D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE GAZETTIER DES-INTERRESSÉ. , françaisRéférence RIM : M0_1466. Cote locale : A_3_72.
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LE
GAZETTIER
DES-INTERRESSÉ.

A PARIS,
Chez IEAN BRVNET, ruë Neuve S. Louys,
au Canon Royal, prés le Palais.

M. DC. XLIX.

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LE
GAZETTIER
DES-INTERRESSÉ.

Ceux qui attaquent le Cardinal Mazarin
par sa naissance, & qui en veulent faire
son premier crime, ou qui s’imaginent
que sa condition luy deffendoit d’approcher
de si pres des degrez du Throsne,
ne doiuent pas estre mis au rang des Sages ; & j’ose
dire que le feu mesme qui les échauffe, les aueugle en
cette rencontre. Nostre condition est vne ; il ny a que
la vertu qui nous distingue, & la noblesse ne peut pas
auoir tousiours esté vieille. Outre que ceux qui n’ont
point receu de faueurs de la nature, peuuent pretendre
legitimement à celles de la fortune, il est certain
que Dieu releue la bassesse, & qu’il abaisse la grandeur
quand il luy plaist, comme dit Chilon, & comme
l’Escriture nous l’enseigne, & que les Roys qui en
sont appellez les viuantes & les plus parfaites images,
peuuent limiter sans faillir, & faire quelque chose de
rien, par vne espece de creation qui ne doit pas tenir
lieu de miracle. Toutes les terres ne peuuent pas
estre si pretieuses que celles des Indes ; Toutes les tailles

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ne peuuent pas estre de Geans ; Tous les Princes
ne sont pas sortis de l’ancienne maison de Saxe, &
pour expliquer ma pensée par la remarque d’vne Histoire,
il n’appartient qu’à Seruius de coucher toutes
les nuicts auec la fortune. Il est mesme permis aux
particuliers de cueillir des rozes parmy les espines, de
choisir des perles dans le limon, & de tirer de l’ambre
du sable. C’est en cecy que la volonté des Roys peut
estre & leur excuse & leur loy, qu’ils sont endroit de
tirer des hommes naïs dans la fange & dans la poussiere,
pour les porter aux plus hautes charges, & que
leur choix est bien souuent vne marque de leur Iugement
& de leur conduitte. Ie n’en r’appelleray
point icy d’exemples, quoy que toutes les Monarchies
en soient pleines, & qu’on n’ait veu presque
autre chose dans tous les Empires. C’est assez pour
fermer la bouche à ceux qui déclament d’abord
contre le Cardinal Mazarin pour estre naï dans vne
pauureté honteuse ; & qui le treuuent digne de malediction,
pour ce qu’ils le treuuent auiourd’huy digne
d’enuie. Les personnes qui l’ont esleué au Cardinalat,
& au Ministere l’ont pû faire, pour ce qu’elles
l’ont voulu ; & comme ces personnes là mesmes
nous doiuent estre sacrées, nous ne pouuions nous
opposer à leur volonté sans quelque espece de Rebellion
& de Sacrilege. Mais comme vne femme
autrefois appella de Philippe endormy au mesme
Philippe eueille, nous pouuons aussi en appeller de
l’assoupissement au réueil, & de la Patience à la Iustice.
Le Cardinal Mazarin pouuoit bien mettre son
industrie en vsage, pour se lauer de la pauureté qui

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estoit vn second peché originel dans la famille de ses
peres ; Il pouuoit ioindre les vertus Chrestiennes aux
Morales & aux Politiques pour s’en défaire, & trauailler
pour son salut, pour sa gloire, & pour sa fortune.
Cependant cét amour abominable qui ne
cherche que les enfans, & qui n’en sçauroit estre iamais
le pere, a esté vne des premieres occupations de
sa vie ; il a connu ce vice, lors qu’il le pouuoit à peine
nommer, & s’y est abandonné dans vn âge, qui est
dans tous les autres, l’aage d’innocence. Dans ce commerce
pour qui les loix n’ont pû trouuer de moindre
punition que celle du feu, il fit depuis l’épreuue de ce
Tiresias de la fable, pour mettre toutes les abominations
en vsage ; & dans cét estat dont l’idée seule fait
trembler, il fut long temps le mary de ceux là mesme
dont il auoit esté la femme. Cette horrible galanterie
l’approcha de plusieurs personnes pour estre &
l’objet & le ministre de leur voluptés enragées ; de
leur galand & de leur maistresse ; il deuint en suite
leur maquereau, & s’efforça par toutes ses brigues de
leur procurer ce qu’il ne pouuoit plus leur vendre. Il
fut assez heureux dans cette negotiation scandaleuse ;
il tira d’abord quelque fruict de cette Ambassade, &
quand il se vit quelque argent, il se mit insensiblement
dans le ieu ; il introduisit ceux qui luy apprenoient
à pipper, & leur fit vendre souuent ses maistres,
à moindre prix que Iudas ne vendit le sien.
Comme il reüssit dans cette nouuelle trahison, &
qu’il crût pouuoir hazarder tout seul, ce qu’il ne faisoit
auparauant qu’en partie, il rencontra ce qu’il

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cherchoit, il fit auec le temps, vn grand nombre de
mal heureux & de duppes, & commença dés lors à
remplir les Hospitaux & les Monts de pieté de ses pechés
& de ses vsures. Il est vray que cecy ne succeda
pas tout d’vn coup, & qu’il faisoit quelquefois d’assez
grandes pertes pour vn homme à qui le moindre gain
deuoit estre considerable, mais il tiroit aussi quelquefois
des aduantages de ces pertes, pource que dans la
fureur du ieu, il se ioüoit enfin luy mesme, comme
ces peuples d’Allemagne, dont parle Tacite, & qu’il
deuenoit le confident Nocturne de ceux dont le hazard
l’auoit fait esclaue. C’est ainsi que son nom s’accrût
à Rome auec ses moyens, que ceux qui l’auoient
eu au lict, le voulurent auoir à table, & qu’ils l’assisterent
de leur faueur auec tant d’empressement, qu’il
fit tousiours depuis ou les delices ou l’esperance de
ceux qui n’estoient pas encore venus iusques à la derniere
bestialité. Il ne pouuoit oublier ce furieux amour
de luy mesme ny des autres, pource qu’il est
impossible de blanchir vn More, & d’effacer les diuerses
marques d’vn Leopard, pour me seruir des termes
de S. Gregoire de Nazianze, ou pour parler auec Hierocles
dans Aristophane, de faire marcher droit vn
Cancre. Apres cét apareil infame, il brigua l’amitié de
quelques personnes considerables ; il eut mesme quelques
emplois assez glorieux, & l’vn des successeurs de
saint Pierre ne voulut pas estre le dernier à la procurer
quelques auantages. Mais il ne menaga pas mieux ses
interests que ceux du Duc de Mantoüe, & de son Roy

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legitime, il leur fit voir qu’il pouuoit estre sacrilege,
traistre, & rebelle, & ne manqua pas d’estre tous les
trois dans vne mesme personne. Quoy qu’il eut sujet
de trauailler pour leur bien commun, il ne changea
ny de condition ny d’humeur, il retourna contre leur
creance à ses premieres fourberies, & ne put non plus
se défaire de son naturel auec des personnes de vertu,
que ce bouc de Mendez en Egypte, qui pour estre
enfermé auec des femmes fort belles, n’en deuenoit
/> pas plus amoureux, mais qui ne s’adonnoit qu’à
des Chevres.

 

Aristote dit, que les vns sont faits bons par la nature,
quelques vns par la doctrine, & quelques autres
par l’accoustumance ; & le Cardinal Mazarin voulut
témoigner qu’il estoit d’vn quatriesme ordre, & qu’il
ne pouuoit deuenir bon que par vn miracle.

Le Cardinal de Richelieu qui auoit connu son esprit,
& qui l’auoit gaigné par quelques pensions secrettes,
n’ût pas beaucoup de peine à corrompre vn
homme si corrompu ; il l’approcha de sa personne autant
qu’il luy fut possible, & trouua qu’il luy estoit necessaire
pour l’execution de ses desseins, de la mesme
sorte qu’il est necessaire qu’il y ait des bourreaux pour
l’execution des Arrests & des Sentences. La facilité
qu’il rencontra dans vn homme qui estoit de ceux
qui de Mammone se font des thresors d’iniquité, ne
le trompa point ; il se l’assuietit par ses dons & par ses
promesses, & luy procura de si bons offices, qu’il put
estre compté au nombre de ses plus heureuses creatures.
Le Cardinal Mazarin qui auoit esté l’Espion du

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Cardinal de Richelieu, se persuada qu’il en pouuoit
estre le riual ou le successeur ; & quand il se ressouuint
qu’on l’auoit honoré du Chapeau de Cardinal,
luy qui n’ut pas refusé mesme le Turban, s’il en eut
esté sollicité par quelque present considerable ; il porta
plus loing son ambition & son auarice, & voulut
estre Gouuerneur du Roy, & premier Ministre de son
Estat, pour estre plus aisément le fleau de ses peuples.
C’est dans ce Ministere naissant qu’il a fait languir
dans les prisons, ou des personnes qui n’estoient coupables
que de n’auoir pas affecté ses crimes, ou qui
n’ont esté mal-heureuses, que pour auoir esté innocentes,
& qui ne luy auoient esté peut estre suspectes
que pour auoir osé prier Dieu de le conuertir. C’est
dans ce Ministere naissant que les Beauforts & les
Houdancourts furent les premiers objets de sa rage,
pour ce qu’ils estoient trop genereux & trop gens de
bien pour en estre les instrumens, & qu’il considera
leur vertu comme vn obstacle, & comme vn rempart
qui s’opposeroit à toutes ses brigues. Il fit serrer etroittement
le premier au bois de Vincennes pour tascher
d’y estouffer des qualitez qui ont fait des Dieux dans
le Paganisme ; & pour venir à bout du second, il s’efforça
de gaigner vn Parlement, & de violer cette
Vierge d’Hesiode, cette belle Reyne du monde,
comme l’appelle Pindare, la Iustice en vn mot, dont
Platon fait le fondement & la colomne des Republiques
& des Monarchies. Ce fut alors vne chose étrange,
qu’vn ennemy de l’Estat fit emprisonner vn Prince
pour la seureté de l’Estat ; qu’vn voleur public

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pressast hautement la mort d’vn General & d’vn
Vice-Roy pour luy supposer ses mesmes crimes, que
Verres reprochast à l’vn le larcin, & que Milon en
voulut faire condamner vn autre pour meurtre.
Comme l’attouchement de l’Aconir n’infecte les
corps sains qu’auec peine, au rapport des Naturalistes,
& qu’il empoisonne aisément ceux qui sont
desia blessez ; Le Cardinal Mazarin fit toucher de
l’argent en cette occasion à plusieurs personnes, pour
reconnoistre les sains d’auec les malades, pour infecter
les vns, & pour s’assurer des autres, & trouua tant
de soumission dans les derniers, qu’on ne doute plus
que Monsieur le Mareschal de la Mothe, ne les ayt
eus pour ses parties, pour ses tesmoins, & pour ses Iuges.
Quoy que l’innocence ne soit gueres sujette à
la fiévre, il est certain toutesfois que ce grand homme
eut besoin de quelque autre chose pour ne pas
trembler, que le secours du Ciel luy fut extremément
necessaire, & que ceux qui vouloient renuerser son
bon droit par leur imposture & par leur opiniastreté,
deurent s’écrier que c’estoit là le doigt de Dieu, comme
s’écrierent les Magiciens d’Egypte, quand ils virent
que leurs illusions estoient ridicules, & que leur
faux serpens estoient deuorez par la verge de Moyse.
Les Princes & les Generaux d’armées, n’ont pas seulement
seruy de matiere à sa ialousie & à sa fureur, les
Magistrats qui l’ont espreuuée en plusieurs rencontres,
ont reconnu à leurs despens, ce que dit le Sage
dans ses prouerbes ? Qu’il n’est rien de plus insupportable
qu’vn valet quand il est vne fois deuenu maistre.

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Les vns ont acheué leur vie dans l’exil ; & le poison a
mal heureusement aduancé la mort des autres. Apres
n’auoir peu faire mourir sur les eschaffauts, ceux qu’il
n’auoit peu corrompre sur leurs sieges, il les a condamnez
par les arrests de sa Politique, & s’en est fait
des victimes propres pour faire craindre sa puissance,
où l’on ne craignoit point sa iustice Il n’est presque
point de Cour souueraine qui ne se soit veuë ou
seduitte ou deschirée dans quelques-vnes de ses parties ;
il a porté la diuision & le desordre, ou il n’a peu
porter le fer & le feu, & s’est fait vne entrée secrette
par les pensions, ou il deuoit estre en horreur par sa
cruauté. Il n’a pas esté satisfait de remplir les prisons
& les Hospitaux, comme il a remply les banques, il a
tiré de l’Eglise vn frere Moyne qui auoit fait vœu de
pauureté ; il a voulu que la Mythre & le Chappeau
marchassent de compagnie auec le froc, & qu’il fut
declaré Vice Roy en Catalogne pour confondre le
Noueeau Testament auec l’ancien, & pour adiouster
la Royauté au sacerdoce Il ne s’est pas contente de
proteger les Partisans, il en a creé de tous costez, &
n’a remply les meilleurs villes que de ces pestes publiques
pour profiter de leur malediction & de leurs crimes,
comme les Sacrificateurs d’Israel s’engraissoient
autrefois des pechez du peuple. Dans vn temps ou la
paix nous estoit promise de nos victoires, il en a retarde
les traittez les plus honorables pour auoir loisir de
faire transporter les larcins en Italie sous pretexte d’y
faire la guerre, & s’est rendu fameux & redoutable par
nos richesses, cependant que des armees entieres perissoient

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ailleurs, par la peste & par la famine. Il a voulu
que Lerida ayt eschappé à des personnes qui faisoient
la plus part des resioüyssances publiques, & de
qui les entrées dans les Villes auoient tousiours esté
autant de triomphes. Il a troublé Naples par ses brigues
pour y faire succomber vn Prince par ses artifices,
& pour faire chanter à nos despens & à nostre
honte de secondes Vespres Siciliennes à toute l’Espagne ;
& nous a fait battre au son des violons de Cremone,
comme ces pauures esclaues, dont parle Aristote,
que les Toscans foüettoient autrefois au son
des fluttes.

 

Apres cette verité, il est bien à craindre que les
estrangers ne nous fassent à l’auenir le mesme reproche,
qu’vn Orateur faisoit autrefois à ceux d’Athenes,
qu’ils ne traittoient iamais de la paix qu’en robes noires,
pour ce que c’estoit là la marque du dueil qu’ils
portoient des parens & des amis qu’ils auoient perdus
dans les sieges & dans les batailles. En effet, combien
d’enfans les Cardinal Mazarin a t’il desrobé aux Peres ?
Combien de marys a t’il enleué aux femmes ? Combien
de freres aux sœurs ? Combien de soldats aux Officiers ?
Combien d’Officiers aux Generaux, & combien
d’hommes à toute la France ? Le nombre en est
tel, & l’impieté qui a suiuy cette fureur, est encore
si fraische à nostre memoire, qu’il peut estre conuaincu
par sa bouche mesme, d’auoir changé des
Temples en Escuries, quelques-vnes de nos Prouinces
en deserts, & plusieurs villes en cimetieres.

Pour en faire rire quelques vns, cependant qu’il en

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faisoit pleurer vne infinité, il a tiré de l’Italie des farceurs,
de qui les postures n’estoient gueres plus honnestes
que celles de l’Aretin, qui faisoient profession
ouuerte d’introduire les Images de toutes les voluptez
scandaleuses par les yeux & par les oreilles, &
qui pour estre entendus auec moins de peine & auec
plus d’authorité, enseignoient à faire des maquerelages
de tout Sexe en plein Theatre, & ce qui n’est
pas moins étrange, dans vne maison Royale. Il en a
fait venir d’vne autre espece pour nous endormir au
son des Theorbes & des Guitarres ; & comme les
compagnons d’Vlisse enyurez du fruit qui leur fut offert,
oublierent leur pays, il a creu de mesme que nous
pourrions oublier tous les interests du nostre, apres
auoir este estourdis de cette musique. Mais estoit il
croyable que des machines qui nous auoient plus
cousté que toutes celles de la guerre ne fissent point
trembler d’horreur ceux qui en auoient la veüe ? Que
ces limonades qu’on y versoit auec vne profusion galante,
& qui auoient esté composées du sang de tant
de sujets fideles, ne laissassent aucune frayeur aux
plus alterés & aux plus stupides ? Que nous eussions
de l’admiration pour des Scenes toutes remplies
de nos souffrances & de nos miseres, & de l’amour
pour des spectacles qu’on nous faisoit achepter par
le sacrifice de tant d’innocens, & par la desolation
de tant de familles ? Estoit-il croyable qu’on deut
payer tant d’obseques & tant de ruines, par des Metamorphoses
d’Ouide, & par des fables d’Homere ?
Que tant d’ombres & tant de manes d’eussent estre

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appaisées par des Sarabandes Italiennes, & qu’vne
farce deut estre le prix de tant de victimes immolées à
l’ambition & à l’auarice. Le Cardinal Mazarin a creu
sans doute, qu’il seroit de cette dance, comme de
celle des Corybantes, qu’on ne pouuoit iamais voir
dancer sans estre épris de mesme fureur ; ou comme
Ælian nous asseure que les Pescheurs, attirent aisément
dans leurs filets les Pastenades de mer, quand
ils les diuertissent par quelque chant ; il faut dire de
necessité que ce Cardinal n’a pas eu meilleure opinion
des François que de ces poissons, & qu’il a creu
nous surprendre & nous appaiser par l’harmonie de
ces Courtisanes effrontées. Mais il auoit oublié que la
Musique estoit vne chose bien importune dans le
dueil, & sur tout dans vn dueil public ; que la France
n’en feroit pas moins que cét Empereur, qui songeãt
à la deffaite de ces Legions, ne cessoit de repeter :
Rends moy mes Legions Varus, & qu’elle crieroit
tousiours de mesme apres luy, rends moy mes enfans,
si tu veux que ie me console.

 

Du ieu de Barbare, il a passé a celuy de Phrenetique.
Apres auoir creusé des Sepulchres à tout vn peuple,
il a fait esleuer vn Palais à des Cheuaux, & ie ne
sçay pas mesme, s’il n’a point eu vn dessein secret
d’en porter quelqu’vn aux premieres dignitez, & de
le traitter auec le mesme appareil, que cét abominable
Empereur traittoit le sien, qui luy faisoit manger
son auoine dans des vases d’or, & qui auoit entrepris
de le faire Consul de Rome. A n’en point mentir, il y
a de l’estonnement. & de la honte, à voir des Princes

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incommodez, ou des Cheuaux ont des appartemens
superbes, & la posterité aura peine à croire qu’vne
curiosité cruelle ait basty des Escuries de ruine de
toutes nos villes.

 

Le soin qu’il a eu de ses domestiques de manege &
de voiture, ne luy a point fait perdre celuy de ses
Niepces, pour fortifier sa tyrannie, par lappuy des
plus puissantes maisons de France ; & c’est pour cette
raison qu’il a tourné ses yeux du costé de l’Arsenal,
du Chasteau Trompette, & de Richelieu, & qu’il
s’est proposé d’auoir pour Gendres des grands Maistres
d’Artillerie, des Colonels de l’infanterie Françoise,
& des Generaux des Galeres. Ces mariages qui
auoient esté conceus auec grand éclat, n’ont pas esté
pourtant enfantez auec grand succez, & le bruit n’en
a pas plus duré que la vie de ces animaux ; du Pont
dont vn mesme iour, à ce qu’on dit, voit la mort &
la naissance. Pour faciliter vn si haut dessein, il auoit
fait mettre des imposts sur toutes les marchandises ; il
auoit taxé pour leur mariage toutes les necessités de la
vie, & peu s’en est fallu qu’il n’ait en vn point resuscité
Vespasian qui auoit imposé des tributs sur les vrines.

On s’est mis souuent en peine de le porter à de
meilleurs sentimens, on luy a representé les miseres
& les cris du peuple, mais on la tousiouts trouué
sourd, comme on l’auoit trouué aueugle, & quoy
qu’on ayt peu faire pour le persuader & pour le conuaincre
par nos souspirs & par nos larmes, il a tousjours
esté comme cette Medée de l’ancienne Tragedie
qui voyoit le mal, & qui ne pouuoit se deffendre

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de la suiure. Aussi n’a-t’il pas esté de ses oreilles, comme
ce Temple des Ionides, dont parle Pausanias,
dans lequel on n’estoit pas plustost entré qu’on se
sentoit libre de toutes ses maladies, mais plustost
comme de ces portes que les anciens appelloient
maudittes qui ne receuoient point de choses pures ny
sainctes, & qui ne donnoient passage qu’aux hosties
d’execration & à toutes sortes d’ordures. Il ne falloit
qu’estre cruel pour meriter son estime ; celuy qui
donnoit le plus d’aduis auoit aupres de luy le plus de
credit, & qui n’estoit point ennemy du peuple, ne
pouuoit pretendre à son amitié. C’est dans la foule
execrable de ces Conseillers interessez, qu’il a renoncé
ouuertement à la dignité de son ministere, & au repos
de son ame, qu’il a fait tant d’orphelins & tant de
veufues ; qu’il s’est enrichy de nos desordres, & qu’il
a trahy tous les sentimens de la Religion & de la nature.

 

Cét Anatheme que Dieu prononce aux reprouuez
fait trembler ! Allez maudit au feu eternel ; mais il
doit estre espouuentable à ce mal heureux, quand il
en adiouste la cause. Pour ce que i’ay eu faim, & que
vous ne m’auez pas donné à manger ; Que i’ay eu soif,
& que vous ne m’auez point presenté à boire ; Que ie
passois & que vous ne m’auez point offert de retraitte ;
Que i’estois nud & que vous ne m’aués point couuert ;
Que i’estois malade, & que vous ne m’auez point soulagé ;
Que i’estois prisonnier, & que vous ne m’auez
point rendu de visite. O Ciel ; s’écrie le grand Euesque
d’Hippone, si celuy qui a refusé du pain est precipité

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dans les flammes eternelles, à quelles cheuttes doiuent
estre reseruez ceux qui dérobent le pain d’autruy ?
Si celuy qui n’a pas donné des habits à son prochain
est damné, que peut estre celuy qui s’est enrichy
de ses despoüilles ? Si celuy qui n’a pas receu les
passans doit necessairement perir, que doiuent attendre
ceux qui vsurpent leurs heritages ? Si celuy qui
n’a point visité les prisonniers est condamné par vn
arrest sans appel, que doiuent attendre ceux qui ont
changé les villes en autant de Conciergeries ; & si
ceux qui ne font pas le bien, sont menacez d’vne peine
si horrible, de quels supplices doiuent estre persecutez,
les empoisonneurs, les traistres, les vsurpateurs,
les meurtriers, & les sacrileges ? Si ce grand
Sainct dit ailleurs, que Dieu est dans soy mesme,
comme le commencement & la fin dans le Ciel,
comme vn Roy dedans son throsne ; dans son Eglise
comme vn pere de famille dans sa maison ; dans le
monde comme vn Gouuerneur dans sa Prouince ;
dans le iustes comme vn Azile, & dans les reprouuez
comme horreur & tremblement, de quel sorte peut-il
estre dans ce Cardinal, qui comme vn autre Attila
peut estre appellé le fleau de Dieu ? Comme on dit
qu’vn Ancien voyoit tousiours sa figure de quelque
costé qu’il cheminast ; on ne peut douter que ce miserable
n’ait tousiours ses crimes deuant ses yeux en
quelque lieu qu’il puisse aller, & que ses diuertissemens
ne deuiennent enfin ses furies. Le meschant
peut trouuer des retraittes, disoit Epicure, mais il n’y
peut treuuer d’asseurance, pour ce que le peché ne

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sçauroit estre impuny, & que le chastiment du mal
est dans le mal mesme,

 

Il n’a pas seulement vomy son venin contre les
hommes, il l’a mesme vomy contre Dieu dans la persecution
de ceux qui annonçoient sa parole, & n’a pu
laisser en repos les Ministres de son Euangile. C’est
ainsi qu’il en a fait emprisonner quelques vns, &
qu’il a interdit la chaire aux autres ; qu’il en a espouuanté
quelques-vns par le bannissement, & quelques
autres par les menaces, comme si on ne pouuoit
estre innocent à prescher vn Dieu, & qu’il eut
entrepris de s’opposer à la gloire de celuy qu’il est
obligé de craindre. Apres auoir veu qu’il n’estoit pas
du siecle des fables, & qu’il ne pouuoit estre le successeur
de ces vieux Titans de son païs, qui oserent
attaquer les Dieux iusques dans le Ciel, il a eu la hardiesse
de porter vne partie de sa fureur iusques sur le
siege de S. Pierre, de se declarer contre le Pape, apres
auoir fait assassiner vn de ses nepueux, & de proteger
ouuertemẽt contre luy des personnes, que des larcins
publics auoient renduës criminelles au premier chef
de les rappeller au milieu de ce Royaume, & de les remettre
dans leurs charges, quoy que leurs mains fussent
encore toutes rouges du sang d’vn Escuyer de
l’Ambassadeur de France. Mais comme toutes ces
impietez s’attachent directement au Dieu que
nous adorons, & qu’il ne veut point reconnoistre,
c’est à luy à prononcer quelque iour ce qu’il a resolu
dans ses decrets eternels, & à faire esclatter comme
il luy plaira, sa misericorde ou sa iustice.

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Nous nous plaignons seulement icy, que le Cardinal
Mazarin se soit paré de nos ornemens, qu’il se soit
fait grand de nos pertes, & qu’il compose encore aujourd’huy
ses triomphes de nos gemissemens & de
nos miseres. Nous nous estions contentez de souspirer
dans nos familles : Nos plaintes n’estoient point
sorties de nos maisons : Nostre lict & nostre foyer
auoient partagé toutes nos larmes, & nous n’auions
eu pour tesmoins de nostre murmure, que nos freres,
que nos enfans, & nos femmes. Mais depuis que
nous auons veu qu’il s’est emparé ouuertement de
l’Estat, qu’il nous a desrobé nostre Prince legitime,
qu’il l’à mesme enleué de nuict, sans auoir égard à sa
personne sacrée, ny au mal-heur qui pouuoit suiure
la delicatesse de son temperament & de son aage, &
qu’il nous a voulu presser par la guerre & par la famine,
nous nous sommes fortifiez contre ses attaques,
& nous n’auons pas moins fait que ces ouuriers, qui
pour trauailler plus seurement aux murailles de Ierusalem,
tenoient la truelle d’vne main, & l’espée de l’autre.
Nous auons reconnu que ce Ministre ambitieux
estoit prest de se faire vne puissance legitime de l’vsurpation,
& qu’il ne luy restoit plus rien à faire, apres
s’estre mis au dessus des loix, & au dessus des Magistrats
qui sont commis à la distribution de la iustice.
Nous auons remarqué par la suitte & par la violence
de ses desseins, qu’il auoit charmé la plus part des
grands, & qu’il auoit esbloüy des Princes pour qui
les Poëtes les plus des interessez ont fait éclatter des
Odes qui ne valent gueres moins que des Hymnes,

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& pour qui les Orateurs les plus celebres ont fait des
Panegyriques qui eussent passé dans d’autres siecles
pour autant d’Apotheoses. Nous auons veu que ces
Princes mesmes ont imposé des loix & des chaisnes à
des ennemis estrangers, cependant qu’ils souffroient
vn ennemy domestique ; qu’ils ont estendu nos
frontieres par la force, & par le bon heur de leurs armes,
cependant qu’ils laissoient dans l’Estat vn monstre
qui affligeoit toutes nos villes, & qui desoloit toutes
nos campagnes ; & que nous faisions des feux de
joye dans les rües pour des ennemis vaincus, cependant
qu’vn tyran allumoit le feu dedans nos maisons,
ou qu’il y pilloit toutes nos richesses. Par là nous auons
veu qu’il vouloit nous empescher d’auoir vne espece
de veneration pour leur bras & pour leur conduitte,
& qu’il auoit entrepris de leur desrober toute la gloire,
que l’enuie mesme ne leur ose refuser, puis qu’il
disputoit diuersement auec eux l’auantage de se faire
craindre ; qu’il humilioit les François iusques à la derniere
consternation, lors qu’ils gaignoient des places
& des victoires sur les estrangers ; qu’il rendoit icy redoutable
l’authorité qu’il y auoit prise, lors qu’ils faisoient
ailleurs des sujets ou des prisonniers ; & qu’il
oposoit au spectacle & au ressouuenir de leurs triomphes,
celuy de nos funerailles. Nous auons veu qu’il
a precipité la mort de plusieurs personnes, pour ne
leur laisser pas mesme la langue libre ; qu’il a fait des
criminels de tous ceux dont il n’a peu faire des bourreaux,
& qu’il a corrompu par ses maximes dangereuses
la pluspart de ceux qui l’ont approché, comme

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ont dit que les Thibiens infectoient ceux qui auoient
vne fois receu leur haleine. Nous auons veu qu’il a
chassé d’aupres du Roy ceux qui auoient esté commis
dés long temps à la garde de sa personne sacrée, que
leur retraitte n’a gueres esté meilleure qu’vn exil, &
qu’ils n’ont esté mal heureux que pour auoir esté trop
fideles. Nous auons craint dés lors que le Cardinal
Mazarin qui taschoit d’esloigner d’aupres du Roy
tous les gens de bien, & tous les hommes de remarque,
& qui en approchoit des personnes tres suspectes,
n’eut des desseins tres pernicieux à l’Estat, qu’il
ne voulut faire vne Cour nouuelle, à force d’y introduire
des estrangers & des mercenaires ; qu’ils ne deuorassent
les peuples apres les auoir suçez, & qu’ils
n’en fussent les tygres, apres en auoir esté les sangsuës.
Nos Plaintes n’eussent pas esté iusque au desespoir,
s’il n’eut pris de nos biens qu’en faisant chemin,
comme on dit que le chien ne boit de l’eau du Nil
qu’en passant, & s’il se fut contenté de nous tondre
sans nous escorcher. Mais il a fallu que nos ressentimens
ayent esclatté auec nos mal heurs, quand nous
auons veu qu’on ne pouuoit, ny le saouler, ny le remplir ;
& nous auons reconnu auec vn des Sages de
Grece, que celuy qui entreprendroit de guerir la conuoitise
d’vn auare en le voulant rassassier de richesses ;
feroit la mesme chose que le Medecin qui conduiroit
vn hydropique aux fontaines. La raison & l’experience
nous ont fait voir qu’en luy fournissant des
tresors, nous luy fournissions des armes qu’il employoit
à nous combattre, qu’il entretenoit nos ennemis

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par nostre argent mesme, & qu’il ne pouuoit estre esleue
que sur nos ruines.

 

En effet, quelle apparence y auroit-il qu’vn homme qui vouloit
oster au premier & au plus auguste de nos Parlemens, l’ancienneté
de ses priuileges, l’authorité de ses loix, & toutes les marques
de sa grandeur, deut auoir en suitte du respect & de l’amour
pour les autres, qu’il laissast subsister vn corps dont il retranchoit
le cœur & la teste, & qu’il ne tarit pas les ruisseaux
apres auoir espuisé la source.

Il est de l’authorité du Roy comme de la lumiere du Soleil qui
se respend doucement par tout, & qui ne fait de mal qu’a ceux
qui n’en peuuent souffrir l’éclat, & de l’authorité des fauoris
comme de la Lune qui n’esclaire qu’autant qu’elle est esclairé.
Mais quand les fauoris ne sont pas contenté du pouuoir qu’on
leur communique, qu’ils veulent retenir ce qu’on ne fait que leur
prester, qu’ils violent & qu’ils profanent ce qu’on leur confie,
& qu’ils vsurpent le droit qu’on ne leur peut accorder, il y va de
la conscience des Magistrats, & de la generosité des peuples de
remedier à l’insolence de ces tyrans, & d’arrester des hommes
qui courent quand ils doiuent simplement marcher. Quelques
indiffetentes ou quelques obscures que puissent estre les loix
dans les Estats, il y en a tousiours quelqu’vne qui s’oppose diuertement
à la violence des Souuerains ; pour ce que la Religion qui
s’y exerçe, explique ce qu’vn Prince doit éuiter, & ce qu’il doit
suiure. Quelle difference y auroit il entre l’vsurpation & la souueraineté
legitime, entre les tyrans & les Roys, entre les sujets &
les esclaues. Depuis quand les Souuerains qui sont appellez les
Pasteurs du peuple, en doiuent-ils estre les bouchers, & qu’elle
est la loy qui nous dispense de toutes les autres ? S’il est vray qu’vn
Roy soit dans son Estat, ce qu’est vn Pere dans sa famille, & que
les peuples soient aux Roys ce que les enfans sont aux peres ; est-il
pas croyable que l’Escriture qui deffend aux peres d’irriter
ceux qui leurs sont redeuables de la vie, fait la mesme deffence
aux Roys au regard de ceux qui leur doiuent de l’obeyssance. La
Philosophie a-t’elle mis iamais la barbarie au rang des vertus
Morales ? La Politique a-t’elle fait vne iustice de la rage ? Et la
Theologie a t’elle prononcé des arrests qui nous obligent de

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croire que la cruauté fasse vne des conditions desoints & des
Images de Dieu ? Que peut donc estre deuenuë cette vnion, ou
plustost cette vnité de la clemence des Souuerains, & de l’amour
des sujets ; Par quel exemple le Cardinal Mazarin a-t’il diuisé
deux choses qui n’en font qu’vne en telle rencontre ? Et par quel
secret a t’il entrepris de rendre des Roys glorieux par le malheur
de leurs peuples qui n’ont iamais eu pour eux que des obeïssances
& des benedictions publiques. Est-il tombé dans la maxime
furieuse de cet Empereur ; Qu’on me haïsse pourueu qu’on
me craigne ? A-t’il iugé qu’il estoit de nous, comme de ces bestes
farouches, qu’il est plus aise de combattre que d’appriuoiser ? Et
s’est-il persuadé qu’vn throsne ne pouuoit mieux estre affermy
que sur des sepulchres : Certes la bonté des Princes & l’amour
des peuples font deux choses inseparables ; ce sont ces deux caracteres
des Hebreux, dont l’vn est nommé par eux la gauche, ou
l’obeyssance par qui le Prince est redouté des estrangers, & la
nomment le glaiue de Dieu, & l’autre la droitte qui le fit aimer
à qui ces Hebreux mesmes ont donné le nom de Clemence, &
qu’ils appellent le Sceptre de Dieu.

 

Le Cardinal Mazarin a tout confondu, cependant sous le
nom du Prince ; il a prostitué son caractere & sa volonté absoluë
dans tous ses ouurages propres ; & comme s’il eut eu dessein de
rendre son regne odieux à tous les hommes, il l’a fait le tyran &
le meurtrier de ceux qui le demandent, comme leur Roy legitime,
& qui le reconnoissent comme leur veritable Pere.

Mais apres auoir manqué dés long-temps à ce que la Religion
à de plus sainct & de plus sacré, il n’a pas eu beaucoup de peine
à manquer à la Politique ; apres auoir mesprisé les commandemens
de Dieu, il luy a esté facile de violer les loix humaines, &
de rendre son ambition plus grande & plus forte que la coustume
& le droit des gens. Il n’a regardé l’Estat que de costé qu’il luy
pouuoit estre vtile, il n’a consideré la Iustice que par son bandeau,
& sans reflechir sur cette peinture Morale ; il s’est persuadé
qu’elle estoit aueugle comme la fortune. Dans cette opinion
criminelle, il n’a laissé au Roy que le titre ; & n’a laissé que l’ombre
de la Regence à la Reyne ; & pour des honorer les premieres
années du Fils & les dernieres années de la Mere ; il a voulu

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faire le Roy & le Regent tout ensemble ; il a desposé des charges,
des emplois & des benefices, & s’est mis en possession de
tout ce que les Roys ont en propre. C’eut esté peu pour luy s’il
n’en eut encore passé les limites ; & quand il s’est treuué des
personnes qui luy ont conseillé depuis peu de trauailler au bien
de l’Estat, il en a parlé auec des sentimens de vray François, &
n’a pas moins fait en cecy que ce Grachus, qui parloit au rapport
de Ciceron, comme vn Procureur Fiscal de la Republique Romaine,
cependant qu’il en dissipoit toutes les Finances.

 

Pour empescher que nous respirassions dans le port apres la
tempeste, il a treuué des obstacles à la paix qui n’en auoit point
d’elle mesme, & n’a peu souffrir qu’vn Prince tout genereux &
tout sage, esteignit par sa conduitte & par sa bonté, vne guerre
qui n’a fait depuis si long-temps, qu’vn brazier espouuentable
de toute l’Europe. Quelle consolation & quel remede pouuions
nous donc esperer d’vn Ministre qui n’estoit gras que du
sang des peuples ? D’vn Cardinal qui mettoit tout en vsage pour
abolir ou pour profaner nos plus augustes Misteres ? Et d’vn
Medecin qui ne guerissoit les maladies, qu’en faisant mourir les
malades. S’il est vray ce qu’a dit vn ancien, que le premier bonheur
estoit de ne naistre point, & le second celuy de mourir
bien-tost ; il eut esté aduantageux pour nostre salût, que la vie du
Cardinal Mazarin eut esté simpment imaginaire comme celle
des dragons, & des Harpies de la Fable, ou qu’il n’y eut eu
pour le moins que quelques heures entre son berceau & sa sepulture.
Les larmes qu’vn Sage appelle le sang d’vn cœur meurtry
n’auroient pas si long temps coulé sur nos iouës ; nous serions encore
à faire entendre nos plaintes, & nous n’aurions pas esté la
proye des maux qui eussent arraché des gemissemens publics de
la constance des martyrs, & de la Philosophie des Stoiques. C’est
pour cette raison que les plus patients & les plus stupides se sont
resueillé de leur assoupissement honteux, que les peuples se sont
esleuez à la confusion & à la perte de ce Ministre, & que le Parlement
a renouuellé ses coups & ses arrests contre les vsurpateurs
estrangers, comme les Grecs foüettoient autrefois les Ilotes
de temps en temps, pour leur faire ressouuenir de leur condition
premiere. Il ne pouuoit ny mieux faire ny retarder dauantage,

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& si les Philosophes de Perse s’estudioient autrefois à faire
mourir les rats & les souris ; dans la creance qu’ils auoient que
leur Dieu les auoit en execration, il ne faut point douter que les
Magistrats n’ayent esté iustes, quand ils se sont esleuez à la ruine
d’vn homme qui est deuenu fameux par l’excez de tant d’impietez
inoüies, & pour le nombre de ses sacrileges. Le dernier
effet qu’il fait, est vne marque de son impuissance ; il vomit tout
le venin qui luy reste & redouble sa fureur quand il n’a plus dequoy
la faire durer, comme ces flambeaux qui redoublent leur
lumiere quand ils sont prests de s’esteindre. Quoy qu’il en soit, il
faut que nos bonnes œuures esloignent de nous vn tyran que
nos pechez auoient attiré dans ce Royaume, que nous nous
seruions mesme, s’il est besoin de Processions generales contre
ce monstre, comme on s’en seruoit autrefois quand quelqu’vn
estoit apparu dans vne contrée, & qu’enfin nous esperions que
Dieu exaucera les gens de bien dans cette ville assiegée de tous
costez, par la mesme misericorde qui a exaucé le bon larron dans
la Croix, Iob sur le fumier, Hieremie dans la fange, Daniel
dans la fosse aux Lyons, & les trois enfans au milieu de la fournaise.

 

D. B.

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D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE GAZETTIER DES-INTERRESSÉ. , françaisRéférence RIM : M0_1466. Cote locale : A_3_72.