D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE MINISTRE D’ESTAT FLAMBÉ. , français, latinRéférence RIM : M0_2470. Cote locale : C_4_58.
BVRLESQVE.
IL faut bien qu’vn chien de Lutin Me mette la puce en l’oreille, De prosner dessus le destin D’vn homme qui fait le mutin Qui se saoule d’vne bouteille, Qui ne sçait ny Grec ny Latin, Et qui n’est propre qu’à Marseille.
D’où diable me vient cette humeur Mon ame est elle point duppée Moy qui ne suis qu’vn escrimeur Suis ie bien deuenu rimeur, Où ma verue est elle occupée, Et faut il dans cette rumeur Ioindre ainsi la plume à l’espée ?
Page viste, oste moy mon pot, Il me seruira d’escritoire Mais pour bien barbouiller ce sot, Non pas en style de Marot Mais en style bouffi de gloire, Et pour le peindre en Astarot, Cherche de l’ancre la plus noire.
Sans sçauoir ny qui ny comment Ie sens en moy quelqu’vn qui i’aze, C’est vne Muse assurement Qui pour Mazarin seulement Me monte auiourd’huy sur Pegaze, Mais à ce nom quel changement Ce cheual tremble pour vn aze.
Hé quoy plus ie le venx pousser, Et plus il se iette en arriere, Ie ne puis le faire aduancer, Descendans, il le faut laisser Sa ns entrer de dans la carriere, Et Mazarin sans finesser Luy pourroit sangler la cronpiere.
Laissons donc là tout cét atour, I’entends desia mon petit Page, En as-tu ? Quel heureux retour, Cette ancre est noire comme vn four, O le fauorable presage ! Ce mauuais Demon de la Cour En aura dessus le visage.
Ha, ha, ie vous tiens Mazarin, Esprit malin de nostre France, Qui pour obseder son destin, Faites le soir & le matin Main basse dessus sa pitance, A ce coup vous serez bien fin Si vous esuités la porence.
Leuez les yeux regatdez moy, Et n’usez d’aucun artifice : Vous auez faussé vostre foy, Vous auez enleué le Roy, Vous auez trahy la iustice, Et vous auez fait sans sa loy Encherir iusque au pain d’espice.
Vos malices ont eu leur cours, Presque par toute la nature, Vous auez fait cent mauuais tours, Vous auez ioué tous les iours Et Createur & creature, Et vous auez fait à rebours Le gaillard peché de luxure.
C’est où vous estes trop sçauant Cardinal à courte priere Priape est chez vous à tout vent, Vous tranchez des deux bien souuent Comme vn franc cousteau de tripiere, Et ne laissez point le deuant Sans escarmotter le derriere.
Des clergeons par vous caressez Vous ont tenu lieu de coquettes, A cent Pages interessez Que vos confidents ont dressez Vous auez compté des sornettes, Et vous ne les auez laissez Ny mains pures, ny gregues nettes.
Vous vous estes seruy d’vn sort Pour chiffonner fesses & mottes,
Au Sabath chaque Vendredy Vous presentez vne bougie, Vous vous creuez le Samedy De chair, aussi bien qu’au Ieudy, Vostre priere est vne Orgie, Et Grandier, Fauste & Gaufredy Vous ont enseigné la Magie.
Vous n’auez iamais eu chez vous Que gens indignes de louange, Vos Pages sont de ieunes fous : Vos estaffiers de vrays filous, Vostre Suisse vne beste estrange, Vos Confesseurs des loups garous, Et le Diable est vostre bon Ange.
La Seine & le Rhin par vos loix Vont aussi mal que la Tamise, Vous auez donné sur les doigts Du Parlement deux ou trois fois, Et par la derniere entreprise, Vous pensiez le mettre aux abois Ou du moins le mettre en chemise.
Helas quel complot inhumain, Quelle estrange rodomontade, Quelle vœu passé de main en main De prier Monsieur sainct Germain
Ouy vous tranchiez du Fierabras, Et pensiez dans ce mal extreme Nous coupper & iambes & bras, Nous esgorger entre deux draps, Traitter Noble & Bourgeois de mesme, Et reduire le Mardy gras Cette annee à faire Caresme.
Ce point n’estoit point débattu, Par les plus scrupuleuses ames, Vous treuuiez moindre qu’vn festu La resistance & la vertu, De nos filles & de nos femmes, Et vous pretendiez mettre à cu Le renom de toutes nos Dames.
Au mot de Paris vos Romains En troubloient l’air de cris de ioye, Et les Sarmattes inhumains, Quoy qu’ils prennent à toutes mains Aimoient moins en auoir la proye, Que d’en faire auec les Germains Ce que les Grecs firent de Troye.
Ia desia ces bufles du Rhin, Et ces bonnets du Boristhene Ont mis en feu meule & moulin Ou Daillé, Faucheur, Aubertin Font chanter à perte d’haleine, Et se sont promis dans le vin
Leur luxure & leur cruauté Treuuent par tout de la matiere C’est pour eux vn point arresté, Que l’abondance & la beauté Leur doiuent vne chose entiere, Et dans cette necessité Tout est bordel, ou cimetiere.
Iamais siecle n’a descouuert De plus grands abateurs de quilles, Par eux tout passage est ouuert, Priape comme Iean de Vvert Prend sans quartier garçons & filles, Et le grand Diable de Vauvert Auroit moins honni de familles.
Voila le fruict de vos leçons Que pratiquent vos bons Apostres, Par qui l’on voit en cent façons Dancer harnois ou calleçons Auec nos Dames & les vostres, Et par qui filles & garçons S’enfilent comme Patenotres.
Voila les beaux chariuaris Dont vostre fureur est suiuie, Faut-il que femmes & maris Dans neuf mois entendent les cris D’vne race à peine assouuie Et qu’vne moitié de Paris En doiue l’autre à Gracouie ?
Mais passons nos beaux tortillons
Par vous pernicieux Agent Nos cheuaux ieusnent à la créche, Vous auez volé nostre argent, Il n’est endroit ou le sergent N’ait fait quelque mortelle bréche, Et par vous le peuple indigent Ne sçait de quel bois faire fléche.
Les imposts ont flus & reflus Sur nos pretieuses tauernes, Et par vos iniustes refus Vous auez rendu si confus Tous les officiers subalternes, Que ces pauures gens ne vont plus Que la nuict comme les lanternes.
Vn Prince en vain vous demanda Du secours pour la Catalougne ; Et le siege de Lerida Qui nous fit chanter des Ouyda : D’vne folle & piteuse trougne, Fit voir que l’argent n’aborda Qu’au port de l’hostel de Bourgougne.
Ce fut lors que les delicats Virent bien vostre perfidie, Que vous riyez à tour de bras
Les François estoient resiouys Que nostre France fut pourueuë D’vn si grand nombre de Louys, Mais ils se sont esuanouys Par vostre auarice impreueuë, Et les ont si bien esblouis Qu’ils en ont tous perdu la veuë.
Le marchand par tout endebté N’a plus personne à sa boutique ; Ciceron n’est plus escouté, Sainct Cosme n’est plus consulté, Sainct Yues reste sans pratique, Et dans leur merite enchanté La fortune leur fait la nique.
Le meilleur bocan du marais Deuient presque vne solitude, La Decombe y regente en paix Gens d’espée & gens de Palais N’y causent plus d’inquietude, Et Priape y casse du grais Aux filles qu’il mit à l’estude.
Le poulet d’inde & le cochon Ne leur doiuent plus rien de rente, Marotte, Cataut, & Fanchon Qui vendent iusque à leur manchon Y sont vaines tables d’attente,
Le Bretilleux est sans chalands Morel n’enseigne plus à lire, Boisseau n’estalle plus d’escrands, Martial ne vend plus de gands, Rangouze ne sçait plus qu’escrire, Richard ne va plus chez les grands, Et Vinot n’a plus dequoy frire.
Neuf Germain ne dit pas vn mot, Les Muses ne l’ont plus pour Mome ; Le Sauoyard plaint chaque escot ; L’Oruietan est pris pour sot, Il n’a ny theatre ny baume ; Et Cousin, Saumur, & Sercot Ne gaigneut plus rien à la paume.
Cardelin semble estre perclus, Son corps n’opere plus merueille, Carmeline en vn coin reclus Voit ses Policans superflus ; Le Coutelier mesme sommeile ; Et Champagne ne coiffe plus Que la poupée ou la bouteille.
Sur le pont-neuf Cormier en vain Plaint sa gibeciere engagée, La Roche y prosne pour du pain, La pauure foire sainct Germain Fait des cris comme vne enragée, Et les pages n’ont plus de main Pour en excroquer la dragée.
Le credit par vous occuppé Fait par tout de sanglanses cources, Tout nostre bon heur est frippé Nostre cher espoir est duppé Nos mal-heurs n’ont plus de ressources, Et nostre heureux sort vsurpé A fait des balons de nos bources.
Vous estiez plus ferme qu’vn roc Quand vous heurtiez quelque personne, Vous auez inuenté le Hoc Qui met la conscience au croc Des l’instant mesme qu’on s’y donne, Et le frere coiffé du froc Vouloit l’estre d’vne couronne.
Vos niepces, trois singes ragots Qu’on vit naistre de la besaçe, Plus méchantes que les vieux gots, Et plus baueuses qu’escargots Pretendoient icy quelque place, Et vous esleuiez ces magots, Pour nous en laisser de la race.
Elles auoient fait leurs adieux A leurs parens de gueuserie, Pour s’accoupler à qui mieux mieux Aux Candales, aux Richelieux, Aux grands maistres d’artillerie, Rauis de voir en d’autres lieux, Les singes & la singerie.
Vous n’auez point encore ieusné Ny Vendredy sainct ny Vigile,
Vous auez creé des imposts Sur les plus simples marchandises, Vous auez fait mal à propos Encherir la liqueur des pots Pour qui ie vendrois mes chemises, Et prenez de nostre repos Les vsures & les remises.
Vous voyez nos maux sans blesmir, Ils frappent en vain vostre oreille, Vostre credit veut s’affermir Sur des taxes qui sont fremir, Et si vostre fureur sommeille, Pour nous empescher de dormir Le moine bouru la resueille.
Par vous le conseil infecté N’a plus rien de bon que la mine, Il se porte à l’extremité Pour nous oster la liberté D’auoir icy quelque farine, Et vous nous auez tout osté, Hors la crainte de la famine.
Quoy qu’aient peu faire vos supposts Pour nous enuoier la tempeste, Parmi nos cris & nos sanglots Nous meslons pourtant quelques rots,
En effet quoi que dés long-temps Vous voliez tous à tire d’aisles, Malgré vous & malgré vos dents Nos conuois nous rendent contens Et tous nos Generaux fideles Font chez vous plus de penitents, Que vous ne faites de quereles.
Vous pensiez faute de morceaux Mettre à nos iours de courtes bornes, Mais depuis peu, chappons & veaux, Becasses, moutons, lappereaux, Nous empeschent bien d’estre mornes, Paris est fourny de pourceaux, Et creue de bestes à cornes.
Cependant la pomme de pin La Chasse, l’Escharpe, & la Couppe, L’Aigle, les Faisans, le Dauphin, Le Cormier & le gros Raisin Ont tousiours depuis quelque trouppe, Confuse de voir que le vin N’y reproche rien à la souppe.
C’est là que nous benissons tous Nos ressentimens legitimes, Que nous voyons à deux genoux Les traicts qu’Apollon contre vous Décoche tous les iours en rymes Et qu’il s’y boit autant de coups,
Mais c’est trop long-temps caquetter, De toutes parts le peuple aborde, Qui sans doute vient d’arrester Qu’on ne deuoit point le traitter Sur à l’aide misericorde, Qui nous a fait souuent chanter Qu’on peut estre pendu sans corde.
Mazarins ! quel estrange ennuy, Voila desia qu’on me l’enleue Il n’a plus d’espoir ny d’appuy, Grais & leuiers pleuuent sur luy Et s’il n’en reçoit quelque trefue, Maistre Iean Guillaume auiourd’huy N’officiera point à la Greve.
L’y voila pour nostre interest, Viste bourreau qu’on le secoüe, Tout va bien, Maistre Iean est prest, Ha par bieu, voila qui me plaist, O iustice que ie te loüe ! Mais dans le bel estat qu’il est, Il nous fait encore la mouë.
Pour Dieu ne te rebute pas Fais paroistre icy ta vaillance, Imprime tes pieds sur ses bras, Tiens t’y droit comme vn eschalas, Acheue en luy nostre souffrance, Et ne te plains point d’estre las De faire du bien à la France.
Encore trois ou quatre coups
Allons benir Dieu promptement Dans l’Eglise de nostre Dame, C’en est fait : o l’heureux moment ! Le Bourgeois & le Parlement Ne craindront iamais cét infame, Le bourreau prend son vestement, Et le Diantre gobe son ame.
D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE MINISTRE D’ESTAT FLAMBÉ. , français, latinRéférence RIM : M0_2470. Cote locale : C_4_58. |