D. B. [signé] = Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], REMONSTRANCE DE LA NOBLESSE A LA REYNE REGENTE. POVR LA PAIX. , françaisRéférence RIM : M0_3312. Cote locale : C_9_46.
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REMONSTRANCE
DE
LA NOBLESSE
A
LA REYNE
REGENTE.

POVR LA PAIX.

A PARIS,
Chez IEAN BRVNET, ruë neuue S. Louys
au Canon Royal, proche le Palais.

M. DC. XLIX.

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REMONSTRANCE DE LA NOBLESSE
à la Reynt Regente.

MADAME.

Vostre Maiesté voit à ses pieds la Noblesse qui a este
appellée le bras droit du corps de l’Estat, mais à qui rien
n’est presque resté qu’vn si beau titre, & qui n’est plus considerable
auiourd’huy que par son desespoir, & par sa misere.
Le dueil est deuenu la liurée des plus Illustres familles
de vostre Royaume ; toutes les pompes sont sunebres
dans nos maisons, & l’on n’y conuie plus d’amis que pour
assister à des funerailles. Les sœurs y font des souhaits inutiles
pour leurs freres, les femmes y souspirent pour la perte
de leurs maris ; les meres y gemissent pour leurs enfans,
& les domestiques y disputent tous les iours à qui pleurera
plus long-temps leurs maistres. On n’y voit de tous costez
que des orphelins, ou des veufues ; on n’y entend que
des souspirs & des plaintes ; on ne s’y entretient que de sepulchres,
& l’on n’y employe le temps qu’a des occupations
tragiques. Nos Laboureurs se contentent d’arrouzer
de larmes, les champs qu’ils auoient accoustumé de
cultiuer auec des soins incroyables ; ils ne se mettent plus
en peine de la seicheresse, de la chaleur, de la pluye, ny
de la rosée ; & la plus part sont reduits à la honteuse necessité

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de mandier dans les villes, le pain qu’ils y faisoient
ordinairement entrer. Nos priuileges ne sont plus reconnoissables
que dans nos archiues ; nostre authorité ne s’estend
plus que sur nos valets ; & nos Bourgs dont la misere
a fait de grandes ruines, ne seruent plus de retraitte qu’a
quelques serpens, qu’aux hibous, & aux oyseaux de mauuais
augure. La guerre, Madame, a fait tous ces accidens
& tous ces desordres ; elle n’a pas seulement porté le fer &
le feu chez nos ennemis, elle a treuué des pretextes pour
s’introduire iusques dans le cœur de l’Estat, & pour s’y
maintenir auec vne cruauté qu’on auroit mesme espargnée
dans vn Pays de conqueste. Nous n’examinons
point icy deuant vostre Maiesté, Madame, ny la suitte de
ces mal-heurs ny la cause, & nous sommes trop bien instruits
dans la Morale Chrestienne pour nous seruir de la
naissance de Monsieur le Cardinal contre sa fortune, puis
que nous apprenons de l’vn & de l’autre Testament, que
nous deuons aymer l’estranger ; que Dieu l’ayme, & qu’il
le recommande à son peuple, apres l’auoir fait ressouuenir
qu’il auoit esté estranger au pays d’Egypte. Il est vray que
nous pourions bien dire à Monsieur le Cardinal, sans pecher
contre ce precepte, mais auec vne raison plus iuste &
plus forte, ce que ce Roy des Philistins dit à Isaac, sors
d’icy puisque tu es deuenu beaucoup plus puissant que
nous ; & quoy que la charité nous oblige de receuoir les
estrangers au rang de nos freres, comme Iacob appelloit
ses freres ceux qui ne luy estoient pas connus, cette charité
la mesme toutefois, n’est pas seuere iusques à nous obliger
de les laisser dans nos heritages & dans nos charges, quand
ils sont assez hardis pour les vsurper. En effet, il suffit d’auoir
des yeux pour voir qu’il n’est paré que de nos despouilles,
& qu’il en est comme de la Lune qui ne brille que par
la lumiere qu’elle emprunte. Il n’est pas croyable, Madame, que

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que vostre Maiesté soit pleinemeut informée des intrigues
de la plus part des Ministres ; elle sçauroit que leur
Politique n’est qu’vne longue suitte de crimes, qu’vne
estude de fourberie, qu’vn recueil de maximes dangereuses
& cruelles, & vn secret infaillible pour degouster les
plus fideles, pour aueugler les ambitieux, pour corrompre
les gens de bien, & pour faire des miserables. Pour voir vn
tableau viuant de nostre misere & de leur inhumanité, on
n’a qu’a regarder vos suiets dans vos Prouinces, on y treuuera
des solitudes que le sang & le feu ont marquées d’vn
bout à l’autre, & tout y fume encore ou d’embrazement
ou de meurtres à qui la Philosophie la plus indifferente &
la plus austere ne peut plus refuser ses larmes. C’est vn prodige
espouuentable que nous fassions pitié à nos ennemis,
cependant que nos gens mesmes ne s’opiniatrent qu’a nostre
desolation & à nostre perte, que nous soyons pillez par
ceux qui ont fait nostre amour & nostre esperance, & que
nous tirions du secours de ceux là mesmes de qui nous deuions
tout craindre, Vostre Maiesté, Madame, ne peut
plus douter que nous n’ayons trauaillé puissammenr au
bien de l’Estat, depuis qu’elle nous a mis en exercice ; que
la France n’a esté estenduë par nostre moyen, au de là de
ses premieres limites ; que nos Peres & nos Parens ne se
soient genereusement sacrifiez à la gloire de nostre Roy
pour en affermir le Throsne, & pour en aduancer les victoires,
& que nostre fidelité ne parle de tous costez en nostre
faueur, par nos playes qui ne sont pas encore fermées.
Les Cicatrices en seront tousiours honorables : Quelques
incommoditez qu’elles nous apportent, nous ne laisserons
pas de les benir, puisque c’est par elles que nous auons appris
à vaincre & les mutins & les rebelles, & nous ne serons
pas moins zelez que ce fameux General qui se consoloit
d’estre deuenu boitteux, en sauuanr sa chere patrie ; &

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qui disoit que les Dieux vouloient qu’a chaque pas qu’il faisoit,
il se ressouuint de son triomphe. Nous ne murmurons
donc pas contre nos blessures quelques larges & quelques
profondes qu’elles puissent estre, puisque ce seroit murmurer
contre nostre gloire ; au contraire, nous continuërons
dans nos respects & dans nos seruices ; & pour la seureté
de vostre personne, & pour celle de cette grande
Monarchie, nous n’aurons deuant les yeux que cette
belle maxime de l’vn des Sages de Grece, qu’il ne faut
s’estu lier que pour estre loüe durant sa vie, & pour estre
creu bien-heureux apres sa mort. Celle-cy ne nous a point
fait encore trembler depuis que l’honneur & la iustice nous
ont mis les armes en main, & nous auons assez bien vescu
iusques icy, pour persuader aux plus incredules, que nous
n’auons iamais eu tant de peur des loix que de l’infamie.
Mais ce n’est plus des guerres passées que nous nous plaignons,
Madame, nous ne parlons que de celle qui s’allume
auiourd’huy dans nostre foyer, qui partage toutes les
familles, qui porte le pere contre l’enfant, qui arme la
moitié de vostre Royaume contre l’autre, & qui ne peut
estre profitable qu’aux voleurs, aux estrangers, & aux traistres.
Les mauuais Ministres qui l’ont conseillée à vostre
Maiesté, ont creu qu’il estoit des François, ce qu’il estoit
des Romains du temps d’Hannibal qui disoit qu’ils ne
pouuoient estre vaincus que dans leur pays ; & comme ils
ne sont deuenus sçauans qu’a faire le mal, & qu’ils y sont
extra ordinairement adroits, c’est d’eux & de leurs semblables
que parle l’Apostre, quand il dit que ces Sages periront
auec toute leur sagesse. Leurs conseils semblent tous
estre appuyez de raisons tres aduantageuses, ils donnent
des aduis qui surprennent & qui esbloüissent ; mais quand
on les a bien examinez, on treuue enfin que qui les suit, ne
s’esloigne iamais gueres de son malheur, & qu’il en est

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comme des rameaux de la Sybille d’Ænée qui estoient
d’or, & qui conduisoient dans les Enfers. Dieu prononcera
quelque iour en dernier ressort sur ce different, &
puisque c’est à luy que la vengeance est reseruée, nous passerons
de leur malice à nostre souffrance, & nous supplierons
tres humblement vostre Maiesté de considerer qu’icy
le Throsne est ordinairement soustenu par la Noblesse, &
que nous manquons nous mesme d’appui, si vous resufez à
vos suiets la paix qu’ils ont droit mesme d’esperer de toutes
les rigueurs de vostre iustice. La Conference qui est ouuette,
est vn moyen qui nous peut meiner à vne fin si glorieuse,
& pour peu que vous penchiez du costé de la clemence,
nous douterons à l’heure mesme qui fera leplus de
bruit de nostre repos, ou de vostre gloire. Nous sçauons
que les anciens peuples de Grece appelloient le Roy des
Dieux dans leur langue, d’vn mot qui signifie dans le nostre,
doux comme miel, pour ce que c’est le propre des
Dieux de faire du bien & de plaire, & le propre des furies
de punir & de tourmenter. Outre les tres-humbles remonstrances
que nous auons desia faites à vostre Maiesté, cette
consideration seule peut suffire à la grace que nous osons
luy demander, c’est Madame, celle de nous laisser pour le
moins reprendre haleine apres tant de playes, tant de fatigues,
tant de maladies, & tant d’obseques ; d’engager
ce qui nous reste de vie contre les ennemis iurez de l’Estat,
plutost que contre ses suiets fideles ; & de ne pas permettre
plus long-temps, qu’on puisse dire quelque iour qu’il est
arriué dans vostre Regence, ce qui arriua dans Rome vn
peu auparauant qu’on y fit vne Monarchie de la Republique,
ou le seruiteur se rendoit libre par le meurtre de son
maistre, ou la sœur trahissoit le frere, ou le pere estoit le
iuge ou le bourreau de son enfant, & ou la cruauté ne fut
oisiue, que quand elle fut lassée.

 

D. B.

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