministere des Prelats, ny le caractere des Prestres, ny les
Priuileges de la Noblesse, ny le sang du peuple. Les Intendans
de Iustice furent enuoiez dans les Prouinces pour
violer ou pour abolir iusque au droit des gens : les Sacrificateurs
qui refuserent d’estre des Loups, furent immolez
à la tyrannie comme des Aigneaux, & comme des victimes
d’expiation, & ceux qui ozerent murmurer contre
ce decret, furent declarez Rebelles, & n’ont esté gueres
mieux traittez que des Incendiaires & des Parricides.

 

Quoy que cét horrible & ce nouueau Legislateur d’eut
estre en execration à tous les hommes, il s’en est veu cependant
qui se sont empoisonnez de ses maximes, & comme
on dit que ceux qui se frottoient les mains au Colonnes
du Temple de cette Diane Orientale qui estoit basty dans
Athenes, en rapporteroient l’odeur & la couleur du saffran,
il s’est trouué que ceux qui se sont frottez à sa robbe,
pour rappeller nostre vieux Prouerbe, en ont rapporté toutes
les tasches.

Apres auoir espuisé toutes les finances de l’Estat, apres
auoir fait autant de pauures qu’il y a de sujets dans ce Royaume,
il semble qu’il ait eu dessein de se ioüer mesme
de Dieu. Il a fait venir de nouueaux Religieux qui ont
fait vne foire sainct Germain de leur Eglise, vn Theatre
de leur Autel, qui ont introduit des Marionettes pour
des Saints, & qui commençoient à faire vne farce de nos
plus Augustes mysteres, dans la creance qu’ils ont euë
qu’ils ne pouuoient luy plaire plus auantageusement qu’en
changeant la Religion en Comedienne. Il les auoit desia
logez de ses impietez & de ses larcins, & consacroit à Dieu
vn Temple de ses saletez & de ses crimes, comme ces malheureuses

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Phœniciennes qui se prostituoient deuant leurs
Idoles, & qui leur dedioient le prix de leurs paillardises &
de leurs ordures.

 

Mais c’est imiter de trop pres certains Medecins qui
discourent assez de la nature du mal, & qui ne parlent iamais
du remede, & si ie pensois r’appeller l’argent qu’il
nous a vollé à force de faire esclatter mes ressentimens &
mes plaintes, ie ne trauaillerois gueres plus vtilement que
les Romains que dans l’Eclipse de la Lune faisoient esclatter
de grands bruits pour en r’appeller la lumiere ?

Ie veux simplement vous aduertir que la guerre qu’il
vient d’allumer au milieu de ce Royaume luy doit estre
aussi fatale qu’elle nous doit estre sensible, & que nous
pouuons dire à peu pres de luy, ce qu’vn ioueur de Tragedies
respondit autrefois à ceux qui luy demanderent ce
qu’il auoit trouué de plus remarquable dans les deux Tragiques
de la Grece. Rien, dit il, ne m’a plus surpris que
d’auoir veu Philippe celebrer les nopces de sa chere fille
dans vne Scene longue & pompeuse, où il estoit appellé le
treiziesme Dieu, & d’auoir veu le lendemain le mesme
Philippe massacré, & ietté hors du Theatre. Si nous n’auons
suiuy tout a fait le Cardinal Mazarin dans les espouzailles
de ses Niepces, nous l’auons remarque iusques icy
dans vn estat magnifique : Nous l’auons veu comme le
premier & le plus superbe des Ministres, il a ioué vn personnage
de Roy, & nous le verrons despouillé de ses ornemens,
& plus miserable dans sa mort qu’il n’a esté glorieux
durant sa vie.

Ceux qui le protegent doiuent craindre Dieu, si les
belles qualitez qu’ils ont apportées au monde, les empeschent
de craindre les hommes. Entre plusieurs especes de
foudres, les anciens en appelloient quelques vns monitoires,
pour ce qu’ils aduertissoient ceux qui en estoient

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frappez de se tenir sur leurs gardes. Monseigneur le Prince
en a esté desia frappé dans la personne de deux fauoris ;
il en a regretté la perte, il est encore en son pouuoir de
nous empescher de pleurer la sienne. Quelle honte &
quel mal-heur qu’vn Cardinal tout souillé de crimes,
souillé aujourd’huy l’Estat du plus pur & du plus illustre
sang dont il ait droit de se preualoir ? Qu’on fasse perir
tant de gens de bien pour vn meschant homme ? Qu’on
hazarde iusques à la gloire & à la santé du Roy, pour l’vn
des derniers monstres de la Sicile ? Toutes nos larmes
peuuent-elles iamais suffire à la mort de Monsieur de Chastillon,
qui s’estoit rendu fameux dans la plus part de nos
sieges, qui auoit eu tant de part à nos victoires, & qui s’estoit
immortalisé dans vn aage ou Cesar se plaignoit de
n’auoir rien fait encore ? Il a fallu que la maison de
Chastillon perit auec ce grand homme pour vn tyran &
pour vn barbare ; que les Tancredes, les Comtes d’Ors,
& les Clanleus, fussent immolez à la querelle d’vn traistre,
que nos meilleurs soldats & nos meilleurs Officiers
combatissent iour & nuit les vns contre les autres pour le
diuertissement d’vn estranger ; que des Princes dont nous
apprehendons esgallement & le triomphe & la deffaites se
cherchassent comme des ennemis irreconciliables, pour
leur fleau commun, que les freres fussent diuisez & d’interests
& de sentimens pour vn vsurpateur, & que la France
employast ses forces, & tournast ses armes contre elle-mesme
pour satisfaire à l’auarice d’vn voleur, & pour assouuir
sa rage.

 

Quoy que ce Royaume soit grand & peuplé, il ne porte
pas tousiours de grands hommes ; Dieu ne fait pas des
miracles tous les iours, & les Heros ne sont pas des productions
ordinaires de la nature. Quand quelqu’vn de
cette espece vient à perir, la consternation en doit estre

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vniuerselle, & tous en doiuent prendre generalement le
dueil, comme certains peuples le prenoient quand le Soleil
souffroit quelque Esclipse. Le Cardinal Mazarin est
d’vne opinion tout a fait contraire, pource qu’il croit ne
pouuoir mieux seruir son Roy naturel pour rachepter son
bannissement, & pour se remettre dans ses bonnes graces,
qu’en faisant esgorger ceux qui font trembler l’Espagne ;
& ne luy peut rendre en effet de meilleur Office ? qu’en luy
donnant le loisir & la liberté de reprendre haleine, & de
venir triompher chez nous de nos déroutes & de nos victoires.

 

En effet, quand Dieu nous puniroit des pechez de
Mazarin, iusques à permettre que Monsieur le Prince fut
aussi heureux contre les veritables sujets du Roy, qu’il l’a
esté contre les ennemis iurez de l’Estat ; il est certain que
le Cardinal rempliroit la France de nouueaux desordres,
& qu’il adiousteroit de secondes souffrances aux premieres.
Mais auec quels maux feroit-il reuiure ces maux mesmes,
puis qu’il faudroit assieger toutes les places, liurer plusieurs
combats dans chaque Prouince, desoler toutes nos
campagnes, ruiner toutes les maisons, & forcer des peuples
qui combattent pour leur foyer auec le mesme zele,
que les anciens combattoient pour leur liberté & pour
leurs Dieux domestiques ? Il ne resteroit aucune partie saine
dans cét Estat ; & Monsieur le Prince n’auroit enfin trauaillé
qu’a rendre au Roy vne affreuse solitude pour vn
beau Royaume. Quelle recompense auroit-il droit d’esperer
d’vne peine si cruelle ? Et quelle gloire pourroit-il pretendre
du meurtre de tant d’innocens qui esleuent encore
leurs cœurs & leurs yeux au Ciel pour la conseruation de
sa personne ? S’il arriue d’ailleurs que son cœur soit endurcy
comme celuy de Pharaon, & qu’il succombe dans vn
si mal-heureux party, comme Dieu est iuste & terrible, la

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moindre goutte de son sang peut-elle estre iamais assez dignement
payée ? Et quelque respect & quelque amour que
nous ayons pour nostre cause, pourrions-nous assez regretter
le bras droit du Roy, l’esperance & l’admiration
de ses peuples, l’estonnement & l’effroy des estrangers, &
pour tout dire vn Prince que l’Empereur & le Roy d’Espagne
ne connoissent que par la prise de leurs forteresses, &
par la deffaite de leurs armées ?

 

Ie fais icy en sa faueur ce souhait que faisoit autrefois
Moyse. Pleut à Dieu que tous les hommes fussent Prophetes.
Il verroit au moins de loing que ceux qui soustiennent
des quereles trop iniustes sont tousiours a plaindre.
qu’ils sement du vent, pour parler auec l’Escriture, &
qu’ils moissonnent des tempestes. Monsieur le Prince est
trop iudicieux pour croire auec Roboam, que son petit
doigt est plus fort que tout le corps de ses peres, & quand il
voudroit s’esleuer à leurs despens & à leur honte, il est trop
sage pour n’estre pas persuadé que c’est icy la cause de
Dieu qui combat pour nous au milieu de nos armées.

Outre ce mal-heur qui regarde la vie & la conscience,
il arriuera sans doute que ses belles iournées que les François
ont chommées comme autant de festes, ne viuront
plus dans leur memoire, pour ce que les hommes sont naturellement
plus portez à se ressouuenir des maux qu’on
leur a causez, que des graces qu’on leur a faites, que les
biens faits s’escriuent dessus le sable, & les iniures sur le
marbre & sur le bronze. Il arriuera que les acclamations
publiques se changeront tout d’vn coup en imprecations
secrettes ; qu’il perdra sa plus belle gloire en perdant l’amour
des peuples ; & quand la posterité s’entretiendra de
Rocroy, de Fribourg, de Nortlinguen, & de Lens, elle
ne manquera point de parler de Paris pressé d’vn siege,
d’vn vsurpateur maintenu contre l’Authorité Royale, de

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Parlemens interdits, de morts horribles, de sanctuaires
prophanez, de femmes & de vierges violées, d’innocens
persecutez ou meurtris, & d’vn sacrifice effroyable de tant
de personnes de toutes conditions, de tout aage, & de
tout sexe de qui le sang doit fumer vne eternité toute entiere.
Comme on dit que Dieu chastie l’iniquité des peres
sur leurs enfans, il estendra cette haire sur les descendans
de ceux qui auront presté le consentement ou à la main
à l’horreur de ces spectacles, & fera passer ce mal heur du
tronc aux branches.

 

Il arriuera par vne raison contraire que les autres qui
se seront armez en faueur du Roy & de la Iustice, seront
comblez de benedictions & de louanges, que la felicité
des peres ne manquera pas de couler auec leur sang dans
les veines de leurs enfans, & qu’ils procureront à toute leur
posterité plus de bon-heur qu’elle n’en pourroit tirer des
plus fauorables influences des Astres. S’il est vray ce que
dit Pausanias dans ses Attiques, que cent ans apres la iournée
de Marathon, les passans entendoient encore le hannissement
des Cheuaux, & le bruit des Trompettes & des
Armes au mesme lieu ou la bataille s’estoit donnée, i’ose
dire que ceux qui viendront long-temps apres nous, entendront
sortir des cris des sepulchres par tout où l’on aura
combattu, & que ceux de qui les ancestres auront causé
toutes nos miseres, seront frappez de frayeur & de pitié à
cette mérueille prodigieuse. S’il est vray encore que les
villes d’Afrique qui estoient autrefois assiegées par des
Lyons n’en peurent estre deliurées que par le spectacle
des Lyons qu’on pendit aux aduenuës ; il est certain que la
France ne sera libre des Partisans qui l’ont pressée de toutes
parts, & qui l’ont reduitte aux extremitez dernieres,
qu’apres en auoir fait pendre par toutes les places publiques,
pour espouuanter les autres, & pour aller au deuant

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de ceux qui auroient le mesme dessein de la perdre. Pourueu
que la mort du Cardinal Mazarin deuienne l’exemple
des voleurs & des estrangers, la France se remettra de ses
desordres auec le temps, mais si on luy ouure des passages
pour sa sortie, & qu’on fauorise sa fuitte, elle doit auoir
aussi peu de sujet de se resiouyr, que celuy de qui on auroit
enleué tous les biens & brulé tous les heritages, & qu’on
voudroit consoler en luy remonstrant qu’on auroit sauué
l’autheur de son desespoir & de sa misere. De quelques
trouppes que nos ennemis se puissent preualoir tous les
iours, ils sucomberont enfin sous leurs propres forces, comme
ces bastimens qui creuent sous leur pesanteur ; ils esbranleront
vne Colonne comme Samson sous laquelle ils
feront perir plusieurs personnes, & ne manqueront pas de
perir eux-mesmes, & l’on dira d’eux pour leur gloire, ce
qu’on a dit d’Erasme pour les sciences, qu’ils eussent este
beaucoup plus grands, s’ils eussent voulu se contenter d’estre
moindres.

 

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SONNET.

 


Effroyables Autheurs de nos calamitez,
Ennemis de la paix qu’on nous faisoit attendre
Superbes criminels qu’on ne peut plus deffendre,
Des maux que nous souffrons, & que vous meritez.

 

 


Quels desordres nouueaux auiez vous meditez ?
Quels biens dans nos maisons vous restoit-il à prendre ?
Et voulez vous enfin mettre l’Estat en cendre,
Apres l’auoir saigné presque de tous costez ?

 

 


Ne vous flattez plus tant miserables impies,
Ne vous déguisez plus dangereuses Harpies,
La Fortune pour vous n’aura plus rien de beau

 

 


La Iustice apres vous iour & nuit occupée
Pour vous mieux reconnoistre a rompu son bandeau,
Et pour vous mieux punir a repris son espée.

 

D. B.

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