D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE GENIE DEMASQVÉ ET LE TEMPS PASSÉ ET L’ADVENIR DE MAZARIN. Par vn Gentil-homme Bourguygnon. , françaisRéférence RIM : M0_1493. Cote locale : C_5_31.
SubSect précédent(e)

LE TEMPS PASSÉ ET LADVENIR,
& le Genie demasqué de Iulle Mazarin.

CEVX qui font estat de suiure la verité
sans passion ; confessent que vous
auez rendu quelque seruice à la France ;
mais que vous le luy auez du depuis
vendu bien cher. On peut mettre
les choses si hautes que le pris en dégouste. On veut de
la proportion : c’est le Ciment de la societé. Quand par
les excez elle s’en trouue bannye, & que les concussiõs
& les rapines tiennent lieu de recompense, on est dispensé
de toute sorte de reconnoissance. Si quelqu’vn
en rend, rien ne luy peut porter que la bonté. Le peuple
de Paris vous là tousiours tesmoignée extraordinaire,
& vous mesme ne l’aués que trop connu,
mais vous auez mal profité de vostre connoissance.
Il ne laisse pas toutefois auiourd’huy de vous assurer
que tous les Manifestes que lon a publiez, ou l’on
tesmoigne qu’il vous hayt, sont des effets sans son approbation ;
tant s’en faut il vous ayme de telle sorte
que s’il vous tenoit, chacun ne vous pouuant auoir
entier, il s’essayeroit d’en faire des pieces, afin d’auoir
vn petit de vos reliques pour la conseruation de vostre
memoire. C’est le seul respect qu’il peut rendre aux

-- 3 --

plus saints ; voyes l’estime qu’il fait de vostre personne,
& a quel point il porte le souuenir de vostre office !

 

On fait tout ce qu’on peut pour le destourner de ce
sentiment, mais en vain ; & quoy qu’on luy puisse dire
a vostre desauentage, il n’en croit rien. Vos déportemens
l’ont si fort persuadé de tout ce que vous auez
dans l’ame, qu’il ny a pas moyen de l’informer du contraire.
Il attribue tout à la medisance, vous estes vn
homme de bien, on vous fait tort, vous ne faites rien
pour estre loué du public, toutes vos affaires se font en
secret ; & bien souuent vostre main droite, ne sçait pas
l’action de la gauche, vous n’en voulez pas vne au iour
tant elles sont innocentes ; tesmoin la derniere, ou la
lumiere fit peur à vostre sortie. C’estoit asseurement
pour éuiter les applaudissemens & les benedictions du
peuple, le bruit & les cris de cette grande populace
auroit blessé vos oreilles à ce depart ; elle espere aussi
que vous n’aurez point d’autres influances sur vos
desseins que celles de l’Astre qui vous a conduit : du
peu elle va au plein, & du plein au peu ; ce n’est pas
merueille, la fin doit respondre au commencement. La
personne du Roy que vous auez conduitte à S. Germain
(les autres disent enleuée) & que vous tenez pour
seruir d’instrument à l’attante de vos beaux proiets ;
mettra sans doute tous vos excez auec tous ceux de
vos adherans à couuert : vous n’auez qu’a croire cela
pour estre sauué.

Ne voit on pas bien que tout ce qu’on a fait contre
vous est extraordinaire ? suiuant la cause les effets.

Les esclaues de vostre cabale disent que ceux qui

-- 4 --

vous ont deuancez en ont bien fait d’autres, lesquels
n’ont pas eu cette mesme conioncture, ce n’est pas
ma faute, il faut croire que leur violence a esté moderée
par vne prudence qui les passe & qui vous passe.
On les a veu Gouuerneurs de Prouinces, auoir à leur
discretion, les plus fortes places du Royaume, posseder
les plus hautes dignitez de l’Estat, les Duchez, les
Comtez, quantité de belles maisons &c. Vous ! vous
n’auez rien de tout cela, d’autres disent qu’il n’a tenu
qu’a vous, & que vous auez dequoy les auoir, mais
qu’ayant iuré en vous mesme la perte de la France,
vous en vouliez tirer le meilleur & le plus facile a
transporter, afin qu’elle ne fut pas totalement (ny
sans y trouuer vostre compte) impliquee dans cette
disgrace, vous n’estes pas peu beste si vous auez eu
cette preuoyance. Pour l’amour de Dieu ostez les
esprits de peine, qui croira on ? il n’y a que vous seul
au monde capable de desuoiler ce mystere, la curiosité
en est fort belle, moy mesme au quel il apartient
de descouurir toutes les choses, si vous ne m’aydez,
ie n’en viendray iamais à bout.

 

Ils adioustent encore que pendant vostre administration
vous n’auez vsé d’aucune voix de fait, quoy
que vous en ayez assez eu de suiet, cela se peut tolerer,
les autres si tost qu’ils auoient vn ennemy, remuoient
Ciel & Terre pour en voir la fin, vous au contraire,
vous vous contentiez d’apprendre qu’ils estoient en
prison. Vostre politique en cela, à ce qu’on dit, à
eu plus d’inhumanité seule, par cette espece d’inquisition
tacite, que tous les autres ensemble.

-- 5 --

Faire mourir vn homme promptement, c’est le tirer
de tous ses maux : luy prolonger sa vie parmy les
langueurs, c’est luy donner mille fois la mort, le ne
vous dis rien qui ne vous puisse étre confirmé par l’experience
de ceux que i’ay veu & que ie voy endurer ;
ils ayment bien mieux mourir que viure, le premier
termine leurs miseres, & le second enfomente la continuation.
Ce n’est pas viure de souffrir tousiours,
c’est estre proprement damné. On souhaitte vne fin
par ce qu’elle acheue l’œuure, & c’est ou tendent
d’ordinaire tous ceux qui sont miserables. C’estoit
ou vous nous conduisiez : nous y touchions du bout
du doigt : si vous eussiez eu vn petit plus de patience
nous y estions : pour se trop precipiter on se pert : toutes
vos entreprises sont de cette nature : peut on attendre
autre chose d’vn homme duquel toutes les
actions de sa vie ont tousiours esté en poste ? les habitudes
contractees ne se desracinent pas aysement : il
y a bien à craindre aussi, quand on va si viste : vostre
promptitude en tout a esté extreme vous auez commencé
vostre fortune par ou les autres l’ont finie :
vous pourriez bien finir par ou les autres ont commencé.
Il falloit imiter l’escreuice & ne nous la pas
faire imiter : mais vous l’auez voulu emporter d’vn
autre ait, le moyen de vous suiure ? qui ne se donne
le loisir d’auoir soif, ne sçauroit prendre plaisir a boire :
l’abondance que vous auez eu d’abord, ie ne scay
par quelle fatalité, au lieu de vous degouster, vous à
dauantage aiguisé l’appetit. Qui sçait moderer sa
conuoitise se fait moins d’ennemys. Vous vous estes

-- 6 --

trop exalté, vous serez sans doute humilié. Les choses
pour lesquelles vous auez tant sué, & ou vous auez
mis entierement vostre salut, fairont infailliblement
vostre perte. Si vous n’auiez rien du tout on ne songeroit
pas à vous. Vos larcins seront le motif de vostre
persecution. Vous auez persecuté tout vn monde
pour les auoir, & possible vne bonne partie du
monde vous persecutera pour les rendre. De la mesme
mesure que vous auez mesuré on vous mesurera
Y a il rien de plus iuste ? chacun pillera ce que vous
auez ramassé de chacun, mais le malheur est que chacun
ne ramassera pas ce que vous luy auez pillé.

 

Vous estiez si bien, qui vous a obligé de commencer
ce dernier bransle ? il ne sçacheuera pas a
vostre aduantage ; & ie tiens pour certain, quelque
mine que vous fasiez, que vous en voudriez bien
estre dehors ; aussi bien que ceux qui ont fomenté
vostre party. On ne s’estonne point qu’ils se soient
ioints auec vous, les choses semblables s’vnissent
facilement : Ne vous flattez point, il n’y a si petit garçon
de boutique qui ne cognoisse & qui ne die, que
quoy qu’il arriue il faut que vous perissiez. Autant de
desseins que vous auez formé pour les affaires d’Estat,
autant de pas de clerc, & le plus lourd de tous c’est
d’auoir fait cognoistre au peuple ce qu’il peut. C’ette
playe saignera long temps : c’est vne bresche que
vous auez fait à l’Estat laquelle ne se reparera pas si
facilement que vous pensez : mais que vous importe ?
comme vous ne vous souciez pas beaucoup de ce qui

-- 7 --

luy arriue, vous vous soucierez encor moins de ce
qui luy arriuera. Vous aurez deuancé par vostre cheute
le bon-heur ou vous aspiriez par vostre course, &
vostre ambition n’ayant rien eu de si haut que son interruption,
faira voir a la posterité que vous estes iustement
arriué (sans auoir dessein d’y aller) ou vous
deuiez pretendre. Passer au delà de ses forces c’est
aller contre la raison. Si vous eussiez connu vostre
pouuoir, vous eusiez moderé vos desseins. La mediocrité
plaist, mais la surabondance fait horreur. Il
vous falloit éuiter les extremes sans vous ietter dãs leur
precipice. Plus vostre ame s’est emplie plus elle s’est
eslargie, & vous auez creu que si vous n’auiez vn Royaume
entier pour vostre possession, vous ne deuiez
pas estre content : c’estoit à quoy vous trauailliez le
plus, mais vous auez compté sans l’hoste. Vous vouliez
le peuple ou il ne se vouloit pas, & le peuple vous
veut ou vous ne vous voulez pas. Le moyen de vous
accorder ? cette antipatie, a ce qu’on dit, vous deuoit
obliger a faire vostre pacquet, ce conseil est trop aduantageux
pour vous : si vous le pratiquiez l’execution
n’en pourroit estre que fascheuse : vous triompheriez
en toute façon des François : pour moy ie vous
coniure de demeurer, afin que la France face son
pacquet de vous. Les actions reciproques ont quelque
chose de iuste. Ne sçauez vous pas que la mutabilité
est mon principal fondement ? ie va, ie viens
ie demeure tousiours, & si ie ne suis iamais le mesme.
Toutes choses m’imitent : l’exemption sera elle pour
vous seulement ? vous auez assez tenu en bride la liberté
du peuple, il est raisonnable qu’il y tienne la

-- 8 --

vostre a son tour. On se contente d’estre assuietty à vn
seul : la Royauté ne veut point de compagnon. Ie
vous entens auant que parler, vous allez recourir à la
diminution de l’authorité Royalle pour vous mettre à
couuert : ce pretexte est euenté, c’est la vostre qu’on
veut destruire, auec celle de tous ceux qui seront iamais
mis en vostre place c’est pour qu’oy on vous descouure.
Les Princes d’apresent n’en possedent que
le tiltre, & vos semblables l’effect. C’est donc l’authorité
du Roy que nous cherchons pour la luy conseruer
entiere, & non pas la vostre, que nous voulons
mettre abas. On ne vous fait point de tort de vous
rendre ce qui vous est deu. Cela vous fasche, parce
que vous ne voulez ny ne sçauriez souffrir aucun acte
de Iustice : vous l’auez assez monstré : si faut-il bien
tost ou tard vous y resoudre : ie fais vostre horoscope,
vous ne mourez iamais que par ses mains.

 

-- 9 --

pressast hautement la mort d’vn General & d’vn
Vice Roy pour luy supposer ses mesmes crimes, que
Verres reprochast à l’vn le larcin, & que Milon en
voulut faire condamner vn autre pour meurtre.
Comme l’attouchement de l’Aconit n’infecte les
corps sains qu’auec peine, au rapport des Naturalistes,
& qu’il empoisonne aisement ceux qui sont
desia blessez ; Le Cardinal Mazarin fit toucher de
l’argent en cette occasiõ à plusieurs personnes, pour
reconnoistre les sains d’auec les malades, pour infecter
les vns, & pour s’assurer des autres, & trouua tant
de soumission dans les derniers, qu’on ne doute plus
que Monsieur le Mareschal de la Mothe, ne les ayt
eus pour ses parties, pour ses tesmoins, & pour ses
Iuges. Quoy que l’innocence ne soit gueres sujette à
la fievre, il est certain toutesfois que ce grand homme
eut besoin de quelque autre chose pour ne pas
trembler, que le secours du Ciel luy fut extremémẽt
necessaire, & que ceux qui vouloient renuerser son
bon droit par leur imposture & par leur opiniastreté,
deurent s’écrier que c’estoit la le doigt de Dieu, cõme
s’écrierent les Magiciens d’Egypte, quand ils virent
que leurs illusions estoient ridicules, & que leur
faux serpens estoiẽt deuorez par la verge de Moyse.
Les Princes & les Generaux d’armées, n’ont pas seulement
seruy de matiere à sa ialousie & à sa fureur, les
Magistrats qui l’ont esprouuée en plusieurs rencontres,
ont reconnu à leurs despens, ce que dit le Sage
dans ses prouerbes ? Qu’il n’est rien de plus insupportable
qu’vn valet quãd il est vne fois deuenu maistre

-- 10 --

Les vns ont acheué leur vie dans l’exil ; & le poison a
mal heureusement auancé la mort des autres. Apres
n’auoir peu faire mourir sur les échaffauts, ceux qu’il
n’auoit peu corrompre sur leurs sieges, il les a condamnez
par les arrests de sa Politique, & s’en est fait
des victimes propres pour faire craindre sa puissance,
où l’on ne craignoit point sa iustice. Il n’est presque
point de Cour souueraine qui ne se soit veuë ou
seduitte ou déchirée dans quelques-vnes de ses parties ;
il a porté la diuision & le desordre, ou il n’a peu
porter le fer & le feu, & s’est fait vne entrée secrette
par ses pensions, ou il deuoit estre en horreur par sa
cruauté. Il n’a pas esté satisfait de remplir les prisons
& les Hospitaux, comme il a remply les banques, il a
tiré de l’Eglise vn frere Moyne qui auoit fait vœu de
pauureté ; il a voulu que la Mythre & le Chappeau
marchassent de compagnie auec le froc, & qu’il fut
declaré Vice-Roy en Catalogne pour confondre le
Nouueau Testament auec l’ancien ; & pour adiouster
la Royauté au Sacerdoce. Il ne s’est pas contenté de
proteger les Partisans, il en a creé de tous costez, &
n’a rempli les meilleurs villes que de ces pestes publiques
pour profiter de leur maledictiõ & de leurs crimes,
comme les Sacrificateurs d’Israël s’engraissoiẽt
autrefois des pechez du peuple. Dans vn temps ou la
paix nous estoit promise de nos victoires, il en a retardé
les traitez les plus honorables pour auoir loisir de
faire transporter ses larcins en Italie sous pretexte d’y
faire la guerre, & s’est rẽdu fameux & redoutable par
nos richesses, cependãt que des armées entieres perissoiẽt

-- 11 --

ailleurs, par la peste & par la famine. Il a voulu
que Lerida ayt eschappé à des personnes qui faisoiẽt
la plus part des resiouyssances publiques, & de
qui les entrées dans les Villes auoient tousiours esté
autant de triomphes. Il a troublé Naples par ses brigues
pour y faire succomber vn Prince par ses artifices,
& pour faire chanter à nos despens & à nostre
honte de secondes Vespres Siciliennes à toute l’Espagne ;
& nous a fait battre au son des violons de
Cremone, comme ces pauures esclaues, dont parle
Aristote, que les Toscans foüettoient autrefois au
son des fluttes.

 

Apres cette verité, il est bien à craindre que les
estrangers ne nous fassent à l’auenir le mesme reproche,
qu’vn Orateur faisoit autrefois à ceux d’Athenes
qu’ils ne traittoient iamais de la paix qu’é robes noires,
pour ce que c’estoit là la marque du dueil qu’ils
portoiẽt des parens & des amis qu’ils auoient perdus
dans les sieges & dans les batailles. En effet, cõbien
d’ẽfans le Cardinal Mazarin a t’il dérobé aux Peres ?
Combien de marys a-t’il enleué aux femmes ? Combien
de freres aux sœurs ? Combiẽ de soldats aux Officiers ?
Combien d’Officiers aux Generaux, & combien
d’hommes à toute la France ? Le nombre en est
tel, & l’impieté qui a suiuy cette fureur, est encore si
fraische à nostre memoire, qu’il peut estre conuaincu
par sa bouche mesme, d’auoir changé des Temples
en Escuries, quelques vnes de nos Prouinces en
deserts, & plusieurs villes en cimetieres.

Pour en faire rire quelques vns, cependant qu’il en

-- 12 --

faisoit pleurer vne infinité, il a tiré de l’Italie des farceurs,
de qui les postures n’estoient gueres plus honnestes
que celles de l’Aretin, qui faisoient profession
ouuerte d’introduire les Images de toutes les voluptez
scandaleuses par les yeux & par les oreilles, &
qui pour estre entendus auec moins de peine & auec
plus d’authorité, enseignoient à faire des maquerelages
de tout Sexe en plein Theatre, & ce qui n’est pas
moins étrange, dans vne maison Royale. Il en a fait
venir d’vne autre espece pour nous endormir au son
des Theorbes & des Guitares ; & comme les compagnons
d’Vlisse enyurez du fruit qui leur fut offert,
oublierent leur pays, il a creu de mesme que nous
pourrions oublier tous les interests du nostre, apres
auoir esté estourdis de cette musique. Mais estoit-il
croyable que des machines qui nous auoient plus
cousté que toutes celles de la guerre ne fissent point
trembler d’horreur ceux qui en auoient la veuë ? Que
ces limonades qu’on y versoit auec vne profusiõ galante,
& qui auoient esté composées du sang de tant
de sujets fideles, ne laissassent aucune frayeur aux
plus alterés & aux plus stupides ? Que nous eussions
de l’admiration pour des Scenes toutes remplies de
nos souffrances & de nos miseres, & de l’amour
pour des spectacles qu’on nous faisoit a chepter par
le sacrifice de tant d’innocens, & par la desolation
de tant de familles ? Estoit-il croyable qu’on deut
payer tant d’obseques & tant de ruines, par des Metamorphoses
d’Ouide, & par des fables d’Homere ;
Que tant d’ombres & tant de manes deussent estre

-- 13 --

appaisées par des Sarabandes Italiennes, & qu’vne
farce deut estre le prix de tant de victimes immolées à
l’ambition & à l’auarice. Le Cardinal Mazarin a creu
sans doute, qu’il seroit de cette dance, comme de
celle des Corybantes, qu’on ne pouuoit iamais voir
dancer sans estre épris de mesme fureur ; ou comme
Ælian nous asseure que les Pescheurs, attirent aisément
dans leurs filets les Pastenades de mer, quand
ils les diuertissent par quelque chant ; il faut dire de
necessité que ce Cardinal n’a pas eu meilleure opinion
des François que de ces poissons, & qu’il a creu
nous surprendre & nous appaiser par l’harmonie de
ces Courtisanes effrontées. Mais il auoit oublié que la
Musique estoit vne chose bien importune dans le
dueil, & sur tout dans vn dueil public ; que la France
n’en feroit pas moins que cét Empereur, qui songeant
à la deffaite de ces Legions, ne cessoit de repeter :
Rends moy mes Legions Varus, & qu’elle crieroit
tousiours de mesme apres luy, rends moy mes
enfans, si tu veux que ie me console.

 

Du ieu de Barbare, il a passé à celuy de Phrenetique.
Apres auoir creusé des Sepulchres à tout vn peuple,
il a fait esleuer vn Palais à des Cheuaux, & ie ne
sçay pas mesme, s’il n’a point eu vn dessein secret
d’en porter quelqu’vn aux premieres dignitez, & de
le traitter auec le mesme appareil, que cét abominable
Empereur traittoit le sien, qui luy faisoit manger
son auoine dans des vases d’or, & qui auoit entrepris
de le faire Consul de Rome. A n’en point mentir, il y
a de l’estonnement & de la honte, à voir des Princes

-- 14 --

incommodez, ou des Cheuaux ont des appartemens
superbes, & la posterité aura peine à croire qu’vne
curiosité cruelle ait basty des Escuries de ruine de
toutes nos villes.

 

Le soin qu’il a eu de ses domestiques de manege &
de voiture, ne luy a point fait perdre celuy de ses
Niepces, pour fortifier sa tyrannie, par lappuy des
plus puissantes maisons de France ; & c’est pour cette
raison qu’il a tourné ses yeux du costé de l’Arsenal,
du Chasteau Trompette, & de Richelieu, & qu’il
s’est proposé d’auoir pour Gendres des grands Maistres
d’Artillerie, des Colonels de l’Infanterie Françoise,
& des Generaux des Galeres. Ces mariages qui
auoient esté conceus auec grand éclat, n’ont pas esté
pourtant enfantez auec grand succez, & le bruit n’en
a pas plus duré que la vie de ces animaux ; du Pont
dont vn mesme iour, à ce qu’on dit, voit la mort &
la naissance. Pour faciliter vn si haut dessein, il auoit
fait mettre des imposts sur toutes les marchandises ; il
auoit taxé pour leur mariage toutes les necessités de la
vie, & peu s’en est fallu qu’il n’ait en vn point resuscité
Vespasian qui auoit imposé des tributs sur les vrines.

On s’est mis souuent en peine de le porter à de
meilleurs sentimens, on luy a representé les miseres
& les cris du peuple, mais on la tousiours trouué
sourd, comme on l’auoit trouué aueugle, & quoy
qu’on ayt peu faire pour le persuader & pour le conuaincre
par nos souspirs & par nos larmes, il a tousjours
esté comme cette Medée de l’ancienne Tragedie
qui voyoit le mal, & qui ne pouuoit se deffendre

-- 15 --

de la suiure. Aussi n’a-t’il pas esté de ses oreilles, comme
ce Temple des Ionides, dont parle Pausanias,
dans lequel on n’estoit pas plustost entré qu’on se
sentoit libre de toutes ses maladies, mais plustost
comme de ces portes que les anciens appelloient
maudittes qui ne receuoient point de choses pures ny
sainctes, & qui ne donnoient passage qu’aux hosties
d’execration & à toutes sortes d’ordures. Il ne falloit
qu’estre cruel pour meriter son estime ; celuy qui
donnoit le plus d’aduis auoit aupres de luy le plus de
credit, & qui n’estoit point ennemy du peuple, ne
pouuoit pretendre à son amitié. C’est dans la foule
execrable de ces Conseillers interessez, qu’il a renoncé
ouuertement à la dignité de son ministere, & au repos
de son ame, qu’il a fait tant d’orphelins & tant de
veufues ; qu’il s’est enrichy de nos desordres, & qu’il
a trahy tous les sentimens de la Religion & de la nature.

 

Cét Anatheme que Dieu prononce aux reprouuez
fait trembler ! Allez maudit au feu eternel ; mais il
doit estre espouuentable à ce mal heureux, quand il
en adiouste la cause. Pour ce que i’ay eu faim, & que
vous ne m’auez pas donné à manger, Que i’ay eu soif,
& que vous ne m’auez point presenté à boire ; Que ie
passois & que vous ne m’auez point offert de retraitte ;
Que i’estois nud & que vous ne m’aués point couuert ;
Que i’estois malade, & que vous ne m’auez point soulagé ;
Que i’estois prisonnier, & que vous ne m’auez
point rendu de visite. O Ciel, s’écrie le grand Euesque
d’Hippone, si celuy qui a refusé du pain est precipité

-- 16 --

dans les flammes eternelles, à quelles cheuttes doiuent
estre reseruez ceux qui desrobent le pain d’autruy ?
Si celuy qui n’a pas donné des habits à son prochain
est damné, que peut estre celuy qui s’est enrichy
de ses despoüilles ? Si celuy qui n’a pas receu les
passans doit necessairement perir, que doiuent attendre
ceux qui vsurpent leurs heritages ? Si celuy qui
n’a point visité les prisonniers est condamné par vn
arrest sans appel, que doiuent attendre ceux qui ont
changé les villes en autant de Conciergeries ; & si
ceux qui ne font pas le bien, sont menacez d’vne peine
si horrible, de quels supplices doiuent estre persecutez,
les empoisonneurs, les traistres, les vsurpateurs,
les meurtriers, & les sacrileges ? Si ce grand
Sainct dit ailleurs, que Dieu est dans soy-mesme,
comme le commencement & la fin dans le Ciel,
comme vn Roy dedans son throsne ; dans son Eglise
comme vn pere de famille dans sa maison ; dans le
monde comme vn Gouuerneur dans sa Prouince ;
dans le iustes comme vn Azyle, & dans les reprouuez
comme horreur & tremblement, de quel sorte peut-il
estre dans ce Cardinal, qui comme vn autre Attila
peut estre appellé le fleau de Dieu ? Comme on dit
qu’vn Ancien voyoit tousiours la figure de quelque
costé qu’il cheminast ; on ne peut douter que ce miserable
n’ait tousiours ses crimes deuant ses yeux en
quelque lieu qu’il puisse aller, & que ses diuertissemens
ne deuiennent enfin ses furies. Le meschant
peut trouuer des retraittes, disoit Epicure, mais il n’y
peut trouuer d’asseurance, pour ce que le peché ne

-- 17 --

sçauroit estre impuny, & que le chastiment du mal
est dans le mal mesme.

 

Il n’a pas seulement vomy son venin contre les
hommes il l’a mesme vomi contre Dieu dans la persecution
de ceux qui annonçoient sa parole, & n’a pû
laisser en repos les Ministres de son Euangile. C’est
ainsi qu’il en a fait emprisonner quelques-vns, &
qu’il a interdit la chaire aux autres ; qu’il en a espouuanté
quelques vns par le bannissement, & quelques
autres par les menaces, comme si on ne pouuoit
estre innocent à prescher vn Dieu, & qu’il eut
entrepris de s’opposer à la gloire de celuy qu’il est
oblige de craindre. Apres auoir veu qu’il n’estoit pas
du siecle des fables, & qu’il ne pouuoit estre le successeur
de ces vieux Titans de son païs, qui oserent
attaquer les Dieux iusques dans le Ciel, il a eu la hardiesse
de porter vne partie de sa fureur iusques sur le
siege de S. Pierre, de se declarer contre le Pape, apres
auoir fait assassiner vn de ses nepueux, & de proteger
ouuertemẽt contre lui des personnes, que des larcins
publics auoient renduës criminelles au premier chef
de les rappeller au milieu de ce Royaume, & de les
remettre dans leurs charges, quoy que leurs mains
fussent encore toutes rouges du sang d’vn Escuyer
de l’Ambassadeur de France. Mais comme toutes
ces impietez s’attachent directement au Dieu que
nous adorons, & qu’il ne veut point reconnoistre,
c’est à luy à prononcer quelque iour ce qu’il a resolu
dans ses decrets eternels, & à faire esclatter comme
il luy plaira, la misericorde ou sa iustice.

-- 18 --

Nous nous plaignons seulement icy, que le Cardinal
Mazarin se soit paré de nos ornemẽs, qu’il se soit
fait grand de nos pertes, & qu’il compose encore aujourd’huy
ses triomphes de nos gemissemens & de
nos miseres. Nous nous estions contentez de souspirer
dans nos familles : Nos plaintes n’estoient point
sorties de nos maisons : Nostre lict & nostre foyer
auoient partagé toutes nos larmes, & nous n’auions
eu pour tesmoins de nostre murmure, que nos freres
que nos enfans, & nos femmes. Mais depuis que
nous auons veu qu’il s’est emparé ouuertement de
l’Estat, qu’il nous a desrobé nostre Prince legitime,
qu’il l’a mesme enleué de nuict, sans auoir esgard à
sa personne sacrée, ny au mal-heur qui pouuoit suiure
la delicatesse de son temperament & de son aage
& qu’il nous a voulu presser par la guerre & par la famine,
nous nous sommes fortifiez contre ses attaques,
& nous n’auõs pas moins fait que ces ouuriers,
qui pour trauailler plus seurement aux murailles de
Ierusalem, tenoient la truelle d’vne main, & l’espée
de l’autre. Nous auons reconnu que ce Ministre ambitieux
estoit prest de se faire vne puissance legitime
de l’vsurpation, & qu’il ne luy restoit plus rien a faire
apres s’estre mis au dessus des loix, & au dessus des
Magistrats qui sont commis à la distribution de la
iustice. Nous auons remarqué par la suitte & par la
violence de ses desseins, qu’il auoit charmé la plus
part des grands, & qu’il auoit esblouy des Princes
pour qui les Poëtes les plus des interessez ont fait esclatter
des Odes qui ne valent gueres moins que des

-- 19 --

Hymnes, & pour qui les Orateurs les plus celebres
ont fait des Panegyriques qui eussent passé dans
d’autres siecles pour autant d’Apotheoses. Nous
auons veu que ces Princes mesmes ont imposé des
loix & des chaisnes à des ennemis estrangers, cependant
qu’ils souffroiẽt vn ennemy domestique ; qu’ils
ont estendu nos frontieres par la force & par le bon
heur de leurs armes, cependant qu’ils laissoient dans
l’Estat vn monstre qui affligeoit toutes nos villes, &
qui desoloit toutes nos campagnes ; & que nous faisions
des feux de ioye dãs les ruës pour des ennemis
vaïncus, cependant qu’vn tyran allumoit le feu dedans
nos maisons, ou qu’il y pilloit toutes nos richesses.
Par là nous auons veu qu’il vouloit nous empescher
d’auoir vne espece de veneration pour leur bras
& pour leur cõduitte, & qu’il auoit entrepris de leur
desrober toute la gloire, que l’enuie mesme ne leur
ose refuser, puis qu’il disputoit diuersement auec eux
l’auantage de se faire craindre ; qu’il humilioit les
François iusques à la derniere consternation, lors
qu’ils gaignoient des places & des victoires sur les
estrangers ; qu’il rendoit icy redoutable l’authorité
qu’il y auoit prise, lors qu’ils faisoient ailleurs des
sujets ou des prisonniers, & qu’il opposoit au spectacle
& au ressouuenir de leurs triomphes, celuy de
nos funerailles. Nous auons veu qu’il a precipité la
mort de plusieurs personnes, pour ne leur laisser pas
mesme la langue libre ; qu’il a fait des criminels de
tous ceux dont il n’a peu faire des bourreaux, & qu’il
a corrompu par ses maximes dangereuses la pluspart
de ceux qui l’ont approché, comme ont dit que les

-- 20 --

Thibiens infectoient ceux qui auoient vne fois receu
leur haleine. Nous auons veu qu’il a chassé d’aupres
du Roy ceux qui auoient esté commis des long-temps
à la garde de sa personne sacrée, que leur retraitte
n’a gueres esté meilleure qu’vn exil, & qu’ils
n’ont esté mal heureux que pour auoir esté trop fideles.
Nous auons craint dés lors que le Cardinal
Mazarin qui taschoit d’esloigner d’aupres du Roy
tous les gens de bien, & tous les hommes de remarque,
& qui en approchoit des personnes tres suspectes,
n’eut des desseins tres pernicieux à l’Estat, qu’il
ne voulut faire vne Cour nouuelle, à force d’y introduire
des estrangers & des mercenaires ; qu’ils ne deuorassent
les peuples apres les auoir suçez, & qu’ils
n’en fussent les tygres, apres en auoir esté les sangsuës
Nos Plaintes n’eussent pas esté iusque au desespoir,
s’il n’eut pris de nos biens qu’en faisant chemin
comme on dit que le chien ne boit de l’eau du Nil
qu’en passant, & s’il se fut contenté de nous tondre
sans nous escorcher. Mais il a fallu que nos ressentimens
ayent esclatté auec nos malheurs, quand nous
auons veu qu’on ne pouuoit, ny le saouler, ny le remplir ;
& nous auons reconnu auec vn des Sages de
Grece, que celuy qui entreprendroit de guerir la cõuoitise
d’vn auare en le voulãt rassassier de richesses ;
feroit la mesme chose que le Medecin qui conduiroit
vn hydropique aux fontaines. La raison & l’experience
nous ont fait voir qu’en luy fournissant des
thresors, nous luy fournissions des armes qu’il employoit
à nous combattre, qu’il entretenoit nos ennemis

-- 21 --

par nostre argent mesme, & qu’il ne pouuoit estre esleué
que sur nos ruines.

 

En effet, qu’elle apparẽce y auroit-il qu’vn homme qui vouloit
oster au premier & au plus auguste de nos Parlemens, l’ancienneté
de ses priuileges, l’authorité de ses loix, & toutes les marques
de sa grandeur, deut auoir en suitte du respect & de l’amour
pour les autres, qu’il laissast subsister vn corps dont il retranchoit
le cœur & la teste, & qu’il ne tarit pas les ruisseaux
apres auoir epuisé la source.

Il est de l’authorité du Roy comme de la lumiere du Soleil qui
se reprend doucement par tout, & qui ne fait de mal qu’a ceux
qui n’en peuuent souffrir l’éclat, & de l’authorité des fauoris
comme de la Lune qui n’esclaire qu’autant qu’elle est esclairé.
Mais quand les fauoris ne sont pas contenté du pouuoir qu’on
leur communique, qu’ils veulẽt retenir e qu’on ne fait que leur
prester, qu’il violent & qu’ils profanent ce qu’on leur confie,
& qu’il vsurpent le droit qu’on ne leur peut accorder, il y va de
la conscience des Magistrats, & de la generosité des peuples de
remedier à l’insolence de ces tyrans, & d’arrester des hommes
qui courent quand ils doiuent simplement marcher. Quelques
indifferentes ou quelques obscures que puissent estre les loix
dans les Estats, il y en a tousious quelqu’vne qui s’oppose diuertement
à la violence des Souuerains ; pour ce que la Religion qui
s’y exerçe, explique ce qu’vn Prince doit éuiter, & ce qu’il doit
suiure. Quelle difference y auroit-il entre l’vsurpation & la souueraineté
legitime, entre les tyrans & les Roys, entre les sujets &
les esclaues. Depuis quand les Souuerains qui sont appellez les
Pasteurs du peuple, en doiuent-ils estre les bouchers, & qu’elle
est la loy qui nous dispẽse de toutes les autres ? S’il est vray qu’vn
Roy soit dans son Estat, ce qu’est vn Pere dans sa famille, & que
les peuples soient aux Roys ce que les enfans sont aux peres ; estil
pas croyable que l’Escriture qui deffend aux peres d’irriter
ceux qui leurs sont redeuables de la vie, fait la mesme deffence
aux Roys au regard de ceux qui leur doiuẽt de l’obeyssance. La
Philosophie a-t’elle mis iamais la barbarie au rang des vertus
Morales ? La Politique a-t’elle fait vne iustice de la rage ? Et la

-- 22 --

Thelogie a t’elle prononcé des arests qui nous obligent de
croire que la cruauté fasse vne des conditions desoints & des
Images de Dieu ? Que peut donc estre deuenuë cette vnion, ou
plustost cette vnité de la clemence des Souuerains, & de l’amour
des sujets ; Par quel exemple le Cardinal Mazarin a-t’il diuisé
deux choses qui n’en font qu’vne en telle rencõtre ? Et par quel
secret a-t’il entrepris de rendre des Roys glorieux par le malheur
de leurs peuples qui n’ont iamais eu pour eux que des
obeissances & des benedictions publiques. Est-il tombé dans la
maxime furieuse de cét Empereur ; Qu’on me haïsse pourueu
qu’on me craigne ? A-t’il iugé qu’il estoit de nous, comme de
ces bestes farouches, qu’il est plus aise de combattre que d’appriuoiser ?
Et s’est-il persuade qu’vn throsne ne pouuoit mieux
estre affermy que sur des sepulchres : Certes la bonté des Princes
& l’amour des peuples font deux choses inseparables ; ce
sont ces deux caracteres des Hebreux, dont l’vn est nommé par
eux la gauche, ou l’obeyssance par qui le Prince est redouté des
estrangers, & la nomment le glaiue de Dieu, & l’autre la droitte
qui le fit aimer à qui ces Hebreux mesme ont donné le nom
de Clemence, & qu’ils appellent le Sceptre de Dieu.

 

Le Cardinal Mazarin a tout confondu, cependant sous le
nom du Prince ; il a prostitué son caractere & sa volõté absolue
dans tous ses ouurages propres ; & comme s’il eut eu dessein de
rendre son regne odieux à tous les hommes, il l’a fait le tyran &
le meurtrier de ceux qui le demandent, comme leur Roy legitime,
& qui le reconnoissent comme leur veritable Pere.

Mais apres auoir manqué dés long temps à ce que la Religion
à de plus sainct & de plus sacré, il n’a pas eu beaucoup de peine
à manquer à la Politique ; apres auoir mesprise les commandemens
de Dieu, il luy a esté facile de violer les loix humaines, &
de rendre son ambition plus grande & plus forte que la coustume
& le droit des gens. Il n’a regardé l’Estat que de costé qu’il
luy pouuoit estre vtile, il n’a considere la Iustice que par son
bandeau, & sans refléchir sur cette peinture Morale ; il s’est
persuadé qu’elle estoit aueugle comme la fortune. Dans cette
opinion criminelle, il n’a laissé au Roy que le titre ; & n’a laissé

-- 23 --

que l’ombre de la Regence à la Reyne : & pour des-honorer les
premieres annees du Fils & les dernieres années de la Mere, il a
voulu faire le Roy & le Regent tout ensemble : il a desposé des
charges, des emplois & des benefices, & s’est mis en possession
de tout ce que les Roys ont en propre. C’eut esté peu pour luy
s’il n en eut encore passe les limites, & quand il s’est treuué des
personnes qui luy ont conseillé depuis peu de trauailler au bien
de l’Estat, il en a parlé auec des sentimens de vray François, &
n’a pas moins fait en cecy que ce Grachus, qui parloit au rapport
de Ciceron, comme vn Procureur Fiscal de la Republique
Romaine, cependant qu’il en dissipoit toutes les Finances.

 

Pour empescher que nous respirassions dans le port apres la
tempeste, il a treuué des obstacles à la paix qui n’en auoit point
d’elle-mesme, & n’a peu souffrir qu’vn Prince tout genereux &
tout sage, esteignit par sa conduitte & par sa bonté, vne guerre
qui n’a fait depuis si long-temps, qu’vn brazier espouuentable
de toute l’Europe. Quelle consolation & quel remede pouuions
nous donc esperer d’vn Ministre qui n’estoit gras que du
sang des peuples. D’vn Cardinal qui mettoit tout eu vsage pour
abolir ou pour profaner nos plus augustes Mysteres ? Et d’vn
Medecin qui ne guerissoit les maladies, qu’en faisant mourir les
malades. S’il est vray ce qu’a dit vn ancien, que le premier bonheur
estoit de ne naistre point, & le second celuy de mourir
bien-tost, il eut esté aduantageux pour nostre salut, que la vie du
Cardinal Mazarin eut esté simplement imaginaire comme celle
des dragons, & des Harpies de la Fable, ou qu’il n’y eut eu
pour le moins que quelques heures entre son berceau & sa sepulture.
Les larmes qu’vn Sage appelle le sang d’vn cœur meurtry
n’auroient pas si long temps coulé sur nos iouës ; nous serions
encore à faire entendre nos plaintes & nous n’aurions pas
esté la proye des maux qui eussent arraché des gemissemens publics
de la constance des martyrs, & de la Philosophie des
Stoïques. C’est pour cette raison que les plus patients & les
plus stupides se sont resueillé de leur assoupissement honteux,
que les peuples se sont esleuez à la confusion & à la perte de ce
Ministre, & que le Parlement a renouuellé ses coups & ses

-- 24 --

arrests contre les vsurpateurs estrangers, comme les Grecs
foüettoient autrefois les Ilotes de temps en temps, pour leur
faire ressouuenir de leur condition premiere. Il ne pouuoit ny
mieux faire ny retarder dauantage, & si les Philosophes de
Perse s’estudioient autrefois à faire mourir les rats & les souris ;
dans la creance qu’ils auoient que leur Dieu les auoit en execration,
il ne faut point douter que les Magistrats n’ayent esté
iustes, quand ils se sont esleuez à la ruine d’vn homme qui est
deuenu fameux par l’excez de tant d’impietez inouies, & pour
le nombre de ses sacrileges. Le dernier effet qu’il fait, est vne
marque de son impuissance : il vomit tout le venin qui luy reste
& redouble sa fureur quand il n’a plus dequoy la faire durer,
comme ces flambeaux qui redoublent leur lumiere quand ils
sont prests de s’esteindre. Quoy qu’il en soit, il faut que nos
bonnes œuures esloignent de nous vn tyran que nos pechez
auoient attiré dans ce Royaume, que nous nous seruions mesme,
s’il est besoin de Processions generales contre ce monstre,
comme on s’en seruoit autrefois quand quelqu’vn estoit apparu
dans vne contrée, & qu’enfin nous esperions que Dieu exaucera
les gens de bien dans cette ville assiegée de tous costez, par
la mesme misericorde qui a exaucé le bon larron dans la Croix,
Iob sur le fumier, Hieremie dans la fange, Daniel dans la fosse
aux Lyons, & les trois enfans au milieu de la fournaise.

 

D. B.

SubSect précédent(e)


D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE GENIE DEMASQVÉ ET LE TEMPS PASSÉ ET L’ADVENIR DE MAZARIN. Par vn Gentil-homme Bourguygnon. , françaisRéférence RIM : M0_1493. Cote locale : C_5_31.